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6 Janvier 2004
Un article publié dans l’hebdomadaire « Le Journal du Mardi », le 6 janvier 2004.
Plus de 400.000 pages de dossier, des témoignages et indices parfois contradictoires, les thèses et antithèses des différentes parties... La tâche des jurés de la Cour d'assises d'Arlon qui auront à déterminer le sort judiciaire des accusés de l'affaire Dutroux ne sera pas aisée. Et elle sera encore compliquée par le caractère extrêmement manipulateur des accusés. Les antécédents judiciaires et les expertises psychiatriques de Dutroux, Martin, Lelièvre et Nihoul renseignent plusieurs points communs. Ils sont intelligents, ils disposent d'une bonne élocution et, surtout, ils n'ont aucun sens moral : scrupules, remords, sens de leurs propres responsabilités, sont des concepts étrangers à ces personnes. Tous les quatre, c'est déjà couru d'avance, adopteront une même stratégie de défense qui consistera -même en dépit des évidences- à se faire passer pour des victimes. Victimes de la société, de la justice, de l'influence d'un complice ou d'un mari... Voici le premier volet d'une série d'articles donnent un aperçu de diverses manipulations auxquelles les jurés d'Arlon seront confrontés.
« Si je vous demandais de vous définir vous-même que diriez-vous ?
Me définir ? Comme un chercheur...
Un peu plus...
Je cherche l'amitié des gens, mais ceux que j'aime profitent de moi.
Mais quel genre d'homme êtes-vous ?
Je suis plutôt du genre à approcher la morale universelle. .. Pas simplement culturelle, qui varie d'un endroit à l'autre. Comme exemple, je dirais : tu ne tueras point. Tu ne voleras pas... Ces notions-là sont incontestables alors que dans la morale culturelle, il y a des variantes.
Mais quel caractère avez-vous ?
Je ne sais pas et ça ne m'intéresse pas... Un idéaliste, certainement. Et puis, déçu particulièrement. Artiste sans doute et perfectionniste, ce qui va avec. Je ne manque pas d'intelligence mais je ne suis pas malin ; pas comme les gens qui m'approchent et ont de la malignité. Je n'aime pas le répétitif... c'est normal puisque je suis chercheur (...) Depuis 1985, j'ai été agressé par la mafia judiciaire. C'est terrible quand on est un idéaliste ! Or, j'ai été en tôle pour rien. (...) Ici aussi on m'impose des conditions de détention horrible. La seule chose qui me tient, c'est que la vérité sorte un jour. (...) On me muselle pour que je ne dise pas ce que j'ai appris en treize ans de prison. Il y a même les services secrets qui sont intervenus... On a bloqué les témoins X... XI, on a raconté qu'elle était folle mais il y a des tas de vérités dans ce qu'elle dit ! Et puis X3 a touché le Roi et on a tout arrêté ! C'est finalement une affaire d'Etat qui va se passer à Neufchâteau ! C'est ça le réseau, mais je ne suis pas dedans ! (...) Il y a une vingtaine de morts dans cette affaire.
Pour quelle raison vous pourchasse-t-on ?
J'ai été trop loin car je suis un chercheur. J'en sais trop... Les conséquences de leurs tortures, c'est que j'ai été affaibli et qu'on pouvait me manipuler... Ils écrivaient les réponses à ma place et ils râlaient parce que je mettais une heure à relire ! Mais je vais mieux avec le Nootropil et j'ai retrouvé ma volonté. Oui, je suis un inventeur aussi... J'ai inventé des choses mais ça ne vaut pas la peine... C'est comme pour choisir le sexe d'un enfant... Ils ont ri quand je leur en ai parlé... Ils ont proposé que je brevette la découverte !».
Le « chercheur» qui s'exprimait ainsi à la prison d'Arlon il y a quelques mois, interrogé par un neuropsychiatre, n'est autre que Marc Dutroux. Coauteur en aveux de l'enlèvement de 4 enfants -An Marchal, Eefje Lambrecks, Sabine Dardenne et Laetitia Delhez- auteur présumé de l'enlèvement de deux autres - Julie Lejeune et Melissa Russo-, auteur en aveux, ou présumé selon les cas, de séquestrations de mineures d'âge, de viols et de tortures ayant entraîné la mort de ses victimes...
Si nous avons choisi de salir le papier au Journal du Mardi avec les divagations du «chef» présumé de l'association de malfaiteurs qui sera jugée à Arlon, c'est que celles-ci préfigurent clairement un certain «climat» d'intoxication qui se manifestera avant et pendant le procès. Les grandes manœuvres ont en effet déjà commencé : à droite et à gauche, Me Xavier Magnée, le nouvel avocat de Dutroux, se vante d'être un grand admirateur des journalistes et policiers qui ont travaillé sur les «dossiers X» de Neufchâteau. Auparavant, Me Kahn - un autre avocat de Dutroux qui, depuis a jeté l'éponge - avait fait notamment une longue plaidoirie sur les morts mystérieuses de l'affaire...
Notre propos n'est évidemment pas d'écrire ici que l'accusé devrait être contraint au silence. Peut-être a-t-il encore des «vérités» à livrer à la justice. Mais pour l'heure, force est de constater qu'il n'apporte pas d'éléments neufs dans ses déclarations de plus en plus fracassantes. Tout au plus, instrumentalise-t-il de manière abjecte ses diverses lectures du dossier de Neufchâteau et de la presse. Tantôt pour s'auto-absoudre, tantôt pour mettre des bâtons dans les roues du processus judiciaire en cours.
Quatre neuropsychiatres ont suivi le personnage depuis son arrestation, en août 1996. Et ce qu'ils nous décrivent de lui donne peu d'espoir quant à d'éventuelles révélations crédibles de sa part lors du procès d'Arlon. Il semble déjà écrit que Marc Dutroux consacrera son énergie à expliquer aux jurés et aux journalistes du monde entier - ce qui doit lui faire plaisir - qu'il est «la» victime de ce dossier.
Mais qu'en est-il de cette «victime» ? Les psy qui l'ont écouté constatent qu' «alors même qu'il se plaint (...), qu'il se dit 'assassiné' subissant des tortures répétées et sciemment mises sur pied (...), le détenu nous apparaît en pleine forme. L'homme, de constitution athlétique, semble avoir pris un peu de poids, le maintien est droit, le regard clair, il n'y a pas de signe d'altération de la vigilance (...) Contrairement à ce qu'il dit d'une humeur dépressive, celle que nous observons est bonne et stable; à certains moments, il s'esclaffe en mettant en évidence les grossiers moyens qu'utilise le système judiciaire pour prolonger son injuste ‘assassinat’. A d'autres moments, bouillonnant de colère, il hausse la voix et frappe la table. (...) Il peut se calmer aussi vite qu'il a semblé s'emporter. A aucun moment nous n'observerons une mimique révélant les effets d'une prise de conscience exacte de la situation (...) Répétons que l'intéressé n'est guère ou pas déprimé quand nous le rencontrons. Il s'exprime avec une conviction inébranlable, et s'esclaffe parfois de ses bons mots».
Dutroux va bien. Il grossit. Il rit et il s'esclaffe de ses bons mots. Merci pour lui. Tant pis pour ses victimes. Tant pis pour leurs parents. Cet homme, provocation ultime, a osé dire un jour aux neuropsychiatres que ses conditions de détention étaient pires que celles de Julie et Melissa dans la cache de Marcinelle...
L'un des psy attire en outre l'attention sur l'une des caractéristiques du personnage; Dutroux aime, à tout moment, garder le contrôle sur ses interlocuteurs : «Le discours de l'intéressé est fluide. Il s'accélère au gré des thèmes abordés, pour devenir plaidoyer, la voix s'élève alors mais retombe lorsque Dutroux remarque que je prends note. Il apparaît alors que, tout enflammé qu'il est par son discours, il surveille ce que j'en note et commente alors mes réactions soit pour banaliser les propos qu'il vient de tenir, soit pour me démontrer que j'ai tort d'interpréter ses paroles de telle ou telle manière. Il gardera ce fonctionnement durant l'entretien ».
Et il peut être redoutable car «il s'exprime avec une aisance évidente, fait preuve d'une connaissance approfondie de son dossier... tout en se plaignant de n'avoir aucun moyen disponibles pour préparer sa défense».
Mais dans le fond, qui est responsable, selon Dutroux de ce qu'il appelle «sa vie infâme» ? «Un noyau, constant au point d'être lancinant, cristallise ses critiques haineuses et ses invectives rageuses : il est constitué de sa jeunesse - qualifiée de martyre par ailleurs - et du monde judiciaire qui en prolonge les sévices. Sa mère est d'ailleurs, dit-il, coalisée avec un policier pour prolonger son action destructrice. Quel que soit le sujet dont il discourt, il revient constamment à ce thème. Se définissant comme un chercheur, Dutroux prend le temps qu'il juge nécessaire, est acharné et croit découvrir ce qu'il veut. (...) Marc Dutroux s'est, en effet, attribué comme but de rénover le système judiciaire en en mettant en lumière failles et turpitudes pour en améliorer le fonctionnement global. (...) Il devient ainsi un réformateur de la société et, construisant sa position sur maintes découvertes, réflexions et interprétations univoques, écarte de manière plus totale encore qu'il y a quelques année, toute responsabilité propre».
Quelle est la réalité que dissimule le verbiage de l'accusé ? Le collège d'expert-psychiatres qui a examiné le personnage constate que «d'altruisme vrai, de véritable intérêt orienté sur une personne précise, il n'y a pas trace. Si le détenu invective, il n'émet jamais un sentiment pouvant passer pour de la compassion, il n'éprouve de faiblesse pour personne, n'apprécie personne. Même la mise à mort (qu'il a avouée) de ce Weinstein qu'il dit avoir tant admiré pour son génie manuel et avoir été son seul ami, ne semble lui laisser de regret que superficiel Pour le reste, on pourrait penser que seuls ceux qui sont intégralement de son avis ou confirment ses dires bénéficient d'une relative tolérance. (...)».
Pour autant, Dutroux est-il fou, au sens qu'il ne serait pas responsable de ses actes ? Nullement. D'ailleurs, estiment les psy, «son état actuel n'exige aucune prise en charge thérapeutique. (...) Le détenu a mis en place dans son psychisme un 'court-circuit logique' qui lui permet de passer sans vergogne, à ses propres yeux, du statut de criminel à celui de victime. Ce mécanisme (...) justifie pleinement tous ses agissements passés et justifiera tous ses agissements futurs. A ce titre, la dangerosité ne fait pas de doute».
A titre d'exemple de ce diagnostic, les experts citent un autre dialogue à vomir qu'ils ont dû avoir avec l'accusé :
Les enfermer (les enfants) sans leur donner la possibilité de partir en usant de votre supériorité, ce n'est pas de la lâcheté ?
Ce n'est pas la même chose. Je parle de la lâcheté de la société, moi. Si la société n'existait pas... je n'aurais pas été obligé de garder les filles dans la maison...
Donc, ce n'est pas de la lâcheté ?
Non. Un abus de pouvoir, oui mais pas de la lâcheté.
Vous dites pourtant que vous les avez manipulées ?
Oui, pour éviter la coercition... je n'avais pas le choix !
Conclusion des experts : «La rumination incessante de ses thèmes de prédilection (devenus exclusifs), plus pervers que paranoïaques, a progressivement augmenté la virulence de ses ressentiments. (...) Nous nous trouvons toujours en présence des caractéristiques observées de 1996 à 1998 -.attitudes défensives - attribution de la responsabilité à autrui - auto attribution de caractéristiques valorisantes - violence sous-jacente et agressivité... Ensemble de constituants appartenant à la personnalité psychopathique ou antisociale. (...) L'état mental du prévenu constitue un danger pour lui-même et surtout pour la société. Nous pensons devoir considérer que cette caractéristique est renforcée par le fait du durcissement accru de la quête réalisée par le prévenu à l'encontre de ce qu'il dénomme 'la société' (...) Il y a donc un paradoxe sidérant entre le fonctionnement global et le discours :ce 'réformateur social' est un modèle d'isolement et n'éprouve que mépris à l'égard de ce qu'il dit vouloir réformer. Il existe ici une évolution dont le but final pourrait être d'écarter l'attention de ses propres comportements. On repère les mêmes raisonnements guidés par une morale propre, essentiellement différente de la morale commune qu'il annule, et qui varie au gré des situations envisagées. La culpabilité est évitée, non sans une certaine rigidité, au prix de multiples manœuvres rhétoriques».
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