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Publié par Michel Bouffioux

Une enquête publiée par l'hebdomadaire Paris Match Belgique le 12 mai et diffusée sur le site Paris Match.be, le 16 mai 2022.

Wifi, smartphones, antennes-relais, appareils connectés… Nos organismes sont soumis à un bombardement d’ondes. Néfaste pour la santé ? La communauté scientifique et les décideurs politiques sont divisés. Discours contradictoires, temporisation, alors que 5 % de la population souffrirait déjà, à des degrés divers, de l’exposition aux champs électromagnétiques artificiels. Rencontre avec quelques-uns de ces Belges qui fuient les ondes comme des bêtes piégées dans une forêt en feu.

Depuis quelques semaines, la comédienne Kristien Pottie a déserté son appartement bruxellois pour s’installer à Tintigny, en Lorraine gaumaise. Pour l’heure, faute de mieux, elle vit dans un camping-car. « Ce n’est pas confortable, mais au moins je suis à l’abri. Je ne veux plus retourner à Bruxelles. Trop d’antennes, de wifi, de smartphones… Les ondes sont partout. Je ne les supporte plus. » Voici l’histoire, pas si singulière, d’une femme qui s’est découverte « électrohypersensible » (EHS) alors qu’elle entrait dans la cinquantaine. « Ça m’est tombé dessus sans prévenir », raconte-t-elle. « En mai 2020, crise sanitaire oblige, je travaillais beaucoup en vidéoconférence. Aussi, j’utilisais souvent mon portable en le posant sur mes genoux. Le wifi était toujours allumé. À un moment, j’ai constaté que le fait d’être devant mon écran me rendait anormalement nerveuse. J’étais extrêmement fatiguée, j’avais des maux de tête de plus en plus fréquents. Ils devinrent bientôt permanents. Empiriquement, j’ai constaté que mon mal-être s’apaisait quand je coupais le wifi, quand je m’éloignais de mon PC. Je me suis renseignée. De fil en aiguille, j’ai découvert que d’autres personnes souffraient de symptômes comparables, qu’elles étaient aidées par une Association pour la reconnaissance de l’électrohypersensibilité (AREHS). Je pouvais enfin mettre un mot sur ce qui m’accablait. »

Pour autant, Kristien n’était pas au bout de ses peines. « Le serai-je un jour ? » s’interroge- t-elle. « Dans les mois suivants, j’ai constaté que mes symptômes s’aggravaient, que je souffrais aussi d’une intolérance très handicapante aux ondes émises par les téléphones portables. Si je reste quelques minutes au milieu d’un groupe de personnes pourvues de smartphones, je me sens mal. Des difficultés d’élocution apparaissent, mes battements de cœur s’accélèrent. C’est une vraie catastrophe car, dans la vie de tous les jours, ce genre de situation se présente à l’envi. Le wifi est partout, dans les magasins, les transports publics, les hôpitaux. On ne croise plus quelqu’un qui n’aurait pas un smartphone entre les mains ou dans une poche. En plus, il y a les antennes, la 5G qui commence à être déployée. J’ai bien dû admettre que j’étais devenue incapable de vivre en ville. Bruxelles, ce lieu que j’adore, m’est désormais interdit. Pourtant, depuis des années, j’y résidais dans un appartement que j’avais aménagé à mon image. C’est là aussi que j’avais mes amis, de nombreux contacts professionnels…. Mais je me sentais désormais comme une bête traquée cherchant une issue dans une forêt en feu. Partir. Vite. Lorsqu’une amie m’a dit qu’elle cherchait à revendre son camping-car, j’ai sauté sur l’occasion. Et me voilà aujourd’hui exilée. »

Kristien Pottie a quitté la capitale et vit désormais dans un camping-car en Gaume : « Je ne veux plus retourner à Bruxelles. Trop d’antennes, de wifi, de smartphones… Les ondes sont partout. Je ne les supporte plus » | © Ronald Dersin.

Kristien Pottie a quitté la capitale et vit désormais dans un camping-car en Gaume : « Je ne veux plus retourner à Bruxelles. Trop d’antennes, de wifi, de smartphones… Les ondes sont partout. Je ne les supporte plus » | © Ronald Dersin.

Kristien a posé son mobil-home sur le site de la Veillée. Le choix de ce lieu ne doit rien au hasard : « Ce n’est pas à proprement parler une zone blanche mais ici, les émissions d’ondes sont très basses. Je peux me promener dans les bois sans être envahie par la pollution électromagnétique », dit-elle. Motivation plus essentielle encore, cette EHS rejoint un habitat groupé dont les membres acceptent l’idée de vivre sans wifi – ce qui ne veut pas dire sans connexion internet, les ordinateurs et tablettes sont câblés – et sans utilisation de portables à proximité immédiate des habitations. De plus, « le conseil communal de Tintigny a entériné l’idée de garder cet endroit protégé d’une trop forte exposition aux ondes. Aucune antenne ne sera installée à proximité afin que cette zone reste “friendly” pour les EHS qui désireraient s’y domicilier », complète le bourgmestre Benoît Piedboeuf.

« Chaque déplacement est problématique. On a l’impression d’être une antenne »

 

Vingt ans de carrière professionnelle, un métier passionnant, beaucoup d’envies. Trois enfants, une maison confortable située dans le cœur du Brabant wallon. Véronique avançait dans la vie comme sur une autoroute sans péage. Depuis plus d’un an, la voici à l’arrêt sur un chemin de traverse, perdue, complètement déboussolée. Cette femme de 49 ans préfère rester anonyme : « Cette pathologie n’est pas facile à assumer en termes de relations sociales. Je suis en arrêt maladie depuis deux ans, mais des collègues ne comprennent pas. Ils pensent que je souffre de troubles psychosomatiques, alors que mon médecin m’a bien diagnostiquée EHS. » Pour elle aussi, le télétravail, la multiplication des échanges en distanciel avec des clients ont provoqué un basculement. « Je suis devenue intolérante aux ondes électromagnétiques : smartphones, antennes-relais, wifi. Ça a commencé par des raideurs dans la nuque et dans la mâchoire. Aujourd’hui toute exposition me cause des migraines insupportables doublées d’un sentiment d’épuisement. »

La vie de Véronique est devenue compliquée : « Chaque déplacement est problématique. Les ondes nous entourent. On a l’impression d’être une antenne. Je fais livrer mes courses à domicile ou je me rends dans des petits magasins aux heures de basse fréquentation. Des endroits comme l’Esplanade de Louvain-la-Neuve me sont devenus inaccessibles : trop de monde, donc trop de portables, trop d’antennes. Je ne peux plus aller au théâtre, au cinéma. Même partir en vacances est compliqué. L’année dernière, nous avons rejoint mes parents dans une villa en bord de mer. L’endroit était idyllique mais après trois jours, je me suis enfuie. Je ne savais plus dormir… Il y avait une antenne-relais près de la plage. »

« J’ai pensé aller vivre dans une grotte, mais je ne veux pas abandonner ma famille »

 

À Hondelange, l’architecte Valérie-Anne Hugé travaille à domicile. « Je crois que je souffre d’électrohypersensibilité depuis mon adolescence, mais il a fallu des années pour que j’identifie la source de mes problèmes de santé », témoigne cette quarantenaire. « Un jour, mon mari m’a offert un téléphone fixe sans fil. Je l’ai installé et, très rapidement, j’ai commencé à ressentir de violents maux de tête. Le lien avec le nouvel appareil était évident. Je l’ai débranché et cela m’a soulagé. Me renseignant, j’ai compris que toutes sortes de difficultés que je traînais depuis des années – céphalées, troubles de la concentration et de l’élocution – pouvaient être liés à une électrohypersensibilité. Et de fait, en supprimant autant que possible mon exposition aux ondes – câblage des ordis, mais aussi des smartphones via un adaptateur, interdiction des portables connectés au wifi ou à la 4G pour les enfants et pour les visiteurs –, j’ai constaté que j’allais mieux. Autant que possible, car je suis aussi indisposée par le courant électrique. Surtout, il perturbe mon sommeil. Un électricien m’a bidouillé un interrupteur unique qui permet de couper tout ce qui est problématique avant d’aller dormir. »

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