21 Décembre 2023
Un entretien publié le 21 décembre 2023 par l'hebdomadaire Paris Match Belgique et le 24 décembre 2023 par le site Paris Match.be
La science prouve que les humains sont naturellement prédisposés à la bonté et à la coopération. Rencontre avec Jacques Lecomte, l’un des principaux experts francophones de la psychologie positive.
Dans une société qui cultive beaucoup l’individualisme et la compétition, n’est-il pas compliqué de porter le message, comme vous le faites dans vos livres et conférences, que les humains sont prédisposés à la bonté et à la coopération ? Ne vous taxe-t-on pas parfois de « doux rêveur » alors même que vous fondez votre argumentation sur les dernières connaissances scientifiques ?
Jacques Lecomte : Mais bien entendu ! J’entends fréquemment cette même objection quand je parle de la bonté humaine. Dans les salles où je donne des conférences, dans les dîners et les réunions de famille, il se trouve souvent quelqu’un pour me dire : « Mais vous êtes un bisounours ! Revenez sur Terre, les gens sont bien plus égoïstes que vous ne le pensez. » Alors, systématiquement, je réplique : « Mais les gens, c’est vous aussi. Êtes-vous en train de me dire que vous êtes fondamentalement égoïste, que vous ne vous préoccupez que de vous-même, que votre intérêt personnel est la boussole de toutes les actions de votre existence ? » À ce moment, c’est assez systématique aussi, mon aimable contradicteur est embarrassé et il rétorque : « Oui, enfin, ce n’est pas tout à fait ce que je voulais dire. Vous, moi, mes proches, ce n’est pas pareil. Mais le monde, vous savez… » Voyez-vous, il n’y a rien de très extraordinaire dans cette anecdote : elle illustre un défaut assez commun, celui de se croire moralement plus vertueux que la moyenne des gens. C’est ce que les psychologues dénomment le « biais de positivité ».
Votre propos invite à objectiver le regard que l’on porte sur soi mais, surtout, ne dit-il pas beaucoup d’une vision pessimiste de l’humanité largement partagée dans notre société ?
C’est là effectivement que je voulais en venir. Notre culture est imprégnée de l’idée qu’on ne peut trop miser sur la bonté humaine parce que cela participerait d’une forme de naïveté, laquelle ferait fi de la nature profondément égoïste et violente de notre espèce. Cette croyance populaire — j’insiste sur le terme « croyance », parce qu’il ne s’agit de rien d’autre que cela — a pour corollaire de considérer le cynisme comme une forme d’intelligence ou de réalisme, voire d’assimiler la méfiance dans les rapports humains à une forme de sagesse. Cependant, cette vision pessimiste de la nature humaine s’appuie sur des références fragiles, pour ne pas dire inconsistantes. Un exemple. Vous connaissez certainement cette phrase si rabâchée qu’elle sonne comme une vérité : « L’homme est un loup pour l’homme. » S’agit-il là de la conclusion d’une étude anthropologique ou d’une enquête sociologique ? En est-on arrivé à une conclusion aussi définitive sur la nature humaine au bout d’innombrables expériences scientifiques standardisées ? Nullement. Cette sentence n’est en fait qu’une opinion. Celle d’un dramaturge romain, Plaute en l’occurrence, un homme dont on sait peu de chose et qui, un jour, a fait dire cela à l’un de ses personnages de fiction. Se forger une vision des rapports humains avec un tel matériel, ce n’est évidemment pas très sérieux.
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