Entretien publié dans l'hebdomadaire belge "Ciné-Télé-Revue", le 24 mars 2005
Pierre Pinon : «Des médecins ont failli me tuer»
Environ 6% des patients hospitalisés en Belgique contractent une infection nosocomiale. En d’autres termes, leur corps est contaminé par une bactérie «hospitalière» particulièrement résistante : le staphylocoque doré. Une campagne du ministère de la Santé est en cours pour diminuer ce risque dont l’occurrence est grandement liée à l’hygiène de base du personnel médical. Le thème de cette campagne est explicite : «Lavons-nous les mains!».Voici le récit pour le moins interpellant de l’une des victimes de ces «maladies nosocomiales». Une histoire effrayante qui commence début novembre 2004 lorsque Pierre Pinon constate qu’il a une petite boule derrière le genou droit et qu’il consulte le docteur C. Cet orthopédiste lui explique qu’il n’y a pas matière à s’inquiéter outre mesure : pas de traitement. Un mois plus tard, le dimanche 12 décembre 2004, M. Pinon ressent des lancements douloureux dans la jambe et il consulte à nouveau. Cette fois en urgence, dans un hôpital de la région liégeoise. Le docteur L.lui prescrit des médicaments. Une semaine plus tard, les résultats d’un scanner indiquent la présence d’un kyste. Le patient se voit proposer une intervention chirurgicale pour le retirer. A priori, cette opération devait être bénigne…
- Quand avez-vous été opéré?
- Le 10 janvier 2005. Le docteur L. m’avait présenté cette intervention comme une formalité. Je rentrais le lundi et je sortais le jeudi. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé. J’ai quitté l’hôpital le 13 janvier après que les examens post-opératoires n’aient rien décelé d’anormal.
- En apparence, l’intervention s’était donc bien passée ?
- Tout à fait! Cependant, quatre jours plus tard, le dimanche, j’ai commencé à avoir mal et j’ai constaté qu’il y avait des rougeurs autour de la cicatrice, ainsi que la formation d’une petite boule à l’intérieur du mollet. J’ai d’abord mis cela sur le fait que j’avais un peu marché. J’ai donc mordu sur ma chique jusqu’au mardi 19 janvier. Là, j’avais vraiment trop mal. Je me suis donc rendu dans l’hôpital où l’on m’avait opéré. Un docteur S. m’a ausculté et il a diagnostiqué un hématome. Pour lui, il n’y a avait pas de quoi s’alarmer. Il m’a prescrit des anti-douleurs et une pommade antibiotique.
- Résultat de ce traitement?
- Au début, j’étais rassuré parce que la pommade semblait calmer la douleur mais le vendredi 21 janvier, j’ai ressenti quelque chose qui «lâchait» dans ma jambe. C’était comme un coup de couteau! J’ai retiré le pansement et j’ai constaté que la «boule» qui se trouvait au milieu de la cicatrice avait grossi. A ce moment, elle avait la taille d’un œuf et elle poussait vers l’extérieur. La suture semblait pouvoir se rompre à tout moment! De plus, la douleur était devenue insupportable et elle ne faisait que s’amplifier d’heure en heure… Je ne savais pas qu’on puisse avoir aussi mal.
- Et donc, nouveau retour aux urgences ?
- Exactement. Sur le temps du trajet, j’ai constaté que ma jambe gonflait, pratiquement à vue d’œil. Arrivé à l’hôpital, on m’a fait un peu patienter : j’avais tellement mal que je me suis évanoui. Ensuite, le docteur B. m’a examiné. Il ne semblait pas interloqué. Très rapidement, il m’a dit : «c’est sûrement une entorse, on va faire une radio». Cette radio a été faite rapidement mais on m’a fait patienter pendant de longues minutes pour recevoir les clichés. Souffrant le martyre, j’ai demandé à me rendre dans le fumoir, à une dizaine de mètres de la salle d’attente. Une infirmière m’y a autorisé. Au bout de quelques minutes, je suis revenu pour prendre connaissance des résultats de la radio. On m’a alors indiqué qu’il convenait de faire un examen complémentaire : une scintigraphie.
En attendant, on m’a installé dans la salle de plâtre. Là, j’ai commencé à paniquer! Le diagnostic de l’entorse me semblait surréaliste : j’ai joué au foot, je sais ce que c’est qu’une entorse!
- On ne vous a tout de même pas plâtré!
- Non mais, au bout d’une demi-heure, le médecin est revenu : «Voilà, Monsieur Pinon, vous pouvez retournez. C’est bien une entorse». Je l’ai interpellé : «Mais il y a quelques minutes, on m’a dit qu’on allait me faire une scintigraphie?». Réponse: «Vous n’aviez qu’à ne pas aller fumer! On n’est pas allé chercher après vous! De toute façon, vous n’avez qu’une entorse du genou. Vous avez reçu une attelle après l’opération, vous la mettez et vous revenez en consultation dans deux jours. Le docteur L. vous retirera les fils et il vous fera probablement une petite ponction. Il n’y a rien grave. Je vous prescris deux anti-douleurs et je vous donne vos radios. Vous ferez la scintigraphie du genou le lundi».
- Votre réaction ?
- J’ai commencé à voir rouge! En fait, j’aurais pu me contenter d’aller acheter une boîte de Dafalgan chez le pharmacien! Heureusement, j’ai eu le réflexe d’aussitôt me rendre dans un autre hôpital, celui du Bois de l’abbaye à Seraing. J’y étais vingt minutes plus tard. Dès que l’urgentiste a vu la blessure, il m’a aussitôt fait conduire dans une petite salle d’opération. Il m’a demandé les radios qui avaient été faites dans le premier hôpital. En le regardant, j’ai vu qu’il faisait des grands yeux : «Tiens, votre genou est bizarre. Il a des orteils!» En fait, le premier hôpital m’avait donné des radiographies d’un pied! Celui d’une jeune fille qui s’était présentée aux urgences en même temps que moi. J’espère qu’ils ne lui ont pas coupé la jambe!
- Parce que c’est ce qui a failli vous arriver ?
- Oui, je me suis retrouvé à deux doigts de l’amputation. Après mon arrivée, le médecin du Bois de l’Abbaye m’a aussitôt fait faire une prise de sang et il m’a mis sous baxter de morphine. A ce moment, je sentais que le mal progressait dans le haut de la jambe. On a donc décidé de m’hospitaliser. Le lendemain matin, on m’a envoyé faire une échographie : j’avais une jambe d’éléphant! Après cet examen, j’ai senti un liquide couler le long de ma jambe. On m’a ramené dare-dare dans la chambre. Les infirmières se sont masquées et gantées et elles ont pris un ravier en carton pour le poser en dessous de la plaie. Là où il y avait l’ «œuf», une infirmière a piqué avec une aiguille. Il y a un jet impressionnant : plus d’un litre d’un liquide jaune était alors sorti de la plaie! Quelques minutes après un orthopédiste est venu et il a décidé de faire une ponction du genoux qui, lui aussi, était gonflé comme un tambour. Avec une énorme aiguille qui ressemble à une pipette pour gonfler les vélos, on m’a retiré un autre liquide plus épais, ressemblant un peu à du miel. Le dimanche, le médecin est venu me dire qu’il fallait m’opérer sur le champ. Il venait d’être contacté par le laboratoire : il y avait des germes qu’il fallait retirer d’urgence. Plus tard, il m’expliquera que j’avais atteint un niveau d’infection de 9,33 et qui si j’étais arrivé à 10, il n’y avait plus qu’une solution : l’amputation. La situation était si grave qu’il ne voulait pas croire que je m’étais présenté précédemment dans un autre hôpital où l’on s’était contenté de me prescrire des anti-douleurs. Plus tard, j’ai appris que je n’étais plus très loin d’une septicémie, soit une infection généralisée du corps de laquelle on ne réchappe pas. Si j’avais attendu le rendez-vous du lundi chez le Docteur L., je crois que mes parents en étaient quittes pour commander un cercueil!
- C’était quoi ces germes qui ont causé l’infection de votre jambe?
- Le staphylocoque doré. On appelle aussi cela la «bactérie hospitalière». Elle est entrée dans mon corps lors de mon opération dans le premier hôpital.
- Le traitement ?
- Pour commencer, on m’a prescrit un traitement sous baxter combinant plusieurs antibiotiques pendant minimum 21 jours. A un moment, j’avais cinq baxters qui coulaient en même temps! Il fallait me repiquer tout le temps parce que les veines étaient endommagées par la quantité de liquide. Régulièrement, on me faisait aussi des ponctions au dessus du genou d’où sortait 70 à 100 centilitres de liquide en moyenne. En cours d’hospitalisation, la blessure a finalement rejeté des morceaux de chair nécrosés. Cela ressemblait à de la compote pas mixée! Le docteur m’a dit que c’était bien que cela sorte et qu’il convenait alors de faire un «méchage». Ils prennent un ruban de deux centimètres de large qu’ils trempent dans l’isobétadine et qu’ils introduisent dans la plaie pour la nettoyer. En ce qui me concerne, l’infirmière a utilisé plus d’1 mètre de ruban! Au bout de quelques jours, le méchage n’était plus possible : la plaie rejetait toujours plus de pus et de nécroses tandis que le trou par lequel on introduisait le ruban avait tendance à se cicatriser. Il a donc été décidé de me réopérer. Cette fois pour cureter et m’installer un chapelet d’antibiotiques directement dans le mollet.
Actuellement, où en êtes-vous ?
Cela fait trois semaines que je suis sorti. Je dois faire régulièrement des prises de sang pour jauger le niveau d’infection. Mes cordes vocales ont été définitivement endommagées par la prise massive d’antibiotiques : ma voix est devenue rauque. Je prends encore des antibiotiques à dose maximale par voie orale et cela me provoque des ennuis gastriques tellement forts qu’ils me réveillent pendant la nuit. Je marche avec une béquille. Il y a aussi un aspect psychologique : aujourd’hui je pèse vraiment ce que c’est que d’avoir le staphylocoque doré. Cette bactérie résiste aux antibiotiques : on peut la contenir, la faire dormir, mais elle est quasiment indestructible. Je sais qu’elle sera en mois à vie et que désormais je courrai des risques d’infections dévastatrices à la moindre blessure. J’étais entraîneur de foot à Liège : c’est fini. De profession, je suis gardien de prison, or ce boulot comporte des risques lors des contacts avec certains détenus qui peuvent être violent. Vais-je pouvoir le garder ? Je n’en sais rien.
- Allez-vous demander réparation ?
- J’ai pris un avocat à cet effet. De son côté, l’hôpital où j’ai été mal soigné a pris contact avec moi. Ils veulent discuter… mais en dehors de la présence de mon conseil. Ce qui révolte le plus n’est pas d’avoir contracté une infection dans un hôpital bien qu’on s’y rende normalement pour y être soigné. Mais bon, j’aurais pu me résigner à accepter mon sort comme quelque 6% des patients belges. Non, ce qui me met en colère, c’est le manque d’humanité et de prise en charge après l’apparition de la douleur et des rougeurs autour de la cicatrice. Ils ont laissé les choses aller trop loin. J’aurais pu y perdre ma jambe, voire pire : ils ont failli me tuer! C’est pour cela que je veux obtenir réparation et si je témoigne c’est surtout pour cela n’arrive pas à d’autres.