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Affaire Devillet : L’évêque devra-t-il indemniser la victime ? (29/01/2009)

L’EGLISE FACE à LA JUSTICE

 

- Enquête évoquée sur le plateau de "L'Info Confidentielle Paris Match" sur RTL/TVI le 19 janvier 2009 et publiée en deux parties dans Paris Match, les 22 et 29 janvier 2009 -


La semaine dernière, Paris Match (Belgique) dévoilait le parcours de vie tragique de Joël Devillet, victime dans son enfance d’abus sexuels commis par un prêtre. Ce récit s’était arrêté à la fin 1996 alors que Joël, devenu séminariste, venait de tout raconter aux autorités ecclésiastiques de Namur. Se sentant dupé, il finira par déposer plainte devant la justice des hommes. Contre l’abuseur, mais aussi contre Mgr Léonard.

 

Rétroactes. En novembre 1996, confronté à Joël Devillet devant le vicaire judiciaire Huet, l’abbé G. avoue s’être rendu coupable d’abus sexuels... Ensuite ? Il continue à dire la messe comme si de rien n’était dans sa paroisse de Flawinne. En janvier 1998 — seulement — l’abuseur de Joël est invité par sa hiérarchie à partir vers de nouvelles aventures pastorales. Le prêtre écrit alors ce mot qu’il envoie à l’Evêché : « Je quitte donc la paroisse de Flawinne en ce début janvier 1998. Je célébrerai ma dernière eucharistie comme curé de cette paroisse dimanche prochain (le 18 janvier). Dans ma nouvelle affectation, je m’engage à poursuivre ma psychothérapie commencée à la fin de l’année 1996, et je m’engage aussi à ne pas me trouver avec des enfants ou des adolescents mineurs sans la présence d’autres adultes que moi. »


Conservant son salaire de prêtre, G. devient assistant social bénévole au profit d’une asbl qui vient en aide à des adultes en difficulté. Il est aussi nommé membre du conseil d’administration de cette association et emménage au presbytère de Bonnerue, près de Libramont. Dans cette localité, il sera dès lors perçu comme étant le « curé», et il célèbrera régulièrement la messe à Bras, Saint-Hubert et aux environs en tant que prêtre auxiliaire.

 

Après son éviction du séminaire, Joël Devillet se raccroche encore à sa relation avec l’évêque Léonard. «Il m’appelait “mon fils”, il disait qu’il croyait en mon avenir au sein de l’Eglise. Au lendemain de mon renvoi du séminaire, les larmes dans les yeux, il m’avait dit qu’il n’était pas d’accord. Il me recommandait alors de travailler un ou deux ans pour m’enrichir d’une “expérience dans le monde”. A la suite de quoi, il me reprendrait comme séminariste, car ceux qui avaient décidé de mon départ ne seraient plus là. » Un témoignage étayé par une lettre écrite le 19 octobre 1998 par Mgr Léonard : «Mon fils Joël, je me réjouis de ce que tu me dis d’un accompagnement psychologique. Je garde l’espoir que tu pourras, si Dieu le veut, reprendre un jour le chemin interrompu. »


Quand il reçoit cette lettre, Joël vit dans une toute petite pièce à Bruxelles. « C’était galère, mais ça avait été pire avant», raconte-t-il. «N’ayant plus de logement après le renvoi du séminaire, Mgr Léonard m’avait conseillé de résider à l’abbaye de Leffe. Quand j’arrivai, la première question du père abbé fut: “Combien de fois par jour joues-tu avec ton zizi?” J’ai répondu par un sourire et je ne suis pas resté très longtemps. Ensuite j’ai reçu l’autorisation d’occuper un local dans les caves du séminaire, à condition de payer un loyer. Du moment qu’on ne me voyait pas, que je ne faisais pas de bruit, j’étais toléré. J’y suis resté le temps de trouver l’emploi d’aide-soignant qui m’a permis de déménager vers la capitale. »


Alors pris en charge par une nouvelle psychologue, Joël en paie seul les honoraires, contrairement aux accords de 1996. « Il y aura un long débat sur cette question qui débouchera sur une rencontre clé avec le chanoine Huet. Agacé par mon insistance, il me lancera: “On s’en moque, cela n’est plus notre affaire.” C’est à ce moment que j’ai compris que j’avais été mené en bateau pendant des années. Je m’en suis plaint à l’évêque, lequel, dans une lettre du 22 novembre 2000, m’écrivait encore: “Cher Joël, merci pour ton message. Est-ce qu’à travers lui tu exprimes le désir que l’abbé G. fasse quelque chose pour toi? Serait-ce opportun? Toutefois, s’il y a lieu, précise ta pensée. Je te bénis de tout cœur. Bien à toi dans le Seigneur.” Ce type de message ne servait plus à rien. J’avais trouvé un avocat et j’avais compris que, bien qu’elle le démente, l’Eglise avait misé sur le délai de prescription. J’étais donc résolu à déposer plainte au plus vite devant la justice des hommes. »

C’est justement à cette époque, plus de cinq ans après les aveux du prêtre abuseur, que l’évêque de Namur durcit subitement son attitude. Le 5 mars 2001, il écrit une lettre de mise à pied à G. : « Etant donné la stagnation de ta situation et les risques toujours présents, je t’informe par la présente que — en accord avec le Conseil épiscopal — je mets fin à ta mission canonique dans le diocèse.» Dans ce document, l’évêque précise cependant que la « mission canonique» en question pourrait être « rendue» au prêtre à certaines conditions. L’une d’entre elle étant « la reprise rapide d’une thérapie sérieuse, preuves à l’appui». Ce qui témoigne d’une certaine inquiétude quant à un possible arrêt de cette prise en charge. Mgr Léonard suggère aussi à l’abbé G. de « trouver un logement autre que celui du presbytère de Bonnerue, en habitant dans une communauté de vie agréé préalablement par nous». En fait, G. continuera à loger dans ce presbytère, aux frais de l’Eglise, jusqu’en 2008. «Cela lui conservait un prestige. Les gens du coin le prenaient pour le curé. Et d’ailleurs, il faisait encore

la messe dans les environs », commente Joël.


André-Mutien Léonard conclut sa lettre de « mise à pied» par ces mots : « Cette décision a pour conséquence ton retrait des états de traitement du clergé de Namur au 1er avril 2001. Pour ta subsistance et la sauvegarde de tes droits sociaux pendant cette période de mise au point, je t’adresserai un formulaire C4 dûment complété et signé pour te permettre d’obtenir l’allocation de chômage et la garantie de tes droits sociaux. En espérant que tu tireras rapidement les conclusions de cette sévère mais nécessaire décision, je te salue cordialement. »

 

Joël est en colère quand on évoque cette lettre : « Elle démontre que les abus sexuels ne sont pas considérés comme une faute grave par l’évêque de Namur. Le C4, la fausse pression par rapport au logement dans le presbytère, son caractère prétendument sévère, tout cela n’était que de la poudre aux yeux! L’Evêché savait que je m’apprêtais à saisir la justice pénale et il fallait donc qu’il donne le change… Mais en parallèle, la situation du prêtre n’était pas du tout mise en péril. Aussitôt, son salaire a été remplacé par celui d’assistant social dans l’asbl, subsidiée par la Région wallonne et dont il était administrateur depuis plus de cinq ans. » Par un heureux concours de circonstances, en effet, l’abbé a en effet été engagé le 1er avril 2001 dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée en tant qu’éducateur spécialisé A1 par cette asbl.

 

Le 26 avril 2001, Joël Devillet dépose plainte au pénal contre G. Le parquet d’Arlon met l’affaire à l’instruction. Dans le cadre de ce dossier répressif, la victime revient sur les attouchements et les masturbations mutuelles déjà dénoncés cinq ans auparavant à l’Evêché. Mais, désormais, Joël parle aussi de fellations, d’une tentative de sodomie et de contraintes exercées par son abuseur.


Interrogé le 27 novembre 2001, le prêtre avoue : « Il est exact qu’il y a eu des comportements à caractère sexuel entre Devillet Joël et moi-même. J’ai reconnu ces faits lors d’une conciliation au tribunal ecclésiastique de Namur. Je suis d’ailleurs une psychothérapie concernant ce problème et on m’a retiré toutes mes charges ecclésiastiques. (…) Je me rends compte de la gravité de mes actes et je reconnais que mon comportement n’était pas normal. (…) Je suis prêt à toute transaction vis-à-vis de Devillet pour réparer mes actes.»

 

Lors de ces premières déclarations à la justice, l’abuseur nie la tentative de sodomie mais pas les fellations imposées à sa victime. Dans toutes ses dépositions ultérieures, il resituera les fellations dans le temps. C’est-à-dire à un moment où Joël avait atteint sa majorité… En décembre 2002, le prêtre est renvoyé en correctionnelle pour viol sur mineur de plus de 14 ans et attentat à la pudeur. Mais, deux ans plus tard, en février 2004, le Tribunal correctionnel d’Arlon constate la prescription de l’action publique.

Fin du combat de Joël Devillet ? Pas encore : «Lors d’une audience, mon abuseur avait déclaré vouloir réparer. Au bout de neuf mois d’attente, constatant qu’il n’avait pas fait le moindre geste, j’ai déposé plainte au civil à Arlon.»


En février 2007, ce tribunal a d’abord jugé que — contrairement à ce que plaidait le conseil du prêtre — cette action au civil n’était pas prescrite et il a donné mission à un expert de chiffrer le dommage dont Joël Devillet a été victime. Il pourrait notamment prendre en compte les nombreuses séquelles psychologiques mises en évidence par un neuropsychiatre : « Solitude affective, méfiance à l’égard de toute relation intime, refus d’être un jour père car peur de reproduire un comportement abusif, affirmation de soi réduite au minimum, culpabilité, honte», etc. « Vous constatez que j’ai une voie très fluette, presque féminine. Une expertise tente de déterminer si cela n’est pas une conséquence de ce que j’ai vécu pendant mon enfance», explique Joël.

 

En décembre 2006, Joël Devillet a aussi intenté une action au civil contre l’évêque de Namur : «Quand il a été informé des abus commis par l’abbé G., Mgr Léonard n’eu d’autre projet que de me manipuler pour que cette affaire ne soit pas ébruitée. Pendant trop longtemps, le secret a ainsi été bien gardé entre les murs de l’Eglise. En me faisant miroiter l’espoir de devenir prêtre et en me faisant croire à sa protection, l’évêque m’a fait perdre plusieurs années de ma vie. J’ai suivi ses promesses comme l’âne suit la carotte. Dans le même temps, son laxisme vis-à-vis du prêtre abuseur n’a fait qu’accroître mon sentiment d’incompréhension, qui est finalement devenu un sentiment d’injustice. Après avoir été violé dans mon corps, je l’ai été dans mon âme. » Des plaidoiries de ce volet de l’affaire ont eu lieu le 22 janvier 2009 au Tribunal civil de Namur. Le jugement sera rendu le 15 février prochain.


En 2000, le chanoine Jean Léonard, le frère de l’évêque, écrivait ceci à Joël Devillet : « L’Eglise n’est pas toujours belle à voir. Elle est sainte, j’y crois fermement, d’une sainteté qui lui vient du Christ, et que les saints et ceux qui leur ressemblent manifestent au monde. Mais que de défaillance chez ses membres…»


Une année judiciaire chargée

Selon les informations de Paris Match, la Chambre du conseil de Namur s’intéressera au cas d’un autre prêtre présumé pédophile le 3 juin 2009. P.H. a été vicaire dominical dans les paroisses de Bossière, Beuzet, Mazy et Isnes (région de Gembloux). Il a été aussi professeur de philo au Grand Séminaire de Namur, à l’Institut de musique (IMEP) et à l’Ecole des Jésuites de Namur. Il a enfin été aumônier dans le cadre de camps de vacances organisés. Inquiété une première fois par la justice en 1991, à la suite de témoignages de deux enfants de 13 ans qui affirmaient avoir été l’objet d’attouchement lors d’un séjour à Coxyde, P.H. s’en était sorti par un non-lieu prononcé par la Chambre du conseil de Neufchâteau. En juin 2003 le jeune C.H. se plaint auprès de l’évêché de Namur d’abus sexuels répétés commis par le prêtre. Un «procès canonique » est alors entamé par l’Eglise et le ministre du culte est privé de paroisse. En 2004, C.H. décide de dénoncer les faits à la justice séculière. L’enquête a conduit à l’identification de quatre autres victimes potentielles du prêtre. Celui-ci a été inculpé de viols et d’attentats à la pudeur. La période infractionnelle s’étale de 1986 à 2003. L’instruction a été récemment clôturée sur des réquisitions du Parquet demandant le renvoi de l’abbé P.H. en correctionnelle. Le prêtre nie tous les témoignages des jeunes qui se sont plaints de lui, comme il l’avait déjà fait dans le cadre de l’affaire instruite en 1991. Il n’a cependant pas pu contester la présence d’images pédopornographiques sur le disque dur de son ordinateur…

 

Coquille vide?

En 2000, les évêques de Belgique créaient une « Commission interdiocésaine pour le traitement des plaintes d’abus sexuels dans l’exercice de relations pastorales ». Présidée par une magistrate honoraire, Mme Godelieve Halsberghe, cet organe a entendu depuis lors de nombreuses victimes de ministres du culte et, le 23 décembre 2008, une dépêche de l’agence Belga rendait compte d’un certain malaise. Nous citons : « L’Eglise refuse d’indemniser trente victimes d’abus sexuels commis par des ecclésiastiques. Les faits ont pourtant été reconnus et une commission a accordé des indemnités. Une victime d’abus sexuel grave a droit en moyenne à 50 000 euros. Mais quand des montants sont cités, les auteurs et leur hiérarchie rentrent dans leur coquille », dénonce Godelieve Halsberghe (…). Hans Geybels, porte-parole du cardinal Danneels, estime que la commission a outrepassé ses compétences : « Elle a été créée pour rendre des avis sur les plaintes des victimes. Pas pour exiger des indemnités. » Joël Devillet, 36 ans, a été l’une des ces nombreuses victimes de prêtres abuseurs qui ont été entendues par la Commission interdiocésaine. En avril 2008, cette instance estimait qu’il devait bénéficier immédiatement et à titre provisionnel d’une indemnité de 25 000 euros. Joël a toutefois décliné cette offre de réparation — purement théorique, on vient de le lire — dans la mesure où il avait déjà introduit une demande de réparation financière devant la justice des hommes.

 

Livres

Joël Devillet raconte son histoire dans un livre très bien écrit et fort précis qui paraîtra prochainement aux Editions de l’Arbre sous le titre « Violé par un prêtre, témoignage vécu. Histoire douloureuse d’un jeune garçon» (220 pages, 17, 90 euros). Par ailleurs, l’éditeur, André Versaille, nous propose la lecture d’un autre ouvrage qui interroge la position de l’Eglise sur les délits à caractère sexuel commis par ses clercs. Historien, chargé de recherche au CNRS, Alessandro Stella a étudié un matériau inédit : les archives de l’Inquisition qui, entre 1540 et 1810, a instruit près de 2 000 procès contre des religieux accusés d’avoir fauté sur le plan sexuel. Une plongée dans le temps qui montre que la tendance de l’Eglise à vouloir laver son linge sale en famille ne date pas d’hier. (Alessandro Stella, «Le Prêtre et le sexe, les révélations des procès de l’Inquisition », 204 pages, 24,90 euros.


Pour connaître les derniers développements de cette affaire :


- joeldevillet@bedsl.be

- www.joeldevillet.com

- http://joeldevillet.skynetblogs.be

- http://lireestunplaisir.skynetblogs.be/post/7263120/grand-entretien-avec-joel-devillet

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Michel Bouffioux


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J
<br /> merci M. Bouffioux<br /> <br /> <br />
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