29 Décembre 2005
Un entretien publié dans Ciné Télé Revue, le 29 décembre 2005.
Depuis la fin septembre 2005, Jean Denis Lejeune a quitté «Child Focus», une organisation ne correspondant plus, selon lui, à ce qu’il avait créé. Il a rejoint les services du Délégué général aux droits de l’enfant, Claude Lelièvre. Le papa de Julie vit pleinement son nouvel engagement et il pousse ici un coup de gueule : «Il y a encore tellement de chemin à faire pour que les droits de tous les enfants soient respectés et protégés dans ce pays! Je pense notamment à ces gosses qui sont maltraités et pour lesquels il y a trop peu de place d’accueil. Résultat : ils restent en milieu hostile, à portée de main de parents mal traitants. Je crains que l’on en arrive à devoir déplorer des drames qui auraient pu être évitables!»
- Vous avez été fort discret sur les raisons qui vous ont conduites à quitter le Child Focus.
- Pour moi, c’est du passé…
- N’avez-vous pas envie de nous en dire un peu plus ?
- Il est peut-être temps de se poser les bonnes questions. En d’autres termes, il ne faut pas s’interroger sur mon seul départ! Rien que cette année, 12 salariés qui travaillaient au sein de cette organisation ont fait le même choix et je ne compte pas les bénévoles qui en ont fait autant. Trois d’entre eux m’ont d’ailleurs suivi pour travailler dans les services du Délégué général aux droits de l’enfant…
- 12 départs, c’est beaucoup! Comment les expliquez-vous ?
- Le conseil d’administration a changé la direction du Child Focus. Il avançait que nous devions fonctionner de manière «plus professionnelle». Je réfute cette critique qui cache mal une nouvelle orientation d’un organisme qui, au départ, était d’inspiration citoyenne afin de le transformer en machine très institutionnelle. Dans le nouvel état d’esprit du Child Focus, les personnes que l’on aide ne sont plus considérées comme des victimes que l’on soutient, quitte à pratiquer de temps à autre un bras de fer avec les autorités judiciaires et policières. Désormais, il est question de «clients» que l’on conseille tout en prenant soin d’éviter toute situation conflictuelle avec les institutions. C’est inacceptable! Certes, je suis bien sûr partisan d’un dialogue mais dans certaines situations la confrontation est nécessaire. C’est elle qui fait bouger les choses. Pour moi, le Child Focus devait aussi être un amplificateur des combats menés par des enfants et des parents en difficulté. Il ne peut se contenter de «canaliser» des «clients» pour n’être finalement qu’un service auxiliaire et très obéissant de la justice et de la police.
- Dans vos nouvelles fonctions, vous aurez plus de marge de manœuvre ?
- Connaissant Claude Lelièvre depuis plus de 10 ans, j’en suis persuadé. En plus, mon champs d’action se trouve étendu, vu les nombreuses actions qui relèvent de la compétences du Délégué général : lutte contre la maltraitance, sensibilisation et information des enfants, conflits familiaux, droit des enfants hospitalisés, droits des enfants de détenus, droits de mineurs non accompagnés et des enfants de candidats réfugiés… Ici, mon job consiste notamment à faire de la communication et, en deux mois, j’ai déjà pris conscience qu’il y avait beaucoup de chose à dénoncer. Il y a encore énormément de chemin à faire pour que les droits de tous les enfants soient respectés et protégés dans ce pays!
- En disant cela, à quels dysfonctionnements précis faites-vous allusion ?
- Je pense à tous ces enfants battus qui ne reçoivent pas l’aide concrète dont ils ont un impérieux besoin. Ce n’est pas ici une question de textes législatifs ou de formations insuffisante des policiers ou des intervenants sociaux. Comparativement à beaucoup d’autres pays, les compétences professionnelles et le cadre institutionnel sont performants en Belgique pour déceler les situations d’abus et de maltraitance. Là où le bas blesse, c’est quand il s’agit de mettre les gosses concernés à l’abri de leurs parents mal traitants. En communauté française, les capacités d’accueil pour ces mineurs en danger sont très nettement insuffisantes. Résultat : certains d’entres eux, ceux qui ne trouvent pas de place en famille d’accueil ou en centre spécialisés, se retrouvent dans des auberges de jeunesse, des hôtels, voire même à l’hôpital… Et ce ne sont pas les plus mal lotis, car combien d’autres, sont contraints de survivre chez des parents pourtant clairement identifiés comme des personnages immatures, dangereux et violents. Je crains que l’on en arrive à devoir de plus en plus déplorer des drames qui auraient pu être évitables! Il ne suffit pas de détecter les violences familiales, encore faut-il que notre communauté se donne les moyens de la combattre. Dans son dernier rapport (ndlr : Voir plus bas «Pour en savoir plus»), Claude Lelièvre décrit la trajectoire d’un dossier particulier édifiant. Il concerne trois fillettes dont les parents sont des marginaux et alcooliques qui ont habité en Région bruxelloise. Dès l’an 2000, les fait graves de maltraitance dont ces enfants étaient victimes ont été signalé à un hôpital bruxellois par leur oncle paternel. Les faits ayant été objectivés par les constats médicaux, ces gosses seront placés pendant quelque temps en hébergement avant de retourner au domicile familial. Les parents émigrent vers Charleroi. Il faut quinze mois pour que le dossier soit transmis des autorités judiciaires bruxelloises à celles de Charleroi. Pendant ce temps, les coups continuent à pleuvoir, ces enfants vivaient un véritable enfer. Il est enfin décidé de les mettre à l’abri… Mais il n’y a aucune place disponible pour eux! Nulle part! Finalement, ces enfants ne trouveront à être accueillis qu’en août 2004 après que la presse ait relaté leur situation : «la police retrouve 3 enfants battues, couvertes d’ecchymoses, essentiellement causées par des coups de bâton, sous-alimentées, couvertes de poux, non scolarisées…».
- Comment qualifiez-vous ce qui s’est passé dans cette affaire ?
- C’est de la non assistance à enfant en danger. Et j’insiste encore une fois sur ce point : les conditions sont là pour qu’un tel dysfonctionnement puisse encore se produire puisqu’il y a une problème structurel de places disponibles pour les enfants en danger.
- Mais sur le fond du problème, comment faire pour qu’il y ait moins de parents immatures, irresponsables et dangereux pour leurs enfants? Il ne se passe pas une semaine sans que la presse rapporte une nouvelle affaire…
- Il ne faut pas se mettre la tête dans le sable. A l’instar de la violence conjugale, -les deux phénomènes sont d’ailleurs souvent liés-, c’est un véritable problème de société auquel on est confronté. Il faut prendre le mal à la racine, dès l’enfance. L’école primaire ne devrait pas se contenter de cours d’éducation sexuelle. Elle devrait aussi ouvrir les enfants sur des questions comme l’affectivité et la parenté responsable.
- L’actualité du «droits des enfants» est malheureusement fort chargée. Il y a aussi la question de ces gosses qui restent enfermés pendant des mois au centre 127 bis…
- Et comme l’a encore souligné récemment le Haut Commissariat au Réfugiés des Nations Unies, ils sont de plus en plus nombreux. Début 2005, ils étaient une quinzaine et aujourd’hui, il y en a environ 60! Dans ce qui n’est autre qu’une prison, il y a finalement plus d’enfants que d’adultes! C’est une situation tout à fait intolérable qui enfreint la Convention internationale des droits de l’enfant. Ces gosses, pas plus d’ailleurs que leurs parents qui sont en phase d’expulsion du territoire, ne sont des criminels. En plus, on les prive de droits élémentaires comme celui de poursuivre leur scolarité. Comme Claude Lelièvre, j’ai été particulièrement choqué par la récente expulsion de Hàna Tserensodnom, la journaliste de nationalité mongole et de son fils Anar. Le délégué général avait pourtant reçu des informations rassurantes du ministre de l’Intérieur sur ce dossier. Il allait le suivre de près leur situation… Mais on n’imaginait pas que c’était pour organiser une expulsion en catimini. Je crois que M. Dewael est en train de se perdre dans une impasse. Ne voulant afficher aucune «faiblesse» dans sa politique d’asile, il en devient inhumain et, finalement, c’est l’Etat lui-même qui est cause de maltraitance infantile. Mme Tserensodnom était présente en Belgique depuis cinq ans. Le petit Anar était scolarisé, il avait des copains à l’école. C’était une famille parfaitement intégrée. Dans des cas pareils, il me semble évident que les autorités devraient régulariser les personnes concernées. Que va devenir le petit Anar, si sa mère est emprisonnée dès son arrivée en Mongolie? Quand je vois des dossiers comme celui-là, je me sens conforté dans le choix d’avoir rejoint les services du Délégué général. Il y a encore tellement de chemin à faire pour que les droits de tous les enfants soient respectés et protégés dans ce pays! Près de dix ans après la Marche blanche, quelques changements institutionnels ont sans doute été opérés, mais tout reste à faire pour encore changer certaines mentalités!
Le Délégué général aux droits de l’enfant vient de publier son rapport annuel 2004-2005 sous le titre «Che bella storia». Ce livre préfacé par Jean-Denis Lejeune retrace les grands axes de l’action menée durant l’année dernière par Claude Lelièvre. Si vous souhaitez soutenir celle-ci, sachez également qu’un agenda illustré de nombreuses photos et contenant des coordonnées utiles ainsi que le texte de la Convention internationale des droits de l’enfant est en vente au prix de 15 euros. Son titre : «Tous les enfants sont nos enfants». On peut se le procurer en téléphonant au 02/209.04.26. ou en se rendant sur le site du Délégué général aux droits de l’enfant (www.cfwb.be/dgde). Un cadeau pratique pour Noël et au profit d’une bonne cause!
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