Un article publié dans l'hebdomadaire belge "Ciné-Télé Revue"
Comme elle nous l’expliquait la semaine dernière, Marie-Noëlle Bouzet, la maman d'Elisabeth Brichet, enlevée, séquestrée, violée et tuée par Michel Fourniret en décembre 1989, n’a bénéficié à ce jour qu’une d’une très pingre intervention de la «Commission d’indemnisation des victimes d’actes intentionnels de violence» (ndlr : soit 2000 euros d’ «aide d’urgence» octroyé pendant l’été 2004 et pour couvrir une partie des frais funéraires). Théoriquement, si l’on se base sur des décisions prises dans des affaires comparables, Mme Bouzet pourrait espérer obtenir une aide de 62.000 euros, soit le montant légal maximum pouvant être attribué par cette commission qui dépend du service public fédéral Justice.
Sur le fond, ce dossier ne pose pas question. Perte d’un enfant, perte de son travail, ennuis de santé, angoisse permanente pendant plus de 15 ans… Marie-Noëlle Bouzet n’a pas, en effet, à démontrer qu’elle entre dans les critères légaux pour recevoir une indemnisation. C’est ce que reconnaît d’ailleurs la ministre Laurette Onkelinx dans une lettre qu’elle vient d’écrire à l’avocat de la maman d’Elisabeth, Jean-Maurice Arnould et dont Ciné-Télé Revue a pu prendre connaissance : «Je comprends évidemment la situation exceptionnelle de votre cliente, Madame Bouzet, confrontée à de nombreuses années de doutes et de souffrances au sujet de la disparition d’Elisabeth avant de prendre connaissance des aveux de Fourniret en juillet 2004. Vous avez également raison quand vous dites que dans ce cas, comme dans d’autres d’ailleurs, le plafond légal d’indemnisation prévu par la législation ne peut pas et se ne sera jamais à la mesure de cette souffrance passée et présente».
Sur la forme, ce même dossier confine à l’absurde. Légitimement, la maman d’Elisabeth estime que, plus de 16 ans après l’enlèvement de sa fille, elle peut prétendre à une indemnisation effective. Cependant, la législation sur l’aide aux victimes crée une situation pour la moins paradoxale : Marie-Noëlle aurait déjà été indemnisée si l’auteur de l’enlèvement de sa fille était demeuré inconnu, mais en juillet 2004, l’arrestation de Fourniret a pour effet de postposer toute aide de l’Etat! On a reparlera après la (les) procès du tueur en série. Soit en 2007, voir en 2008 ou en 2009, vu que le très procédurier assassin utilisera certainement toutes ses possibilités d’appel.
Dans la lettre qu’elle écrit à Me Arnould, Laurette Onkelinx confirme toute l’absurdité de cette situation. «La situation était différente avant juillet 2004 puisque jusqu’à ce moment là, Madame Bouzet faisait partie de la «catégorie» de «parents de victimes d’un auteur inconnu» (dans ce cas, un délai d’un an peut suffire entre la constitution de partie civile et la demande d’aide) mais depuis les aveux de Fourniret en juillet 2004 (…), la situation a changé et les conditions définie dans l’article 31, paragraphe 3 de la loi sur le fonds d’indemnisation s’appliquent donc de manière intégrale». Et la ministre, bien entendu, de souligner le contenu de cet article 31, paragraphe 3 qui «prévoit clairement qu’une décision définitive sur l’action publique doit être intervenue, (ndlr : Traduction : Fourniret doit avoir été jugé) cela n’est évidemment pas le cas dans cette affaire (…).»
Dans Ciné-Télé Revue, la semaine dernière, l’avocat de Marie-Noëlle contestait une interprétation trop formaliste et inhumaine de la législation : «Il y a cependant la lettre et l’esprit de la loi. Dans des dossiers particulièrement long – Elisabeth a été enlevée en 1989 !-, il ne serait que légitime que l’aide principale soit octroyée au bout d’un délai raisonnable. En tous les cas, pas après 20 ans d’enfer! C’est d’ailleurs ce qu’indique explicitement l’une des brochures publiée par le ministère de la Justice à l’usage du public. On peut notamment y lire que «l’aide peut être accordée même si il n’y a pas eu de jugement (…) dans les cas où le délai pour obtenir un dédommagement effectif et suffisant serait exagérément long. La commission a donc la possibilité de faire preuve d’humanité et de ne pas ajouter ainsi au calvaire auquel est confrontée la maman d'Elizabeth depuis bientôt 17 ans».
A ce stade, tant la commission que la ministre de la Justice qui avait pourtant assuré Marie-Noëlle de son soutien lors de l’enterrement d’Elisabeth, ne semblent vouloir prendre en compte cette argumentation. Mme Onkelinx se contente en effet de constater dans la lettre envoyée à Mme Arnould que : «Selon la Commission, il n’y a jamais eu de précédent, ni de jurisprudence en la matière permettant d’octroyer une aide principale aux victimes d’un auteur connu qui va être prochainement jugé. Il s’agit de l’application d’un des principes de base de ce fonds, à savoir que l’autorité publique intervient de manière subsidiaire si l’auteur est incapable d’indemniser lui-même la victime.» En d’autres termes, à situation exceptionnelle, pas de réponse exceptionnelle.
On soulignera une fois encore le caractère très formaliste de cette position alors qu’il est connu par ailleurs de la justice que Fourniret a organisé son insolvabilité : sa maison a été achetée au nom de son fils et les seuls biens saisis par la justice dinantaise dans ce dossier se limitent à : 800 euros – argent liquide retrouvé à son domicile-, à 39 pièces d’or de «50 pesos Mexicains» et à 158 pièces d’or portant l’inscription «20FR Napoléon III». Autant dire que le débat sur l’insolvabilité de Fourniret qui aura lieu après son procès pénal est déjà entendu (d’ailleurs l’Etat ne se pose autant de question pour financer le travail des avocats prodeo du tueur en série).
L’indemnisation sera donc accordée avec certitude… mais quelque 20 ans après l’enlèvement. Ne serait-il pas plus humain que l’Etat belge prenne les devants, quitte à récupérer sa mise auprès du tueur si, par extraordinaire on devait découvrir une fortune cachée de celui-ci dans les mois qui précèderont encore son procès ? Poser, la question c’est y répondre mais… A ce jour, la seule promesse qui est faite par la ministre de la Justice dans sa récente lettre à Me Arnould est que l’un de ses collaborateurs le rencontrera pour l’aider à trouver des solutions concrètes à son hébergement pendant le procès qui se déroulera en France. C’est peu, presque rien. C’est surtout très moche.