Chronique "Si on me laisse dire", publiée dans le quotidien belge "La Dernière Heure" en marge du procès de Marc Dutroux et consorts -32 -16 avril 2004
Les mots de Sabine Dardenne. Les mots d’une enfant kidnappée, séquestrée, manipulée psychologiquement et violée. Des mots de souffrance, des mots de désespoir. Des mots tellement difficiles à entendre. Comment cette petite, âgée d’un peu plus de 12 ans en 1996, a-t-elle survécu à cette horreur ? Comment a-t-elle pu ne pas se noyer dans cet océan de solitude ? Où a-t-elle trouvé la force pour garder une telle dignité dans ce terrifiant bagne de Marcinelle ?
On a vécu un moment extrêmement important à Arlon. Écrites pendant sa captivité, les lettres de Sabine ne sortiront jamais de la mémoire de ceux qui en ont entendu la lecture par le policier Lucien Masson. Des mots si imprégnés de douleur, des phrases qui prennent à la gorge. Comme celles-ci -mais il y a en tellement d’autres que l’on aurait pu citer :
- «De toute façon, si je reviens à la maison, ce serait pour que nous nous fassions tous tuer et de ça je ne veux pas ! Je préfère écrire et être ici plutôt que d’être à la maison et être morte (…).»
- «Je pleure souvent après vous mais hélas je crois que je ne vous reverrai jamais.»
-« (…) mais comment fera-t-il si j’ai des problèmes avec mes dents ou si j’ai une carie ou si j’ai des problème d’yeux ou au ventre ou autre part ? Comment fera-t-il, je me le demande ?»
-«Je me demande le temps qu’il fait dehors parce que je ne vois que d’une fenêtre et encore quand je suis en bas avec lui et en plus c’est une fenêtre dans le plafond, toutes les autres fenêtres ont les volets ou tentures fermées. Je ne peux malheureusement pas aller dehors courir, m’amuser, jouer (…).»
-«Presque toutes les choses qu’il me donne sont périmées. Mais lui, il dit que la date qui sur l’emballage, c’est la date de vente. Il a du partir en mission 5 jours et il m’a donné du chocolat qui datait de 1993 ! Il avait un «petit» goût de vieux, mais je l’ai mangé quand même.
-«Je ne reviendrai sûrement jamais, à moins d’un miracle»
-« Il va peut-être encore repartir en mission pendant au moins dix jours, je vais être toute seule dans ce trou. Pensez à moi… »
-«Être parmi vous tous, c’est mon vœu le plus cher… Mais cela n’est malheureusement pas possible. (…) Je me demande si quand vous mangez quelque chose que j’aimais et que vous entendez une chanson sur laquelle je faisais la folle ou que je dansais dessus, je me demande si vous avez une pensée pour moi (…) Tout ce que j’espère, c’est que vous vous amusiez, que vous mangiez bien (en tous cas, c’est meilleur qu’ici) et que vous pensiez à moi sans vous rendre malade ! (…) Je vous souhaite mille bisous, mille bonheurs (…) ».
« (Maman) il m’a dit que vous alliez tous bien et que vous vous étiez fait une raison, dont celle que vous n’allez plus me voir.»
Il y a d’autres mots encore. Ceux qui décrivent les sévices sexuels dont Sabine a été l’objet pendant ses trois mois de séquestration. Ces mots-là ne sauraient être publiés. Ils sont si terribles. Indélébiles. A Arlon, dans sa cage de verre, comme lors de la découverte des corps de Julie, Melissa, An et Eefje en 1996, le nommé Dutroux Marc est pourtant resté impassible. A-t-il seulement entendu les mots de Sabine ?