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15 Octobre 2020
Un article publié le 15 octobre 2020 par le site Paris Match.be
Selon nos informations, un accord en ce sens a été signé avec l’Université de Lubumbashi. C’est une première avancée dans ce dossier sensible des collections coloniales de restes humains, dont les décideurs politiques belges et congolais tardent à s’emparer.
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Plusieurs centaines de crânes, des squelettes, des ossements divers, des fœtus ont été « collectés » pendant l’époque coloniale en Afrique centrale, principalement au Congo. Ces collections conservées en Belgique appartiennent à un temps où des scientifiques contribuèrent à nourrir l’idéologie raciste. Sans tambour ni trompette, il y a plusieurs mois déjà, des scientifiques ont bénéficié d’un financement de 880.940 euros octroyé par le précédent gouvernement fédéral pour étudier en profondeur l’origine de ces « butins » douteux et donner des pistes de solution sur ce qu’il conviendrait d’en faire. Il s’agit du groupe « Home » (Humain remains Origin(s) Multidisciplinary Evaluation) dont le rapport final est attendu pour le 15 mars 2022… Une éternité au regard de l’actualité du débat sur la restitution des biens culturels et des restes humains.
Pour la plupart, ces restes humains sont conservés par l’Institut Royal des Sciences Naturelles de Belgique (IRSNB), mais l’Université libre de Bruxelles (ULB) dispose aussi d’une collection de crânes dont une partie a été constituée durant l’époque coloniale. Nous apprenons que cette institution a d’ores et déjà programmé le retour d’une dizaine crânes au Congo. Un accord en sens a été signé le 28 août dernier entre l’ULB et l’Université de Lubumbashi (UNILU).
C’est aussi dans cette ville du Haut-Katanga que séjourne Thierry Lusinga ; cet homme affirme être un descendant du chef Lusinga dont le crâne se trouve dans la collection du Musée des Sciences naturelles. Selon nos informations, le 29 septembre dernier, il a introduit une nouvelle demande de restitution au Consulat belge de Lubumbashi; sa première requête déposée il y a maintenant deux ans, est restée sans suite. Même pas un accusé de réception…
Ces différents dossiers sensibles sont nés d’une enquête que nous avions publiée en plusieurs volets au printemps 2018. Avant cela, aussi incroyable que cela puisse paraître, ces collections coloniales de restes humains connues de quelques scientifiques n’avaient été l’objet d’aucun questionnement éthique. Elles avaient certes été évoquées dans des publications relativement confidentielles qui évitaient les questions qui fâchent ; de l’entre-soi pratiqué par quelques savants assez peu nombreux pour se réunir dans un placard à balais, loin de la société, de ses tensions et revendications.
En mars 2018, Paris Match Belgique décrivait le parcours meurtrier du militaire belge Emile Storms qui, lors de la conquête coloniale du Congo à la fin du 19ème siècle, collectionnait les têtes des chefs insoumis qui lui résistaient. Il ramena trois crânes en Belgique dont celui du chef Lusinga. En 1886, ces restes humains furent commentés devant la Société d’Anthropologie de Bruxelles (SAB) où l’on pérorait sur la prétendue infériorité de certaines « races ». Ensuite ces 3 crânes ont séjourné au Musée du Congo, l’ancienne appellation du Musée Royal de l’Afrique Centrale (MRAC) où ils firent partie de la collection d’anthropologie anatomique. Notre enquête a établi que cette collection d’un genre douteux, constituée en partie par des « récoltes » de militaires belges au service de l’Etat indépendant du Congo, comptait plusieurs centaines de crânes et de squelettes provenant d’Afrique centrale.
Durant l’été 1964, cette « collection » de Tervuren ainsi que les « dossiers d’acquisition » de ces restes humains furent transférés vers l’IRSNB. En 2018, cette institution fit preuve de transparence en nous ouvrant ses portes et en nous permettant de photographier le crâne de Lusinga. Notre enquête a cependant montré que ce musée était désormais dans l’incapacité de retrouver l’un des trois crânes ramenés par Storms. Aussi, il nous avait été communiqué que les dossiers d’acquisition, des documents donnant des renseignements potentiellement utiles sur l’origine des restes humains « collectés », étaient aussi « introuvables ». Toutefois, nous avons appris que, depuis lors, ces pièces utiles à l’histoire, et qui pourraient l’être aussi dans le cadre de futures restitutions, avaient été retrouvées par la direction du Musée des sciences naturelles.
Nous avions aussi mis au jour d’autres crânes « collectés » dans des conditions douteuses aux premiers temps de la colonie, lesquels sont conservés dans un laboratoire de l’Université Libre de Bruxelles (ULB). A la suite de quoi, cette institution eut le mérite de s’ouvrir au débat ; en février 2019, elle organisa un colloque intitulé « De l’ombre à la lumière – Pour une politique de gestion des collections coloniales de restes humains dans les universités ». Aussi toute une réflexion fut menée sur les traces du passé colonial au sein de l’Université. Son maitre d’œuvre, le vice-recteur Laurent Licata en rappelle les tenants et aboutissants : « Avant que, via votre enquête, le rectorat découvre l’existence de ces crânes, nous nous questionnions déjà sur la présence en nos murs d’un médaillon représentant Léopold II. Cette conjonction d’éléments nous a poussé à approfondir la réflexion. Les professeures Valérie Piette et Amandine Lauro ont organisé un séminaire d’histoire contemporaine sur cette thématique pour impliquer leurs étudiants. Au service des bibliothèques, j’ai commandé une recherche sur les archives ; tous les procès-verbaux du conseil d’administration depuis la fin du 19e siècle jusqu’à nos jours, ainsi que toutes les publications de la revue de l’Université de Bruxelles ont été épluchés afin de mettre en évidence tous les articles se référant au colonialisme. Un guide des archives a ainsi été créé. Ce qui ouvre la voie à de futures recherches. »
C’est dans ce contexte qu’une visite à Bruxelles de Gilbert Kishiba Fitula, le recteur de l’UNILU, a été mise à profit pour élaborer une convention. « L’accord part du constat que la présence de ces restes humains dans notre institution pose une question morale », reprend le professeur Licata. « Les débats actuels qui ont lieu actuellement dans nos sociétés sur les restitutions des biens culturels et des restes humains doivent être pris en compte. A l’initiative de l’ULB, car il n’y a eu aucune demande en ce sens venant du Congo, nous cédons tous les droits relatifs à la conservation de 10 crânes. In fine, il y en aura peut-être 14. Cela dépendra des résultats de recherches de provenance qui sont actuellement en cours. Nous avons voulu prendre les devants alors que nous ne disposons toujours pas d’un cadre légal sur la restitution de ces restes humains. »
Pour l’heure, l’accord se limite à une « cession des droits de conservation ». Selon les termes de la convention signée par les deux universités, le rapatriement physique des crânes ne pourra être effectif que dans 5 ans. Cela nous semble long mais les partenaires estiment que c’est le temps nécessaire pour mener à bien les recherches relatives à l’histoire de cette collection. « Toutefois, pendant cette période transitoire, rien ne pourra être entrepris relativement à ces crânes – études, transfert – sans l’autorisation écrite de l’UNILU. », précise Laurent Licata. Au regard des avantages qu’offre la technologie actuelle – numérisation en 3D, par exemple- est-il vraiment nécessaire que ces ossements demeurent en Belgique pour être étudiés ? « Oui absolument », affirme M. Licata. « On a besoin des caractéristiques précises des crânes, de les remesurer, de les étudier en profondeur pour espérer trouver plus de renseignements sur leurs origines dans les archives. On part de pratiquement rien. Il n’y a pas d’inventaire, parfois une simple inscription à l’encre de chine à même un crâne, une étiquette à peine lisible. »
« Nous nous réjouissons de cette avancée », explique, depuis Lubumbashi, le professeur César Nkuku Khonde. Cet historien souligne que « chacun de ces crânes invite à étudier l’histoire tragique d’une femme ou d’un homme mais plus encore d’une famille, d’une région et finalement de tout un pays et de toute une époque marquée par la violence coloniale. » Pour M. Nkuku Khonde, « cet accord entre l’ULB et l’UNILU est aussi un message adressé aux gouvernants du Congo et de la Belgique pour qu’ils prennent leur responsabilité dans ce dossier délicat des collections coloniales de restes humains. Notre initiative se situe sur le plan scientifique mais cette question doit encore connaître des avancées sur le plan légal et diplomatique. Il est heureux que ces restes humains sortent de l’oubli mais ce n’est pas suffisant. Il n’est pas acceptable que les crânes de nos ancêtres demeurent indéfiniment à des milliers de kilomètres du Congo. »
En octobre 2018, une demande de restitution du crâne de Lusinga avait été introduite par Thierry Lusinga, un habitant de Lubumbashi qui affirme être un descendant du chef qui fut décapité lors du pillage de son village par les mercenaires à la solde d’Emile Storms. A ce jour, cette démarche est restée sans réponse. « Je n’ai même pas reçu un accusé de réception officiel du gouvernement belge. Pas un signe non plus du Musée des sciences naturelles où se trouve le crâne de mon ancêtre », regrette le demandeur. Raison pour laquelle ce dernier a déposé une lettre de rappel, ce 29 septembre, au consulat belge de Lubumbashi. « Nous souhaitons que notre aïeul soit inhumé sur sa terre natale. A ce jour, nous n’avons eu cesse que plaider pour une solution amiable mais, s’il le faut, nous saisirons la justice », prévient Thierry Lusinga qui a regroupé un certain nombre de ses soutiens au sein d’une fondation. On notera que la lettre de rappel élargit la demande initiale qui n’évoquait que la restitution du crâne. Désormais, elle porte aussi sur les « œuvres d’art et attributs de pouvoir » qui furent volés au chef Lusinga lors de son assassinat ; ces objets, on le sait, sont conservés par le Musée royal de l’Afrique centrale.
Depuis quelques mois, cette institution dépendant du gouvernement fédéral belge admet volontiers qu’elle possède nombre de pièces de collection qui ont été acquises lors de pillages à l’aube de la colonisation du Congo. Ce coming-out post-colonial est même devenu un argument de marketing qui, dans le cas de l’affaire Lusinga, confère au cynisme : tout en conservant le butin de Storms constitué notamment d’objets pillé au chef Lusinga, le Musée a commandé, il y a quelques mois, une œuvre d’art à un artiste congolais représentant… le crâne du chef Lusinga. Cette œuvre est bien mise en évidence pour les visiteurs du MRAC, tandis que les étiquettes qui présentent les objets volés au chef Tabwa ne sont plus aussi muettes qu’elles ont pu l’être dans un passé récent. Une sorte de réparation à minima, à peu de frais, éludant la question délicate de la restitution.
Au niveau politique, il y a deux ans déjà que plusieurs présidents de partis avaient affirmé la nécessité de réfléchir aux conditions d’une restitution du crâne de Lusinga et, d’une manière plus générale de tous les crânes récoltés dans des circonstances douteuses durant la colonisation du Congo. On se souvient de cette déclaration d’une secrétaire d’Etat à la Politique scientifique : « Nous ne sommes pas responsables de ce qui s’est passé il y a plus de cent ans, mais nous le sommes de ce que nous faisons de ces restes humains aujourd’hui. Clairement, ces crânes ne sont pas des objets de musée. Ce sont des restes de personnes humaines identifiées. Nous leur devons le respect. Dès lors, si une famille congolaise apparentée devait les réclamer, je serais favorable à une évolution du cadre légal afin de permettre leur restitution ».
Toutefois, quelques semaines plus tard, cette même secrétaire d’Etat avait « encommissionné » ses déclarations de manière à être dispensée d’y donner suite. Elle annonçait alors « la mise en place d’un groupe de travail administratif » composé de collaborateurs de son administration et de « différents établissements scientifiques fédéraux concernés par la problématique de restes humains ». Le job de ces personnes était de « formuler des propositions », notamment une « proposition d’adaptation du cadre juridique » s’il apparaissait « souhaitable » de « rapatrier des restes humains ». De cette usine à gaz, il ne sortit rien.
On rappellera encore qu’en octobre 2018 Thierry Lusinga s’était déclaré prêt à se soumettre à un test ADN puisque c’était l’une des exigences qui avait été formulée par les autorités belges avant qu’il n’y ait eu de demande concrète de restitution. Las, une fois sa requête introduite, le prétendant fut contraint de constater que les règles du jeu avaient changé. Après avoir prétendu sur base d’arguments scientifiques contestables que le test ADN ne pourrait donner une certitude suffisante en ce qui concerne le lien de parenté entre le crâne et le demandeur, il a été argué qu’il faudrait trouver une « réponse globale », plutôt qu’une « réponse au cas par cas » à des demandes de restitution individuelles.
L’expression d’une demande de restitution du crâne de Lusinga, mais l’expression seulement car à notre connaissance elle n’a jamais été envoyée officiellement aux autorités belges, a été formulée en mars 2019 par un groupe se dénommant « Murumbi » et disant œuvrer au nom de la communauté Tabwa. Ce groupe rassemble quelques académiques de l’UNILU et il dit inclure « des membres de la grande famille du chef Lusinga » et être « en contact avec l’actuel chef Lusinga. »
A cet égard, on rappellera que la piste d’une demande « communautaire » crédible et sérieusement charpentée pourrait être difficilement contournable. En septembre 2007, l’ONU a adopté la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA). Bien que non contraignant, ce texte affirme que « les peuples autochtones ont le droit de pratiquer et de revitaliser leurs conditions et coutumes culturelles, le droit à l’utilisation et au contrôle de leurs objets cérémoniels et le droit au rapatriement de leurs restes humains. »
Comme l’expliquait naguère la juriste américaine Lynda Knowles, la secrétaire d’ICOM Nathist, autrement dit le Comité International des Musées de sciences naturelles, « le profond lien spirituel que la plupart des communautés autochtones entretiennent avec leurs morts, y compris leur vénération pour les ancêtres et la nécessité culturelle de les ramener chez eux, est bien documenté par les anthropologues. (…) Le rapatriement des restes humains vers les communautés autochtones est donc un problème juridique croissant que les musées d’histoire naturelle ne peuvent ignorer. »
Le code éthique de l’ICOM relatif aux collections de restes humains présentes dans les musées des sciences naturelles indique enfin en son point 1-B que « l’origine des collections et les souhaits des descendants ou d’autres groupes qui sont concernés doivent être pris en compte en toutes circonstances. » Le point 1-G de ce code est encore plus explicite : « Le rapatriement est approprié lorsque des items confèrent encore une signification spirituelle et/ou culturelle, ou lorsqu’il peut être démontré de manière irréfutable qu’ils ont été volés. »
Cependant, au printemps 2019, lorsque nous avions contacté à ce sujet le cabinet de Sophie Wilmes (MR) – elle était alors Secrétaire d’Etat à la Politique scientifique- il nous avait été indiqué que le scénario privilégié par le précédent gouvernement belge était celui d’une future restitution de ces collections coloniales de restes humains dans le cadre d’un dialogue interétatique. Ce qui peut être un habile procédé dilatoire dans la mesure où le gouvernement congolais, publiquement en tous les cas, reste muet à propos de la restitution des restes humains présents en Belgique : aucune déclaration, aucune requête officielle. Dans quelque temps, nous sonderons les intentions de Thomas Dermine (PS), le frais émoulu secrétaire d’Etat à la politique scientifique que s’est choisi la majorité « Vivaldi ». On verra alors si l’air chanté par le gouvernement belge est toujours le même.
Un groupe de travail dénommé « Home »
En décembre 2019, le gouvernement fédéral Wilmes 1 a décidé de financer un groupe de travail baptisé « HOME » « Nous avons accordé un financement à ce groupe de travail scientifique parce que nous accordons toute notre attention à ce dossier », nous assurait, durant cet été, l’ex-vice premier ministre David Clarinval (MR) qui était alors chargé de la Politique scientifique. Ce décideur politique ajoutait alors que « le projet HOME doit conclure son analyse par la publication d’un rapport final pour le 15 mars 2022. Un premier rapport d’activité est, cependant, prévu quelque temps auparavant. La thématique du crâne de Lusinga s’inscrit dans ce processus de réflexion. En effet, une réponse globale doit être apportée et non pas une gestion au cas par cas. Nous veillerons donc à analyser avec attention le rapport et les recommandations qui en découleront »
On notera que la majorité des participants au groupe de travail « Home » appartiennent à des institutions qui possèdent ou ont possédé des collections de restes humains. Il s’agit notamment de Patrick Semal (IRSNB) en tant que coordinateur, de Maarten Couttenier (MRAC), Pierre-Olivier de Broux (USL-B), Luc Delvaux (MRAH-KMKG), Stijn Desmyter (INCC) et de Stéphane Louryan (ULB). La note d’intention partagée par les membres de ce groupe de travail témoigne du fait qu’ils n’ont pas d’avis tranché et unanime, à ce stade, sur ce qu’il convient de faire de ces collections. On lit dans ce document qu’ils se fixent pour but d’« évaluer l’importance des collections de restes humains » ; qu’il est aussi prévu que « les partenaires analyseront les questions juridiques relatives aux restes humains, sous deux angles principaux et complémentaires : les questions juridiques actuelles et le contexte juridique historique. Alors que la première partie étudiera des questions spécifiques en droit belge (qualification, régime juridique et restitution, ainsi que dissimulation et identification des restes humains), la seconde partie examinera le contexte juridique historique des acquisitions de ces restes humains, principalement dans les anciens territoires belges d’outre-mer. »
En ce premier quart du 21ème siècle, la Belgique entame donc un questionnement éthique sur la conservation de telles collections. Cette avancée « civilisatrice », pour reprendre avec un peu d’ironie le discours de propagande d’une certaine époque, se matérialisera par l’envoi d’une requête du groupe « Home » au comité consultatif belge de bioéthique « qui pourra donner des conseils sur la manière dont le statut des restes doit être perçu en Belgique. » L’ambition de « Home » est aussi, dixit « de favoriser le dialogue » et la « co-création ». A savoir ? Les participants au projet « Home » précisent que « la « vie sociale » des restes humains a été profondément modifiée par la colonisation et l’impact de la science européenne, qui a transformé des corps ou des parties de corps de personnes décédées et des souvenirs locaux en spécimens scientifiques détachés sans valeur émotionnelle. On peut toutefois s’interroger sur le statut définitif ou permanent de ces « objets » scientifiques. Doivent-ils rester dans les instituts européens, pour permettre des analyses scientifiques plus poussées avec des techniques de recherche toujours plus perfectionnées, ou peuvent-ils retourner dans les communautés d’origine en tant que restes de membres de la famille décédés ? ».
Ces considérations démontrent que tous les membres du groupe ne sont nécessairement favorables à la restitution de ces collections. Leur note d’intention contient des arguments déjà connus, voire ressassés, alors qu’en l’espèce c’est une décision politique hautement symbolique qui est attendue dans ce dossier. Ainsi ces experts notent que : « le rapatriement des restes humains est une question complexe qui suscite de multiples points de vue contradictoires : non restitution, restitution physique ou virtuelle, incorporation dans des collections de musées/universités à l’étranger, réinhumation, etc. Des arguments scientifiques sont parfois utilisés en faveur de la non-restitution, arguant que le rapatriement peut entraîner la perte de données pour la recherche et les connaissances futures. Même si les restes humains ne sont pas ré-enterrés, ils peuvent disparaître en raison d’une mauvaise conservation ou peuvent même être vendus. Cependant, le rapatriement peut également être très précieux sur le plan culturel et émotionnel. C’est pourquoi ce projet se penchera également sur les limites du savoir moderniste européen. Le retour des restes humains aux membres de la famille, aux instituts ou aux États concernés est cependant complexe et implique d’abord que les origines des restes humains soient connues. Dans de nombreux cas, ces origines sont inconnues, ce qui rend le rapatriement difficile. Différentes parties peuvent être en concurrence pour les mêmes restes. Des lignées différentes au sein des familles peuvent également avoir des opinions différentes sur le rapatriement. Cependant, comme le rapatriement de Sarah Baartman et d’autres le prouve, le retour des restes humains peut avoir une grande valeur culturelle et émotionnelle pour les communautés locales. »
On le voit, les scientifiques du projet « Home » ne ferment pas la porte à aucun scénario. On a cependant l’impression, à les lire, de vivre une réplique du rapport Van Bilsen qui, dans les années ’50, annonçait un plan de 30 ans pour arriver une pseudo-indépendance du Congo. Au bout de ses recherches, le groupe « Home » devrait émettre des « recommandations » à destination des « organismes publics concernés ». En outre, il devrait avoir produit « des études de cas examinant la meilleure façon de gérer les différentes catégories de collections afin de parvenir à la contextualisation historique nécessaire avec toutes les perspectives éthiques. » Les participants au groupe de travail formulent enfin l’espoir que « tous ces résultats aideront le législateur et les autorités politiques à lancer les processus politiques, sociétaux et diplomatiques liés à la question des restes humains, ce qui pourrait inclure d’éventuelles modifications de la loi actuelle. »
En résumé, la « patate chaude » a été transféré par les décideurs politiques à des scientifiques qui appartiennent pour la plupart aux institutions concernées par la conservation des collections qui posent question. On croit presqu’entendre : « Débrouillez-vous avec vos collections, trouvez-nous une solution ». Avant la médiatisation de l’existence de ces restes humains, ceux-ci n’étaient l’objet que de rares évocation dans des communications scientifiques destinées à un public de scientifiques, tandis que le questionnement sur l’éthique de l’existence de telles collections était insupportablement absent. Il serait regrettable et tellement anachronique qu’au temps « de l’entre soi » succède celui du « coupage de cheveux en quatre » et de la procrastination.
Au bout de deux ans de réflexion, la « patate chaude » sera renvoyée vers le politique – qui aurait sans doute tort de croire qu’elle aura eu le temps de refroidir d’ici là. Ce plan à la « Van Bilsen » implique donc d’attendre la publication du rapport de « Home » pour que « les autorités politiques lancent les processus politiques, sociétaux et diplomatiques liés à la question des restes humains ». Groupe de résolution ou de temporisation ? En tous les cas, si on suit le chemin qui a été ainsi balisé, les collections coloniales de restes humains devraient encore demeurer pendant un certain temps en Belgique. Voire pendant un temps certain.
Toutefois l’histoire a été peuplée de nombreux Van Bilsen qui, bien que se croyant en avance sur leur temps, n’avaient pas vu que, sous leurs yeux pourtant, le monde avait profondément changé. Aussi, il semblerait bizarre que la Commission parlementaire « Vérité et Réconciliation » n’intervienne pas dans ce dossier aux fins d’accélérer un processus qui, à ce stade, semble bien lent.
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