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5 Mai 2017
Désormais en accès libre sur ce site, mon enquête (16 pages) publiée dans Paris Match Belgique (textes) et la vidéo diffusée sur Paris Match.be, le 4 mai 2017.
Pour lire le dossier en format PDF, cliquez sur le lien.
Bruxelles, 22 mai 1967. Rue Neuve, le « grand magasin » l’Innovation est la proie des flammes. Une tragédie en plein de coeur de l’artère commerçante de la capitale belge. Les clients et le personnel sont pris au piège. Les victimes se comptent par centaines. Et tout le monde s’identifie à elles. Ces malheureux faisaient leurs courses, mangeaient au restaurant, travaillaient… Tout a été très vite, quelques minutes à peine. Un piège infernal. Le drame connaît un retentissement international. Il fait la couverture de Paris Match le 26 mai 1967. Des photos font le tour du monde. Notamment celle d’une femme sur le toit du grand magasin s’apprêtant à se jeter dans le vide. Elle saute finalement en gardant son sac à main. Cinquante ans après – c’est l’un des documents inédits de cette enquête exclusive publiée dans Paris Match. J'ai notamment retrouvé la « dame au sac ». Agée de 82 ans, Monique Lenssens reste très marquée par cette tragédie qui hante encore ses nuits. Pour elle, comme pour les autres témoins qui s’expriment dans notre reportage, les flammes de l’incendie ne se sont jamais éteintes.
Le magasin infernal
« J’avais 20 ans, je commençais dans le métier. Après cette intervention, je suis rentré à la maison et j’ai dit à mes parents que je ne voulais plus être pompier. Les gens qui s’étaient jetés dans le vide pour échapper aux flammes, les corps par terre, l’impossibilité de rentrer dans le magasin pour sauver plus de personnes, cela ne passait pas. Finalement, j’ai changé d’avis. Ma carrière de pompier à la ville de Bruxelles a duré quarante-cinq ans. J’ai vu beaucoup de choses. L’incendie de l’Inno reste le moment le plus marquant. Je vois encore la façade vitrée de l’ancien bâtiment Horta inondée de feu, ressemblant à un immense poêle dont personne ne pourrait plus sortir vivant. »
Ceux qui, comme Henri Geens (70 ans), ont été les témoins de cette tragédie ne l’oublieront jamais. Les rescapés qui ont échappé à ce piège infernal non plus. C’est le cas notamment de Pierre Maerckx (90 ans), à l’époque directeur des services administratifs, coincé dans les cuisines du restaurant, au troisième étage. « Avec un collègue, je quittais le self-service où nous avions passé l’heure de table. On a constaté la présence d’un brouillard blanc qui flottait dans le grand vide du hall. Mon collègue qui travaillait pour la sécurité est allé aux renseignements. Et puis, quelqu’un a crié qu’il y avait le feu. La lumière s’est éteinte. Je savais qu’il y avait une sortie de secours avec une échelle extérieure que j’ai cherché à atteindre en fon - çant vers les cuisines. J’ai enjambé le comptoir. Je suis arrivé devant une fenêtre que j’ai réussi à ouvrir. Mais l’échelle n’était pas là. Il y avait d’autres personnes, trois ou quatre. Notamment une jeune femme d’une vingtaine d’années. On entendait les sirènes de pompiers dans la rue. Elle m’a dit : “On va mourir ici.” J’ai essayé de la rassurer. Dans la rue, dix mètres plus bas, des gens criaient de ne pas sauter. Les secours allaient arri - ver. Une fumée noire est apparue dans la cuisine. La fenêtre avait une partie fixe et une partie mobile. Instinctivement, je me suis mis à cheval sur la partie fixe en tournant la tête vers l’extérieur. Il y avait un risque de chute mais il fallait échapper à cette fumée. La jeune femme, elle, s’est assise et elle a gardé le visage tourné vers l’intérieur. Lorsque la fumée s’est estompée, j’ai regardé à l’intérieur. Toutes les autres personnes qui se trouvaient dans la cuisine étaient mortes, intoxiquées et brûlées par la fumée. La jeune femme avait un regard vitreux. J’ai cru qu’elle était en vie. Je lui ai parlé. J’ai essayé de lui nettoyer les lèvres, qui étaient noircies comme le reste du visage, mais sa peau se détachait. Il était trop tard. Une échelle est arrivée, je l’ai saisie. J’ai dit au pompier de regarder s’il pouvait faire quelque chose. Je suis rentré en bus à la maison. Là seulement, en retrouvant ma femme, j’ai commencé à pleurer. En retirant mes vêtements, j’ai constaté que j’avais été brûlé. Mais le pire, c’était le regard de cette jeune femme. Il m’obsédait. Je culpabilisais. J’ai surmonté cela quand mon médecin m’a démontré que je n’aurais rien pu faire pour elle. »
Le feu a commencé dans une réserve
Dans le cadre de l’instruction judiciaire ouverte après l’incendie, trois experts ont été mandatés pour analyser ce qui s’est passé le 22 mai 1967. Après un peu plus d’un mois d’investigation, leur rapport décrivait les faits en ces termes : « Le 22 mai 1967 vers 13 h 15 - 13 h 30, une vendeuse du rayon enfants aperçoit des flammes dans une petite réserve située au premier étage, juste en face de l’escalier d’honneur. Cette vendeuse avertit les pompiers de l’Innovation (il s’agissait de salariés relevant du service de sécurité du grand magasin, NDLR) ; un pompier armé d’un extincteur s’attaque aux premières flammes, mais en vain. (Il donne) alors l’alerte générale et les pompiers de la ville sont appelés. (…) Quelques instants plus tard, la réserve est la proie des flammes, le feu est observé à partir des rayons de vente à hauteur du faux plafond et avec une rapidité étonnante, les flammes atteignent les étages supérieurs. Une fumée opaque se dégage, précédant les flammes, rattrapant les clients et le personnel dans leur fuite vers les sorties. Les premiers pompiers de la ville, arrivés sur les lieux vers 13 h 40, sauvent un maximum de personnes réfugiées sur les toits ou appelant à l’aide aux fenêtres. De nombreuses personnes, sans attendre les pompiers, se jettent dans le vide pour échapper aux flammes. Dans les escaliers de secours, c’est la panique. Les pompiers n’arrivent pas à empêcher une extension importante du sinistre. Ils sont petit à petit repoussés vers l’extérieur par la chaleur intense et les fumées dégagées. Le sinistre s’étendra finalement aux établissements Fischer et à une partie des magasins Priba. Vers 16 h 20, le bâtiment situé au coin de la rue aux Choux et de la rue du Damier s’écroule. Les pompiers devront encore pendant plusieurs jours combattre des foyers qui se rallumeront à plusieurs endroits.»
Entre le moment de la découverte de l’incendie et celui où le magasin deviendra inaccessible pour secourir les victimes, il se passera moins d’une demi-heure…
Une étincelle a suffi
L’enquête judiciaire relative aux circonstances de l’incendie de l’Innovation s’est clôturée en 1970 par un non-lieu. Bien avant cela, les victimes et leurs familles ont accepté les indemnisations proposées par les assureurs. In fine, le dossier n’a connu aucune constitution de partie civile, ce qui limitait de facto les possibilités de polémiques sur la question des responsabilités. Plus de 250 morts et ce serait la faute à personne? Ce n’est pas l’avis de l’historien Siegfried Evens, qui sort un ouvrage fort bien documenté sur le sujet. Est-ce à dire qu’il pense à un attentat? «Non, cette hypothèse peut franchement être écartée», nous dit-il. «On a évoqué la piste de jeunes ''gauchistes'' qui auraient mis le feu pour protester contre la “quinzaine américaine” qui était organisée à l’Innovation en mai 1967. C’était l’époque de la guerre du Viêtnam. Le climat politique était tendu. En consultant le dossier judiciaire, j’ai pu constater que de très nombreux devoirs d’enquête avaient été menés dans cette direction. Des perquisitions, des interrogatoires, qui n’ont donné aucun résultat probant.»
Alors, de quelles responsabilités faut-il parler dans ce dossier? Des anciens cadres de l’Innovation que nous avons rencontrés excluent celle d’un défaut de prévoyance du grand magasin. Marguerite Lixon (82 ans), ancienne responsable du service comparaisons, nous dit: «On n’a jamais eu de sentiment d’insécurité. Tous les six mois, il y avait des exercices d’évacuation et cela fonctionnait très bien.» Claude Richez (77 ans), un ex-directeur, ajoute: «Nous avions nos pompiers à nous qui veillaient. La sécurité était une réelle préoccupation.»
Après la lecture du dossier répressif, l’historien Siegfried Evens évoque cependant un «déficit en termes de culture de sécurité». Il nous explique la cause probable de l’incendie en se basant sur les conclusions des experts judiciaires: «En raison d’une toute petite fuite, du gaz de ville s’est accumulé sous les faux plafonds. Le 22 mai 1967, la défaillance d’un tube luminescent a produit l’étincelle fatale. Certaines mesures préventives auraient pu limiter l’impact de l’incendie. On a souvent parlé des sprinklers qui n’étaient pas présents mais, à l’époque, ce n’était pas encore une obligation légale. Se pose aussi la question des alarmes. Il y a eu une possible confusion entre l’alarme annonçant la fin de la pause repas et l’alarme incendie. Cette dernière, qui n’a pas fonctionné ou qui a mal fonctionné, était peut-être défaillante. A moins qu’elle n’ait été rapidement endommagée par l’incendie lui-même. C’est une question qu’il n’a pas été possible de trancher. S’ajoute à cela le fait que les faux plafonds n’étaient pas ininflammables. De plus, il n’y avait pas assez de sorties de secours, comme en témoigne le fait que des gens ont essayé de sortir par des fenêtres. Ce qui m’a le plus interpellé en lisant le dossier judiciaire, c’est la question des panneaux d’aluminium qui avaient été placés en devanture du magasin, côté rue Neuve, avec l’enseigne. Le permis de bâtir obligeait l’Innovation à prévoir une sortie de secours de ce côté-là en rendant amovibles certains de ces panneaux. Cela n’a pas été fait et la Ville de Bruxelles, à l’époque, n’a pas exercé son rôle de contrôleur. Après l’incendie, les corps de 14 victimes ont été retrouvés derrières ces panneaux.»
Conclusion de l’historien: «Aujourd’hui, je suis persuadé qu’un tel dossier ne déboucherait pas sur un non-lieu. Probablement a-t-on estimé, en 1970, alors que toutes les victimes avaient été indemnisées et que la polémique autour de l’Innovation était retombée, qu’il n’y avait pas lieu de souffler sur les braises.»
Le difficile décompte des victimes
Au cimetière de Bruxelles, des stèles d’un blanc immaculé ont été posées devant d’innombrables tombes parfaitement alignées. Le lieu impressionne, il inspire le recueillement. C’est là que reposent la plupart des victimes de l’incendie qui a ravagé le « grand magasin » de l’Innovation le 22 mai 1967. La plupart des pierres tombales ne portent pas de nom car les victimes, réduites à l’état de cendres, n’ont jamais pu être identifiées. Combien sont-elles ? « Ici, il y a 153 tombes, mais en tout, 251 personnes ont perdu la vie lors de cette tragédie… On parle souvent de 323 morts, notamment sur Wikipédia, mais c’est une erreur reproduite par plusieurs médias depuis des années. 251 morts, c’est déjà bien assez. Il y a eu aussi 62 blessés. Ce drame atroce ne demande pas que l’on en rajoute », commente Claude Richez, un ancien directeur de l’Innovation qui nous fait découvrir ce lieu de mémoire.
Le nombre de 251 morts, nous avons pu le constater, est également mentionné par les experts qui ont travaillé dans le cadre de l’instruction des faits qui fut menée par la justice bruxelloise. L’historien Siegfried Evens qui, le premier, a eu accès à l’entièreté de ce dossier judiciaire confirme : « 251 morts, c’est le nombre exact. Je ne sais pas d’où vient le chiffre de 323 qui est reproduit un peu partout. »
La clé de l’énigme est détenue par Marguerite Lixon qui nous explique que plusieurs chiffres ont circulé, ce qui a pu alimenter la confusion. Cheffe d’un service administratif de l’Innovation en 1967, cette dame s’est occupée de dresser la liste des victimes dès après l’incendie. « Je recevais les signalements de disparition des familles. Initialement, on a créé un grand registre où, dans la précipitation compréhensible du premier jour, certaines personnes ont été signalées plusieurs fois disparues. Notre premier décompte était donc de 450 morts et disparus. Ensuite, on a mis tous les noms sur fiches et cela a déjà rabaissé le nombre des victimes à quelque 300. En parallèle, le commissaire Degryse de la police judiciaire de Bruxelles s’est occupé de centraliser toutes les déclarations de disparition faites dans les bureaux de police du pays. J’ai travaillé en étroite relation avec lui et quand j’ai arrêté cette mission, nous en étions à 255 ou 253 victimes… J’ai une hésitation sur le chiffre. Quelque temps plus tard, une collègue m’a appris que deux Allemands signalés disparus lors de l’incendie avaient été retrouvés. Ce qui fait 253 ou 251 victimes. Le nombre de 323 morts est en tous les cas complètement erroné ! »
"Oui, la dame au sac, c'est moi"
Cela fait cinquante ans…
Monique Lenssens. Et c’est toujours là…
Qu’est-ce qui ne s’efface pas ?
Tout ce que j’ai vu. Des gens qui sautent dans le vide. Le bruit de leurs corps qui tombent à terre… J’étais au cinquième étage, sur la corniche de l’immeuble. Sous nos pieds, on sentait la chaleur qui montait. Vingt-cinq mètres plus bas, des gens avaient tendu une bâche. J’ai sauté.
On vous voit sur une photo célèbre de l’époque…
Oui, la dame au sac, c’est moi… (Elle sourit) On m’en a fait un compliment avec ce sac! Comme je n’aime pas perdre mes affaires, je ne voyais pas pourquoi j’aurais dû m’en débarrasser.
Ce jour-là, comment êtes-vous arrivée sur ce toit ?
Je travaillais dans le département statistiques de l’Innovation, au cinquième étage. Avant que l’incendie ne commence, avec ma collègue Josette Van Hove, nous étions allées au réfectoire pour nous restaurer (soit au troisième étage, NDLR). Alors que nous venions de remonter vers nos bureaux et que nous attendions, assises sur un banc, l’ouverture de notre local de travail, une sonnerie a commencé à retentir. Elle ne s’arrêtait pas. D’habitude, cette même sonnerie retentissait de manière beaucoup plus brève pour signaler que c’était l’heure de reprendre le travail après la pause de midi. On s’est donc dit que quelque chose d’anormal était en train de se passer. Ensuite, très rapidement, on a vu que de la fumée montait depuis le magasin. A quatre ou cinq, nous nous sommes aussitôt dirigés vers une issue de secours… Nous avons descendu trois marches mais là, nous avons été bloqués par la fumée. Un monsieur a ouvert une fenêtre. Nous sommes passés par là, sautant sur une plate-forme qui se trouvait un mètre plus bas. Et nous avons attendu là.
Combien de temps ?
Je ne saurais le dire. Ce que je vois encore très clairement, ce sont ces signes que les pompiers nous faisaient. Ils nous montraient qu’il ne fallait pas que nous restions là et que nous devions nous diriger vers une cheminée. Ce n’est qu’ensuite que je comprendrai que cela brûlait juste en dessous de l’endroit où nous nous trouvions. Nous le sentions, d’ailleurs, car la chaleur était de plus en plus perceptible. Mon amie Josette s’est mise à paniquer. Elle était mère d’un garçon de 5 ans et elle m’a crié: «Tu t’occuperas du petit, si je ne suis plus là !» Je l’ai secouée. Je lui ai donné une paire de claques en lui lançant: «Réfléchis un peu à ce que tu dis !»
Vous avez du caractère !
Oui, je n’ai pas vite peur, vous savez !
Mais à ce moment-là, vous aviez tout de même peur ?
Eh bien, non. Moi qui ai toujours eu le vertige, je ne l’avais plus. J’étais déterminée. Toute à l’idée de trouver un moyen de sortir de cet enfer. J’ai regardé un fil électrique qui était relié à un immeuble qui se trouvait de l’autre côté de la rue de la Blanchisserie. Impossible de s’en servir pour fuir. C’est alors que quelqu’un nous a lancé une corde depuis le bâtiment d’en face. Sont apparus aussi des pompiers et des volontaires qui ont ouvert une toile pour permettre à ceux qui le voulaient de sauter. C’est l’option que j’ai choisie. J’ai retiré mes chaussures et je me suis lancée. Malheureusement, ils ne tenaient pas la toile comme il le fallait et quand je suis arrivée dessus, mes sauveteurs n’ont pu empêcher que mes pieds heurtent le sol. J’ai perdu connaissance. Je me suis réveillée dans l’ambulance. J’avais une fracture de la colonne avec un tassement des lombaires et une commotion cérébrale (qui ne sera diagnostiquée qu’un an plus tard). Mais j’étais en vie. Je ne remercierai jamais assez les volontaires qui se sont mobilisés.
Pourquoi avez-vous préféré le saut dans le vide à la descente via la corde ?
Cette corde qu’on nous proposait, je la trouvais très fine. On était cinq à devoir descendre. Il fallait décider vite. Quand j’ai vu ma collègue glisser sur cette corde en se brûlant les mains, se blesser aussi en se cognant au passage contre les tablettes des fenêtres, j’ai fait le choix qui me semblait être le meilleur. Je ne sautais tout de même pas dans le vide. La bâche était sensée amortir le choc. Sauf qu’elle ne l’a pas fait comme je pouvais l’espérer.
Vous vous souvenez de cette chute ?
Je me souviens de l’énorme douleur ressentie juste en arrivant sur le sol, mais je suis rapidement tombée en syncope. Je me suis réveillée sur une civière. On était en train de m’installer dans une ambulance. Ils tapaient sur la porte qu’ils avaient du mal à refermer. J’avais très mal. On m’a conduite dans un hôpital.
Cinquante ans après, quelle image de ces tragiques événements reste la plus prégnante dans votre mémoire ?
Celle des gens que j’ai vu sauter dans le vide par désespoir pour échapper aux flammes. C’est un traumatisme qui se rappelle à moi depuis tout ce temps. Je ne peux pas dire que je me suis remise. Chaque fois qu’il y a un incendie, que l’on parle d’une catastrophe dans les médias, cela se réactive. Ces images terrifiantes réapparaissent et je ne dors plus pendant un certain temps. Depuis cinquante ans, je vis avec une compagne douloureuse. On appelle cela une dépression. J’ai pourtant essayé de m’en débarrasser.
Vous avez repris le travail ?
Après avoir passé plusieurs mois dans le plâtre, après de pénibles séances de rééducation pour retrouver ma mobilité, j’ai tenté de reprendre le travail. Il n’était pas question pour moi de recommencer à la rue Neuve. On m’a trouvé une place dans un dépôt à Zellik. Mais cela n’a pas marché. Il était convenu que quand il y aurait une alerte incendie, je devais être prévenue. A la première occurrence, cela a été le cas. On m’a soutenue pour sortir. Je tremblais de la tête aux pieds. La fois suivante, j’ai dû me débrouiller seule pour sortir. J’y suis parvenue mais, arrivée dehors, je suis tombée comme une masse. On m’a ramenée à l’infirmerie et je n’avais que 7 de tension. Ce n’était plus possible pour moi, je ne pouvais plus me retrouver dans un endroit clos. Un médecin des assurances m’a examinée et m’a reconnu un taux d’invalidité, mais il estimait que je pouvais reprendre le travail. Je me souviens qu’il m’a dit: «Oh, vous pouvez déjà être très contente d’être encore en vie.» Le médecin de l’Inami voulait aussi que je reprenne le travail, mais mon généraliste n’était pas d’accord. Des experts consultés aux Cliniques Saint-Luc ont confirmé que j’étais dans l’incapacité de reprendre le boulot. Ce qui a été confirmé par une décision judiciaire. J’étais mitigée: bien sûr, on me reconnaissait une incapacité qui était réelle mais, en même temps, on actait de la sorte le fait que je n’allais pas reprendre un métier que j’aimais.
Une vie complètement chamboulée…
Oui, très différente de celle que j’avais imaginée. Je n’ai jamais pu reprendre mes fonctions à l’Innovation. Ma vie professionnelle s’est finalement résumée à un long congé de maladie. Quand est venu l’âge de la pension, j’aurais trouvé logique que je puisse bénéficier des mêmes avantages extralégaux que les autres collaborateurs de l’Innovation (pension complémentaire, activités diverses). Mais lorsque je me suis présentée à la direction du personnel, beaucoup d’eau avait coulé sous les ponts et on m’a dit: «Vous avez été malade pendant très longtemps. Vous n’avez pas droit à tout cela.» Cela m’a choqué. J’ai rétorqué que si j’en étais là, ce n’était pas ma responsabilité. Que c’était l’incendie qui était à l’origine de tout. Je suis allée trouver le grand directeur de l’époque. On m’a donné 10.000 francs pour solde de tout compte. C’est la seule indemnisation de l’Innovation qui est venue en cinquante ans. Pour le reste, je me suis débrouillée avec mes tourments. Je remarque qu’aujourd’hui, dès qu’il y a un accident, une catastrophe, on pense immédiatement à fournir de l’aide psychologique aux victimes. Mais dans les années 60, ce n’était pas le cas. La souffrance morale était minimisée.
Que reste-il de vos séquelles physiques ?
Des douleurs périodiques, lancinantes, au niveau du dos.
Parfois, vous dites-vous que vous n’auriez pas dû sauter et plutôt choisir la corde, comme votre collègue ?
Non. Ce choix correspondait à mon caractère. Et puis, il ne sert à rien de ruminer. Il faut prendre la vie comme elle vient. Je suis encore là. Je me souviens de la cheffe de notre bureau. Elle avait participé à une réunion avec la direction. En sortant de celle-ci, elle a dit: «Je vais chercher mes filles.» Et puis on ne l’a plus jamais revue.
Une corde providentielle
C’était un temps d’une relative insouciance. Les effets bénéfiques du plan Marshall nourrissaient encore l’économie. Dans cet Etat-providence, on ne parlait pas encore de crise, le chômage n’était pas important et la classe moyenne se portait bien. Dans ce pays de cocagne, les grands magasins de l’Innovation disposaient même d’un département qui vendait des maisons clés sur porte aux particuliers!
Francis Borle, 35 ans en 1967, en était le directeur. Quand l’incendie se déclenche, il se trouve dans son bureau, au cinquième étage. A peu de choses près, il aurait pu y rester définitivement. «Toute mon équipe et moi, nous avons miraculeusement échappé à la mort et cela a changé mon regard sur la vie. Je la résumerais par deux mots: “Inch’Allah”», nous dit-il.
Francis Borle raconte. Cinquante ans après, tout est encore précis dans sa mémoire: «Nous avions beaucoup de travail et, ce jour-là, nous nous étions fait monter des sandwichs. Ce n’était pas notre habitude. La plupart du temps, nous allions manger à l’extérieur… Alors que j’étais au téléphone avec un client, ma secrétaire a passé la tête par la porte pour nous dire qu’il y avait un incendie. Dans un premier temps, je n’y ai pas vraiment cru. J’ai mis la main devant le cornet et j’ai demandé à mon adjoint d’aller se renseigner sur ce qui se passait. J’ai repris la conversation téléphonique. Quelques instants plus tard, mon collègue est revenu: “Cela a l’air sérieux.” J’ai dit: “Bon, on s’en va !” Toutefois, je ne mesurais toujours pas l’ampleur de ce qui se passait. J’ai très poliment abrégé ma conversation avec le client tout en prenant quelques affaires et, enfin, j’ai quitté ce local qui allait bientôt totalement disparaître dans les flammes. J’ai commencé à descendre et je suis arrivé à l’étage du restaurant. Il y régnait un silence étrange, je dirais feutré. Et alors qu’un nuage noir se dirigeait vers moi, j’ai compris que c’était grave. J’ai eu le réflexe de prendre le petit mouchoir blanc qui se trouvait dans la pochette de mon costume. Je l’ai placé devant mon nez. Et puis, j’ai eu une bonne intuition: au lieu d’essayer d’aller plus bas, je suis remonté vers les étages supérieurs.»
Il passe alors en mode « survie » : «A partir de ce moment-là, je suis devenu insensible! L’instinct de survie. La bête traquée qui fuit pour échapper au danger. J’ai vu une fenêtre. Pour y accéder, je suis monté sur un radiateur. Et, avec d’autres personnes, je me suis retrouvé sur la toiture arrière du bâtiment, rue du Damier. Au moment où je suis arrivé là, j’ai vu une femme qui se jetait dans le vide. Elle en est morte. Nous sommes restés à huit : quatre femmes et quatre hommes. On a entendu des bruits provenant de la cuisine du restaurant qui se trouvait en-dessous de nous. Les vitres se brisaient et les gens criaient, ils sautaient par les fenêtres. Ils tombaient par terre avec un bruit lourd. J’ai été témoin de cela. Le souvenir de ces scènes d’horreur est indélébile. Mais, sur le moment, je restais concentré sur mon objectif. Je me répétais: “Il y a une solution, il y a une solution…” Je n’avais plus de sentiments. J’avais juste un but, celui de survivre. On criait aux gens d’en bas: “Venez nous sauver, venez nous sauver!” La rue était étroite. Les pompiers ne parvenaient pas à y faire entrer la grande échelle. Une toile a été ouverte mais de là où l’on était, elle semblait toute petite. Pas question de sauter, sauf en toute dernière extrémité. Et puis, on n’a plus vu grand-chose, à cause des fumées qui désormais nous séparaient de la rue.»
C’est alors que, comme dans un film apparaît un sauveur. «Un certain monsieur Van Belingen, le décorateur du magasin, s’est rendu dans les bâtiments d’en face, rue des Damiers, où nous disposions de locaux de stockage. Il savait que s’y trouvaient de très longues cordes qu’il utilisait pour installer des décors dans le grand vide du hall de l’Innovation. Je vois encore ce moment extraordinaire: debout sur un appui de fenêtre, des collègues le tenant par les jambes pour qu’il ne tombe pas, nous lançant cette corde que nous avons finalement fini par attraper. Une première personne est partie, mais elle ne s’est pas suffisamment accrochée à la corde et elle est tombée, se brisant la colonne. La deuxième, ma secrétaire, s’est laissé glisser jusqu’en bas. Ses mains ont été coupées jusqu’à l’os. Sur le toit, il y avait aussi une petite dame qui ne disait rien. Elle ne bougeait pas. Je lui ai lancé: “C’est à vous!” Elle m’a répondu: “Non, laissez-moi mourir.” Je l’ai attrapée par la peau du dos. Je l’ai forcée à se mettre à califourchon sur la corde. Et en la poussant du pied, je lui ai crié: “Vous allez descendre, nom de…!” Finalement, elle s’est exécutée et est arrivée à bon port. Les autres rescapés ont suivi le même chemin. Ayant fait de l’alpinisme, j’ai pu descendre sans trop d’encombre. Quand je suis arrivé en bas, on a voulu me mettre dans une ambulance. J’ai refusé, me rendant compte qu’il ne restait qu’une seule voiture dans cette rue et que c’était la mienne. Je me suis précipité dans mon véhicule et je suis parti, juste avant que l’immeuble s’écroule là où j’étais garé.»
Francis Borle est devenu plus philosophe à la suite de ces événements: «J’avais une chance sur cent de m’en sortir mais, clairement, ce n’était pas mon heure. Sans cette corde, nous n’aurions eu d’autre solution que de sauter, sans grand espoir de survie. Le toit que nous avons quitté grâce à la corde s’est effondré très peu de temps après notre fuite. Ce type d’“expérience inoubliable”, cela vous aide à avoir un regard plus détaché sur l’existence. Je me suis dit “advienne que pourra”, il y a peut-être une bonne étoile au-dessus de moi. Je vis et c’est extraordinaire en soi. D’ailleurs, quelque temps plus tard, un jour où, exceptionnellement, je ne m’étais pas rendu au travail, un énorme luminaire s’est effondré sur mon bureau. Ce n’était toujours pas mon heure… Je crois que j’ai un certain nombre de raisons d’être optimiste et l’extraordinaire solidarité dans mon équipe à l’époque de cette tragédie de l’Innovation en 1967 a renforcé ce sentiment. Cela dit, quand j’entends aujourd’hui que l’on fait appel à des psys au moindre incident, cela m’étonne. Nous, on n’a rien eu du tout. Le lendemain de cette tragédie, on était déjà au boulot. Et finalement, cela nous a fait du bien, c’était une sorte de thérapie.»
Depuis lors, lorsqu’il se rend dans une salle de spectacle, Francis Borle se met toujours en bord de rangée. Et il repère les issues de secours.
En bonus, le PDF du très bon dossier qui avait déjà été réalisé en 2007 par ma consoeur de Paris Match Belgique, Emmanuelle Jowa.
Pour ouvrir le PDF, cliquez sur le lien
50 ans de l'incendie de l'Innovation : la " dame au sac " témoigne
Monique Lenssens, 82 ans, a fait le tour du monde suite à une photo : la fameuse " dame au sac ", suspendue au-dessus du vide depuis le toit de l'Innovation, embrasé suite à un terrible incendie...
http://bx1.be/news/50-ans-de-lincendie-de-linnovation-la-dame-au-sac-temoigne-2/
Ex-brandweerman: 'Nooit psychologische hulp gehad na brand Innovation'
Op maandag 22 mei 1967 kwamen 251 mensen om bij de enorme brand die de Innovation in de Brusselse Nieuwstraat verwoestte. Precies 50 jaar later staat brandweerman Rik Geens voor het gebouw waar hij
http://www.bruzz.be/nl/video/ex-brandweerman-nooit-psychologische-hulp-gehad-na-brand-innovation
Vivre ici: lundi 22 mai 2017 - Vivre ici - Télésambre
Bienvenue dans vivre ici Lancé le 3 mai dernier, l'opération Télédon s'est conclue ce samedi à Tournai Expo. La soirée de clotûre a donc mis un terme à plus de 2 semaines de sensibilisation...
http://www.telesambre.be/vivre-ici-vivre-ici-lundi-22-mai-2017_d_22373.html?qp=3&lim_un=24&pn=3
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Morgen is het exact vijftig jaar geleden dat een van de grootste rampen uit de Belgische geschiedenis plaats vond. Bij een brand in het warenhuis Innovation in Brussel vielen 251 doden en 62 ...
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50 ans après l'Incendie de l'Innovation, nous avons retrouvé la " dame au sac " · Paris Match.be
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