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«Vacances, n’oubliez pas tout !»

Catherine Ritschard

Catherine Ritschard

Un entretien publié dans l'hebdomadaire belge "Ciné-Télé Revue, le 26 janvier 2006

«S'adonner au farniente sur la plage, déguster des plats typiques, goûter à un autre air dans les merveilleuses régions du Haut Atlas. Sous le soleil d'Agadir, vous serez roi! ». En janvier 1994, Catherine Ritschard n’a pu résister à cette proposition alléchante d’un tour-opérateur. Alors âgée de 28 ans, elle a donc réservé, du 5 au 12 février de cette année-là, une semaine de rêve au Maroc. Sur place, elle participera à un «safari en landrover» qui se terminera par un accident tragique dont, 12 ans plus tard, Catherine Ritschard souffre encore de très importantes séquelles physiques et psychologiques. «Je ne serai plus jamais la femme que j’étais. A 40 ans, c’est comme si ma vie était déjà derrière moi. Je sais que je n’aurai jamais d’enfant et que ma carrière professionnelle est brisée. C’est le destin et je peux l’accepter. Par contre, les innombrables difficultés que j’ai rencontrées pour obtenir –en août 2005, seulement…- une très maigre «réparation» de mon préjudice, m’ont anéantie. Je voudrais que ceux qui liront mon histoire réfléchissent à prendre tous les renseignements utiles avant de céder aux charmes des organisateurs de séjours à l’étranger. Les tour-opérateurs ne vous disent pas tout et certains assureurs et certaines mutuelles déploient des trésors de mauvaise foi pour dépenser le moins d’argent possible»

- «Safari en landrover : Découvrez les paysages extraordinaires de l'Anti-Atlas. Après avoir traversé des petits villages et des pistes, vous découvrirez le silence et la beauté totale ». Ce texte de promo publié dans la brochure 2006 d’un tour opérateur doit vous rappeler quelque chose ?

­­­- Ils font encore cette excursion? Dans le fond, cela ne m’étonne pas… Les années passent, les touristes se suivent. J’espère que désormais ils ont recours à des conducteurs plus prudents et surtout, disposant d’un permis de conduire!

- Le véhicule à bord duquel vous êtes montée, le 9 février 1994, était conduit par un chauffeur sans permis ?

- Enorme, n’est-ce pas ? Pourtant, c’est la réalité. Bien sûr, j’ai appris cela bien après l’accident.

- Cet accident, comment s’est-il produit ?

- Ce jour-là, nous sommes partis tôt le matin. Plusieurs voitures roulaient en convoi. On a visité des villages, on a mangé dans un endroit assez typique, on a bu le thé… L’ambiance était très bonne. A bord de mon véhicule, il y avait aussi Catherine B., une liégeoise ainsi que deux amis. Dans l’après-midi, notre chauffeur s’est mis à faire la course avec le véhicule qui nous précédait. Sur ces mauvaises pistes, leur conduite était tout à fait irresponsable… Ensuite, c’est le trou noir. Je me suis réveillée un mois plus tard… à Bruxelles, dans un lit de l’hôpital Erasme.

- Que s’était-il passé ?

- Notre Landrover a versé dans un fossé et j’en ai été éjectée. Retrouvée inanimée, j’ai d’abord été transportée dans un hôpital d’Agadir et, deux jours plus tard, j’ai bénéficié d’un rapatriement sanitaire vers la Belgique. Je suis restée trente deux jours dans le coma. Les médecins ont diagnostiqué une perforation des poumons, une brèche dans le foie, des tassements des vertèbres… Mais c’est surtout le crâne qui a encaissé. L’imagerie médicale a révélé que je souffrais d’importantes lésions cérébrales… Je n’ose pas trop me plaindre : Catherine B, elle, a perdu l’usage de ses jambes à la suite de cet accident. Quant au chauffeur, il n’a pas survécu.

- Y avait-il débat sur la responsabilité de l’accident ?

- En aucun cas. Les chauffeurs avaient commis des fautes graves. La responsabilité était clairement à charge de la société qui organisait l’excursion.

- C'est-à-dire du tour-opérateur ?

- Et bien non! Quand vous êtes dans un hôtel de luxe au Maroc et qu’une hôtesse du tour-opérateur (T-O) vous conseille une excursion, cela vous donne le sentiment que d’être entre de bonnes mains; Qu’à tous le moins, ce service est couvert, en cas d’accident, par le T-O. En fait, il n’en est rien. L’excursion était organisée par un sous-traitant; Une société de droit marocain. Bref, en droit, le T-0 n’était pas responsable! D’ailleurs, quelques années plus tard, confronté à cet obstacle juridique, Catherine B a décidé d’abandonner l’action qu’elle avait intentée contre le T.O…

- Vous n’avez pas suivi la même voie judiciaire qu’elle?

- Moi ? Je me suis perdue dans un véritable labyrinthe juridique. Il a fallu plus de 11 ans pour que je renonce finalement à me battre… Et que j’accepte 15.000 euros de mon assureur pour solde de tout compte. Une aumône par rapport à tout ce que j’ai perdu sur le plan physique, psychologique et financier (lire encadré).

- Pourtant, vous l’avez dit, les responsabilités n’étaient pas contestées ?

- Et en plus, je bénéficiais d’une assurance «protection juridique» auprès d’une compagnie belge très bien cotée! Oui, j’étais censée pouvoir dormir sur mes deux oreilles pour faire valoir mes droits à une indemnisation…

- Alors ?

- Pendant les deux premières années qui ont suivi l’accident, j’étais incapable de me défendre. Je n’avais plus aucune autonomie, je vivais presque comme un légume. Mes parents m’assistaient. Ils se sont aussi chargés des aspects administratifs. L’assureur chez lequel j’avais un contrat «protection juridique» s’est opposé à ce qu’ils prennent un avocat belge… En fait, ils étaient contractuellement tenus de payer ce conseil mais ils n’en avaient pas envie! Ils ont persuadé mes parents qu’ils avaient engagé un avocat au Maroc et que celui-ci s’occuperait de tout. Plus tard, on apprendra que cet avocat, s’il avait bien été contacté, s’était rapidement désisté sans que la compagnie d’assurance ne nous en prévienne. Le dossier a pourri pendant des mois. Quand j’ai commencé à m’en mêler, deux ans après l’accident, il y a eu une première éclaircie : mon assureur m’a expliqué qu’elle avait mandaté une société de recouvrement marocaine pour négocier avec la partie adverse et que celle-ci était prête à assumer ses responsabilités. Pour autant, elle refusait de verser une provision. Elle voulait payer en une fois, après qu’une expertise médicale ait détaillé toutes les séquelles définitives dont j’aurais à souffrir. Malheureusement, la compagnie d’assurance de la partie adverse a fait faillite au Maroc et il a fallu attendre plusieurs mois pour qu’elle soit reprise par une autre société. Cela a reporté d’autant le processus en cours. Lorsque l’expertise a enfin été lancée, j’ai été confrontée à une autre difficulté : la lenteur du médecin expert désigné par la partie adverse. Ce n’est qu’en juillet 2000, soit plus de six ans après l’accident que le rapport médical a enfin été terminé! La personne qui s’occupait de mon dossier au sein de ma compagnie d’assurance m’a alors dit que j’arrivais au bout du tunnel : selon lui, je pouvais espérer quelque 200.000 euros d’indemnités. Cela ne m’aurait pas rendu la santé, mais je me suis raccrochée à l’idée que j’aurais au moins cette compensation.

- Mais vous ne l’avez pas eue…

- Et je ne l’aurai jamais! A cause d’un document que j’ai signé en janvier 1999. C’est ma mutuelle qui me l’avait demandé, sous la menace de me priver de mes indemnités mensuelles. De plus, mon assureur m’avait conseillé de ne pas m’y opposer. Ma mutuelle voulait récupérer les frais médicaux qu’elle avait engagés dans ce dossier. J’ai donc signé une «déclaration de subrogation». Cela veut dire qu’elle pouvait agir en mon nom, mais j’insiste, uniquement pour récupérer ce qui lui revenait. Ma mutuelle a mandaté une société marocaine à cette fin. Celle-ci a pu obtenir quelques 33.000 euros auprès de la compagnie d’assurance de la société qui avait organisé l’excursion. Mais en plus, le mandant marocain de ma mutuelle a signé un document qui outrepassait ses droits. Par celui-ci elle s’engageait en mon nom à ne plus rien lui réclamer dans ce dossier! Côté marocain, le dossier était donc clôturé et, en 2000, mon expertise médicale n’avait plus de valeur pour mon adversaire! Lorsque j’ai appris cela, j’ai exigé de ma compagnie d’assurance de me payer un avocat belge pour tenter de réparer les dégâts. Il n’a pu que constater que cette dernière n’avait rien fait d’utile dans ce dossier. Le délai de prescription était atteint : plus moyen d’attaquer l’organisateur marocain de l’excursion. Je pouvais intenter une action contre mon assureur mais cela aurait prolongé encore l’affaire de plusieurs années. En août 2005, plus de onze ans après l’accident, j’ai donc «accepté» le «geste commercial» de ma compagnie d’assurance. Je ne lui faisais pas de procès, j’oubliais toutes ses erreurs et sa nonchalance et je recevais 15.000 euros. J’ai signé. Mais je n’ai rien oublié car tous les jours les séquelles de l’accident me rappellent ce jour tragique de février 1994… Aujourd’hui, je vis le sentiment amer d’avoir été doublement victime. Avec celui aussi d’avoir été roulée dans la farine. Cela m’a fait plonger dans un autre tunnel, celui de la dépression, dont j’ai l’impression que je ne verrai jamais le bout.

(1) : Catherine Ritschard a par contre intenté une action judiciaire contre sa mutuelle. Celle-ci est toujours en cours et une partie de l’indemnité qu’elle a finalement reçue sera consacré à payer son avocat…

«15.000 euros. Une vie foutue… et très bon marché»

Avant l’accident, Catherine Ritschard était une femme très active. Secrétaire médicale dans un hôpital bruxellois, cette diplômée de l’enseignement supérieur avait un beau salaire. «Je croquais la vie à pleines dents. J’étais coquette. J’entretenais mon corps en faisant beaucoup de sport (jazz-dance, aérobic, natation…)… Aujourd’hui, je ne suis plus que l’ombre de cette femme-là. Reconnue handicapée à 66%, je vis de la mutuelle avec 600 euros mensuels. J’ai le plus grand mal à retrouver une véritable autonomie car les séquelles de l’accident sont encore nombreuses : diplopie, autrement dit, je vois double ; acouphènes permanent, c’est-à-dire que j’entend en permanence un sifflement aigu dans l’oreille gauche, douleurs dorsales, pertes d’équilibres, pertes de mémoire, migraines infernales et fréquentes… Mais le pire, c’est ma voix : je l’ai perdue dans l’accident. Depuis des années, je me bas pour la récupérer. Aujourd’hui, si je peux me faire comprendre, elle reste très déformée. C’est très handicapant dans les rapports avec les autres. Dans ces conditions, plus question de travailler – trente ans ou plus de vie professionnelle gâchée- ou de penser à avoir des enfants. C’est comme si ma vie était déjà derrière moi… Et cela vaut 15.000 euros après 11 ans de lutte juridique ? Ce n’est vraiment pas cher payé pour la compagnie d’assurance!

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Michel Bouffioux


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