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Butin colonial : 300 crânes d'Africains conservés à Bruxelles

Une enquête publiée en deux volets sur Parismatch.be, les 24 et 25 mai 2018.

Le crâne de Lusinga, parmi bien d'autres, au Musée des sciences naturelles à Bruxelles. Photo : Ronald Dersin.

Le crâne de Lusinga, parmi bien d'autres, au Musée des sciences naturelles à Bruxelles. Photo : Ronald Dersin.

1. Un vieux registre du Musée du Congo

 

Plusieurs centaines de crânes, des squelettes, des ossements divers, des fœtus ont été « collectés » par des Belges pendant l’époque coloniale en Afrique centrale, principalement au Congo. Une partie de ces « collections » conservées Bruxelles appartient à un temps où des scientifiques égarés contribuèrent à nourrir l’idéologie raciste. Pour l’heure, les dossiers d’acquisition de ces restes humains qui permettraient d’en savoir plus sur les circonstances douteuses de nombreuses « collectes » ont disparu…

Imaginons un peu… Imaginons qu’un musée berlinois conserva des centaines de crânes de Belges « collectés » pendant l’occupation. Qu’il exista des registres comportant des renseignements de ce type : « le crâne d’un homme de la région de Liège », le « crâne d’une femme provenant de Namur », « fœtus de 5 mois, province du Hainaut, race wallonne » etc. Imaginons que certains de ces restes humains aient été achetés à des collaborateurs, que d’autres aient été « collectés » dans le cadre d’actions violentes et de violations de sépultures dans des cimetières ; Qu’une bonne partie de ceux-ci aient été « exportés » en Allemagne par des militaires qui n’auraient jamais eu à se justifier sur les circonstances de leurs « récoltes ». Imaginons que certains de ces restes humains aient été utilisés dans des conférences prétendument savantes visant à démontrer la supériorité de la race germanique. Comment réagirait l’opinion publique belge ? Accepterait-elle de considérer que ces restes d’ancêtres collectés dans un contexte d’oppression et de violence ne devraient plus être aujourd’hui que des « items » de « collections » scientifiques appartenant définitivement à l’Allemagne ? Pour les Belges, ce questionnement est une fiction mais, pour les Congolais, dont ceux qui font partie de la diaspora qui vit en Belgique, cela devient un sujet d’actualité bien réel.

Il y a quelques semaines, Paris Match racontait le parcours meurtrier d’un militaire belge qui, lors de la conquête coloniale du Congo, fin du 19e siècle, collectionnait les têtes des chefs insoumis qui lui résistaient. Il ramena trois crânes en Belgique, ceux des chefs Lusinga, Marilou et Mpampa. Ces restes humains qui furent l’objet d’un exposé devant la Société d’Anthropologie de Bruxelles où l’on pérorait sur la prétendue infériorité de certaines « races », sont conservés par l’Institut Royal des Sciences Naturelles de Belgique (IRSNB). Auparavant ces 3 crânes ont séjourné au Musée du Congo, l’actuel Musée Royal de l’Afrique Centrale (MRAC) où ils faisaient partie de la collection d’anthropologie anatomique.

Le 24 août 1964, un arrêté royal modifia les attributions du MRAC et de l’IRSBN, ce qui impliqua un transfert des restes humains conservés par la première institution vers la seconde. Il a fallu plus de 30 ans pour que la « collection » venue du Musée du Congo soit enfin inventoriée par l’IRSNB, ce qui témoigne du peu d’intérêt qui lui fut accordé sur le plan scientifique. Ce décompte ne fut réalisé que le 27 févier 1996, comme le renseigne une fiche d’inventaire général du Musée numérotée 28296. Celle-ci mentionne : « Collection de crânes provenant d’Afrique (1964-1965), + 650 cranes + mandibules – transfert MRAC »

289 crânes, 12 fœtus, 8 squelettes provenant d’Afrique centrale

650 crânes ? Plusieurs éléments laissent à penser que ce décompte n’est pas exact. Au début de cette investigation, quand nous étions à la recherche des trois crânes de la « collection » Storms, l’IRSNB eut beaucoup de mal à retrouver l’un d’entre eux. Le conservateur devant bien constater que le crâne du chef Marilou avait été très incomplètement renseigné dans la base de données de l’institution, c’est-à-dire sans nom, sans son numéro de classement original, sans mention qu’il fit partie de la « collection » Storms. De facto, l’imprécision de l’inventaire avait anonymisé ces restes humains sous la simple appellation : « Crâne tribu occidentale du Tanganyika ». Les mêmes causes produisant sans doute les mêmes effets, le crâne de Mpampa n’a pu être retrouvé à ce jour

La page de couverture du registre d’antropologie anatomique du Musée du Congo © MRAC

La page de couverture du registre d’antropologie anatomique du Musée du Congo © MRAC

Approfondissant cette enquête, nous avons étudié le registre manuscrit de la collection d’anthropologie anatomique qui fut autrefois tenu par le Musée du Congo. Et nous constatons que dans celui-ci sont recensés 289 crânes, 12 fœtus, 8 squelettes provenant d’Afrique centrale, essentiellement du territoire qui correspond à l’actuelle République Démocratique du Congo. 289 crânes pas 650 ? Patrick Semal, le conservateur des collections d’anthropologie du Musée des sciences naturelles admet que la fiche 28296 induit en erreur. Et ce qu’il nous dit par ailleurs n’est pas rassurant : « La collection d’anthropologie anatomique de l’ex-Musée du Congo est bien dans nos murs mais nous ne retrouvons pas les archives relatives à son transfert en 1964. Nous n’arrivons pas à localiser les « dossiers d’acquisition » alors que le Musée de l’Afrique Centrale ne les retrouve pas non plus et suggère qu’ils sont chez nous. Il est vrai que notre budget ne nous permet pas de disposer d’un archiviste, ce qui veut dire que ces documents, si on en dispose, font partie d’un lot de papiers non inventoriés. Ils sont dès lors difficilement accessibles ». Au Musée de Tervuren, l’archiviste Tom Morren, nous le confirme : « Nous ne retrouvons pas les dossiers d’acquisition ».

S’il devait se confirmer que ces documents ont été détruits ou égarés, ce serait une perte inestimable car ils sont de nature à éclairer le contexte dans lequel certains de ces restes humains africains ont été collectés, par exemple des échanges épistolaires entre les « collecteurs » et la direction du Musée du Congo. On comprend très vite l’importance de ces « papiers de contexte » à la lecture de l’ancien registre manuscrit du Musée du Congo. Ce grand cahier est actuellement conservé par le Musée Royal de l’Afrique Centrale. On ne peut qu’être saisi d’effroi en le parcourant car, de manière froide et souvent très imprécise, il ressence colonne après colonne ce qu’il reste de centaines d’êtres humains. Dans cette comptabilité macabre, l’histoire de Lusinga se résume à quelques mots : « Numéro : 151. Désignation : Crâne sans mâchoire inférieure. Renseignements divers : Lusinga. Expéditeur : Storms. Justification : D.19. Observations : Inscrit le 19/08/1935 ». C’est évidemment très peu quand on connaît le contexte réel de l’arrivée de ces restes humains en Belgique. Cette histoire, ce contexte, nous avons pu les décrire il y a quelques semaines grâce à l’étude des journaux rédigés par Emile Storms lors de son expédition dans les environs du lac Tanganyika. Mais tous les « donateurs » de crânes et autres restes humains n’ont pas laissé de tels « aveux » pour la postérité et les dossiers d’acquisition sont par conséquent de très précieuses sources d’informations…

Origines douteuses et imprécises

Il est évidemment impossible de détailler ici toutes les annotations de ce registre dont la première entrée remonte à 1897 ; Une date de création qui n’est pas surprenante : cette année-là se tint l’Exposition universelle de Bruxelles à l’occasion de laquelle le Roi Léopold II avait fait construire à Tervuren le Palais des Colonies pour y présenter une « section congolaise ». Celle-ci comprenait différents objets exotiques, des animaux naturalisés mais aussi des hommes et des femmes rassemblés dans des « villages », sur le mode d’un parc animalier actuel. Ce qui provoqua un énorme succès de foule à cette époque où un certain public, n’étant pas encore abreuvé de télé-réalité, se montrait friand de zoo humains.

La première page du registre dans lequel les restes humains en provenance d’Afrique centrale, principalement du Congo, étaient enregistrés. © MRAC

La première page du registre dans lequel les restes humains en provenance d’Afrique centrale, principalement du Congo, étaient enregistrés. © MRAC

Le Musée du Congo fut créé en 1898 et, à ce moment, 14 crânes africains « collectés » dans les années antérieures se trouvaient déjà dans ses murs. Cette « collection d’anthropologie anatomique » fut nourrie par toutes sortes de contributeurs (des militaires surtout comme Cabra, Hutereau, Bonnevie ou Storms, par l’un ou l’autre médecin et infirmière, et par beaucoup de donateurs au statut non précisé par le registre). Ce sont ces « collectes » aux circonstances suspectes qui sont l’objet principal de cette enquête. Elles représentent environ 1/3 des crânes et autres restes humains répertoriés dans ce registre qui donne très peu d’informations de contexte sur les « récoltes », renvoyant souvent aux fameux dossiers d’acquisition pour plus d’informations… En outre, certaines écritures de ce cahier, par manque d’application des scripteurs, sont difficiles à déchiffrer. D’après notre lecture de ce répertoire, les autres crânes qu’il comptabilise ont été récoltés dans un cadre scientifique par des archéologues et autres anthropologues. Ce qui n’exclut cependant pas tout questionnement éthique.

La première entrée de ce registre du Musée du Congo est un crâne provenant de l’actuelle Tanzanie qui fut « collecté » par un membre de la seconde expédition de l’Association Internationale Africaine. Dans la rubrique « renseignements », il est mentionné « Crâne d’Ounyamresi trouvé à Tabora par Vandenheuvel. L’origine ne semble pas douteuse, une inscription à demi-effacée sur le crâne fait foi. Mâchoire inférieure manque ». Nous citons, une seconde fois « L’origine ne semble pas douteuse ». C’est très vague… Mais ce l’est encore plus pour les crânes numérotés de 2 à 7, à propos desquels on lit : « Trouvé dans la même caisse que le n°1. Ne portait aucune inscription de numéro »… Le crâne n°8, lui aussi « trouvé dans une caisse » ne « portait aucune inscription apparente » mais « au lavage, l’inscription « Bango ♂ » est apparue ».

"Trouvé dans la meme caisse que le n°1, ne portait aucune inscription...."  © MRAC

"Trouvé dans la meme caisse que le n°1, ne portait aucune inscription...." © MRAC

« N°15 (…) Crâne de chef du Mayombe, village de Chimbangu, vallée du Chiloango »

 

Entre 1897 et 1903, le capitaine Alphonse Cabra fait don de six crânes et d’autres restes humains tels des fémurs. Les cases « renseignements » mentionnent notamment : « Numéro : 10. Crâne Tshimbange Mayombe. (…) Trouvé dans la forêt, mort le 15/02/1896 (…) Numéro 11 : « Crâne (…) tué en palabre le 13/03/96. (…) Numéro 16 Crâne Tumba reçu le 3 janvier 1903, remis par le Cdt de district comme étant celui d’un indigène des environs de Tumba pendu pour meurtre, Cabra, 1901. (…) N°15 (…) Crâne de chef du Mayumbe, village de Chimbangu, vallée du Chiloango (…). On notera la mention "tué en palabre" qui renvoie aux pratiques violentes des agents de l'Etat indépendant du Congo qui rançonnaient les populations locales.   

On aimerait évidemment en savoir plus sur les circonstances de ces collectes. Mais l’histoire coloniale belge dont beaucoup de pages ont été écrites par les coloniaux eux-mêmes- n’en dit rien. Démonstration. Si l’on se réfère à la notice biographique d’Alphonse Cabra rédigée par l’Académie Royale des Sciences d’Outre-Mer, on lira ceci : « En 1896, le Grand Roi (ndlr : Léopold II) eut l’attention attirée sur lui (ndlr : Cabra) et le chargea d’une mission scientifique dans le Bas-Congo et plus spécialement dans le Mayumbe, encore peu connu à cette époque. Il devait y établir les coordonnées géographiques de certains points pour l’établissement de la carte et reconnaître les sources du Shiloango et le plateau de Bangu. (…) Les résultats scientifiques de la mission Cabra constituèrent à l’époque une des plus belles réalisations en données précises, tant aux points de vue géographique et géologique qu’aux points de vue zoologique et botanique. De nombreux documents et de belles collections furent remis au Musée de Tervuren ». Pas de trace de « collectes » de restes humains l’évocation de ces « belles collections ».

De même, dans l’inventaire des papiers d’Alphonse Cabra disponible en ligne sur le site du Musée Royal de l’Afrique Centrale, l’histoire des six crânes n’est pas plus abordée. L’auteur de cet inventaire réalisé en 1977 ne mentionnant que « l’envoi de divers échantillons, tels que oiseaux, insectes, papillons, serpents, œufs, nids, un squelette complet d’indigène, un crâne de chimpanzé etc. ». Les crânes humains sont sans doute inclus dans le « etc ». Reflet plus actuel de cette version pudique de l’histoire, le site Wikipédia renseigne en mai 2018 que les missions de Cabra ont été « l’occasion d’études scientifiques comme la collecte d’échantillons de minéraux, d’insectes, de plantes ou de tétrapodes naturalisés mais aussi de photographies et de relevés météorologiques. Cette collecte fait, maintenant, partie intégrante des collections du Musée royal de l’Afrique centrale (MRAC) à Tervuren ».

La seule mention de l’existence de cette « collecte » de crânes par Alphonse Cabra a été faite dans un ouvrage de l’anthropologue Maarten Couttenier paru en 2005. Mais la brique scientifique de cet anthropologue n’est disponible qu’en néerlandais et elle a bien plus circulé dans les milieux académiques que dans le grand public… Quoiqu’il en soit, l’histoire complète de cette « collection » Cabra reste à écrire.

"Fœtus de 5 mois, territoire de Beni, race Wanande, Chefferie Kisenge"

 

Un autre militaire Armand Hutereau, plus connu du public pour ses « collectes » d’instruments de musique, ses enregistrements et autres photos, a aussi ramené 15 crânes du Congo, un squelette et les dents d’un pygmée « collectés » dans « l’Uele » sans autre précision que ces dénominations : « crâne de Makere, crâne d’Asande, crâne de Mongu, Crâne de Monsu etc… ». Sur le site du MRAC qui, signalons-le au passage, n’évoque que 5 crânes au lieu des 15 signalés dans ses archives, on trouve ce commentaire sur l’expédition de ce « pourvoyeur » de restes humains : « Hutereau a voyagé sans escorte militaire ; toutefois, il recrutait des porteurs africains pour porter le matériel d’expédition et transporter les Européens fatigués dans des hamacs ». Là encore, l’histoire des « collectes » réalisées par ce militaire belge reste à écrire.

Nous avons aussi l’attention attirée par l’enregistrement dans la collection du Musée du Congo de plus de 200 crânes et « éléments de crânes », fin des années 40.  Ces restes humains-là proviendrait de fouilles archéologiques.  Enfin, le registre renseigne des « dons » de squelettes et de fœtus. L’un de ces derniers est enregistré avec des termes racistes qui nous replongent dans les années 30 : « Fœtus de 5 mois, territoire de Beni, race Wanande, Chefferie Kisenge (…) Inscription le 6 octobre 1936 ».

L’histoire de ces femmes, de ces hommes, de ces enfants qui n’ont jamais eu de sépulture est pleine de zones d’ombre. Leurs restes « collectés » dans des circonstances douteuses sont entreposés dans des boîtes qui prennent la poussière. Sont-ils identifiables ? Y-a-t-il d’autres Lusinga qui se cachent dans les caves de l’IRSNB ? L’Etat belge s’honorerait de chercher à le savoir en finançant des recherches scientifiques adéquates.

2.  Le « pauvre diable » de l’ULB

e crâne de cet homme, un travailleur africain mort d’épuisement sur le chantier du chemin de fer Matadi-Léopoldville en 1895 a été recueilli dans des circonstances choquantes. Il se trouve en dépôt dans un labo de l’Université Libre de Bruxelles. | © MRAC

e crâne de cet homme, un travailleur africain mort d’épuisement sur le chantier du chemin de fer Matadi-Léopoldville en 1895 a été recueilli dans des circonstances choquantes. Il se trouve en dépôt dans un labo de l’Université Libre de Bruxelles. | © MRAC

Une cinquantaine de crânes humains se trouvent « en dépôt » dans le laboratoire d’anthropologie de l’Université Libre de Bruxelles. Ils proviennent de diverses régions du monde. Les circonstances dans lesquelles certains de ces restes humains furent collectés sont très incertaines, voire très douteuses. Tels ces crânes de « deux esclaves sacrifiés par décapitation » au Congo qui furent achetés par un militaire belge ou celui d’un travailleur forcé qui participa en 1895 à la construction du chemin de fer Matadi-Léopoldville…

Dans un volet précédent de cette enquête, nous avons détaillé le parcours meurtrier d’Emile Storms qui, lors de la conquête coloniale du Congo, fin du 19ème siècle, collectionnait les têtes des chefs insoumis qui lui résistaient. 3 crânes ramenés en Belgique par ce militaire belge ont été conservés pendant longtemps par le Musée de Congo – l’ancienne dénomination du Musée Royal de l’Afrique Centrale (MRAC) – où ils faisaient partie d’une « collection d’anthropologie anatomique » constituée de 289 crânes, de 12 fœtus, de 8 squelettes et d’autres ossements, de masques et de moulages. Ces restes humains sont toujours conservés à Bruxelles, plus précisément à l’Institut Royal des Sciences Naturelles de Belgique (IRSNB) où ils ont été transférés en 1964. Dans le second volet de notre enquête, nous avons pu constater les conditions douteuses dans lesquelles nombre de ces crânes d’Africains furent collectés. Fort regrettablement, leurs « dossiers d’acquisition », soit des archives qui pourraient éclairer les circonstances de ces prélèvements n’ont pu être « retrouvées » à ce jour par l’IRSNB et par le MRAC.

À la fin du 19ème siècle et au début du 20ème siècle, les « collecteurs » de restes humains en Afrique centrale étaient souvent des militaires qui, dans le cadre d’expéditions coloniales, travaillaient accessoirement pour la science. Ils collectaient aussi bien des oiseaux exotiques que des plantes tropicales, aussi bien des mollusques et des minéraux que des restes humains. Ce qui a permis à des scientifiques belges qui n’avaient jamais quitté l’Europe de pouvoir se livrer à des analyses, à des comparaisons, à des exposés… Notamment en matière de « craniologie », à une époque où l’anthropologie physique, encore balbutiante, contribua à une légitimation « scientifique » du racisme en considérant que les différences observées entre des crânes témoignaient de l’existence de races inférieures.

Cet égarement scientifique fut porté pendant quelques années par la Société d’anthropologie de Bruxelles (SAB), fondée en 1882. C’est dans ce contexte que cette association privée se constitua également une collection de plusieurs dizaines de crânes entre la fin du 19ème et le début du 20ème siècle. Ces restes humains se trouvent actuellement conservés en deux endroits : l’Institut National de Sciences Naturelles de Belgique (IRSNB) et le laboratoire d’anthropologie et génétique de l’Université Libre de Bruxelles (ULB) qui fait partie de la Faculté des sciences.

Alfonse Vangele a « collecté » deux crânes d’esclaves qui se trouvent actuellement dans un laboratoire de l’Université Libre de Bruxelles. © Wikipedia/doc

Alfonse Vangele a « collecté » deux crânes d’esclaves qui se trouvent actuellement dans un laboratoire de l’Université Libre de Bruxelles. © Wikipedia/doc

« Je ne dispose d’aucune fiche, d’aucune archive »

 

Martine Vercauteren, professeure d’anthropologie biologique, nous explique qu’elle dispose de très peu d’informations sur cette cinquantaine de crânes qui proviennent de plusieurs endroits du monde. « J’en ai hérité quand j’ai pris en charge la direction du laboratoire », dit-elle. « Je ne dispose d’aucune fiche, d’aucune archive. Ces crânes sont en ‘dépôt’, ils appartiennent à la ‘Société Royale Belge d’Anthropologie et de Préhistoire’ (ndlr : Qui a pris la succession de la SAB en 1931). Ils n’ont rien à voir avec l’ULB ! Je tiens à préciser que ces crânes ne sont pas utilisés dans le cadre de cours d’anatomie. Mais ils s’avèrent bien utiles dans le cadre d’un cours intitulé ‘Anthropologie physique dans ses rapports avec les sciences humaines’ par lequel j’éveille les étudiants à la notion de ‘variabilité’, ce qui revient à leur expliquer qu’il n’y a pas de races humaines, que ce concept est une ineptie sur le plan scientifique ».

Comment ces crânes sont arrivés-là ? L’ULB le « doit » à Émile Houzé, un personnage que nous avions déjà évoqué dans la première partie de cette enquête. Il s’agit de ce conférencier qui avait décrit les crânes ramenés par Emile Storms devant les membres de la société d’anthropologie de Bruxelles en 1886. Disant de Lusinga qu’il était un être « cruel, avide et vindicatif », Houzé avait manipulé le crâne de ce chef qui avait refusé de se soumettre au colonisateur en considérant que « son angle bi orbitaire très ouvert », témoignait d’un « caractère d’infériorité dans les races humaines. » Ce médecin, anthropologue et professeur à l’ULB a aussi défendu la thèse de la supériorité morale et physique des wallons sur les flamands…  Dans une étude universitaire consacrée aux « collections oubliées de la SAB », l’archéologue Jennifer Gonissen précise qu’ « en 1888, Émile Houzé évoque la nouvelle ‘philosophie zoologique’, laquelle ‘a remplacé le dogme de l’égalité des hommes par le principe de la concurrence vitale’. (…) Des conceptions qui vont participer à la création de postulats selon lequel on ne peut plus parler d’égalité des hommes et de fraternité universelle. »

Soit des thèses exactement inverses à celles qui sont enseignées aujourd’hui à l’ULB. Martine Vercauteren nous l’a rappelé plus haut. Pour autant, peut-on faire l’économie d’un débat éthique sur l’origine de ces collections de restes humains ? La responsable du labo d’anthropologie reconnaît s’être peu ou pas documenté sur l’histoire des crânes de la SAB, « car on ne dispose guère d’autres documents que ceux d’Emile Houzé et que cela demande des compétences d’historien ». Elle se dit « ouverte à la discussion » et elle affirme avoir la volonté de « ne rien enfouir ou cacher ». Tout en admettant que des « questions se posent », qu’il y a eu dans le passé des « histoires douteuses » dans les constitutions de ce type de collections « partout dans le monde », elle se dit aussi « embêtée par le fait de réveiller ce genre de choses alors que personne n’a la bonne solution à propos de ce qu’il convient de faire de ces restes humains. À qui faudrait-il les renvoyer aujourd’hui ? Alors que ces crânes ont une utilité pédagogique, faut-il démembrer cette collection ? »

Un grand éclat de rire

L’histoire que nous raconte l’anthropologue Maarten Couttenier nourrit le questionnement éthique sur cette collection de crânes. Il y a plusieurs années déjà, dans le cadre d’un travail remarquable qui ne reçut pourtant aucun écho médiatique, ce chercheur a fait le lien entre une photo, le journal de bord d’un militaire et un crâne de la SAB qui se trouve dans le laboratoire d’anthropologie de l’ULB. Situons le contexte. Quand le Congo devient la « propriété » de Léopold II en 1885, le colonisateur est face à un problème majeur. Le fleuve n’était pas navigable sur les 338 kilomètres séparant Léopoldville/Stanley Pool de l’océan atlantique. Dans les premiers temps, l’État Indépendant du Congo eu recours au portage forcé pour exporter les richesses du Congo mais aussi pour acheminer dans la colonie de nombreuses choses (pièces détachées de bateaux, nourriture, médicaments, alcool, instruments scientifiques…) Ce mode de transport causa énormément de victimes dans la population du Bas-Congo et, au surplus, n’apparut pas économiquement rentable pour les colons. Stanley eut d’ailleurs cette phrase : « le Congo sans chemin de fer ne vaut pas un penny ».

Le 13 mars 1890, une ligne de chemin de fer fût mise en chantier. Des travaux titanesques qui durèrent plus de huit ans. Couttenier nous explique que « la main d’œuvre locale étant peu abondante, les travailleurs étaient acheminés du Sénégal, du Soudan et même de la Jamaïque et de Chine. À l’achèvement des travaux, le nombre de morts s’élevait à 1 800 Africains et 132 Européens. Mais le nombre réel de décès fut probablement largement supérieur. » Des sources parlent en effet de 5500 à 8000 morts parmi ces forçats. La longueur des travaux, leur coût et les conditions de travail dantesques suscitèrent de débats politiques en Belgique. En 1895, avant d’autoriser le Gouvernement à consentir un prêt de 10 millions de francs à la « Compagnie du chemin de fer du Congo », le parlement envoya une commission d’enquête sur place.  Elle ne trouva pas à formuler d’objections définitives sur la souffrance des travailleurs noirs mais elle revint avec un crâne dans ses valises…

Maarten Couttenier explique que « cette commission était composée, parmi d’autres personnes, des militaires Charles Lemaire et Auguste Weyns, ainsi que du médecin Alexandre Bourguignon et de l’ingénieur Tobie Claes. Les travaux étaient encore en cours lorsqu’elle se déplaça en Afrique. Il arrivait que des travailleurs morts de maladie, d’épuisement étaient laissés sur un bas-côté, à proximité du chantier… C’est dans ce contexte que, le 9 septembre 1895, la délégation belge découvre le cadavre de l’un de ces travailleurs africains qui est photographié par Weyns. »

"Et on ne peut s'empêcher de rire", extrait du journal de Charles Lemaire. Doc : MRAC.

"Et on ne peut s'empêcher de rire", extrait du journal de Charles Lemaire. Doc : MRAC.

Parallèlement, Charles Lemaire commente la scène dans son journal de bord manuscrit. Maarten Couttenier nous montre ce document qu’il a exhumé des archives du Musée Royal de l’Afrique Centrale. Les mots qui s’y trouvent témoignent de tout le cynisme d’une époque. La collecte du crâne s’accompagnant de diverses considérations douteuses et… d’un grand éclat de rire. Lemaire écrit : « Près du campement à 30 mètres, on trouve le cadavre parcheminé et hideux d’un pauvre diable de porteur, mort en route, et que ses camarades ont apporté là après l’avoir ligoté sur un stick. Le pied gauche et une partie des muscles de la jambe gauche ont disparu, rongé sans doute par des bêtes. Il n’y a plus des muscles, mais la peau s’est parcheminée, comme momifiée, et l’épiderme s’est détaché par place et recroquevillé. On voit une partie du crâne à nu. La bouche est grande ouverte avec les deux lèvres momifiées formant des angles aigus, de grosses mouches vertes remplacent la bouche. Le ventre est entièrement rentré. La nudité du misérable est tordue, repoussante. Weyns prend la photographie de cette scène macabre. Au moment où il va opérer, l’ingénieur Claes s’adresse au macchabée : ‘ne bougeons plus’. Et on ne peut s’empêcher de rire. C’est effrayant. À la découverte du cadavre, je demande au docteur de détacher la tête pour tâcher d’avoir le crâne. Il me répond, furieux, ‘merci, si tu crois que c’est amusant et facile, c’est bien plus dur que sur…’ ‘Sur un vivant ?’ ‘Non, sur une tête fraîche’ ».

Lire aussi > Crâne de Lusinga : Le gouvernement belge favorable à une restitution des restes humains

Le crâne de ce « pauvre diable » fut donc confié à la SAB et il se trouve aujourd’hui dans une collection d’anthropologie à l’ULB. Est-ce bien sa place ? Ne devrait-il pas retourner au Congo ? Ne devrait-il pas plutôt être présenté aux étudiants en histoire contemporaine ? N’a-t-il pas quelque chose à nous dire sur la société coloniale, sur notre passé ? Le constat que ce crâne reste muet dans une université parmi les plus prestigieuses en 2018 n’interpelle-t-il pas sur une certaine faculté de la Belgique à gommer des pages de son histoire qui la dérange ? D’évidence, ce crâne a beaucoup de choses à nous raconter, comme celui de Lusinga.

La collecte de ce crâne qui se trouve à l’ULB par le docteur Alexandre Bourguignon fut l’occasion d’un… grand éclat de rire. © Maarten Couttenier

La collecte de ce crâne qui se trouve à l’ULB par le docteur Alexandre Bourguignon fut l’occasion d’un… grand éclat de rire. © Maarten Couttenier

Charles Lemaire a écrit des mots qui témoignent de tout le cynisme d’une époque. © Wikipedia/doc

Charles Lemaire a écrit des mots qui témoignent de tout le cynisme d’une époque. © Wikipedia/doc

« Ils ont été vendus au lieutenant Vangele pour quatre fils de laiton »

C’est encore le cas des crânes de deux esclaves congolais qui se trouvent dans le laboratoire d’anthropologie de l’ULB. Le 29 juin 1885 le professeur Houzé fait un exposé à la SAB sur ces restes humains, ceux d’un homme et d’une femme, qui lui ont été remis par le lieutenant Alphonse Vangele, un militaire belge qui était alors chef de la station de l’Equateur. Son titre : « Les nègres du Haut Congo ». Houzé dit : « Monsieur Vangele a vécu au milieu des Baroumbé et il a bien voulu me communiquer deux crânes de cette tribu ainsi qu’un crâne de chimpanzé. (…) Ce sont les crânes de deux esclaves sacrifiés par décapitation à la mort d’un chef ; ils étaient fixés sur des pieux introduits par le trou occipital ; ces pieux se trouvaient plantés devant la hutte ou le sacrifice avait eu lieu. Ils ont été vendus nuitamment au lieutenant Vangele pour quatre fils de laiton. (Chaque fil a une valeur de trente-cinq centimes.) ». Il s’agit donc clairement du récit documenté d’un trafic d’ossements humains, constitutif d’un recel de cadavre.

Bien sûr, le discours d’Houzé est encore une fois teinté de racisme : « Les Baroumbé se rapprochent des Okoas-Bongos par la capacité crânienne qui est très faible. » Enfin, une profanation de sépulture est décrite sans l’expression du moindre scrupule : « (…) Ils ont le respect des morts et les sacrifices qu’ils font impliquent des idées particulières sur une vie future. Ainsi quand un homme meurt, si c’est un chef entouré d’esclaves et de femmes, il faut qu’il puisse établir son identité dans le monde nouveau où il va vivre ; s’il était puissant, il faut qu’il le prouve et c’est dans ce but qu’on sacrifie des victimes pour lui servir d’escorte et de témoins. (…) Le respect des sépultures est très prononcé et M, Vangele a pu s’en convaincra par le fait suivant : à Ibonnga Ouangata, quand il eut choisi la place exacte où il voulait élever sa station , les Baroumbé s’y opposèrent d’abord et firent tout ce qu’ils purent pour le décider à prendre un autre emplacement; ne parvenant pas à lui faire modifier son plan, ils lui annoncèrent que le lieu choisi était une sépulture et le prièrent d’attendre qu’ils eussent recueilli les ossements pour les transférer ailleurs. Cette opération fut faite silencieusement avec des marques de respect ; les os exhumés furent placés dans des pièces d’étoffes et enterrés plus loin. (…) »

L’ « héritage » qu’Emile Houzé a laissé à l’ULB apparaît donc que très encombrant… Mais un lieu d’excellence comme cette université, un lieu de savoir et de partage de connaissance, devrait avoir les ressources suffisantes pour faire parler ces crânes, pour les faire participer à l’écriture de l’histoire du Congo belge.

Conservatoire 18b

 

Depuis de nombreuses années, une autre partie de l’ancienne collection de crânes de la SAB se trouve en dépôt à l’Institut National de Sciences Naturelles de Belgique (IRSNB). En 2011, ces restes humains ont fait l’objet d’un mémoire de fin d’étude réalisé par l’archéologue Jennifer Gonissen. Nous avons déjà constaté le peu d’intérêt accordé par l’IRSNB à la collection « Musée du Congo » qui lui avait été transférée en 1964 pour être seulement inventoriée en 1996. Même constat pour les crânes qui se trouvent à l’ULB : pas de fiches, pas d’inventaire… Et même constat dans cette recherche universitaire de 2011 qui évoque « les collections oubliées du conservatoire 18 B de l’IRSNB ».

Jennifer Gonissen, son auteure relevait qu’ : « aucun catalogue n’existait ou ne subsistait pour ces collections. Ce matériel n’est inventorié nulle part. Parfois, une rare fiche contenant des descriptions y est jointe. (…) Les tiroirs contiennent tout type d’os (os longs, crânes, phalanges, etc.) d’origine et d’époque diverses (…). Ils ont été déposés sans qu’il semble y avoir eu de tri ou de rangement. Il semblait dès lors important de procéder à une inventorisation et une identification des ossements trouvés. »

Ce travail universitaire interrogeait aussi les conditions de stockage de ces restes humains venant de divers endroits de la planète : « les collections de la SAB à l’IRSNB sont conservées dans des tiroirs en chênes surmontées d’un couvercle en verre. Certains tiroirs présentent de dangereuses fissures à leurs rebords ». Nous avons pu constater lors d’une visite au Musée des sciences naturelles que les crânes de la collection « Musée du Congo » étaient conservés dans des boîtes identiques à celles décrites et photographiées par Mme Gonissen.  À Paris, au Musée de l’Homme, des « collections » comparables, celles de l’ancienne Société d’Anthropologie de Paris (SAP) sont stockées différemment. L’auteure de l’étude explique que dans le musée français, « les crânes sont placés dans des boites individuelles en carton neutre, les ossements dans des boites plus grandes, regroupés dans des sachets. Les crânes sont classés par provenance géographique : par département pour la France, ou par pays. Chaque pièce a reçu un numéro d’inventaire correspondant au catalogue des collections du Musée de l’Homme. »

L’un des crânes qui se trouve dans le conservatoire 18b du Musée des sciences naturelles à Bruxelles. © IRSNB

L’un des crânes qui se trouve dans le conservatoire 18b du Musée des sciences naturelles à Bruxelles. © IRSNB

« On risque de se trouver en présence de matériel non identifiable »

 

Cette recherche universitaire insistait sur le fait que « les dispositions prises en matière de stockage, conservation et gestion des collections sont une façon d’assumer les collections héritées du passé (parfois de provenance plus ou moins douteuse), le projet étant d’en assurer la transmission de façon respectueuse. (…) Des conditions de gestion et d’entreposage qui ne sont pas optimales peuvent engendrer la perte d’informations relatives à la provenance du matériel et au contexte de sa découverte. (…) Commencer à traiter des ossements humains dès leur mise au jour en vue de leur bonne conservation future est une nécessité. Faute de quoi, on risque de se trouver en présence de matériel non identifiable, comme cela a été majoritairement le cas lors de notre inventaire. »

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Cette étude a toutefois débouché sur l’identification de nombreux crânes provenant de différentes régions du monde. Et notamment de 4 crânes « expédiés » depuis le Congo belge, fin du 19ème siècle, à la suite de « collectes » dont les circonstances sont, une fois encore, non documentées. L’un de ces crânes porte l’indication « Nègre Wayombé » sur le pariétal droit… Un autre étant annoté à l’encre de chine « Nègre du Wayombé. Envoi de M. Wangermée » sur le pariétal gauche. Comme le précise Gonissen, « Émile Wangermée était le vice-gouverneur général lors de l’envoi d’une expédition scientifique au Mayombé (septembre 1896- juillet 1897). Il était en relation avec Alphonse Cabra, un militaire parti au Mayombé pour y faire des observations géodésiques et magnétiques, et recueillir des informations afin de tracer un tableau général du Mayombé en 1904. » Dans un précédent article, nous avions déjà mentionné le nom d’Alphonse Cabra qui a aussi fait parvenir six autres crânes à Bruxelles, lesquels se trouvent dans la collection « Musée du Congo ».

En réponse aux remarques émises sur les conditions de conservation de cette collection « SAB », le conservateur des collections d’anthropologie de l’IRSNB, Patrick Semal rétorque que celle-ci n’appartient à l’IRSNB, qu’il s’agit d’un dépôt. « Dès lors », précise-t-il, « nous n’avons pas pour mission de la valoriser ». Par ailleurs, M Semal rétorque que « les conditions de conservation sont correctes même si l’on peut toujours faire mieux. C’est le même constat que pour nos archives, l’organisation pourrait être meilleure mais il faudrait plus de moyens. À titre de comparaison, la bibliothèque du Musée de l’Homme à Paris compte 700.000 ouvrages et elle est gérée par 70 personnes. Celle de Bruxelles compte 450.000 ouvrages et elle gérée par 7 équivalents temps plein. Paris, c’est 58 millions d’items et 180 collaborateurs, Bruxelles c’est 38 millions d’items dont s’occupent 70 personnes… »

Des collections privées ?

 

Enfin, cette enquête nous a conduit à constater que des crânes congolais qui ont fait l’objet d’évocation ou d’exposés devant la SAB ont disparu. Peut-être se trouvent-ils dans les collections évoquées sans avoir été identifiés à ce jour, peut-être ont-ils été détruits mais il est aussi possible qu’ils aient rejoint de collections privées. Il en va ainsi de « trois crânes et d’une tête momifiée provenant de l’Afrique centrale » présentés en 1889 à la SAB par le docteur en sciences naturelles et « explorateur » verviétois, Fernand Demeuse. Un bulletin de la SAB précisant qu’il s’agissait du « crâne d’un jeune guerrier de la tribu anthropophage des Boupotos, peuplade habitant la rive droite du Congo à Oupoto », du « crâne d’une femme de la tribu Yamvou, peuplade habitant la rive droite de la rivière M’fini (bassin du Kassaï). Tête déterrée dans la forêt, à proximité du village de Moukana », du « crâne d’un enfant de 7 ans de la tribu des Batétela (sur le haut Lomani) ; de « la tête momifiée d’un chef Batétela ». Il ressort de l’exposé fait devant la SAB que, de manière indubitable, ces restes humains ont été recueillis en procédant à des profanations de tombes.

Paul Janson, une grande figure de l’histoire politique de la Belgique fut l’un des donateurs de crânes à la société d’anthropologie de Bruxelles… © Wikipédia/doc

Paul Janson, une grande figure de l’histoire politique de la Belgique fut l’un des donateurs de crânes à la société d’anthropologie de Bruxelles… © Wikipédia/doc

Rendant compte de sa séance du 31 janvier 1898, le bulletin de la SAB fait enfin état du don d’autres crânes que nous n’avons pas retrouvés dans le cadre de cette enquête. Mais nous avons été très étonnés de lire le nom du donateur : « M. Paul Janson fait hommage à la société de quatre crânes de Nègres du Congo, dont deux portent des indications précises relativement aux localités dont ils proviennent. Remerciements ». L’avocat Paul Janson (le père de Paul-Emile Janson) est une figure remarquable de l’histoire politique belge. Ce libéral progressiste s’est battu pour le suffrage universel et l’instruction obligatoire en Belgique mais il était aussi membre de la SAB à l’époque où ses membres s’égaraient dans des comparaisons « craniologiques » destinées à mettre en évidence des différences « raciales ». Tout en évitant les anachronismes, ce grand écart devrait nourrir une utile réflexion au sein de la société belge à propos des représentations qu’elle s’est construite, sur plusieurs générations, de l’homme africain.

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