Comment avez-vous réagi ?
Comme n’importe quel enseignant est en droit de le faire en Communauté française : je me suis rendu au secrétariat de l’école et j’ai demandé à consulter un document que tous les établissements scolaires doivent normalement tenir à disposition. Cela s’appelle « Inventaire des matériaux contenant de l’amiante et programme de gestion du risque d’exposition ». Rien que l’intitulé pose question : la politique actuelle ne consiste donc pas à éliminer le risque mais à le « gérer ». Ce n’est pas tout à fait la même option que dans le dossier du Berlaymont à Bruxelles où l’on a dépensé énormément d’argent pour totalement désamianter le bâtiment au nom d’un élémentaire principe de précaution.
Qu’avez-vous trouvé dans l’inventaire « amiante » de votre école ?
Cet audit réalisé par A.i.b.-Vinçotte m’a fait tomber de ma chaise ! Dans mon école, il y a de l’amiante partout ! (N.d.l.r. : il nous donne le document pour prouver sa bonne foi.) Il y en a dans les classes, dans l’internat, dans le réfectoire, dans la salle de gym, dans la conciergerie. C’est impressionnant.Sous quelle forme ?Des allèges de fenêtres et des habillages de portes en Glasal, des faux plafonds en Pical, des tablettes de fenêtres en Masal, des regards de cheminée, des cloisons de séparation, des panneaux peints et même des tableaux noirs en amiante-ciment… La liste est interminable.
Glasal, Pical, Masal ?
Tous ces noms renvoient à des matériaux à risque contenant de l’amiante… J’ajouterai que mon inquiétude n’a fait que s’accroître en constatant que l’inventaire dont j’ai pu prendre connaissance datait de 2001.Et alors ?Au moment où je l’ai consulté, nous étions en 2004. Trois années s’étaient écoulées depuis la réalisation de ce rapport alors que sa conclusion prévoit explicitement que « cet inventaire doit être tenu à jour annuellement ». Cela démontre l’importance que l’on accorde à cette question. Plus tard, j’ai appris que de nombreux établissements scolaires, particulièrement dans le Hainaut, ne disposent pas d’inventaire du tout !
C’est incroyable !
De plus, les gens qui ont pour mission d’actualiser ces inventaires au sein des écoles n’ont généralement pas les compétences techniques suffisantes. Il s’agit du préfet en tant que responsable de la sécurité ou de son adjoint. Et de conseillers en prévention, soit des gens du personnel d’entretien, de profs qui disposent d’un crédit d’heures. Des personnes qui ne sont, en tout cas, pas des spécialistes du désamiantage. On a donc envoyé Vinçotte pour le constat de départ et, pour le suivi, il a fallu se débrouiller.
Comment se fait-il qu’il y ait tant d’amiante dans une école comme celle où vous enseignez ?
C’est vrai qu’avec ce que l’on sait aujourd’hui des dangers que représente l’amiante, l’omniprésence de ce matériau paraît démentielle. Pourtant, la situation de mon établissement n’a rien d’exceptionnelle. En cause, principalement, le fait que nous utilisons beaucoup de bâtiments de type « R.T.G. ». Ces initiales renvoient aux noms des ingénieurs qui les ont conçus : Reubsaets, Thibaut et Gilles. C’était dans les années 1960, une époque dorée pour les industriels de l’amiante. Ces bâtiments préfabriqués en bois, bourrés de Glasal, Pical, Masal ou encore de Foorflex, un autre produit amianté, avaient été pensés pour être rapidement mis sur pied vu qu’il fallait faire face au baby-boom de l’après-guerre. Il y a en partout en Communauté française. Normalement, leur durée de vie ne devait être que de dix ou quinze ans, mais ils sont toujours là.
En piteux état ?
Dans certaines classes, la situation est catastrophique. Je vous parle bien de classes où l’on donne cours, pas d’une arrière-cave visitée de temps en temps par le personnel d’entretien. Je vous ai raconté la mésaventure qui m’a alerté : le « morceau » d’amiante tombé du plafond. Je pourrais aussi vous parler d’appuis de fenêtres brisés où l’on voit les fibres d’amiante à l’œil nu… Dans un local où nos élèves mangent, ils posent leurs boîtes à tartines sur l’un de ces appuis de fenêtre. Certains d’entre eux ont parfois été « rescellés », passez-moi l’expression, avec des vis… Je veux dire que des ouvriers de l’école ont foré là-dedans sans aucune mesure de protection spéciale. Quand on regarde derrière, c’est encore plus incroyable, parce qu’il y a des plaques dans une espèce de carton constitué à base d’amiante complètement amoché. Là, on est dans le danger absolu.
Partout où il y a des bâtiments R.T.G., c’est du pareil au même ?
D’abord, le problème ne se pose pas que dans les bâtiments R.T.G. Dans notre école, jusqu’il y a peu, les patins de frein d’un ascenseur situé dans une construction en dur étaient en amiante. Ce qui, par déplacement d’air, libérait des fibres dans un espace collectif… Cela dit, il est évident les constructions R.T.G. ont beaucoup vieilli. Au fil des ans, elles ont été entretenues vaille que vaille. En forant, en clouant, en découpant… En utilisant des systèmes « D » pour réparer des vieilles portes et châssis pourris, des murs endommagés…
Que faire d’autre ?
La vraie solution, surtout depuis que l’on connaît très précisément les dangers de l’amiante, aurait dû être de raser tous ces bâtiments et d’en construire d’autres à la place.
Cela coûterait une fortune…
Moi, je trouve que la santé de nos gosses n’a pas de prix. Mais les politiques estiment peut-être qu’ils peuvent se permettre de prendre certains risques parce que l’exposition actuelle de cette population n’aura de répercussions que dans plusieurs dizaines d’années. Si c’est cela le raisonnement, c’est de la non-assistance à personnes en danger !
Cette question n’est pas gérée avec le sentiment d’urgence qu’elle requiert ?
Exactement. Je reviens au cas de mon établissement. Cela fait donc trois ans que je m’active, que je dénonce, que j’interpelle en interne. En plus, la direction de mon école fait tout son possible malgré l’inertie du système. Par conséquent, je crois que l’on est mieux suivi qu’ailleurs : sous l’impulsion de l’administration générale de l’infrastructure (A.g.i.), des réparations sont faites à droite et à gauche… Mais cela revient, la plupart du temps, à placer des emplâtres sur une jambe de bois. Un récent rapport de l’A.g.i. montre bien la philosophie de ces « rénovations », cette « gestion du risque », comme ils disent. Après avoir inspecté nos bâtiments au début de cette année, cette administration diagnostiquait que : « D’après l’inventaire amiante, il appert que de nombreuses parties du bâtiment contiennent ce matériau. Notamment, dans les linteaux, les appuis de fenêtres, la protection des colonnes. (…) Il y a lieu de trouver une solution rapidement car les linteaux, les appuis de fenêtres, les parois (derrière les radiateurs) et les protections des colonnes sont abîmés et pour certains assez fortement. De plus, dans un local, une partie du faux plafond risque de s’effondrer ». Et de préconiser ceci : « Dans un premier temps, il faudrait « fixer » les parties abîmées. L’enlèvement ou l’encapsulage sera proposé à la prochaine programmation. » Ces gens font certainement ce qu’ils peuvent avec les moyens dont ils disposent, mais c’est loin d’être suffisant ! Quand on se contente de surcoller une plaque en matière plastique sur un panneau en amiante de manière à ce que les élèves ne puissent pas être en contact direct avec les fibres, je trouve cela un peu juste…
Pourquoi préférez-vous témoigner de manière anonyme ?
En tant que fonctionnaire, je suis tenu à un devoir de réserve. En clair, je n’ai pas le droit de dire que l’on donne parfois cours dans des taudis où la santé des gosses est mise en péril. Formellement, on pourrait me reprocher une faute grave. Bien que si tel devait être le cas, je défendrais chèrement ma place car un juge pourrait estimer que, vu le danger potentiel couru par les enfants, il était de mon devoir d’en témoigner. Et puis, ne pensez-vous pas que d’autres personnes que moi devraient se retrouver devant un tribunal ? Par exemple les préfets et les adjoints à la sécurité de certaines écoles où des situations intolérables perdurent. Sans parler des responsabilités politiques…
L’amiante dans les écoles, c’est un sujet tabou ?
Très clairement. C’est l’omerta. Une chape de plomb pèse sur ce sujet. Des enseignants sont obligés de prendre des risques, et d’en faire prendre à leurs élèves, en raison d’un véritable chantage à l’emploi : pour les pouvoirs organisateurs, c’est la crainte de la mauvaise réputation de leurs établissements, de la chute des inscriptions, qui domine.