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120 familles escroquées - 10 ans d'impunité! (31/03/2005)

 

Entretien publié dans l'hebdomadaire belge "Ciné-Télé Revue", le 31 mars 2005

  

Dix ans d'impunité! 

  

120 familles

Il s’en passe de drôles dans l’arrondissement judiciaire de Tournai ! Entre 1993 et 2003, une courtière en crédit a escroqué plus de 120 familles dans le Hainaut occidental, lesquelles ont subit un préjudice total estimé à quelques 2,5 millions d’euros (100 millions d’anciens francs!). Dix ans d’activité sans encourir la moindre condamnation, cela ressemble furieusement à de l’impunité! En attendant, ce sont les victimes qui payent l’addition. «La plupart d’entre nous sont fichés, sont en rouge, et ont de plus des saisies sur salaire. Pour la courtière, par contre, tout va bien. Sans cesse, la justice repousse les échéances de son jugement. Et je suppose que le butin produit des intérêts quelque part à l’étranger! Cela dure depuis si longtemps que l’on s’interroge : cette dame est-elle protégée?», s’interroge Véronique Locoche (photo), porte-parole du collectif formé par les victimes (*).

 

 

 

 

- Dans quelles circonstances avez-vous eu maille à partir avec Isabelle L.?

- Début des années ‘90, cette dame était notre voisine. Très affable, elle venait régulièrement boire une tasse de café à la maison. On lui aurait donné le bon dieu sans confession! Electricien, mon mari était à la tête d’une petite société qui, en 1993,  a connu des difficultés. Il fallait augmenter le capital. Isabelle nous a expliqué qu’ayant été victime quelque temps auparavant d’un accident de voiture, elle allait bientôt recevoir une indemnité de 5 millions de francs. Et elle nous proposait de rentrer dans le capital de notre société à concurrence de 2 millions. Pour nous, c’était formidable! Elle nous a proposé un entretien avec maître D., son notaire. Il nous a dit qu’Isabelle devrait encore patienter quelques jours avant de toucher son indemnité mais qu’il était possible d’aller de l’avant : D. nous a conseillé de nous rendre dans une agence bancaire de Tournai dont il disait «très bien connaître le gérant». Celui-ci nous obtiendrait l’ouverture d’un crédit caisse de 1,5 millions de francs en attendant l’apport de capital promis par Isabelle L. Le 2 mars 1993, on a obtenu le crédit caisse sans la moindre difficulté et, au soir du 30 mars 1993, nous nous sommes retrouvés chez le notaire D. pour signer l’acte officialisant l’augmentation de capital. Isabelle était en possession d’un document bancaire attestant le versement des 2 millions de francs à l’agence de Tournai. Tout nous semblait donc parfait…

 

Sauf que…?

Sauf que par cet investissement, Isabelle devenait membre du conseil d’administration de la société et actionnaire majoritaire. Pendant les semaines qui suivirent, elle utilisera ces titres pour faire différents retraits sur les comptes de la société. En plus, elle avait obtenu que son concubin puisse travailler comme responsable du personnel dans la société. Bref, elle tirait outrageusement avantage de la situation mais nous étions très naïfs, comme hypnotisés… En septembre 1993, on a tout de même commencé à se poser des questions. Une autre banque avec laquelle nous travaillions régulièrement nous a dit qu’il n’était plus question de nous faire confiance! Elle avait appris que notre crédit caisse dans l’agence de Tournai était en dépassement non autorisé. On s’est renseigné auprès du directeur de l’agence, l’ami du notaire qui nous avait si bien reçu quelques mois plus tôt : « Il y a eu quelques jeux d’écriture mais tout va rentrez dans l’ordre». Au bout de quelques temps, on pu obtenir des informations sur ces «jeux d’écriture» : en fait, il n’y avait jamais eu d’augmentation de capital! L’attestation présentée par Isabelle chez le notaire était un «vrai faux document».      

 

- Un «vrai faux document»?

- Ayant ses entrées à l’agence de Tournai, Isabelle avait obtenu de retirer 2 millions de francs sur le compte «crédit caisse» que nous avions ouvert et pour lequel elle n’avait pas la signature. Ensuite, elle avait reversé ces 2 millions sur ce compte à titre d’augmentation de capital. Une opération blanche! Le soir du 30 mars 1993, bien entendu, nous n’avions vu que le document attestant du versement et pas celui du prélèvement qui avait précédé… Son ami le notaire, lui, s’était contenté de régulariser la situation alors que, de toute manière, il aurait fallu que l’augmentation de capital passe par un compte spécial créé pour l’occasion… En bref, Isabelle s’était servi de sa promesse d’investissement, tel un cheval de Troyes, pour entrer elle et son mari dans la société. A l’arrivée, on se trouvait en difficulté avec notre banque principale qui ne nous faisait plus confiance et un crédit caisse à Tournai que nous étions incapable d’honorer. Cela s’est soldé en fin de compte par la faillite de la société : 17 personnes au chômage et, en ce qui concerne, des tracas financiers qui sont loin d’être terminés pour nous. Notre maison risque bientôt d’être vendue… Pour Isabelle, par contre, tout va bien : en 1994, on a bien déposé plainte pour abus de confiance et usage de faux mais, 11 ans plus tard, le dossier est encore pendant devant la justice de Tournai… 

 

- Depuis lors, elle a disparu de votre vie ?

- Loin s’en faut! En 1997, une dame qui avait très bien connu Isabelle est venue nous trouver. Elle nous a révélé que depuis 1993, en tant que courtière en crédit, elle avait déjà escroqué des dizaines de personnes! Elle appâtait des familles qui avaient contracté plusieurs prêts personnels et qui, souvent, étaient de ce fait un peu prises à la gorge. Elle leur proposait de rassembler les différents «petits prêts» en un seul prêt hypothécaire à un taux très attrayant. Une fois le prêt hypothécaire accordé, les gens se retrouvaient devant le notaire D. pour officialiser l’acte. Les gens sortaient de cette étude notariale avec une mensualité unique à payer pour le prêt hypothécaire tandis que le notaire se chargeait de rembourser les anciens «petits prêts». Le problème, c’est que cette dernière opération n’était que partiellement réalisée ou pas du tout réalisée!

 

- Quel était le mécanisme de l’escroquerie ?

- Il ressort de nombreux documents signés chez le notaire D. que celui-ci ne transférait pas l’argent du prêt hypothécaire aux différents créanciers mais que celui-ci était versé sur le compte de la société d’Isabelle L. C’est elle qui était sensée solder les petits prêts! Généralement, elle payait quelques mensualités et puis elle interrompait l’apurement de ces dettes. In fine, ses clients se trouvaient dans une situation où ils étaient forcés de payer le nouveau prêt hypothécaire… et les anciens petits prêts!

 

- En 1997, il y avait combien de victimes ?

- Une trentaine de familles déjà. Dont beaucoup de cas très douloureux. Des gens se sont retrouvés à la rue, qui ont dû tout vendre. Un père de famille a d’ailleurs failli se suicider. Le problème, c’est qu’à cette époque, les victimes étaient isolées. Nous avons décidé de mener notre propre enquête. On a rassemblé les victimes et, fin 1997, on a dénoncé les faits au parquet de Tournai. Malheureusement, il a fallu près d’un an pour que les choses bougent. Isabelle ne sera arrêtée que le 30 septembre 1998.  

 

- Fin de parcours pour la courtière indélicate?     

- On le pensait car elle a fait deux mois et demi de préventive avant d’être relâchée sous la condition de «ne plus exercer». En plus, elle avait été inculpée de faux et usage de faux, escroquerie et abus de confiance. La machine judiciaire était en marche et elle allait donc l’empêcher de nuire. Enfin, c’est ce qu’on croyait! Mais après sa libération, elle a remis rapidement le couvert. Cela lui a valu, deux nouvelles semaines de détention durant l’été 1999. Remise une nouvelle fois en liberté, le petit manège s’est poursuivi tandis que l’instruction judiciaire suivait son cours. Celle-ci a été clôturée en décembre 2002 pour les faits commis dans les années ’90.

 

- L’instruction est clôturée depuis trois ans et il n’y a pas eu encore de procès ?

- Non, elle n’a pas encore été jugée et on se demande si elle le sera un jour! De plus, durant l’été 2003, nous avons appris qu’elle continuait à escroquer des gens. Son mode opératoire était un peu différent. Isabelle faisait précéder les crédits hypothécaires promis à ses clients d’un crédit pont pour des frais de notaire, d’expertise et de dossier. Les préjudiciés avançaient alors entre 6.000 et 10.000 euros qu’ils lui remettaient en main propre. Elle faisait alors traîner les choses, ne contractait pas le crédit hypothécaire et ne remboursait pas les victimes. Elle était si convaincante que certains de ses clients ne disposent même pas de reçu! En septembre 2003, de nouvelles plaintes ont donc été déposées au parquet de Tournai et une nouvelle instruction a été ouverte. En décembre de cette année-là, constatant que le parquet ne bougeait pas par rapport au premier dossier clôturé un an plus tôt, notre collectif de victimes a manifesté devant le palais de justice. En réponse, à ce ramdam qui avait fait se déplacer la presse, un magistrat a indiqué, dès le lendemain, que «le réquisitoire d’accusation venait d’être renvoyé en chambre du conseil et qu’après étude de celui-ci l’affaire serait fixée». De plus, quelques jours plus tard, Isabelle L. était une nouvelle fois inculpée de faux et usage de faux, d’abus de confiance et d’escroquerie dans le second dossier. Mais bien qu’elle était en état de récidive caractérisée, elle n’a pas fait l’objet d’un mandat d’arrêt. Mais bon, les choses semblaient enfin bouger. D’ailleurs, M. Cambier, premier substitut au parquet de Tournai, dira à cette époque qu’il ne voulait plus perdre de temps et que pour ce faire, le second dossier (celui de 2003) ne serait pas joint au premier dossier (faits de 1990) afin que l’on puisse rapidement juger de ce qui était déjà établi…  Cependant, il a fallu encore attendre un an, soit le 17 décembre 2004, pour que le premier dossier se retrouve en chambre du conseil et le 28 janvier 2005 pour que cette instance décide du renvoi d’Isabelle L. en correctionnelle.

 

- Maintenant, vous avez donc une date de procès ?

- Et bien non! Le parquet vient d’annoncer qu’il avait changé son fusil d’épaule : il veut maintenant joindre le dossier de 2003 au premier dossier. Et comme cette instruction-là n’est pas terminée, on est reparti pour un temps d’attente indéterminé! Conclusion : pendant plus de 10 ans, Isabelle L. a pu escroqué plus de 120 familles pour un préjudice total estimé à 2,5 millions d’euros. Une belle somme n’est-ce pas ? Qui lui garantit une vie confortable et qui a sans doute produit des intérêts. Tandis que ses victimes se retrouvent en rouge, fichées, dans les pires difficultés. A ce jour, on peut constater qu’elle a pu faire tout cela dans une quasi impunité! On en arrive à s’interroger. Cette dame qui cultivait de bonnes relations dans certains milieux bourgeois du Hainaut occidental est-elle protégée ?

 

(*) : Si vous avez été préjudicié : Collectif des arnaqués combatifs : 0479/268090

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Michel Bouffioux


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