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Coronavirus : A-t-on minimisé des risques prévisibles? Les réponses de Marius Gilbert

Un entretien publié le 2 avril 2020 par l'hebdomadaire Paris Mach Belgique et le site Paris Match.be.

Comme chaque semaine, nous faisons le point sur l’état de la crise sanitaire avec Marius Gilbert, chercheur en épidémiologie à l’Université libre de Bruxelles.

Marius Gilbert formule un espoir mesuré et conditionnel : on pourrait envisager une sortie partielle du confinement dans un mois si la courbe des nouvelles admissions en soins intensifs continue à ralentir, augurant une prochaine diminution du nombre des personnes hospitalisées. « Si la tendance observable dans les données actuelles se confirme, on évitera de justesse la saturation totale du système hospitalier », estime-il. Mais il faut rester très prudent : « Il y a encore des taches aveugles sur la carte de l’épidémie », ajoute l’expert. Par exemple, qu’en est-il des ravages du covid-19 dans les maisons de retraite ? Une autre question reste ouverte qui ne peut être sous-estimée dans la discussion sur un futur déconfinement : quelle est l’ampleur et la durée de l’immunité acquise par les personnes « guéries » ?

De plus, prévient le chercheur en épidémiologie, avant d’envisager tout début de déconfinement, il faudra que le gouvernement belge soit enfin parvenu à remplir deux objectifs : une augmentation considérable de la capacité de diagnostic (tests de dépistage) et la fourniture suffisante d’équipements de protection pour les hôpitaux, mais aussi pour tous les métiers impliquant des contacts avec des personnes (soins à domicile, maisons de retraites, magasins, police, poste etc.). Voire, ce serait encore mieux, que l’on soit en capacité de fournir des masques à toute la population.

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Comme chaque semaine, nous faisons le point sur l’état de la crise sanitaire avec Marius Gilbert, chercheur en épidémiologie à l’Université libre de Bruxelles.

 

Marius Gilbert formule un espoir mesuré et conditionnel : on pourrait envisager une sortie partielle du confinement dans un mois si la courbe des nouvelles admissions en soins intensifs continue à ralentir, augurant une prochaine diminution du nombre des personnes hospitalisées. « Si la tendance observable dans les données actuelles se confirme, on évitera de justesse la saturation totale du système hospitalier », estime-il. Mais il faut rester très prudent : « Il y a encore des taches aveugles sur la carte de l’épidémie », ajoute l’expert. Par exemple, qu’en est-il des ravages du covid-19 dans les maisons de retraite ? Une autre question reste ouverte qui ne peut être sous-estimée dans la discussion sur un futur déconfinement : quelle est l’ampleur et la durée de l’immunité acquise par les personnes « guéries » ?

De plus, prévient le chercheur en épidémiologie, avant d’envisager tout début de déconfinement, il faudra que le gouvernement belge soit enfin parvenu à remplir deux objectifs : une augmentation considérable de la capacité de diagnostic (tests de dépistage) et la fourniture suffisante d’équipements de protection pour les hôpitaux, mais aussi pour tous les métiers impliquant des contacts avec des personnes (soins à domicile, maisons de retraites, magasins, police, poste etc.). Voire, ce serait encore mieux, que l’on soit en capacité de fournir des masques à toute la population. Alors que les décès se multiplient et que la situation devient de plus en plus compliquée dans les hôpitaux et les maisons de retraite, la question est sur toutes les lèvres : collectivement, inconsciemment a-t-on minimisé des risques prévisibles ? Une question qui s’adresse avec plus de force encore à l’endroit des autorités sanitaires. Rétroacte. Le 3 mars dernier ‒ il y a une éternité ‒, le virologue et directeur du Comité scientifique coronavirus Steven Van Gucht et la ministre de la Santé du gouvernement fédéral Maggie De Block répondaient aux questions des députés belges à la commission de la Santé de la Chambre. Se voulant rassurant, le scientifique déclarait : « Nous sommes bien préparés. »

M. Van Gught expliquait que, dans le pire des scénarios envisagés, la propagation du coronavirus en Belgique impliquerait l’hospitalisation de 2 000 à 3 000 personnes, dont 500 à 700 en soins intensifs. Le propos soulignait que ces données étaient « comparables à celles d’une mauvaise grippe saisonnière ». Quatre semaines plus tard, alors que le pic de l’épidémie n’est pas encore atteint, la Belgique dénombre près de 5000 hospitalisations, plus de 1000 personnes en soins intensifs et, surtout, plus de 800 morts (données du 1er avril 2020). De plus, des polémiques sont nées sur la pénurie de masques et l’incapacité des autorités (et/ou leur manque de volonté) de mettre en place un dépistage à grande échelle des personnes infectées.

Ces constats nous ont incité à introduire notre conversation avec Marius Gilbert par une courte lecture. Quelques lignes d’un ouvrage qui fut édité pour la première fois en 1978 mais qui connaîtra certainement une seconde vie. Dans cette somme intitulée « La Peur en Occident » (éd. Fayard), Jean Delumeau, un historien français, analyse les impacts psychosociaux des pandémies du passé. Evoquant les ravages de la peste au XVIe et au XVIIe siècle, il démontre une récurrence : la première réaction des dirigeants et des savants de ces temps lointains lorsqu’ils étaient confrontés à une maladie sans remède qui se répandait comme une traînée de poudre était toujours une forme de déni.

Voici l’extrait : « Quand apparaît le danger de la contagion, on essaie d’abord de ne pas le voir. Les chroniques relatives aux pestes font ressortir la fréquente négligence des autorités à prendre les mesures qu’imposait l’imminence du péril. On voulait ne pas affoler la population. (…) Surtout ne pas interrompre les relations économiques avec l’extérieur. Car la quarantaine pour une ville signifiait difficultés de ravitaillement, effondrement des affaires, chômage, désordres probables dans la rue, etc. (…) Plus profondes que ces raisons avouées ou avouables, existaient certainement des motivations moins conscientes : la peur légitime de la peste conduisait à retarder le plus longtemps possible le moment où on la regarderait en face. Médecins et autorités cherchaient donc à se tromper eux-mêmes. Rassurant les populations, ils se rassuraient à leur tour. »

« Je dois reconnaître que j’ai pu me sentir très mal à l’aise quand j’entendais, il y a quelques semaines encore, des discours par trop rassurants en Belgique »

Marius Gilbert, connaissiez-vous ce texte ? Comparaison n’est pas raison, mais tant les scientifiques que les politiques n’ont-ils pas fait preuve d’une certaine myopie alors que l’épidémie de coronavirus s’annonçait ?

Marius Gilbert. Je ne connaissais pas ce texte de Jean Delumeau, mais je le trouve très intéressant. Il nous rappelle que les corps sociaux réagissent d’une manière qui correspond à la nature profonde de ceux qui les composent. Les hommes, lorsqu’on leur annonce qu’ils sont atteints d’une maladie grave, passent par différentes phases : le déni, des tentatives de rationalisation qui s’écartent un peu de la réalité de la situation, puis l’acceptation de la gravité du problème. Dans un premier temps, dans cette crise sanitaire, en Belgique comme ailleurs, on a pu voir des réactions et des discours qui rentraient dans ce schéma évolutif. Et cela concerne autant le monde politique que le monde scientifique. On peut dire que cette épidémie a été prise au sérieux par les autorités scientifiques et politiques du royaume à partir du 13 mars, c’est-à-dire lors de l’annonce de la fermeture des écoles et de l'Horeca.

Trop tard ?

Je crois qu’on a choisi de passer aux mesures de précaution les plus radicales au bon moment. Ce qui ne veut pas dire que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Il y a quelques années, j’ai beaucoup travaillé sur la grippe aviaire, qui nous était également venue de Chine. Cela m’a permis de me rendre compte de la qualité des données scientifiques produites par mes collègues chinois et, dans le cadre plus spécifique de cette épidémie de coronavirus, cela m’a fait prendre conscience assez vite de l’ampleur des difficultés qui pourraient se présenter. Je dois reconnaître que j’ai pu me sentir très mal à l’aise quand j’entendais, il y a quelques semaines encore, des discours par trop rassurants en Belgique, des choses parfois dites par des personnes représentant une autorité, des propos du genre : « Ce n’est qu’une petite grippe ». Il y a donc eu un problème de communication. Or, dans la gestion d’une épidémie, ce qu’on dit à la population n’est pas du tout anecdotique. Dans le même temps, je le souligne, on a pris rapidement des mesures relativement adaptées et proportionnées. Alors que l’épidémie était encore limitée à la Chine, les médecins généralistes ont reçu des informations sur la manière d’agir avec des personnes revenant de ce pays en étant porteur de symptômes. De plus, dans cette toute première phase, on disposait d’une capacité de diagnostic suffisante. Ensuite, il faut aussi le reconnaître, il y a eu un moment de flottement dans la prise de décision.

« Durant les derniers jours de février, des signaux clairs sont venus d’Iran et d’Italie. Ils nous indiquaient que l’épidémie allait toucher le monde entier (…) Il y a eu un moment de flottement dans la prise de décision »

Quand cela ?

Je situe ce moment de flottement dans une période s’étalant entre les 20-21 février et les premières mesures radicales prises par le gouvernement à la mi-mars. Durant les derniers jours de février, des signaux clairs sont venus d’Iran et d’Italie. Ils nous indiquaient que l’épidémie allait toucher le monde entier. D’abord, le 20, on apprenait qu’il y avait deux morts du Covid-19 en Iran, ce qui signifiait qu’il y avait toute une chaîne de transmission en amont dans ce pays gigantesque. Puis on a commencé à constater les premiers décès en Italie, ce qui montrait qu’il y avait une « community transmission », une transmission active dans ce pays, et que l’épidémie s’installerait aussi en Europe. Jusque-là, j’avais moi-même cru que nous pourrions être épargnés, que la maladie pourrait se limiter à quelques pays asiatiques, mais ces éléments ont changé radicalement mon point de vue. J’ai compris qu’on n’arrêterait plus cette épidémie.

Mais quand vous parlez de « flottement », voulez-vous dire que les mesures mises en place par le gouvernement à partir du 13 mars auraient dû être prises dès la fin février ?

Non, je n’ai pas de critique à formuler sur le timing des mesures de confinement. Ce type de décision a un impact profond sur la vie quotidienne des gens. A mon sens, il y aurait eu un problème d’acceptation sociale si l’on avait été trop vite en la matière : si de telles mesures sont prises trop précocement, les gens ne les adoptent pas parce qu’ils ne les comprennent pas et les trouvent disproportionnées.

Mais peut-être que cette « acceptation sociale » se serait faite jour plus précocement si l’on avait plus rapidement donné aux gens la mesure du danger, plutôt que de banaliser l’épidémie à venir en la présentant comme une simple grippe ?

Quand il n’y avait encore que quelques décès en Italie, fallait-il dire aux Belges : « Demain vous êtes confinés ?» L’auraient-ils accepté ?

De quel « flottement » parlez-vous alors ?

Je pense précisément à deux enjeux : la capacité de faire des tests en nombre suffisant et l’approvisionnement en masques. On aurait dû anticiper ces enjeux-là quand les signaux venus d’Iran et d’Italie nous ont alertés, à la fin du mois de février.

« Si cette évolution se confirme dans les premiers jours d’avril, cela voudra dire que la tendance est bien à la baisse et que le pic de l’épidémie est en vue. »

Dans notre précédent entretien, vous disiez que le « moment de vérité » pour jauger de l’impact des deux trains de mesures mis en œuvre par le gouvernement belge (fermeture des écoles et de l'Horeca, puis confinement, télétravail ou travail avec respect des distanciations sociales) devait intervenir le 26 et le 31 mars. Qu’en est-il ?

Dans les chiffres du 22 au 26 mars, nous avons déjà pu observer l’effet des premières mesures, soit un ralentissement du nombre d’hospitalisations nettes (personnes rentrées moins personnes sorties). Ce nombre doublait tous les deux jours dans la période qui précédait les premières mesures. Après ces dernières, on constate un doublement au bout de quatre jours. Bien sûr, c’est encore beaucoup trop.

Ne faut-il cependant pas s’interroger sur ce nombre d’hospitalisés ? N’y aurait-il pas dans le contexte actuel une tendance à hospitaliser un peu tardivement ? Des malades ne souffrent-ils pas trop longtemps à domicile avant de faire l’objet d’une prise en charge hospitalière ?

Je ne le crois pas. Il y a sans doute des variations dans les appréciations des divers médecins qui sont en première ligne, mais il y a une ligne rouge et je ne pense pas qu’elle soit franchie : tous les patients qui présentent des symptômes de détresse respiratoire sont hospitalisés. Maintenant, on ne peut exclure que des personnes vivant seules se retrouvent dans des situations dramatiques, sans avoir pu contacter des proches ou un médecin, comme cela arrive par exemple lors de périodes de canicule. Toutefois, je ne pense pas que cela fasse nombre.

Donc, la courbe des hospitalisations s’améliore…

Et cela semble encore plus le cas dans la période suivante, entamée le 26 mars, ce qui correspond à l’effet du second train des mesures décidées par le gouvernement. Le 25 mars, on dénombrait 131 cas d’admissions en soins intensifs, le 26, il y avait 85 cas et les jours suivants, ce fut 99, 78 et 60 cas. Le record du 25 mars n’a donc plus été atteint depuis plusieurs jours. Si cette évolution se confirme dans les premiers jours d’avril, cela voudra dire que la tendance est bien à la baisse et que le pic de l’épidémie est en vue.

« La situation dans les maisons de retraite est l’objet d’une grande préoccupation. (…) Des informations inquiétantes arrivent depuis quelques jours »

Ce pronostic positif ne doit-il pas être contrebalancé par le fait qu’on ignore à quel point le virus s’est propagé dans les maisons de retraite en Belgique, ce qui pourrait avoir une grande influence sur les courbes que vous évoquez ?

Oui, la situation dans les maisons de retraite est l’objet d’une grande préoccupation. Les mesures spécifiques qui avaient été prises très tôt pour sécuriser le secteur semblaient, jusqu’il y a peu, avoir été relativement efficaces. Mais des informations inquiétantes arrivent depuis quelques jours sur le nombre d’institutions où l’on doit déplorer des cas avérés d’infections. Il y a eu à l’étranger des mini épidémies au sein de certaines maisons de repos et il est évident que ce risque-là est présent chez nous aussi. Cela pourrait avoir un impact important.

Les Italiens ont pris des mesures de confinement qui ressemblent aux nôtres, mais sans obtenir les mêmes résultats. Comment l’expliquez-vous ?

Ils ont pris toutes les bonnes mesures… Sauf qu’ils les ont prises avec un temps de retard. Si on avait décidé le confinement en Belgique après avoir constaté la saturation des hôpitaux, on se serait retrouvé dans une situation comparable. La différence est là : lors des premières mesures belges, le 13 mars, il n’y avait que 22 personnes en soins intensifs par rapport à une capacité de 1 900 lits. Lors du second train, le 17 mars, on en était à 80 personnes en soins intensifs, soit 4 % de notre capacité. C’est une démonstration du fait que le timing des mesures prises en Belgique était bon.

Mais même en posant les bonnes barrières au meilleur moment supposé, ne navigue-t-on pas à vue dans cette lutte contre le Covid-19 ?

Tout à fait. C’est un nouveau virus. Il faut anticiper l’effet de toute mesure sur une période d’environ deux à trois semaines, ce qui complexifie le choix des stratégies à mettre en place. Si vous décidez le confinement aujourd’hui, vous espérez un impact possible dans les hôpitaux deux ou trois semaines plus tard, avec dans l’intervalle d’autres événements qui peuvent encore intervenir.

« Maintenir les mesures de confinement actuelles jusqu’à ce que l’on récupère de la marge dans les hôpitaux »

Quel est la suite probable de la feuille de route ?

La question centrale est de savoir comment on va sortir du confinement. Celui-ci est intenable à long terme pour des raisons sociales, économiques mais aussi sanitaires. En Italie, on voit déjà que des personnes n’ont plus les moyens de se nourrir. On peut aussi penser aux difficultés grandissantes de ceux qui souffrent de maladies chroniques et ne peuvent voir physiquement leur médecin traitant. Il y a des tas de problèmes indirects qui sont liés au confinement et qui pourraient se transformer en graves questions de santé publique. Un confinement trop long pourrait provoquer plus de morts collatérales que celles directement causées par l’épidémie.

Que faut-il faire ?

Il y a un consensus relativement large sur ce point dans le monde scientifique. Il s’agit de maintenir les mesures actuelles jusqu’à ce que l’on récupère de la marge dans les hôpitaux. Si la courbe actuelle se maintient, on devrait arriver à un pic en termes d’admissions aux soins intensifs en début de semaine prochaine, soit aux alentours du lundi 6 avril. A partir de là, cela devrait continuer à baisser. Il sera crucial qu’à ce moment nous ayons réussi à augmenter notre capacité de diagnostic et à augmenter suffisamment la mise à disposition d’équipements de protection pour le personnel soignant dans les hôpitaux et pour tous les métiers qui impliquent des contacts avec les personnes (soins à domicile, magasins, police, poste…), et l’on pourrait également, si les stocks le permettent, aborder la question du port des masques par l’ensemble de la population. Il ne s’agira donc pas de relâcher immédiatement le confinement, ce qui nous ferait courir le risque d’un rebond de la contagion mais d’abord de veiller à l’état optimum de nos moyens d’action (masques, tests, etc).

Les premières mesures de relâchement ? « Dans un mois au minimum »

Dans le scénario le plus favorable, quand interviendraient les premières mesures de relâchement du confinement ?

A mon sens, dans un mois au minimum. A ce moment la courbe du nombre de personnes testées « positives » au Covid-19 devrait descendre alors même que notre capacité à réaliser des tests continuerait à augmenter. Arrivera ensuite le moment où la capacité de diagnostic sera supérieure au nombre de personnes malades dans la population générale. Et là ce sera le véritable tournant, le moment où on pourrait changer de stratégie. On basculerait dans un système où l’on testerait toute personne malade. Les patients infectés seraient mis en isolement, comme ceux qui partagent leur foyer et ceux qui auront eu des contacts avec eux dans les 24 heures. On passerait d’un système de confinement collectif vers des mesures d’isolement ciblées des malades et de leurs contacts.

On pourrait parler alors d’un « contrôle » de l’épidémie ?

Exactement.

Ce « tournant » se situerait donc une distance d’environ 1 mois ?

C’est une probabilité, une modélisation sur base des données actuellement disponibles mais soyons très clair : personne n’est en mesure d’annoncer des certitudes dans le contexte actuel. Cela dit, deux autres constats inspirent un peu d’optimisme. D’abord, il semble qu’une grande partie de la population a déjà été infectée, sans nécessairement s’en rendre compte. On l’évalue à 5 % ou 10 % des personnes qui vivent sur le territoire belge. Si l’on rapporte le nombre de décès observés au nombre de personnes infectées, on a un taux qui est certes un peu plus haut que celui de la grippe mais, dans le même temps, en Belgique en tous cas, nous sommes très loin des scénarios catastrophiques observés dans certains pays comme l’Italie ou l’Espagne. Si cela se confirme, on aura une indication de plus qu’on a pris les mesures au bon moment pour éviter la saturation du système hospitalier, car c’est cet écroulement qui aurait provoqué une surmortalité importante. L’autre élément positif, c’est qu’on pourra identifier ces personnes qui ont surmonté l’infection, parfois sans le savoir, par des tests sérologiques déterminant la présence d’anticorps dans leur organisme.

L’immunité de ces personnes est-elle vraiment garantie, sera-t-elle permanente ?

Dans le monde, il a été observé que des patients réputés guéris, c’est-à-dire sans charge virale détectable, ont refait une infection quelques semaines après leur « guérison ». Toutefois, ces données sont encore incertaines. S’agit-il de cas isolés ou en trouvera-t-on encore beaucoup d’exemples dans le futur, c’est encore une interrogation. S’agit-il de personnes qui souffraient par ailleurs de pathologies impliquant un déficit de l’immunité ? La question de l’immunité que l’humain développe après une infection au Covid-19 est donc l’objet de recherches. C’est un nouveau virus, on n’a pas encore le recul sur toutes les questions qu’il nous pose. Quoi qu’il en soit, le risque de réinfection est probablement faible à quelques mois. Dans cette période d’immunité acquise par les guéris, les laboratoires du monde entier avanceront en termes de thérapies et de vaccin. Les personnes que l’on considérera comme « immunisées » à la suite d’un test sérologique pourraient donc être en mesure de reprendre une vie normale. La stratégie serait alors de coupler la capacité plus grande de diagnostiquer les personnes malades à des tests sérologiques permettant d’identifier les « guéris », ce qui permettrait donc la sortie du confinement général. Si les tendances actuelles se confirment, nous serons donc l’un des premiers pays non-asiatiques à avoir contrôlé l’épidémie sans politique massive de tests et malgré un manque d’anticipation en termes de masques.

« Si on n’avait pas géré l’épidémie dans le bon timing, on serait dans une situation italienne, avec une surmortalité bien plus importante. »

Il y a tout de même déjà plus de 800 décès liés au Covid-19 en Belgique…

C’est vrai. Mais il faut mettre ce constat en perspective. L’excès de mortalité dû à la grippe saisonnière est de 1 000 à 3 000 personnes tandis que la pollution atmosphérique est responsable d’un excès de décès de près de 8000 personnes par an. Tous les pays du monde ont été confrontés à une mortalité significative liée à cette pandémie. En d’autres termes, il faudra attendre la fin de l’épidémie pour faire un bilan de notre gestion de celle-ci.

Faut-il craindre que les Belges pleurent proportionnellement autant de morts que les Italiens ou les Espagnols ?

Non. Les tendances actuelles renseignent que nous devrions déplorer entre 2 000 et 3 000 décès.

Parce que l’épidémie a été gérée ?

Oui. Si on n’avait pas géré l’épidémie dans le bon timing, on serait dans une situation italienne, avec une surmortalité bien plus importante. Une étude britannique a montré que sans les mesures prises en mars, la Belgique compterait à ce jour 560 morts de plus. C’est une estimation basse : si un système de santé est dépassé, toutes sortes d’autres pathologies ne sont plus traitées correctement, une défaillance en créant d’autres comme on le voit en Italie où il faudra aussi faire le compte de tous les patients qui, pendant l’épidémie, sont morts d’autres maladies et affections non liées au coronavirus. En Belgique, malgré la crise sanitaire, on a réussi à maintenir deux files dans les urgences, celles pour les patients Covid-19 s’étant ajoutée à la file habituelle. C’est une vraie performance.

Encore faut-il espérer que le personnel soignant tienne le coup car le manque de protection a potentiellement causé beaucoup d’infections dans le monde médical ?
C’est en effet un élément capital. On ne nous fournit malheureusement pas de données sur le degré de contamination du personnel soignant, sur le nombre de personnes qui sont en situation d’épuisement. Il s’agit pourtant d’éléments d’information cruciaux pour penser la politique à venir.

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