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"Joe a été tué par des prédateurs"

"Joe a été tué par des prédateurs"
Entretien publié dans l'hebdomadaire belge "Ciné-Télé Revue", le 27 avril 2006

Comment expliquer que des ados tuent un autre ado pour un motif aussi futile qu’un Mp3 ? Pourquoi tant de violence ? Quel est le profil probable des auteurs ? Ce sont les questions que tout le monde se pose alors que les meurtriers de Joe courent toujours. Tentatives de réponses avec Jean-Yves Hayez. Psychiatre infanto juvénile et professeur à l’Université catholique de Louvain, notre interlocuteur consacre l’un des cours qu’il dispense à l’Université Catholique de Louvain à la psychologie des jeunes délinquants.  Précision utile : cet entretien a été réalisé avant l'identification et les arrestations des auteurs du meurtre de Joe.

- Comment décodez-vous l’ampleur de l’émotion collective qui entoure le terrible meurtre de Joe Van Hoolsbeeck ?

Jean-Yves Hayez -Pour la communauté, les enfants et les adolescents, c’est la force de la vie en croissance : leur mort heurte toujours… Quand en plus, la mort survient brutalement, dans des circonstances aussi injustes et absurdes, le choc est encore plus fort. En outre, ce jeune n’avait rien d’un marginal, il était un peu «l’ado tout le monde» : Joe aurait pu être l’enfant de beaucoup de parents en Belgique. Il aurait pu être aussi le frère, le copain proche de beaucoup de jeunes, qui sont évidemment tout aussi choqués par ce qui s’est passé à la gare centrale. C’est donc bien une sorte de phénomène d’identification transitoire qui se produit : Joe était devenu comme le fils, le frère ou le pote de beaucoup. Symboliquement, en tous les cas. On craint tous que ce qu’il a vécu puisse arriver à ceux que l’on aime. L’émotion est sans doute très comparable à ce qui s’est passé après la découverte des corps de Julie et Melissa. J’y vois aussi un mouvement de réparation d’une certaine culpabilité collective : Joe a été tué en plein jour dans le hall d’une gare extrêmement fréquentée. Personne n’a su ou n’a pu l’aider. Inconsciemment, on s’identifie aussi à ces gens qui passaient par là et qui n’ont rien fait ou qui n’ont rien vu. C’est difficile à accepter pour tout un chacun que dans notre société un gosse puisse être tué de cette manière, dans un océan de passivité. Dès lors, aujourd’hui, tout le monde a envie d’être actif pour démontrer où à tous le moins tenter de se convaincre, qu’on ne vit pas dans un monde si froid, trop peu solidaire.

- En tant que psychiatre infanto juvénile, vous vous occupez notamment de jeunes qui ne parviennent pas à gérer leur agressivité, êtes-vous en mesure de donner un éclairage à propos de la question que tout le monde se pose : comment expliquer un acte aussi horrible que celui commis par cet ado qui tue un autre ado pour un mobile aussi futile que celui de voler son Mp3 ?

- Au moment où je vous parle, les auteurs du meurtre de Joe n’ont pas encore été arrêtés. Je ne connais pas la trajectoire de vie de ces personnes, ce qui est tout de même essentiel pour tenter de décoder l’acte terrible qu’ils ont posé. Et puis, il serait trop facile de croire que les scientifiques puissent avoir une explication apaisante et définitive à tout. Moi aussi, et bien que j’étudie la délinquance juvénile depuis des années, ce fait criminel hors du commun m’apparaît en partie mystérieux et incroyable. Je veux donc rester prudent mais cela n’exclut pas de formuler un certain nombre d’hypothèses. Je dirais d’abord qu’il faut se rendre à une évidence : il y a une partie des gens dans la population pour lesquels la prédation est une part importante de leur projet de vie. Des gens pour lesquels la jouissance d’un maximum de bien de consommation et de liberté matérielle est un objectif-clé; A atteindre par tous les moyens imaginables, et surtout les malhonnêtes, de manière à en avoir le plus possible en produisant un minimum de travail. Leur devise pourrait être : plutôt tricher, extorquer, menacer, agresser que bosser 38h semaine pour un salaire minable! Ce profil pourrait correspondre à des délinquants tels que ceux qui ont commis le meurtre de Joe mais il serait très hypocrite de le leur réserver!

- Qu’entendez vous par là ?

- Que si il y a des jeunes qui fonctionnent comme cela, c’est notamment parce qu’ils s’identifient à des vieux. C’est parce qu’ils s’imprègnent profondément d’une manière de fonctionner typique d’une partie des gens dans un monde aussi consumériste que le nôtre. Nous appartenons malheureusement à une société dans laquelle la prédation se manifeste à tellement de niveaux… Et de manière parfois tellement visible dans le chef de gens socialement importants qui bénéficient impunément de biens sociaux mal acquis. Voyez les membres du conseil d’administration d’Inbev qui n’hésitent à mettre cent familles à la rue en disant au monde, les yeux dans les yeux, que c’est pour augmenter des profits qui était déjà très plantureux. Voyez ces types impliqués dans le scandale de la Carolo qui, pris la main dans la sac, après avoir privé de logement social des centaines de familles et avoir détourné des biens sociaux, paradent encore en faisant des recours devant le conseil d’Etat. Voyez encore l’affaire Pineau-Valencienne où un grand bandit très riche qui a escroqué des centaines de millions s’en sort sans casse grâce à une armada d’avocats. Voyez dans l’affaire Dutroux, ces dizaines de personnes qui méritaient vraiment d’être sanctionnées et qui ont pu bénéficier d’aspects très formels de la loi pour ne jamais devoir répondre de leurs responsabilités. Que de délinquants, que de prédateurs qui donnent toujours l’impression de bien s’en sortir matériellement, souvent en détournant la loi de son sens à leur profit. Donnant presque comme signal que l’absence de sens moral est un passeport pour la réussite professionnelle et sociale. Tous ces comportements de prédation peuvent jouer un rôle de fascination sur certains jeunes. Notre société donne beaucoup trop comme message que le bonheur c’est d’avoir tout, que c’est faire sauter toutes les limites les unes après les autres. A n’importe quel prix, au détriment de tous sauf de soi-même. Alors, en aval, il y aura des jeunes probablement intelligents, probablement pas très riches et très jaloux du confort de la société, les plus fragiles psychologiquement, les plus conformistes aussi, qui vont se mettre à fonctionner comme cela. Des jeunes qui sont fascinés par les plus mauvais parmi les plus puissants.

- Cela n’enlève évidemment rien à la responsabilité de ces jeunes ?

- Bien sûr que non, ce n’est pas mon propos de leur chercher des excuses. Ils ne sont pas obligés de fonctionner comme cela.Il y a aussi d’autres modèles dans la société, et ils ont leur liberté d’humains pour faire les bons ou les mauvais choix…. Mais voilà, à un certain moment de leur vie, souvent précoce, certains décident de commencer à tricher et à voler leur monde pour en avoir plus; puis, comme certains consommateurs de drogues ou d’alcool, ils se piquent au jeu, ils s’enivrent de tout ce qu’ils ont déjà mal acquis et en veulent toujours plus et plus… Ce que je décris là vaut autant pour de jeunes voyous marginaux que pour de vieux échevins ou présidents de je ne sais quelles intercommunales juteuses. Les premiers iront jusqu’à tuer physiquement, et les seconds, moralement…C’est le monde sinistre de ceux qui veulent être prédateurs. J’insiste sur le fait que d’autres jeunes, même vivant dans des contextes sociaux et familiaux très difficiles ne posent pas ce type de choix et qu’il est évidemment très clair que les auteurs du meurtre de Joe doivent être arrêtés et condamnés sévèrement pour leur acte… Avec beaucoup de modestie, mon propos est simplement de décoder ce qui nous paraît à tous indéchiffrable. Il est probable que dans cette affaire on soit en présence de jeunes qui ont une vraie structure délinquante et dont le projet de vie se limite à l’«avoir» et même «l’avoir malhonnête».Peut-être même font ils partie d’une bande organisée ou d’une mafia. Mais constater cela n’est pas suffisant : il faut aussi s’interroger sur le fait qu’ils constituent une sorte de reflet, même caricatural et déformé mais un reflet tout de même, d’une société qui elle-même fonctionne de plus en plus autour de «l’avoir» et pour un certain nombre, de l’avoir à n’importe quel prix.

- On se dit aussi que pour tuer comme ils l’on fait, il faut avoir la haine ?

- C’est la seconde grande hypothèse que l’on peut formuler. Pour des raisons sociales ou liées au racisme, certains jeunes ne sont pas eux-mêmes respectés. Ils sont discriminés et perçus comme des graines de voyous, dès l’âge de 9-10 ans, quand l’adolescence n’est plus très loin, avant même qu’ils n’aient posé le moindre acte délictueux. Dans un tel contexte, la haine peut germer dans leur cœur. Est-ce que Joe, par son non qui était tout à fait légitime et courageux d’ailleurs, n’a pas sans s’en rendre compte symbolisé le «non» qu’une partie de la société des riches dit à une partie de la société des exclus ? N’a-t-il pas alors pu provoquer la rage, le besoin de vengeance ? L’acte horrible posé par ces meurtriers n’a-t-il pas quelque chose de comparable à celui de terroristes haineux qui ont lancé des avions sur les Twins towers ? Bien sûr, cette vengeance directe n’a rien d’humain et même s’il devait s’avérer que les auteurs du meurtre ont eu un parcours difficile, leurs avocats abuseraient en prétendant que dès lors, ils étaient des robots sans liberté intérieure. Il ne s’agit donc pas de chercher à excuser leur acte, ni d’en atténuer la portée. Mais ce qui s’est passé peut aussi être un ferment de réflexion. En d’autres termes, est-ce que notre société peut continuer comme cela à étaler «innocemment» ses biens de consommation abondants dans un monde qui crève de faim ?

- Ce que vous dites-là correspond parfaitement au discours des amis de Joe (ndlr : lire encadré) qui ont lancé une pétition appelant à la recherche d’un dialogue avec ces jeunes délinquants en rupture avec la société. Mais dans le même temps, n’est-ce pas un peu naïf de vouloir discuter avec ceux qui ont la haine?

- Ce n’est pas naïf du tout. Bien au contraire, je trouve admirable que ces jeunes générations désirent créer ce dialogue, qu’elles veulent changer ce que nous, les adultes d’aujourd’hui, avons largement raté. Si on ne va pas dans cette direction de l’écoute mutuelle et, plus radicalement d’une vraie justice sociale -tout le contraire de la mondialisation économique ultra libérale -, je crois qu’il y aura encore d’autres Joe assassinés et pas seulement cela : il y aura encore d’autres 11 septembre! Car ces mécanismes de la haine se retrouvent aussi dans des phénomènes comme la révolte des banlieues françaises, l’intégrisme de certaines dérives religieuses et le terrorisme. Si on ne reçoit les signaux d’agressivité et de haine que les exclus nous lancent qu’en se barricadant un peu dans le sécuritaire, et en cherchant à nettoyer les pauvres au «karscher», à la Sarkozy, on ira tout droit vers le chaos. La mort de Joe devrait être reçue comme un immense signal.

- En ce moment, beaucoup de parents doivent s’interroger. Quelle réaction conseiller à son enfant s’il est importuné ou menacé par d’autres jeunes ?

- Ce qui est arrivé pose en effet la question assez angoissante pour les parents et les éducateurs de savoir s’ils doivent encourager les jeunes à se défendre, à protéger leur intégrité et leurs avoirs. Où si, au contraire, il faut les inciter à se laisser faire par les prédateurs… Je crois qu’on peut très facilement décrire à sa fille ou son fils ce qu’est un très gros risque. Par exemple, se trouver tard le soir dans un couloir désert de je ne sais quelle station métro et être confronté à deux ou trois type patibulaires qui veulent vous dépouiller. Dans de telles circonstances, le message a faire passer est évident : on ne peut que conseiller aux enfants de se laisser prendre une babiole parce que cela ne vaut pas la peine de mettre leur vie en péril. Par contre, l’exceptionnelle violence dont Joe a été la victime complique beaucoup la réflexion. Avant que cela n’arrive, si mon fils m’avait dit qu’en pleine après-midi au milieu de foule de la gare centrale, il avait envoyé balader deux types qui tentaient de l’importuner, je l’aurais félicité. Dans de telles circonstances, le risque qu’il aurait pris m’aurait paru mineur. Mais voilà, Joe a été tué malgré qu’il ait réagit d’une manière qui était, a priori, tout à fait adéquate. Comme Julie et Melissa ont été enlevées alors qu’elles prenaient un tout petit risque de balade à un jet de pierre de leur maison. On ne sait pas vivre et grandir sans risques. Nous n’avons pas le droit d’élever nos enfants dans la phobie et la démission.Dès lors, je m’interroge et je vous avoue que je ne trouve pas de réponse simple. Je crois qu’une société de téméraires qui vont se mettre dans la gueule du loup ce n’est très pas malin. Mais une société de lâches qui cèdent tout de suite, cela reviendrait à donner une prime à la violence…

- A l’aune de cette affaire, un autre débat risque aussi de se réouvrir. Celui de la banalisation de la violence dans les médias et particulièrement à la télévision et dans les jeux vidéo qui alimenterait la violence dans la société ?

-C’est un fait que si vous ouvrez votre poste de télé à 10 heures du soir, vous tomberez presque systématiquement sur un revolver braqué sur vous ou sur des experts du FBI qui prélèvent du sperme sur le cadavre d’une femme violée. On peut se demander si cela provoque de la violence supplémentaire mais aucune étude n’a jamais pu le démontrer. Sauf peut-être pour une toute petite minorité de gens déjà déséquilibrés pour lesquels cela pourrait constituer comme un coup de pouce via une dernière dose d’excitation. Ne faut-il pas par contre s’interroger sur le fait que ces œuvres dites d’imagination reproduisent ce qu’elles voient dans une société qui est elle-même devenue très violente? Et si elle ne sont qu’un miroir…n’est-ce pas la réalité de l’autre côté du miroir qu’il faut changer?

- Dans cette affaire, ne faudra-il pas poser aussi la question de l’éducation que ces jeunes meurtriers ont reçue de leurs parents ?

- Encore une fois, on ne connaît pas leur histoire mais je formule l’hypothèse que ces jeunes n’ont probablement pas été pris, entraînés, aimés et portés dans des liens humains forts et valables qui leur donnaient l’envie d’être suffisamment bons pour respecter la vie des autres. Indépendamment des facteurs d’exclusion, je pense qu’il peut s’agir de jeunes qui ont été méprisés ou objets de rapports de force perpétuels dans leur entourage immédiat. Ce qui fait que l’on devient bon et sociable, c’est aussi la qualité de présence que nos parents ont pour nous. Qu’ils nous fassent ressentir que l’on est important et respecté. C’est à partir de cette base qu’un lien fort peut se construire. Un lien indispensable pour que le parent puissent éduquer, sanctionner et récompenser.

- Certaines formes d’éducation programment-elles à la violence ?

- Il y a bien entendu des attitudes familiales qui poussent à la haine et à la révolte. Lorsque l’enfant est traité comme une chose, un objet. Lorsque règne une certaine ambiance de violence intrafamiliale, cela peut pousser un enfant à développer sa propre violence en miroir. Mais on ne peut pas dire alors qu’il s’agisse d’éducation.

- Les parents qui ne savent pas dire «non» et qui croient que l’amour de leur enfant implique de ne jamais les frustrer, cela ne débouche-t-il aussi sur de petits monstres d’égoïsme ?

- Cela débouche sur de petits colériques, des «affreux jojo» mal élevés, intolérants à la frustration et sans doute mal dans leur peau. Mais pas sur des prédateurs comme ceux de la gare centrale. Il m’étonnerait que ces prédateurs pleins de violence et de haine soient le produit d’un excès d’amour parental.

- On peut imaginer que les parents des auteurs présumés du meurtre de Joe ont reconnu leurs enfants à la télévision. Quel conseil donneriez-vous à ces personnes ?

- Je fais le pari que pour que des jeunes en soient arrivés là, ils n’ont pas eu et n’ont pas à leur côté des parents présents, respectueux, mettant des vraies limites et éduquant à la socialisation. Dans cette hypothèse, le conseil de mettre leurs enfants face à leurs responsabilités, de les forcer à se dénoncer pour assumer leur acte, me paraît malheureusement assez théorique. En plus, je me dis que si ces parents ont reconnu leur jeune, ils sont probablement eux-mêmes terrorisés de tout ce qui pourrait se passer et qu’ils vont plutôt tenter de dissimuler les choses…

- Et que diriez-vous aux auteurs des faits ?

- Vu ce qu’ils ont fait, je pense que, dans l’immédiat, ils ne seraient pas très réceptifs à ce que dirait l’inconnu que je suis pour eux et qui, en plus, fait partie du groupe dominant. Autrement dit, ils me cracheraient à la figure, au moins secrètement, si je leur proposais maintenant un discours sur le sens de l’autre. Néanmoins, je crois que même pour des gens pareils, comme pour tout être humain, on ne peut jamais tuer l’espérance. Une autre réflexion intime, un autre regard sur l’autre, un usage plus sociable de sa liberté intérieure, une sorte de conversion à de nouvelles valeurs, ce n’est jamais impossible. S’ils sont arrêtés peut-être que dans deux ans, dans cinq ans ou plus tard, quelqu’un qu’ils auront fini par estimer pourra leur dire quelque chose qu’ils entendront. Mais pour l’heure, je ne trouve pas quelque chose à leur dire qui pourrait un peu changer leur cœur.

Pour en savoir plus

Pour poursuivre la réflexion, on conseillera la lecture de l’ouvrage de Jean-Yves Hayez intitulé «La destructivité chez l’enfant et chez l’adolescent», lequel est paru chez Dunod.

Les amis de Joe rêvent d’un autre monde

«On voudrait que la mort atroce de notre ami débouche sur quelque chose de positif. Bien sûr, nous espérons que justice sera faite. Que les auteurs du meurtre de Joe seront punis. Mais ça, c’est le boulot de policiers et des juges. Pour nous ce qui compte c’est le monde dans lequel on va continuer à évoluer. On le voudrait plus juste. Nous, on est des privilégiés mais on le sait ! Il faut s’ouvrir à ceux qui sont moins favorisés, trouver de manières pour se parler, pour en finir avec les ghettos sociaux, pour s’entraider, pour combattre les inégalités. C’est cela qui nous anime aujourd’hui et rien d’autre! Ce n’est certainement pas le moment d’ajouter de la haine à la haine».

Elèves en quatrième secondaire au Centre scolaire du Sacré-Coeur de Lindthout à Woluwé Saint Lambert, Isabelle (15 ans), Laure (16 ans) et Olivier (15 ans) nous parlent de Joe, «cet ami proche qui aimait la vie», «ce garçon doux, très pacifique et jovial qui ne s’énervait jamais» mais ils se refusent à détailler plus avant les tranches de vie qu’ils ont partagé avec lui. Question de respect et de pudeur. Pas de photo, non plus. «On ne veut pas se mettre en avant, c’est le message qui compte», explique Isabelle. Et que nous disent ces ados ? Bien entendu qu’ils veulent «plus de sécurité, notamment dans les transport en commun».

«C’est vrai que l’on vit dans un climat de tension difficilement supportable, précise Isabelle. Un jour, je me suis fait agressée par deux autres filles, simplement parce qu’elles estimaient que je les avais regardées de travers. Les passants ont assisté à cela, sans intervenir…». «Les intimidations sont fréquentes», confirme Olivier. «Il faut veiller à ne jamais mettre en évidence un quelconque objet de valeur. Mais même si l’on ne fait rien, une bande peut vous tomber dessus. Comme cela, pour rien du tout. Un jour, des gars m’ont dit que je les avais insultés alors que je ne leur avais même pas adressé la parole. Ils se sont mis à me poursuivre dans le métro. Ce sont des situations effrayantes mais elles font presque partie du quotidien de chacun».

Pour autant, ces jeunes prennent grand soin à ne pas caricaturer la situation. «Demander plus de sécurité, cela ne veut pas dire qu’il faut des flics à tous les coins de rue», explique Laure. «Nous ce qu’on voudrait c’est la présence d’éducateurs dans les station. C'est-à-dire de gens qui soient capables de déminer des situations qui risquent de mal tourner et dont le job consisterait aussi à créer un climat de dialogue entre les jeunes»

Contrairement aux clichés que les médias et les publicitaires entretiennent, ces jeunes-là ne vivent pas que dans le virtuel des jeux vidéo et de l’internet. Ils ont leurs valeurs. Elles s’appellent solidarité, échange, antiracisme. «Les tentatives de récupération de la mort de Joe par les partis racistes d’extrême droite, cela nous fait gerber. C’est honteux. Si des personnes se sentent concernées par la mort de Joe qu’elles ne lui fassent pas insulte en se laissant manipuler par ces ringards d’extrémistes. Au contraire, qu’elles donnent un sens à ce qui s’est passé en s’investissant dans la construction d’un autre monde. Un monde plus juste où l’on n’opposerait plus les gens parce qu’ils ont une couleur de peau ou une religion différente», s’insurge Olivier.

Ces jeunes-là nous semblent bien éloignés de la génération «nan nan» de Diam’s, la rappeuse française qui caracole en tête de tous les hits des radios commerciales. Pour la paraphraser, on dira qu’«y a comme un goût d’intelligence et d’humanisme» chez les amis de Joe.

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Michel Bouffioux


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