Le procès n’a pas commencé
Chronique "Si on me laisse dire" publiée dans le quotidien belge "La Dernière Heure" en marge du procès de Marc Dutroux et consorts.
Le 12 mars 2004
Ceux qui ne connaissent pas bien le dossier Dutroux et consorts auront certainement été impressionnés par l’exposé du juge Langlois visant, de manière tout à fait partiale, à blanchir Michel Nihoul. Que de détails en effet dans cette plaidoirie! Quelle énergie déployée pour trouver tous les éléments à décharge de l’escroc bruxellois!
Un minimum de réflexion invite cependant au constat suivant : ce que nous dit aujourd’hui le juge chestrolais n’est rien d’autre que ce qu’il défendait déjà lors de l’instruction de l’affaire Dutroux et consorts. Et c’est exactement ce point de vue là qui a été balayé par la chambre des mises en accusation de Liège, le 30 avril 2003. Rappelons donc que l’examen du dossier à ce degré de juridiction, par trois juges indépendants, avait conduit ceux-ci à estimer que les indices étaient suffisants quant à la participation de Michel Nihoul à une association de malfaiteurs impliquée, notamment, dans les enlèvements d’enfants.
De toute évidence, tous ces indices, absolument tous, n’ont aucune importance au yeux du juge d’instruction. Les juristes reprocheront à M. Langlois d’avoir préjugé dans son exposé. Sur la forme, cette attitude est tout à fait inhabituelle. Le juge d’instruction est en effet invité à présenter le contenu de son dossier. Ni plus, ni moins. Pourtant, il me semble qu’il convient d’être reconnaissant à ce magistrat d’avoir fait clairement état de ses convictions. Au moins, on sait dans quelle pièce on joue! Et les jurés seront certainement amenés à se demander depuis quand M. Langlois a été convaincu, au cours de son enquête, de l’innocence de Michel Nihoul dans le volet enlèvements d’enfants. S’ils obtiennent une réponse à cette question, ils se demanderont, je l’espère, depuis quand les convictions du juge ont-elles pu orienter les investigations menées sous sa direction?
Je ne critiquerai donc pas le témoin quand à l’expression de son opinion. Toutefois, les présupposés, les omissions et la faiblesse de certains raisonnements qui servent à fonder sa thèse font parfois insulte à l’intelligence. Dès aujourd’hui, il est déjà tout à fait évident que M. Langlois aura, la semaine prochaine, beaucoup de difficultés à répondre à certaines questions précises du ministère public et de certaines parties civiles, notamment quand aux nombreuses interprétations très personnelles qui sont les siennes. On prend les paris?
Pour l’heure, ne mentionnons que deux exemples. Là où nous pourrions en citer cent. M. Langlois omet purement et simplement de mentionner l’existence du témoignage de Laetitia Delhez lorsqu’elle rapporte avoir entendu Dutroux parler à un certain Michel ou Jean-Michel pour lui dire «Ca a marché», pendant sa séquestration. Les données objectives du dossier, comme dirait Jacques Langlois, nous enseigne pourtant que la personne concernée ne peut être Michelle Martin ou Michel Lelièvre…
Dans le même ordre d’idées, M. Langlois a reconnu hier que les quatre personnes qui ont témoigné pour forger l’alibi de Nihoul -lorsqu’il prétend n’avoir pas mis les pieds à Bertrix- avaient donné des versions présentant de nombreuses contradictions. Mais le juge nous a alors expliqué le long travail qu’il a réalisé pour trouver ce qui pouvait coller dans ces témoignages contradictoires. Pour arriver à la conclusion que Nihoul aurait pu travailler dans un appartement pendant deux des journées où des témoins l’ont vu à Bertrix. Quant à ces multiples témoins, le juge nous a ensuite exposé le travail de bénédictin qu’il a réalisé pour trouver… les discordances dans leurs divers récits.
C’est bien une thèse que le juge nous a été donné à connaître hier. Un thèse, on le constatera au cours du procès, qui comporte de nombreux a priori, des questions sans réponses, voire même des considérations purement et simplement fantaisistes. Ceux qui ont été bluffé aujourd’hui par l’exposé du juge devraient ouvrir des yeux encore plus grand, dès lundi prochain. Commencera alors le temps des questions, le temps de la contradiction après quatre jours d’un exposé unilatéral. Commencera alors le procès!