Chronique "Si on me laisse dire" publiée dans le quotidien "La Dernière Heure" en marge du procès de Marc Dutroux et consorts
Don Jean-Michel (52- Le 18 mai 2004)
Le sacristain Dutroux, la none Martin, le pèlerin Lelièvre. Il nous manquait qu’un moine trappiste dans le box d’Arlon pour compléter ce drôle d’équipage. Et bien, je vous présente Don Jean-Michel. Hier deux policiers nous ont ouvert le beau livre de sa sainte existence. Ayant surtout soigné les enluminures, ils n’ont malheureusement pas eu le temps d’approfondir tous les aspects de cette hagiographie. Par exemple, le chapitre sur les relations nombreuses de Don Jean- Michel dans le monde de la criminalité n’a pas été écrit. Exemple : lorsqu’il est question de la société de poisson créée par l’escroc, on se contente de souligner le «courage» de l’homme qui, tous les matins, aux petites heures, se levait pour aller chercher ses huîtres et crustacés à la côte. Pas un mot des montages financiers troubles impliquant des truands notoires dans le cadre de cette pêche miraculeuse.
D’accord reconnaissent les auteurs, Don Jean-Michel est quelque peu hâbleur et affabulateur, mais c’est surtout un bon vivant. C’est aussi un noceur qui aime le bon vin et les femmes bien en chair. Dans cette vie de Nihoul selon l’instruction Langlois, il y a un refrain : Don Jean-Michel était «toujours prêt à rendre service aux autres». On le sait, c’est là la grande idée des quelques années d’enquête chestrolaise : tout s’explique par l’altruisme de l’accusé.
En janvier 2003, cette «vision», et je crois que le terme est ici particulièrement bien choisi, avait d’ailleurs été synthétisée dans un attendu célèbre de la chambre du conseil de Neufchâteau : «De par ses ‘qualifications’ dont il aime se vanter, Michel Nihoul sera contacté par les deux intéressés (ndlr : Dutroux et Lelièvre) pour solutionner des problèmes de chômage, de radiation de domicile, d’expertises et de location d’immeubles… Le dossier révèle des contacts plus fréquents entre les intéressés en juillet-août 1996 et l’enquête établira l’existence de deux circonstances de faits qui corroborent les explications fournies par les inculpés et justifient ces contacts tant téléphoniques que physiques, à savoir, d’une part, le trafic de stupéfiants qui n’intéresse principalement que Nihoul et Lelièvre (…) et d’autre part, la réparation de l’Audi 80 de Nihoul (…)».
A l’époque, j’avais écris que cette lecture du dossier – qui a d’ailleurs été battue en brèche par la chambre des mises en accusation de Liège - faisait de Nihoul une sorte d’assistant social bénévole et il me semblait quelque peu naïf de le confondre l’escroc avec l’abbé Pierre. Hier, après l’évocation très lisse de la vie de Don Jean-Michel, Me De Clety a cette fois pris les devants : «Nous n’allons pas prétendre que notre client, c’est l’abbé Pierre». De fait, le portrait que l’on a entendu de l’ex-président de la Confrérie des maîtres brasseurs renvoie plutôt à une sorte de moine débonnaire qui nous donnerait presque envie de déguster une bonne bière d’abbaye en sa compagnie. Bien sûr, on nous parle ici d’un moine un peu blagueur comme l’on en trouve encore dans certains magasins de farces et attrapes. On pousse sur leur tête et puis…
Bon, Don Jean-Michel a fait faire de la prison à sa première femme pour des faits qu’elle n’a pas commis. Certes, il ne s’est jamais occupé de ses gosses et a même menacé de mort l’un d’entre eux. Evidemment, il a escroqué l’un de ses fils. Oui, il a battu sa seconde femme et l’a accusé d’être l’initiatrice d’un trafic de drogue qu’il dirigeait lui-même. Enfin, il a fait ripaille avec l’argent qu’il collectait pour les enfants qui mourrait de faim au Sahel. Mais Don Jean-Michel est aussi charitable : hier, il s’est abstenu de tout commentaire après que plusieurs témoins – pas les policiers- lui aient rappelé tant de ses pêchés. Les voies du seigneur sont impénétrables. Au moins autant que la stratégie de défense de Michel Nihoul lorsqu’il continue à prétendre qu’il vendait de la drogue pour le compte de l’ex-gendarmerie…