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Affaire Dutroux et consorts - Xavier Magnée : «Je persiste et signe» (24/03/2005)

 

Entretien publié dans l'hebdomadaire belge "Ciné-Télé Revue", le 24 mars 2005

 

Xavier Magnée : «Je persiste et signe»

 

Magnee.jpg

 

 

A l’instar de Jacques Verges, son ami français, le bâtonnier Xavier Magnée est un personnage plein de paradoxes et de mystères. Que cherche l’avocat de Dutroux quand il épouse des pans entiers du discours des familles de victimes de son client ? Est-il sincère quand il prend la posture d’un procureur qui traque les dysfonctionnements de l’ex-gendarmerie? Chercherait-t-il plutôt à créer un certain brouillard, lequel diminuerait les responsabilités d’un Marc Dutroux que la justice aurait trop longtemps «laissé faire»? Nous avons mis le ténor du barreau bruxellois sur le grill à l’occasion de la prochaine parution de «Dutroux, un pervers isolé ?» (1), son livre sur l’affaire du siècle.

 

 

 

 

 

 

 

 

- Plus d’un an après le verdict d’Arlon, à quoi sert-il encore de poser la question «Dutroux est-il pervers isolé ?» dans un ouvrage de 300 pages ?

- L’intention de ce livre est de démontrer que Marc Dutroux n’est certainement pas le seul coupable. Je reviens en long et large sur le rôle de l’ex-gendarmerie dans cette affaire et j’ose poser les vraies questions qui ont parfois été éludées par la commission d’enquête parlementaire.

 

- Par exemple ?

- La principale interrogation est de savoir si quatre jeunes filles – Julie, Melissa, An et Eefje ont été condamnées et perdues  à cause d’erreurs bassement stratégiques de ce corps de police. N’a-t-on pas privilégié, pendant de longs mois, l’observation des allées et venues chez Dutroux, et ce à des fins qui restent à éclaircir, plutôt que de libérer ces enfants? Bien sûr, cette question était déjà au centre des investigations parlementaires mais les commissaires l’ont éludée en portant le fer sur des erreurs individuelles. On a chargé un type comme Michaux de tous les pêchés du monde. Et ce maréchal des logis a accepté de passer pour le gendarme le plus stupide de la planète afin de sauver l’honneur de son employeur¼ Je crains donc  que la « vérité »  officielle soit complaisante et beaucoup trop courte. J’ai d’ailleurs essayé de la remettre en cause lors du procès d’Arlon mais personne n’a voulu me suivre dans cette direction. C’était tabou ? Et bien, je ne l’accepte pas! Dans mon livre, j’ai couché tous mes arguments, toutes les questions qui font mal mais auxquelles il serait salutaire de répondre. Les parents des victimes mais aussi les Belges devraient avoir le droit de savoir si leurs enfants sont morts à cause d’une succession d’erreurs individuelles ou à cause de choix volontaires et inavouables, et si ce le fut sur ordre d’une hiérarchie gendarmesque qui aurait privilégié certains objectifs de renseignement au détriment de la vie des victimes. 

                      

- Dans l’introduction de votre livre, Jacques Vergès émet l’hypothèse que l’affaire Dutroux pourrait être aussi celle d’un «réseau de pervers» que la justice aurait eu «peur» de découvrir. C’est donc la votre également?

- Je ne vais pas si loin. Ce n’est plus mon approche. Cela dit, je reste convaincu qu’il y a des tiers qui n’ont pas été arrêté dans cette affaire. Je reviens notamment sur cette question de l’ «inconnu n°2» dont des traces biologiques ont été trouvées, superposées au sang de l’une des victimes sur une paroi de la cache de Marcinelle. C’est tout de même une preuve matérielle, chimique, imparable qu’il y a d’autres personnes ! Je ne supporte pas cela ait été tenu pour insignifiant par la justice de ce pays. 

 

- Selon vous, quel serait le mobile de l’autisme judiciaire que vous dénoncez ?

- Le dossier Dutroux a été vicié par une grande peur des autorités de ce pays : celle que soient mises à jour les manœuvres ou les désinvoltures indicibles de l’ex-gendarmerie. Après l’arrestation de Dutroux et la marche blanche s’est donc installée une logique de canalisation de l’enquête. Celle-ci a d’ailleurs été réalisée pour l’essentiel par des gendarmes. Il fallait privilégié un dossier simple : «Dutroux, le pervers isolé» parce que, si on grattait trop, on risquait aussi de devoir se pencher sur des comportements et des choix policiers inexplicables. L’enquête est donc devenue minimaliste et, dans cet état d’esprit-là, l’ «inconnu n°2» n’avait guère d’importance, voire devenait encombrant. La priorité a été de sauver l’image d’une institution plutôt que chercher toute la vérité. Autrement dit, le scandale d’avoir laissé mourir les enfants était déjà trop grand et l’obsession a été de panser cette plaie-là plutôt que d’essayer de démontrer qu’on serait, en plus, passé à côté d’une affaire encore plus grave que celle du «pervers isolé».

 

- La raison d’Etat ?     

- Oui, la raison d’Etat. Et il n’y a pas que le monde judiciaire pour l’avoir prise en compte. Rapidement, le monde politique a mesuré le danger que représentait cette affaire Dutroux dans l’opinion publique. Pour le pouvoir, 350.000 personnes qui défilent dans la rue, c’est terrifiant. Et si ils étaient rejoints par d’autres? Chacun par trois parents ou amis, et l’extrême gauche, et l’extrême droite, et les verts ? Et si la contestation se politisait par la découverte d’une affaire beaucoup plus grande encore, mettant en cause des attitudes inacceptables de certaines forces de l’ordre? La situation pouvait devenir ingérable. En conséquence, il fallait calmer le jeu et un vent dominant s’est mis à très fort souffler sur la justice et les médias. L’hypothèse du réseau, c’était terminé! Non pas parce qu’on en avait démontré l’inexistence, mais parce que, politiquement, il devait en être ainsi.

 

- Ce serait cette logique qui, selon vous, expliquerait des évolutions abracadabrantes de la gestion judiciaire de dossier comme par exemple sa scission en un dossier principal et un «dossier bis» ?

- Mais bien entendu! Cette décision a été prise avec une intention très claire. Mettre sur le côté toutes les questions qui sortaient du cadre politiquement défini des années auparavant, promettre qu’on y reviendrait plus tard et in fine clore le «dossier bis» une fois que l’on estimerait les passions tombées après la tenue d’un procès présenté à l’opinion comme l’aboutissement raisonnable de cette affaire.

 

- Tout est-il si noir? Il y a tout de même eu les travaux de la commission d’enquête parlementaire. Celle-ci a beaucoup remué le monde judiciaire¼

- Je n’ai pas cette lecture-là. Cette commission a été aussi créée pour calmer le jeu. Elle s’est comportée comme un illusionniste. Le pays tout entier a été chloroformé par cette commission. Il a été trompé par ses allures martiales et par ses clips hollywoodiens du genre : «Il y en a un de vous deux qui ment». Mais voilà,  il faut bien constater qu’au bout de ses travaux, les mensonges et les points d’interrogation n’étaient pas levés! Cette commission, c’était purement et simplement un sabre de bois. Elle s’est terminée par le constat qu’il y avait eu « un estompement de la norme ». « Circulez, il n’y a rien à voir ».

 

- Pendant le procès d’Arlon, on vous a accusé d’organiser un certain brouillard en multipliant les questions sur les zones d’ombre de l’instruction Langlois. Aujourd’hui, certains demanderont si votre livre n’aurait pas d’autre but que de satisfaire votre ego ou d’approvisionner votre compte en banque. Que répondez-vous à vos détracteurs ?

- J’ai été touché jusqu’à l’os par cette accusation que l’on me portait de vouloir tenter de créer du brouillard.

 

- Ca vous a fait mal à ce point-là ?

- Très mal! Le procès Dutroux était délibérément limité par un contrat judiciaire auquel je n’avais pas souscrit. Il était limité à dire si oui ou non Marc Dutroux était responsable de la disparition de six jeunes filles. Je n’ai pas voulu être enfermé dans cette question dont tout le monde connaissait la réponse et qui était d’ailleurs déjà résolue au bout de six mois d’instruction. Je voulais que le procès serve aussi à découvrir d’autres vérités, celles dont nous avons déjà parlé au début de notre entretien. Il faut le savoir : ces vérités n’étaient même pas de nature à donner des circonstances atténuantes à mon client. Je n’accepte pas que l’on m’ait accusé de faire du brouillard alors que j’étais en définitive le seul à vouloir faire la lumière et que même les avocats des victimes ne voulaient pas me comprendre. En somme, j’avais comme péché originel d’être l’avocat de Dutroux en telle manière que tout ce que je pouvais suggérer était d’office suspect. C’était une réaction primitive et vulgaire à mon égard.

 

- «Quand j’appelais à la clairvoyance, les acteurs du procès furent tous contre moi», écrivez-vous dans votre livre¼

- Ah oui! Tout à fait. Tous! Il y a même un des avocats flamands, défendant une famille victime, qui a dit que je n’étais pas digne de porter ma robe d’avocat. Je n’ai jamais vu quelque chose de pareil en quarante ans de carrière. Dans ce procès, on a parfois ajouté l’insulte à la blessure.

 

- Je reviens à ma question de tout à l’heure. Votre ego ? Il est évident que celui-ci est relativement important!

- (Il sourit) Il est énorme, je ne le nie pas! Il est certain aussi que je suis sorti meurtri et judiciairement cocu de ce procès et que j’ai bien l’intention de ne pas laisser le dernier mot à une vérité officielle et caricaturale. Je veux prouver que je ne voulais pas faire du brouillard, que mon honneur et ma sincérité c’était de voler au secours des victimes qui demandaient une vérité pour faire leur deuil.

 

- Mais vous n’étiez pas leur avocat! Pas plus d’ailleurs que celui de la société. N’y a-t-il pas quelque chose de paradoxal, voire même de choquant, de constater que l’avocat de Dutroux reprend des pans entiers du discours de ceux que son client a fait tant souffrir ?

- Lorsque Dutroux m’a demandé de devenir son avocat, j’ai eu avec lui de longues conversations. Il en est résulté que Dutroux ne souhaitait certainement pas tout dire. En vertu de la Convention des Droits de l’Homme, je lui ai reconnu son droit au silence, voire même indépendamment de toute cote morale, un droit au mensonge. En compensation de cela, j’ai passé un pacte avec mon client : qu’il m’accorde le droit de  chercher. Et c’est ce droit d’investigation que j’ai exercé. De cette manière, j’ai découvert des choses qui m’ont choquées et j’en ai parlé. Alors oui, c’est vrai que je n’étais pas l’avocat des victimes ou de la société

mais, très sincèrement, j’étais insatisfait de la manière dont le parquet général avait géré cette affaire. Et qu’on le veuille ou non, je suis un avocat avec une conscience sociale. Ma vie entière a été vouée à être un collaborateur loyal d’une justice dont j’ai une haute opinion ; ma conviction est aussi que le barreau participe à l’œuvre de justice. Cela implique autant un droit à la parole qu’un devoir de parler, surtout quand on se trouve au premier rang, tellement près de la scène qu’on entrevoit aussi ce qui se passe dans le coulisses.

 

- Au risque d’apparaître tel Don Quichotte ?

Si je m’étais tu, je n’aurais veillé qu’à être bien en Cour et j’aurais été très égoïste. Je n’allais tout de même pas être une espèce de salop dégoûtant qui aurait exercé une défense révulsante de Dutroux pour satisfaire un vague souci de cohésion dans l’esprit de gens qui m’observaient! Je ne serai jamais le monstre que ceux-là espéraient.

 

- S’il s’est montré un peu plus causant pendant le procès, sans pour autant apporter des éléments concrets et vérifiables, on ne peut pas dire que votre client ait tenté -pendant une très longue instruction-  d’apporter des réponses aux questions que vous posez ?

- Je suis parfaitement d’accord. D’ailleurs, je n’ai jamais dit que cela était bien de la part de Dutroux! Mon travail ne consistait pas à apporter une compensation à cette attitude critiquable de mon client et je ne vois pas en quoi cela devait m’empêcher de chercher à savoir pourquoi on l’a laissé faire, impunément, pendant trop longtemps.

 

- La joute judiciaire d’Arlon a été généralement qualifiée de «procès du siècle». Cette qualification vous convient ? 

- Non. L’affaire Dutroux est bien le «dossier du siècle» mais pour autant elle n’a pas eu droit au «procès du siècle». Il faudrait plutôt parler d’une maquette de procès dont le texte était déjà écrit avant qu’il ait eu lieu.

 

- Demander au jury de ne pas se prononcer parce que, selon vous, l’affaire n’était pas en état d’être jugée, c’était la bonne stratégie de défense ?

- Oui. C’était la stratégie la plus dure mais, surtout, c’était la stratégie la plus honnête. Il ne s’agissait pas de demander au jury d’acquitter ou de libérer Dutroux. Il ne s’agissait pas plus de refermer définitivement ce dossier. Bien au contraire d’ailleurs. L’idée était d’obtenir la remise, de renvoyer Dutroux dans sa cellule et de poursuivre les investigations.

 

- Mais vous demandiez tellement de devoirs complémentaires que cela aurait été pratiquement ingérable, notamment en raison du délai raisonnable qu’il convient de ne pas dépasser pour juger des accusés ?

- Cela aurait pris du temps ? Et alors ? Pourquoi avait-on perdu huit ans auparavant en laissant d’immenses questions sans même chercher les réponses ? Pourquoi a-t-on attendu six ans avant d’entamer l’étude du premier des cheveux trouvés dans la cache de Marcinelle? Quand le procès s’est ouvert, le mal avait déjà été fait. Et ce n’est pas moi qui l’ai fait! En plus, la prescription ne courait pas puisque le procès avait été entamé. Si le jury m’avait écouté, les victimes n’auraient pas été frustrées parce qu’elles auraient conservé une chance de savoir la vérité. Je l’avais annoncé au moment du procès : si on acceptait de juger cette affaire en l’état en misant sur les espoirs sur le «dossier bis», on faisait fausse route : il serait oublié. Là où je me suis trompé, je comptais une bonne année pour ce «dossier bis» soit jeté à la poubelle par le parquet général de Liège. En fait, il n’a pas fallu six mois.

 

- Il reste que vous avez vous-même fait marche arrière pendant le procès. Finalement, vous avez retiré votre demande au jury de ne pas juger¼

- J’avais essuyé des insultes de la part de certains avocats. Le magistrat de presse est aussi intervenu pour affirmer que je demandais au jury d’adopter un comportement illégal susceptible de sanction pénale. C’était surréaliste : on n’a jamais vu dans l’histoire de ce pays qu’un magistrat menace un jury de sanctions pénales! Je me suis mis à la place des parties civiles. J’ai compris leur désarroi. Leur souffrance individuelle. Qui devait, pour leur âme en chagrin, trouver une réponse, fût-elle sommaire ou évidente, dans ce procès spectacle, sans plus attendre. Ils étaient loin des exigences de la Vérité, de la démonstration de ceci ou de cela. On leur avait promis la condamnation de Marc Dutroux et des autres. Ecoeurés d’avoir attendu huit ans que les zones d’ombre soient élucidées, sans réponse, ils voulaient une issue maintenant. Quitte à ce qu’on n’élucide jamais d’autres mystères. Alors, j’ai dit qu’il faudrait encore répondre à 99 questions au moins, ou, sinon, juger sans attendre. Si le jury ne me suivait pas.

 

- Vous gardez donc la conviction que le jury n’a pas été en mesure de juger correctement de tous les tenants et aboutissants de cette affaire ?

- Je crois que le jury a été drogué. Chaque fois que j’ai voulu élargir le débat à des circonstances que je trouvais très importantes pour juger de la responsabilité d’un homme, chaque fois que j’ai voulu aborder des vérités que l’on voulait taire, on m’a accusé de faire du brouillard. Au moment où j’interrogeais Michaux et qu’il parlait de sa hiérarchie en remontant jusqu’au magistrat national, on m’a interrompu. Coupé net! A partir de ce moment-là, le jury a été convaincu que Magnée, cet avocat que l’on présentait comme un ténor pour mieux le diaboliser, tentait de le piéger. Peut-être aurais-je du faire exprès de m’exprimer en patagon pour inspirer confiance? Dans ce procès, il y a d’abord eu le show hollywoodien des enquêteurs avec leurs slides. En fait, un matraquage digne de Pékin au service de la thèse du juge d’instruction. Ensuite, on m’a fait passer pour un marchand de brouillard et puis après on est venu avec cette grande et chic idée : il est grand temps de juger cette «affaire élémentaire» parce que les victimes avaient besoin que l’on dise que Dutroux était coupable. Ah oui ? Quelqu’un en doutait qu’il fût coupable? Le jury a donc fait ce qu’on lui demandait. Il a coupé court. Mais il a coupé beaucoup plus court qu’il le croyait.

 

- Sur le plan judiciaire, vous n’attendez plus rien ?

- La chambre des mises en accusation de Liège a demandé au juge Langlois de clore le «dossier bis» et le renvoyer au parquet de Neufchâteau. Il est donc chez le procureur Bourlet. Celui-ci peut attendre. Des semaines, des mois ou des années. Où il peut aussi ordonner des nouveaux devoirs au juge d’instruction. Mais s’il le fait, M. Langlois qui considère depuis longtemps qu’il n’y a plus rien à chercher, va prononcer une ordonnance négative et cela deviendra de la compétence de¼ la chambre des mises en accusation de Liège. On sait d’avance le résultat. Elle donnera tort à Bourlet et ce sera fini officiellement.

 

- N’y a-t-il pas moyen de sortir de ce cercle vicieux ?

- Ce pourrait être différent si l’opinion publique se dressait contre cela, si il y avait des questions parlementaires, si il y avait une injonction positive du ministre de justice, si le nouveau Procureur Général de Liège, qui m’apparaît être un homme indépendant, modifie la politique des poursuites.J’espère qu’à cet égard, mon livre puisse déboucher sur une prise de conscience.

 

- J’allais oublier la question de votre compte en banque¼

- On doit tout de même savoir que j’ai passé à Arlon quatre mois de ma vie, que je l’ai fait à mes frais et que j’ai défendu Dutroux sans lui demander un centime, pas plus d’ailleurs qu’au bureau d’assistance juridique. A l’inverse d’ailleurs des avocats qui défendaient les autres accusés. Je n’ai donc pas touché un radis. Rien. En fait, j’ai payé – et cher- les frais de cette défense. Même la copie du dossier des 450.000 pages, c’est moi qui l’ai payée à l’instar du camion de déménagement qu’il a fallu utiliser pour la faire venir de Neufchâteau à mon cabinet bruxellois. Il y avait six palettes! Ce ne sont pas les misérables droits d’auteur que je vais toucher avec ce livre qui sont de nature à compenser ne fût-ce que le quart de mes dépenses.

 

- Etre l’avocat du diable, ce n’est pas toujours facile sur le plan privé ?

- Je ne suis plus fréquentable pour une bonne moitié de la bourgeoisie bruxelloise qui auparavant faisait mine de me considérer. Enfin, disons que je ne l’ai plus été. Aujourd’hui, un certain nombre de ces personnes reconnaissent que j’ai posé des questions utiles à Arlon en évitant des outrances telles que la mise en cause d’un réseau qui impliquerait « un prince, un cardinal, un ministre », et que sais-je encore !

 

- Faut-il vous considérer tel un saint parce que vous accepté d’être l’avocat du diable ?

- (Il réfléchit un instant) Je ne veux pas avoir l’air d’un saint parce que j’estime avoir fait quelque chose de très normal avec l’expérience que j’ai du barreau et les moyens professionnels dont je dispose. J’ai 69 ans. Etant dans ma dernière ligne droite, j’ai considéré que c’était une grande chance  de me pencher sur tant de souffrance au nom de l’idée que je me fais de la justice et surtout dans le rôle de l’avocat de Marc Dutroux. Parce que tout ce qui peut paraître infiniment paradoxal dans mon attitude me paraît au contraire excellent. Et c’est peut-être cette excellence qui sidère les gens.

 

- Etes-vous revenu transformé de ce voyage en enfer ?

- J’en suis sorti profondément déprimé. Physiquement et mentalement

 

- La déprime, cela traduit souvent une colère refoulée.

- Ce n’était pas de la colère. C’était que j’avais investi tellement sans le moindre résultat. J’avais eu beau secouer les consciences, cela n’avait servi à rien, sinon à me faire attaquer, et notamment par les avocats des victimes. Le pire, c’est qu’eux n’ont pas pour autant pris le relais des questions essentielles qui se posaient pour aller vers la vérité. Je ne comprenais pas, et cela d’autant moins que le sort des victimes m’a touché jusqu’à la moelle. J’étais obsédé par ce cauchemar, par le fait que l’âme humaine puisse générer un tel malheur et que, même dans de telle conditions, on ne parvienne par à obtenir de la justice que la vérité totale soit recherchée. Dutroux a fait ce qu’il a fait. Il a été condamné. Mais c’est tout de même énorme de se dire que l’on ne saura jamais pourquoi on ne l’en a pas empêché alors qu’on pouvait le faire ? Avant que quatre victimes soient tuées. Je ne m’en remets pas. C’est pour cela que si quelqu’un me fait un procès pour mon livre, ce ne sera pas classé comme le dossier bis!

 

- Que voulez-vous dire ?

- Je veux dire que j’exercerai mes droits de défense et qu’alors on parlera de l’affaire à fond. De toute l’affaire!

 

(1) Xavier Magnée, Marc Dutroux, un pervers isolé ?, Calmann-Levy. Sortie en librairie, le 6 avril 2005.

 

Forcément déséquilibré

Brillant avocat, le bâtonnier n’écrit bien évidemment rien qui pourrait desservir la défense de Marc Dutroux. Le feu nourri de ses questions se dirige uniquement en direction des institutions alors que son client, c’est évident, n’a jamais lui-même contribué à l’éclatement de la vérité. De ce point de vue, le propos de son livre est déséquilibré. Forcément. Par ailleurs, il comporte aussi des erreurs factuelles qui sont parfois très regrettables. Le rôle de la juge d’instruction Doutrèwe dans les dysfonctionnements de l’affaire Julie et Melissa est totalement éludé. Plus choquant, Me Magnée relaye aussi certaines rumeurs. Comme celle qui voudrait que la mère de l’une des fillettes de Grâce-Hollogne aurait un jour «mordu» de rage, un magistrat liégeois. Dénué de tout fondement! Enfin, des faits non établis, mais allégués par Dutroux sont parfois présentés comme des vérités. Par exemple, en ce qui concerne la date d’arrivée de Julie et Melissa à Marcinelle ou la durée de leur séquestration. Ceux qui liront l’ouvrage de Xavier Magnée devront donc garder un œil critique.

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Michel Bouffioux


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