23 Septembre 2019
Un récit publié par l'hebdomadaire Paris Match Belgique et le site Paris Match.be, les 19 et 22 septembre 2019.
Le 11 septembre 2017, en égorgeant Alfred Gadenne (71 ans), le bourgmestre de Mouscron, Nathan Duponcheel (18 ans) croyait venger son père mais il n’a fait que briser deux vies, celle de sa victime et la sienne. Le visage poupon de l’accusé, qui sera bientôt jugé par la cour d’assises du Hainaut, semble dissimuler un personnage résolu et une inquiétante manière d’envisager les relations aux autres.
« Mon père a été chanteur, footballeur, professeur de judo, parachutiste, espion, pasteur d’une Église pentecôtiste américaine et conseiller personnel du général de Gaulle jusqu’en 1958. Un jour, il m’a dit que le Général l’avait trahi. Son meilleur ami était devenu son pire ennemi. Alors mon père m’a annoncé qu’il allait tuer de Gaulle. Et il m’a demandé de l’aider. Je n’avais pas le choix. C’était un ordre. J’étais fier. Mais j’avais peur aussi… À 13 ans, c’est drôlement lourd, un pistolet. »
D’évidence, le crime qui va bientôt être jugé par la cour d’assises du Hainaut renvoie à ces mots écrits par l’écrivain Sorj Chalandon dans son roman La Promesse du père. Où il est question de ces croyances familiales qui façonnent les enfants quand ils ne sont encore que pâte à modeler, dociles et naïfs pantins parfois désarticulés par des marionnettistes tantôt maladroits, tantôt malveillants.
Plutôt que de promesse, c’est du désespoir d’un père dont il est question dans cette affaire. D’un ressenti affiché, d’une douleur dramatiquement exposée par l’acte le plus définitif que puisse poser un homme. Le suicide, une violence contre soi qui détruit autour de soi. Le suicide d’Olivier Duponcheel, celui d’un père de trois enfants, un soir de février 2015, laissant une famille avec des questions mais aussi – surtout − avec une réponse toute faite qui deviendra le refrain d’une triste et répétitive mélopée : « Papa n’avait pas de torts, c’est à cause du bourgmestre qu’il est mort. »
C’est avec ce récit fondateur que Nathan Duponcheel, l’un des fils d’Olivier, celui du milieu, se forgea une vision de son père, autant dire une vision du monde. Il y avait eu un suicide, il fallait un coupable. Le blanc, le noir. Trop peu mature pour percevoir les zones grises que traversent toutes les vies, Nathan ne retint qu’une seule version de cette mort insupportable, celle rabâchée par des proches : papa, pompier volontaire à Mouscron et qui travailla au sein du service population de la ville, avait mis fin à ses jours à la suite d’une injustice ; à cause de quelques personnes de la commune qui avaient cherché à lui faire perdre son emploi, contribuant à le détruire psychologiquement.
Finalement, peu importaient les faits, c’est le récit familial qui dominait toute autre considération. Symboliquement, le grand responsable de cette catastrophe était tout désigné. Dans l’esprit de Nathan égaré par le départ violent de son père, dans les fantasmes de ce fils meurtri qui aurait eu besoin d’un important soutien psychologique, Alfred Gadenne ne pouvait que venir en tête sur la liste des coupables.
L’enquête judiciaire menée après cette tragédie a cependant démontré que le bourgmestre de Mouscron ne pouvait être tenu personnellement responsable des ennuis professionnels que rencontra Olivier Duponcheel au sein de la commune de Mouscron. Mais qui l’a dit à Nathan dans sa famille ? Qui l’encouragea peut-être à penser l’inverse ? Quoi qu’il en ce soit, ce soir-là, le 11 septembre 2017, empli d’une colère froide, Nathan se croyait le porteur d’une vérité simple, toute faite, et il n’avait cure d’éplucher le dossier administratif de son père.
Il se posta à l’entrée du cimetière de Luingne et attendit. Il savait qu’Alfred Gadenne se rendait tous les jours en cet endroit pour y fermer les portes. N’y avait-il pas lieu de « vengeance » plus emblématique ? Olivier, son père qui s’était pendu deux ans plus tôt, ce père dont il avait découvert le corps sans vie en montant dans sa chambre, se trouvait aussi dans ce cimetière. Six pieds sous terre, muet pour le commun, mais pas pour son fils-vengeur, qui croyait entendre ses encouragements.
Conforme à ses habitudes, Alfred Gadenne apparut bientôt à son rendez-vous quotidien avec les disparus de la commune. Il était un peu plus de 19 heures, la victime marchait lentement, tenant un parapluie ouvert. Celui qui le guettait, celui qui allait bientôt l’assassiner, sortit l’une des quatre lames de cutter qui se trouvaient dans son sac à dos et la plaça dans une poche de son pantalon.
Nathan se rendit vers l’entrée se situant vers le haut du cimetière au moment où le bourgmestre s’apprêtait à en fermer l’accès. « Monsieur, il y a un problème avec une tombe », lui lança-t-il. Alfred et Nathan se mirent à converser. Le premier ne se doutant pas un seul instant du danger qu’il courait.
« – Comment tu t’appelles ?
– Nathan Duponcheel.
– Tu es donc le fils d’Olivier Duponcheel ?
– Oui.
– Je ne t’avais pas reconnu, tu as bien grandi. »
Un dialogue banal. Mais durant l’instruction, Nathan alléguera qu’il crut y percevoir un ricanement, de la moquerie. Qu’il vit rouge, que cela déclencha l’acte irréparable. D’ailleurs, dira aussi l’accusé, son intention première n’était pas de tuer mais d’effrayer Alfred Gadenne, pour ensuite le forcer à se rendre à la police où il aurait reconnu sa responsabilité dans le suicide d’Olivier Duponcheel. Voici pourquoi, selon Nathan, il s’était rendu sur le lieu du crime en emportant plusieurs cutters dans son sac à dos… Juste pour faire peur.
La scène de crime. C’est à proximité de la tombe son père, de couleur ocre, que Nathan Duponcheel a tué Alfred Gadenne. Sur cette photo prise au cimetière de Luingne, on aperçoit, dans le fond, une tombe recouverte de fleurs. C’est celle du défunt bourgmestre de Mouscron. © Ronald Dersin
Sans nul doute, cette version de l’accusé fera l’objet d’échanges d’arguments devant les jurés, car la thèse selon laquelle il ne s’agissait que de conduire le bourgmestre chez les policiers a été mise à mal par l’instruction. Le commissariat se trouve à 20 minutes à pied du cimetière.
Comment Nathan aurait-il parcouru cette distance tout en tenant le bourgmestre sous la menace de son cutter ? Confronté à cette question par les enquêteurs, le jeune homme reconnut qu’il n’avait pas songé à cela. De plus, s’il ne s’agissait pas de tuer mais seulement de rétablir l’honneur de son père, pourquoi les difficultés professionnelles de celui-ci et le rôle supposé du bourgmestre dans cette tragédie ne furent-ils pas du tout abordés lors de la très brève discussion que Nathan eut avec la victime ?
Car tout se passa très vite. Le « vengeur » ne laissa aucune chance au bourgmestre de plaider sa cause. Alors que ce dernier avait le regard porté vers la tombe d’Olivier Duponcheel, tournant le dos à Nathan, le garçon, déterminé, sortit le cutter qui se trouvait dans sa poche. Alfred eut encore le temps de demander « Où se trouve le problème avec cette tombe ? » avant qu’il ne ressente la douleur du premier coup de cutter. Il s’écroula, sa tête heurta le sol, mais il resta conscient. Alors que son agresseur se penchait vers lui, Alfred Gadenne, dos au sol, trouva encore la force d’essayer de le maîtriser, lui saisissant les manches à hauteur des coudes, le tirant vers son corps avec toute la force qui lui restait. C’est à ce moment-là, affirme Nathan, que furent donnés d’autres coups de lame. La gorge de la victime fut tranchée d’une oreille à l’autre. Le sang coula abondamment.
Si l’on s’en tient à la version de l’auteur qui est en même temps le seul témoin des faits, il se plaça bientôt sur ses genoux à côté du bourgmestre agonisant ; il jeta son cutter et « prenant conscience » de ce qu’il venait de faire, il tenta de contenir l’hémorragie en plaçant ses mains sur la gorge d’Alfred Gadenne. En vain, évidemment. Nathan se déporta ensuite à quelques dizaines de mètres de la scène de crime, vers le bas du cimetière, dans le but de récupérer son sac à dos qui contenait une bouteille d’eau. Il se lava les mains, rougies par le sang. Ensuite, il appela la police pour se dénoncer, mais aussi plusieurs proches pour leur annoncer le crime qu’il venait de commettre.
Le coup de téléphone au service 101 du Hainaut fut enregistré à 19 h 59. Immédiatement, une équipe de la police de Mouscron se rendit sur les lieux. Et ce qu’ils constatèrent ne colle pas avec la version de l’accusé selon laquelle il aurait jeté la lame en constatant la gravité de son acte, dégoûté par le geste qu’il venait de poser. En réalité, au moment où la patrouille arriva, Nathan était affairé au téléphone et tenait dans une main le cutter recouvert d’un tissu blanc maculé de sang.
Sa version des faits est aussi mise en doute par le rapport du médecin légiste, lequel témoigne de circonstances bien plus violentes que celles décrites par l’accusé : « Monsieur Duponcheel n’explique que deux plaies dans la région du cou. Lors de l’autopsie, on a relevé dans la région de la face et du cou, onze plaies faites par un objet piquant tranchant. On a constaté également une plaie à hauteur de la main gauche rentrant dans le cadre d’une plaie de défense et différentes ecchymoses et hématomes dont on n’a pas d’explications. (…) La zone ecchymotique à la face antérieure de l’épaule gauche peut éventuellement être le fait que monsieur Gadenne ait été maintenu à ce niveau lors de la prise par l’arrière. »
Le bras sanguinolent de Nathan, le parapluie et une chaussure de la victime, à quelques mètres de la scène de crime, témoignent aussi d’un affrontement violent. Tandis que les propos tenus par l’auteur immédiatement après son arrestation sur le cimetière confortent l’hypothèse de la préméditation.
Aux premiers policiers dépêchés sur les lieux, il ne déclara pas : « Je ne voulais pas le tuer », mais plutôt « Cela ne sert à rien d’aller le voir, il est déjà mort. Quand vous verrez son cadavre, vous comprendrez pourquoi j’ai vengé mon père ». Qui plus est, avec une froideur glaçante, il ajouta : « Arrêtez de me toucher, vous allez abîmer mes vêtements. Un peu de respect pour mes habits, s’il vous plaît. »
L’hypothèse de la préméditation est renforcée par l’examen de l’ordinateur portable de Nathan, lequel enregistra des recherches très ciblées dans les jours qui précédèrent la tragédie. Des thèmes comme la « vie carcérale », les « peines encourues en cas d’homicide volontaire » et… « Alfred Gadenne ».
Il y a aussi ce SMS que Nathan envoya à une connaissance le 18 avril 2017, son destinataire sachant la haine qu’il portait à l’endroit du bourgmestre : « J’ai été devant la maison du type et si j’avais pas la peur de faire du mal à certaines personnes, je serais derrière les barreaux et un type serait mort mais il aurait fallu des analyses ADN pour savoir c’était qui tellement je l’aurais déchiré. » Ou cet autre message envoyé à son frère, le jour des faits, aux alentours de 13 heures. Il explique que, contrairement à ce qui avait été prévu, ce n’était plus nécessaire d’aller le conduire à un cours d’auto-école en fin d’après-midi.
Des événements bien postérieurs au 11 septembre 2017 ont contribué à ternir un peu plus l’image de ce jeune homme dont le visage encore poupon – au moment du crime dans le cimetière, en tous les cas – semble dissimuler un personnage résolu et une inquiétante manière d’envisager les relations aux autres. Passionné de jeux vidéo – a-t-il été inspiré par ce monde virtuel où, dans tellement de jeux violents et manichéens, les conflits se règlent dans le sang avec des armes diverses ? –, ce garçon s’est cru « amoureux » d’une amie d’école qui ne lui rendait pas les mêmes sentiments.
Ayant quitté la prison dès le 26 février 2018, mais restant en détention préventive à son domicile dans le cadre d’une surveillance électronique, Nathan apprit que l’élue de son cœur était désormais la petite amie de l’un de ses bons copains. Le 7 mars 2018, il cassa son bracelet électronique, enfourcha un vélo et prit la direction de la maison de la jeune fille, non sans s’être armé préalablement d’un couteau à steak. Il fut rattrapé in extremis par l’un de ses frères avant de passer à l’acte. Lequel ? Après avoir menti sur le fait qu’il était armé, le jeune homme fera des aveux qui, malheureusement pour sa défense, renvoient un peu trop vers le scénario de la première affaire : il ne voulait pas blesser ou tuer la jeune fille avec l’arme blanche dont il s’était muni. Il souhaitait seulement se suicider devant elle. En conséquence de quoi, Nathan Duponcheel fut renvoyé vers la case prison. Les jurés de la cour d’assises du Hainaut décideront bientôt s’il y restera et pour combien de temps.
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