Un article publié dans "Le Journal du Mardi", le 24 décembre 2002
Après l'avoir nié pendant six ans, Michel Nihoul admet désormais qu'il a bien livré de la drogue à Dutroux et à Lelièvre. Mais les tardives «justifications» de l'escroc ne sont pas crédibles. Le 17 janvier prochain, le président du Tribunal de 1ère instance de Neufchâteau, M. Moinet, devra décider du renvoi ou non de Michel Nihoul vers les assises dans le cadre du procès Dutroux et consorts. On sait que le procureur du Roi, Michel Bourlet requiert ce renvoi. Pour le magistrat chestrolais, Nihoul, Martin, Dutroux et Lelièvre font partie d'une association de malfaiteurs, laquelle se livrait à de multiples activités criminelles. II y a, selon le ministère public, connexité entre les différents fins commis parles membres de cette organisation. Autrement dit, la Cour d'assises ne pourra juger de façon crédible des responsabilités respectives des différents acteurs de l'affaire Dutroux que si elle prend connaissance de tout le spectre d'activités de la bande, des interdépendances éventuelles entre ces diverses activités criminelles et du degré de participation de chacun des acteurs du dossier à celles-ci. En ce qui concerne M. Nihoul, le président de la Chambre du Conseil de Neufchâteau devra donc déterminer si certains actes posés par l'«homme d'affaires» bruxellois, en relation avec les autres inculpés du dossier Dutroux, ont été des contributions nécessaires ou à tout le moins utiles à la mise en oeuvre des enlèvements et/ou des séquestrations, des viols, des tortures et des homicides qui faisaient l'objet de la saisine du juge d'instruction Langlois. Cette question se pose - notamment, mais pas seulement - au regard du trafic de stupéfiants qui a impliqué Michel Nihoul, Marc Dutroux et Michel Lelièvre entre avril 1996 et le moment de l'arrestation du trio à la mi-août de la même année. On soulignera que cette période couvre deux enlèvements: celui de Sabine Dardenne, le 28 mai 1996 et celui de Laetitia Delhez, le 9 août 1996.Très rapidement, l'instruction a établi que Michel Nihoul a livre, à plusieurs reprises, de l'ecstasy aux auteurs identifiés des enlèvements. Soit le 29 juin 1996, les 5, 8, 9 et 30 juillet 1996 et encore - c'est la livraison la plus importante: 1000 pilules d'une valeur équivalente à 500 000 francs -1e 10 août 1996. Pour être précis, Dutroux ne participe qu'à la première transaction, c'est ensuite Lelièvre, seul,qui reçoit l'ecstasy des mains de Nihoul. S'agissait-il de paiements ? Pour les enlèvements ? Pendant plus de six ans, les enquêteurs ont tenté d'arracher une explication à Nihoul sur ce point. Celui-ci s'est toujours contenté de nier: («je n'ai rien à voir avec l'ecstasy»). Par exemple, dans un interrogatoire récapitulatif, le 18 juin 2001 (PV 8303/01), un policier pose la question suivante à Nihoul: «La dernière remise de pilules par vous-même à Lelièvre se fait le 10/08/1996, soit le lendemain de l'enlèvement de Laetitia Delhez Qu'avez-vous à répondre quant à cette proximité absolue de date?». Réponse de l'intéressé : «C est un hasard qui ne me sert malheureusement pas mais je maintiens que je ne lui ai remis aucune pilule, à quelque date que ce soit ( .. )Je n'ai jamais rien remis à Lelièvre (...) Je n'ai jamais reçu d argent de Lelièvre». Il y a quelques semaines, après que le procureur Bourlet eût démontré en Chambre du Conseil de Neufchâteau que Nihoul mentait effrontément en niant avoir remis l'ecstasy, l'escroc bruxellois commencera à se répandre dans la presse pour donner une toute nouvelle version des faits. Ce qui lui vaudra un grand titre à la une des journaux du groupe Sud Presse, le 27 septembre dernier: «Nihoul a réponse à tout, nous l'avons rencontré». Il est alors avancé, comme s'il s'agissait d'une révélation, que Nihoul était un indicateur de la gendarmerie. En fait, cet élément du dossier - qui suscitera un article spécifique du JDM dans une prochaine édition - est connu depuis le premier interrogatoire de Michel Nihoul par le juge Jean-Marc Connerotte, en date du 15 août 1996.A l'époque, l'escroc déclarait: «Je collabore avec la BSR de Dinant ( . .) je suis rétribué par le Ministère de la Justice». Mais la «vraie» révélation vient ensuite, sous forme d'un aveu: Nihoul admet avoir donné 1500 pilules d'ecstasy à Lelièvre ! Mais c'était dans le cadre d'une opération undercover, menée avec l'assentiment de la gendarmerie... Ah bon? Pour en arriver à cette nouvelle thèse, Nihoul revisite l'affaire Walsh, du nom de ce trafiquant britannique qu'il contribua à piéger en collaboration avec la BSR de Dinant et la BSR de Bruxelles en avril 1996. Qu'en est-il de cette affaire Walsh? Elle a été analysée sous toutes les coutures par les enquêteurs de Neufchâteau. Dans un PV de synthèse n°8328/01 du 5 juin 2001,les policiers résumaient les faits de la manière suivante: «Le 19 avril 1996, DavidWalsh, ressortissant anglais se présente chez Nihoul, via Bouty, alors qu'il est en possession de 10 kilos d'amphétamines et de 5000pilules d XTC. Walsh expliquera qu'il avait été chargé d'effectuer le transport de cette drogue vers la Suède pour le compte dune organisation criminelle établie aux pays Bas ( ..) En cours de route, Walsh détourna cette marchandise en espérant la revendre pour son compte. Nihoul va proposer sa collaboration pour lui trouver des acheteurs et ainsi écouler la marchandise. Selon la déclaration de Walsh, lui même et Nihoul vont extraire la roue de secours de la voiture de Walsh dans laquelle se trouvent les pilules dXTC et la remonter dans l'appartement de Nihoul. Les pilules d XTC en seront extraites et cachées par Nihoul dans une armoire de son salon (ndlr: selon les déclarations de Walsh, Nihoul avait promis de trouver acheteur pour l'XTC dans les 48 heures). Quant aux 10 kilos d'amphétamines, ils resteront dans la voiture de Walsh. Nihoul va dénoncer à Gérard Vanesse (ndlr: dont l'escroc bruxellois était l' «indic» à la BSR de Dinant), Walsh qui sera contrôlé et arrêté à bord de sa voiture. (..) Ainsi en possession des 5000 pilules dWTC, Nihoul va tenter de les écouler auprès de Casper Flier et de Georges Bouty. Il se retournera ensuite vers Lelièvre. La présente enquête a permis d'établir la traçabilité d'environ 1500 pilules de Nihoul vers Lelièvre. (. .) La première remise de 105 unités aura lieu le 29 juin 1996 au domicile de Nihoul, à Lelièvre, en présence de Dutroux. (..) Par la suite, Lelièvre reconnaîtra avoir travaillé pour son propre compte, directement avec Nihoul, en dehors de Dutroux Lelièvre recevra ainsi des mains de Nihoul environ 1500 pilules d'XTC. Toutes ces remises se font au domicile de Nihoul (ou en face) à raison de 100 unités à la fois, exception de la remise de 1000 unités dXTC par Nihoul à Lelièvre, le 10 août 1996, soit le lendemain de l'enlèvement de Laetitia Delhez. Il existe au présent dossier de nombreux témoignages, tant directs qu'indirects, qui confirment cette remise de stupéfiants par Nihoul à Lelièvre La présente enquête n'a pu déterminer ce qu'il est advenu du solde des XTC, soit 3500 pilules Notons toutefois que la remise des pilules par Walsh à Nihoul se fait le 19 avril 1996, soit un mois environ avant l'enlèvement de Sabine Dardenne. Il est apparu que, suivant les versions, 100 à 200 unités ont été affectées à la vente, en vue d'assurer le paiement des réparations de la voiture de Michel Nihoul (ndlr. son Audi 80 avait été emmenée pour réparation chez un ami de Lelièvre) ; réparations qui n auront jamais lieu. Si le produit de la vente de 200 de ces unités devait être affecté aux réparations de la voiture de Nihoul il s'agissait donc d'un montant de l'ordre de 100 000 francs ;alors que le montant maximum des réparations citées par divers acteurs du dossier oscillé entre 12 et 16 000 francs belges. Dans le même ordre d'idées, les 1500 unités mises par Nihoul à Lelièvre représentent donc une valeur marchande totale de l'ordre de 750 000 francs belges. Nihoul était à l'époque sans le sou;(..) Pourquoi dès lors Nihoul a-t-il remis de la marchandise illégale pour un montant de 750 000 francs à Lelièvre et ce, sans la moindre contrepartie (..) ? Nihoul conteste (..) Sa position va manifestement à l'encontre des éléments objectifs du dossier.» S'adressant ensuite au juge d'instruction Langlois, les enquêteurs écrivaient (en lettres grasses) dans ce PV «Notons que l'ensemble des devoirs nous prescrit (ndlr:par le juge Langlois) l'était sous le vocable suivant-'Vérification au sujet d'un éventuel trafic de stupéfiants dans lequel seraient impliqués Michel Nihoul, Michel Lelièvre et Marc Dutroux et ce, afin de s'assurer qu'il n'existe pas de lien entre ce trafic et les faits d'enlèvements'. Tous ces devoirs permettent d'établir la véracité de ce trafic d'une part et l'implication des trois protagonistes cités, soit Nihoul, Lelièvre et Dutroux, d'autre part.» Ils poursuivaient: «Compte tenu de ce qui précède et partant notamment du constat que le 10 août 1996, soit le lendemain de l'enlèvement de Laetitia Delhez, Nihoul remet à Lelièvre 1000 pilules dXTC, la question se posait de savoir s'il existait une relation entre ce trafic de stupéfiants et les faits d'enlèvement et de séquestration. Compte tenu de la persistance d'un certain nombre de faits, étant donné que Nihoul Michel nie les faits face aux éléments objectifs du dossier lui soumis à plusieurs reprises, attendu que Lelièvre a reconnu en 2001 avoir menti durant 4 années sur certains aspects de ses auditions, et qu'il ne nous a pas été permis d assurer la traçabilité de 3500 pilules représentant une valeur marchande de 1 750 000 francs, il ne nous est pas permis, en guise de conclusion, d établir qu'il n:y a pas de lien entre ce trafic avéré de stupéfiants et les faits d'enlèvements et de séquestrations d'enfants. Bien qu'absente dans le rapport du juge Langlois devant la Chambre du Conseil, cette conclusion a donc été reprise et étayée par le Procureur du Roi Bourlet dans son réquisitoire. M. Nihoul et son avocat ont dès lors bien compris que ces éléments, à eux seuls, pourraient être considérés comme suffisants pour fonder une décision de renvoi de l'escroc bruxellois sur les bancs de la Cour d'assises. Il y a en effet de multiples indices qui vont dans le sens d'une connexité entre les faits de drogue et les enlèvements et, comme le plaident les conseils de Laetitia Delhez (voir jDM n°92), le trafic d'ecstasy - et principalement la livraison du 10 août 1996 - doit être assimilé à une «aide nécessaire ou à tout le moins utile à la perpétration du crime», à savoir le kidnapping de leur cliente. C'est dans ce contexte qu'apparaît subitement la nouvelle version de Nihoul. Quelle est-elle ? Difficile à suivre si on s'en réfère aux multiples déclarations faites à la presse par cet inculpé. Dans les titres du groupe Sud Presse, le 27 septembre 2002, on peut lire que «pour appâter des acheteurs, MichelNihoul a reçu de l'XTC de Walsh et il déclare en avoir remis à Lelièvre (avec l'approbation du gendarme Vanesse), toxicomane susceptible de le conduire vers d'autres proies. tout cela était connu de Gérard Vanesse». Dans le Soir Magazine, le 2 octobre, ce n'est plus tout à fait la même version et il y a même deux versions différentes dans le même article: «Des gendarmes de Dinant savaient que je possédais ces pilules Ce sont eux qui me les ont remises après qu'ils eurent arrêté, avec leurs collègues bruxellois, le trafiquant anglais Walsh sur base de mes informations. Ce trafiquant transportait 10 kilos d'amphétamines dans sa voiture et il avait planqué 5000 pilules d'ecstasy chez moi. Avec ces pilules, je devais appâter Lelièvre et faire en sorte de permettre aux gendarmes, avec qui j étais en contact à Dinant, de remonter la filière dont ils croyaient qu'ils faisaient partie». Le 12 octobre, nouvelle version encore, dans Le Soir, cette fois: «Vanesse m'a fait venir chez lui à Dinant avec Lelièvre. Il m'a proposé de lui donner 100 pilules d'XTC pour le faire parler; mais Lelièvre n'a rien dit. Finalement, on lui en a donné 1000». Après toutes ces sorties de presse, l'avocat de Nihoul, Me De Cléty couchera enfin la nouvelle thèse de Nihoul sur papier dans des conclusions déposées devant la Chambre du Conseil de Neufchâteau. La livraison de 1000 pilules, le lendemain de l'enlèvement de Laetitia? Une «circonstance absolument fortuite». Le prix payé par Lelièvre pour cette livraison? Nada! II s'agissait d'une «remise à titre gratuit» dans le cadre d'une «mission d'infiltration qui lui était confiée». «Le but recherché était simple: remonter les filières par lesquelles Lelièvre allait les écouler (ndlr : les pilules d'XTC, s'entend). Cela n'apparaît pas dans les déclarations de Vanesse - qui n'est d'ailleurs plus là pour témoigner, étant décédé - et cela n'apparaît pas plus dans les rapports de la gendarmerie sur l'affaire Walsh? Normal: «La BSR de Bruxelles a sciemment menti en passant sous silence l'existence de l'XTC dont elle était informée depuis le 19 avril 1996 » par Nihoul. Dans quel but a-t-elle menti ? Il s'agissait d'une «opération undercovm et «contrairement aux exigences de la procédure, aucune autorisation préalable du Parquet n'avait été sollicitée». Par conséquent, selon sa défense, ce n'est pas le truand Nihoul qui a donné de la drogue à des complices dans le cadre d'une association de malfaiteurs, mais l'indicateur Nihoul qui a été embarqué dans une «opération undercover illégale» à la demande de la gendarmerie. Conclusion de Me De Cléty: la Chambre du Conseil doit constater «d'évidence de la provocation policière» et «prononcer le non-lieu». Qui a parlé de théorie du complot ? Dans un autre cadre, ces explications tardives prêteraient à rire ! Et plusieurs questions viennent évidemment à l'esprit: pourquoi Nihoul a t il attendu six ans pour avancer ses nouvelles explications ? Pourquoi aurait-il accepté d'être présenté dans l'opinion comme un complice de Dutroux et Lelièvre, s'il pouvait se réclamer de travailler sur instruction de la gendarmerie? Pourquoi n'a-t-il pas accablé en ce sens le gendarme Vanesse... avant sa mort? Pourquoi clamait-il à tous ses complices de l'époque qu'il dealait de la drogue provenant de la BSR de Bruxelles ? S'agissait-il d'un nouveau concept d'infiltration policière annoncée? En Chambre du Conseil, dans sa réplique à l'avocat de Nihoul, le 14 novembre dernier, le Procureur du Roi Bourlet battait en brèche cette nouvelle version: «je ne vois pas l'intérêt, au sens de la politique criminelle, de créer une filière de trafic de drogue pour identifier les éventuels consommateurs, en aval c'est-à-dire les acheteurs de petites quantités, comme ceux qui sont cités au dossier ou les clients de Lelièvre au dancing de Tournai. Aucun n'est d'ailleurs 'tombé, ce qui aurait pourtant été le but de t opération selon Michel Nihoul. Quand on monte une opération de ce type, c'est pour identifier les trafiquants, les vendeurs, les importateurs, or ici, c'était fait, et bienfait depuis le mois d'avril et de manière parfaitement légale.-Walsh qui avait importé la drogue, sans l'ombre d'une provocation policière, avait été intercepté puis condamné. L'opération telle quelle est présentée par Niboul n'a aucune raison logique d'être entreprise, ni même d'être imaginée. Voilà des gendarmes qui, selon Nihoul, détourneraient 5000 pilules d'ecstasy, en établissant de faux rapports ou procès-verbaux, et reconstitueraient eux-mêmes, et avec laide d'informateurs infiltrants, une filière démantelée pour pouvoir faire punir et arrêter des consommateurs qui, sans leur intervention, n'auraient pas pu consommer. Un peu comme des médecins qui empoisonneraient leurs patients pour pouvoir les soigner, ou des pompiers qui mettraient le feu à des immeubles pour pouvoir l'éteindre et justifier leur raison d'être !».