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François De Smet, président de DéFi : " Le libéralisme est incompatible avec le nationalisme "

Un article publié par l'hebdomadaire Paris Match Belgique et par le site Paris Match.be, le 28 décembre 2019.

Ce docteur en philosophie semble déjà avoir eu huit vies. Il fut conseiller dans un cabinet ministériel, directeur de Myria, le centre fédéral migration, ou encore chroniqueur et enseignant dans différentes hautes écoles. Essayiste prolifique, il prend plaisir à refaire le monde dans des traités philosophiques. Elu député en mai sous la bannière de DéFI, il entame aujourd’hui une carrière de président du parti. François De Smet affiche ses convictions fédéralistes alors que la Belgique traverse une inquiétante zone de turbulences. Il voudrait que son parti contribue à « sauver l’Etat belge, voire à le renforcer »

Il y a bien longtemps, Jean-Luc Dehaene nous avait ouvert la porte de son appartement, sur la Côte belge, dans un bien drôle d’accoutrement pour un Premier ministre en exercice. Il ne se changea pas durant l’interview et même pas encore pour une séance photo dont le résultat improbable marqua les esprits : le « démineur », c’était son surnom, était en chaussettes, vêtu d’un training aux couleurs du FC Bruges. Cette image nous revient lorsque François De Smet, le philosophe – ce n’est pas un surnom –, nous fait rentrer dans la maison de rangée qu’il habite avec sa compagne, quelque part à l’est de la capitale, dans un quartier populaire. Vingt ans après, revoici un responsable politique en chaussettes. Jean-Luc, sors de ce corps ! On commence donc par parler de Dehaene, pendant qu’il enfile des baskets qu’il porte sur un jeans. Malgré le veston de bonne coupe, le style vestimentaire est un peu éloigné de celui relativement « vieille France » d’Olivier Maingain, qui le précéda, vingt-cinq ans durant, à la tête du FDF devenu DéFI. Mais pour le reste, on se rend vite compte que François a quelque chose d’Olivier. D’un président à l’autre, le dépaysement est minime. On retrouve cette courtoise, cette aspiration à jouer « l’honnête homme » et un certain goût du verbe doublé d’une belle éloquence. Soit des qualités assez rares dans le monde politique belge contemporain où les petites phrases, voire la vulgarité, l’emportent parfois sur les grandes envolées.

Photo : Ronald Dersin.

Photo : Ronald Dersin.

La photo improbable de l’ancien Premier ministre remonte aux années 90. En ce temps-là, François De Smet devait être encore un peu boutonneux, mais il se souvient de cette histoire de chaussettes. Comment se fait-ce ? « Très jeune, je m’intéressais déjà à la politique et je lisais les journaux. A vrai dire j’ai le sentiment d’avoir toujours eu une fascination pour la chose publique », raconte-t-il. Poussant plus loin l’introspection, il se remémore son premier souvenir politique marquant : « Dans les années 1990, j’ai été impressionné par les séances électriques de la commission d’enquête parlementaire Dutroux ; par ces députés qui, sous l’habit de procureurs improvisés, grisés par une extraordinaire médiatisation, traquaient les dysfonctionnements de la justice. Il y eut le meilleur comme le pire. »

« Pourquoi pas une exposition universelle en 2030 ? »

Ses premiers pas en politique, il les fit en coulisses. Au tout début de ce siècle, le jeune philosophe fraîchement diplômé de l’Université libre de Bruxelles fut recruté par Hervé Hasquin (MR), le ministre-président de la Communauté française ayant décelé en lui des qualités pour le conseiller sur les questions liées à l’égalité des chances et à la citoyenneté. De celui qui le cueillit alors qu’il n’était qu’un fruit encore vert, il dit aujourd’hui que « c’est une référence précieuse ». Comme pour parler de lui-même, il ajoute : « Hasquin avait un profil atypique, celui d’un intellectuel engagé plutôt que celui d’un professionnel de la politique. Pour autant, il sut se faire respecter avec de la force et du caractère. » Dans le droit fil de cette idée, François De Smet estime que cette expérience de cabinet le prépara déjà à sa nouvelle carrière : « Je ne suis pas le perdreau de l’année. Je connais le sérail. Il n’est pas nécessaire de m’en expliquer les codes. J’en mesure les grandeurs et les faiblesses, les mesquineries mais aussi les opportunités qu’il y a de réaliser de belles choses. »

Quoi, par exemple ? Dans cette Belgique qui semble se déliter sous les coups de boutoirs des nationalistes flamands, il rêve d’un grand projet fédérateur : « Pourquoi pas une expo universelle en 2030 ? Aujourd’hui, on serait bien en peine de mener un tel projet à cause de nos divisions. Certains passent leur temps à réclamer la scission de la sécurité sociale ou à pondre un code de la route régional. Quelle absurdité ! On doit changer de cap, les nationalistes nous emmènent tout droit dans le décor, alors qu’on a la faculté de construire de belles choses tous ensemble dans ce pays. » Pour l’heure, il y a cependant encore loin de la coupe aux lèvres. Mais, volontaire et/ou audacieux, il propose une révolution copernicienne : « Il faut en finir avec ces réformes de l’Etat qui consistent à donner des compétences aux Flamands en échange d’argent pour les francophones. Réfléchissons plutôt à l’intérêt des citoyens. Est-ce une bonne idée que six ministres soient compétents en matière de prévention de la santé ? Il n’y a même plus moyen de faire un plan antitabac dans ce pays. Et ces quatre ministres qui racontent des choses contradictoires sur le climat, n’est-ce pas désastreux ? Si on doit encore réformer l’Etat, ce devrait être pour en finir avec ces problèmes de gestion et refédéraliser certaines compétences. Cela nous donnerait les moyens de terminer le RER… ou de construire un stade national, ce qu’on n’est pas fichu de faire actuellement, alors qu’on a la meilleure équipe de football du monde. »

Photo : Ronald Dersin.

Photo : Ronald Dersin.

« Il faut au moins un parti libéral dans ce pays »

Devant une tasse de café qu’il prépare dans une cafetière italienne, le nouveau président de DéFI se laisse aller à quelques considérations personnelles : « Cela paraît bizarre pour quelqu’un qui est député et président de parti, mais je n’ai pas véritablement le goût du pouvoir. Ce qui m’attire, c’est le projet collectif, le fait d’emmener les gens qui m’entourent quelque part. Le pouvoir en tant que tel, c’est une charge. » Paroles de philosophe. Nous l’interrompons : « Qui a dit que dans tout milieu, dès qu’il existe une parcelle de pouvoir, il y a quelque chose qui fait que l’être humain est malheureusement appelé à en abuser ? » Il s’interroge : « Un Grec, peut-être ? » En fait, c’est lui, mais il l’a oublié. Dans sa nouvelle fonction de président de parti, il veillera sans doute à se démentir. Mais le voici déjà reparti vers d’autres considérations : « Le pouvoir, c’est une responsabilité que l’on ressent presque physiquement. A moins d’être cynique, cela pèse. On sent l’attente, les espoirs, on sait qu’on ne pourra pas satisfaire tout le monde. »

En tous cas, il semble avoir l’esprit clair sur ce qu’il veut en faire, de ce pouvoir. Les débats dans lesquels il espère une présence forte de son parti sont souvent des chantiers qu’il a déjà balisés avec son habit de philosophe. La crise de la démocratie représentative, la crise climatique, l’égalité des chances et l’émancipation sociale, la crise de la migration, le vivre-ensemble, la religion et la laïcité… Avec une formule que lui envierait un vieux briscard, Il vante le libéralisme social de DéFI : « Il faut au moins un parti libéral dans ce pays. » En France, cet homme qui pense que « c’est la liberté qui mène à l’égalité et pas l’inverse » se retrouverait plutôt dans les rangs de La République en marche. Sauf qu’il trouve Macron trop « déconnecté » : « Il ne baigne que dans un seul milieu. La vision de terrain lui échappe. Il aurait dû passer un peu plus temps à vivre avec un salaire de 1 300 euros et à manger des pâtes. Un macronisme sans arrogance pourrait me convenir. » Au ruissellement, il préfère la redistribution.

Pour autant, ce n’est pas le genre à porter un t-shirt du Che : « Le PTB est une boîte de com’ d’extrême-gauche efficace qui montre à quel point les messages simplistes et populistes sont les plus adaptés aux réseaux sociaux. Il faut certainement faire une distinction entre la vitrine et l’arrière-cuisine de ce parti. Il compte des gens sympathiques avec lesquels on peut échanger en commission, mais il ne saurait être question de gouverner avec eux. » En somme, c’est ni Marx, ni Adam Smith : « Le libéralisme n’est pas compatible avec les dérives du capitalisme financier. Ce n’est pas “no limit”, comme certains le pensent au MR. Le marché n’est pas autosuffisant, l’Etat doit jouer son rôle de régulateur, il doit soutenir l’économie tout en protégeant les citoyens, et plus encore les plus faibles. »

Quant au nationalisme flamand, pas de surprise : « Le libéralisme est incompatible avec le nationalisme. Contrairement à d’autres, nous avons toujours maintenu notre refus d’alliance avec la N-VA. » A-t-il un conseil de lecture philosophique pour aider le bourgmestre d’Anvers à une plus grande ouverture aux autres ? Du tac au tac, il dit : « Hannah Arendt, « Les Origines du totalitarisme ». Cet ouvrage montre les dangers qui se présentent dans une société lorsqu’on laisse trop de place à des valeurs comme l’identité nationale, voire à l’identité tout court. Bart De Wever est un démocrate, mais il est en train de se laisser déborder, il ne contrôle plus la base identitaire de son parti. »

En ce qui concerne Jésus et tous les autres prophètes de toutes les religions qui se concurrencent pour sauver les âmes, cet athée se montre ouvert. Il plaide pour une « laïcité ouverte qui ne nie pas l’existence des religions, et même leur besoin. » Il ajoute : « Si tout jeune de 18 ans avait un bagage minimum de la religion de l’autre, cela aiderait grandement à la coexistence. Pourquoi pas un seul cours de deux heures de citoyenneté et de religion où l’on mélangerait tout le monde ? » Légèrement iconoclaste tout de même, il publiera bientôt au PUF un ouvrage sur le « pastafarisme », la religion du « monstre en spaghetti » inventée aux Etats-Unis pour contrer le retour du créationnisme.

« Je ne vois pas disparaître ce pays dans les dix prochaines années »

En ce moment, bien sûr, son univers mental est plus occupé par cette Belgique fiévreuse mais résistante qui est peut-être en train de mourir. Ou peut-être pas. Qui sait comment tout cela finira ? Il se veut optimiste. En poursuivant la mutation de DéFI, sa « transition du combat francophone vers un combat fédéraliste », ce président-philosophe veut contribuer à « sauver l’Etat belge et même essayer de le renforcer ».Méthode Coué ou pas, François De Smet dit entrevoir un avenir institutionnel radieux alors que beaucoup de Belges se demandent si leur pays aura l’occasion de fêter ses 200 ans en 2030 : « Je ne vois pas ce pays disparaître dans les dix prochaines années. On peut toujours avoir des surprises, mais je suis confiant.»

Ne faudrait-il pas demander leur avis aux intéressés ? En 2005 déjà, alors que ce pays était dans sa énième crise communautaire, Olivier Maingain confiait qu’il pensait au référendum. Son presque inamovible prédécesseur disait : « Il faut consulter la population sur la volonté de vivre ensemble, sur les objectifs et valeurs communes qu’elle veut partager. Je suis convaincu qu’il n’y a pas une majorité en Flandre pour en finir avec la Belgique. » Le nouveau président de DéFi n’envisagerait l’hypothèse que « si on était dans une situation inextricable ». Ajoutant tout de suite : « Mais ce n’est pas le cas. »

Quoi qu’il en soit, il avertit : « Si, un jour, on devait en arriver à ce type de consultation populaire, le référendum ne serait pas l’affaire que de deux régions. Les habitants des communes à facilités, mais aussi tous les Bruxellois, devraient avoir la possibilité de s’exprimer sur leur avenir. » Mais, il le martèle, ce n’est pas à l’ordre du jour : « La N-VA elle-même ne veut pas d’un tel référendum. Les sondages ont montré que les Flamands ne sont pas intéressés par le séparatisme. Leur histoire d’amour avec la Belgique tient peut-être plus de la raison que de la passion, mais ils ne veulent pas en finir avec ce pays. Or, la question du référendum se pose quand une partie représentative de l’opinion publique ne sent plus à l’aise dans un pays, quand il y a aussi un véritable mouvement social et culturel qui exprime un souhait manifeste et majoritaire. La Flandre, ce n’est pas l’Ecosse ou la Catalogne. ! »

Cet article a été d'abord publié par l'hebdomadaire Paris Match Belgique et sur le site de Paris Match.be, suivre le lien : 

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Michel Bouffioux


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