Alicia Allemeersch était allée faire une course, on ne l'a plus jamais revue
Une enquête évoquée sur le plateau de l'Info Confidentielle Match-RTL-TVi, le 11 novembre 2007 et publiée dans l'hebdomadaire Paris Match (Belgique), le 15 novembre 2007.
Dans leur petite maison de Montignies-sur-Sambre, les Allemeersch continuent à garder l’espoir, à rêver d’un miracle. Pour eux, Alicia est toujours en vie. Mais la réalité est de plus en plus implacable, dure et triste comme l’automne qui s’installe : cela fait désormais un an que la jeune femme n’a plus donné signe de vie. Un an qu’une enquête policière – pourtant bien menée et avec tous les moyens nécessaires – ne débouche sur aucun résultat. Un an que personne ne sait où pourrait se trouver cette maman qui, tel un personnage de la série télévisée « Cold Case », s’est volatilisée un soir de novembre 2006. « Rien ne nous prouve qu’elle serait morte. Il est possible que quelqu’un la retienne quelque part. Qu’elle soit séquestrée, peut-être droguée et à la merci d’une bande de criminels. On veut croire qu’elle reviendra », explique Marcel, le papa d’Alicia qui, ce dimanche, est venu témoigner sur le plateau de l’Info Confidentielle Paris Match ».
Le 12 novembre 2006, il est environ 22 h 45 lorsqu’Alicia Allemeersh, 20 ans, ferme la porte de son appartement de la rue Bosquetville à Charleroi. Depuis, elle n’est plus revenue dans ce quartier peu agréable, à proximité immédiate du ring carolo où, dans le bruit et la pollution, elle vivait depuis quelque mois avec son copain Judigaël et sa petite Jenna, aujourd’hui âgée de 21 mois… Un an plus tard, jour pour jour, plus personne ne réside à l’adresse et Marcel Allemeersch, le papa d’Alicia, le regard triste, le corps détrempé par une pluie glacée d’automne, nous montre les vitres dénudées de l’appartement sans vie du premier étage. Avec lui, nous remarchons dans les pas d’Alicia tels qu’ils ont été reconstitués par une enquête minutieuse de la Police fédérale.
« Ce soir-là, Alicia était sortie pour aller chercher du pain dans un night-shop de la ville basse », raconte l’homme éploré avant d’entamer notre marche dans ce décor noir de noir. En guise de paysage, à notre gauche, un petit chemin. Il nous conduit tout droit vers un quai industrieux de la Sambre où l’on ne serait guère étonné de trouver l’une ou l’autre seringue oubliée par un junkie de passage. «L’eau est très proche, à quelques dizaines de mètres, c’est pourquoi la police fédérale a fait draguer la rivière après la disparition de ma fille. Ils n’ont rien trouvé», note d’une manière désabusée, presque neutre, Marcel Allemeersch.
A notre droite, la rue mène vers les soubassements du ring du Charleroi sur lequel d’innombrables voitures entretiennent une pollution sonore permanente. C’est par là que nous nous dirigeons car sous les voûtes du monstre de béton existe un petit tunnel pour piétons connu des seuls indigènes. Marcel décrit cet endroit peu hospitalier : «C’est un raccourci. Il permet de gagner un quart d’heure de marche au moins si l’on désire se rendre au centre ville. Et c’est ce qu’Alicia a fait le soir de sa disparition». Fort imprudemment car, poursuit le papa, «ce lieu n’est jamais éclairé et donc, le soir, c’est un vrai coupe-gorge. J’ai souvent conseillé à ma fille de ne pas s’aventurer par ici, une fois la nuit tombée. Mais elle ne voulait rien entendre. Alicia, que j’ai peu élevée, parce que sa maman en avait la garde principale, était assez effrontée. Je dirais qu’elle était trop franche. On aurait dit que rien ne pouvait l’effrayer. Elle avait certainement un côté un peu inconscient».
« Ce qui est arrivé est forcément grave »
A la sortie du tunnel, la ville basse de Charleroi s’offre au regard à environ 200 mètres de distance. Dans la nuit du 12 novembre, empruntant des petites rues peu accueillantes, Alicia se rend d’abord dans un self-bank de la Fortis sur la place Albert 1er. «La dernière image de ma fille a été prise là par une caméra de surveillance. Elle a retiré 40 euros. Elle était en discussion au téléphone avec un ami. Tout à fait normale et joviale, dira plus tard cet interlocuteur». En poursuivant sa conversation téléphonique, la jeune femme se rend ensuite dans un night-shop qui se trouve tout au bout de la rue de Marchienne. Avec le papa d’Alicia, nous nous marchons dans ce quartier chaud de Charleroi où les bordels et les putes sont innombrables. Pas vraiment un endroit où une jeune fille de 20 ans devrait se promener un dimanche soir de novembre…
« L’enquête a établi qu’elle a bien acheté son pain chez le Pakistanais », reprend Marcel. « Et sur le chemin du retour, elle continuait à converser sur son portable. Jusqu’au moment où elle a dit à son copain François qui parlait avec elle qu’elle devait s’interrompre. Ensuite, son portable a été coupé, puis remis en fonctionnement pendant quelques secondes avant d’être coupé définitivement. A partir de ce moment, elle disparaît. Tout ce que l’on sait, c’est qu’elle était quelque part sur le chemin du retour quand elle s’est évaporée…Et c’est à peu près tout… ».
Alicia aurait-elle décidé de tout plaquer ? A-t-elle été enlevée ? A-t-elle été tuée ? Pour parler de toutes ces hypothèses, Marcel nous invite dans la petite maison de Montignies-sur-Sambre où il cohabite depuis onze ans avec Stéphanie, sa seconde épouse. En nous recevant, la belle-mère d’Alicia donne tout de suite le la : « Pour nous, elle est toujours en vie. Et on est certain qu’elle n’a pas fugué ». Marcel enchaîne aussitôt : « Rien ne nous prouve qu’elle serait morte. Il est possible que quelqu’un la retienne quelque part. Qu’elle soit séquestrée, peut-être droguée et à la merci d’une bande de criminels. On veut croire qu’elle reviendra ».
Aurélie, 18 ans, l’une des sœurs d’Alicia, vient se joindre à la conversation. « Pour moi aussi, il est exclu qu’il s’agisse d’une fugue. Si elle était partie de sa propre volonté, elle m’aurait prévenue. J’en suis certaine, elle m’aurait appelée ! On s’entendait trop bien pour qu’elle puisse me laisser comme cela. Elle aimait trop sa fille Jenna aussi pour l’abandonner de cette manière. Ce qui est arrivé à Alicia est forcément grave. Si des gens la retiennent, qu’ils la libèrent. Je m’en fous qu’ils soient punis ou pas, je veux revoir ma sœur, vous comprenez ! ».
Si les proches d’Alicia regrettent amèrement qu’il ait fallu un mois pour que la justice carolo prenne au sérieux ce dossier de disparition inquiétante, ils soulignent dans le même temps que, depuis lors, c'est-à-dire depuis que le dossier a été mis à l’instruction, les policiers n’ont pas lésiné sur les moyens pour trouver la clé de l’énigme. « On a pu lire le dossier, il est évident que les enquêteurs sont des gens sérieux et professionnels. Ils ont énormément travaillé. Il y a eu des surveillances, des écoutes. Ils n’ont reculé devant rien. C’est vraiment impressionnant. On les apprécie aussi sur le plan humain. Mais ils ne trouvent rien, aucune piste », explique Marcel. Pour illustrer le propos, Stéphanie évoque des confidences récentes que lui faisait un policier : « Ils ont l’impression de chercher une aiguille dans un grand hangar tout noir avec les yeux bandés ».
« Elle ne se méfiait de personne »
Une source autorisée proche de l’enquête confirme ce sentiment d’impuissance : « On a fait des tonnes de devoirs. Pour déboucher sur le néant. Dans la plupart des enquêtes, on a toujours un os à ronger, une piste ou l’autre, mais ici, on n’a plus rien, rien du tout. Les seuls résultats qu’on a obtenus à ce jour, en exploitant méthodiquement tous les témoignages que nous recevons sur la présence de la jeune femme à tel ou tel endroit, c’est d’avoir trouvé plusieurs « fausses Alicia », des personnes qui lui ressemblaient... Plus le temps passe, plus ce dossier devient inquiétant ».
Côté policier, on confirme le sentiment de la famille : «Rien dans ce dossier ne tend vers l’hypothèse de la fugue». Comme le dit Marcel, «si on veut tout plaquer, on ne fait pas d’abord un détour chez le Pakistanais, à trois kilomètres de marche, pour acheter un pain». Ce n’est pas tout. Ce soir-là, Alicia ne prend aucun vêtement, même pas sa carte d’identité. Juste avant de quitter son appartement, elle a un contact téléphonique avec une amie pour lui demander quelques tartines en dépannage pour le déjeuner de Judigaël, le lendemain matin. Ce n’est qu’en se voyant répondre que cela n’est pas possible qu’elle décide d’aller acheter du pain au seul magasin ouvert un dimanche soir à 22 h 45. Avant de partir, elle écrit aussi un mot à son compagnon annonçant son retour imminent. Au Mister Cash, elle laisse 300 euros sur son compte… Cet argent dort depuis maintenant plus d’un an. Durant tout son dernier parcours connu, elle est au téléphone avec un ami et rien dans ce qu’elle dit ne traduit une intention de partir, un quelconque stress, une déprime annonciatrice d’un départ, alimenté par un désespoir soudain. «Tous les éléments de cette affaire donnent plutôt à penser que la jeune femme a été kidnappée », confirme Gilbert Dupont, notre confrère de la « D.H.», le seul journaliste à avoir tout de suite accordé à cette affaire l’importance qu’elle mérite.
Que s’est-il passé le soir du 12 novembre 2006 ? Autour de la table de la salle à manger, dans la petite maison de Montignies-sur-Sambre, ceux qui connaissent le mieux Alicia évoquent leur hypothèse avec des mots qui nous semblent convaincants.
Stéphanie : « Alicia est une fille impulsive ».
Marcel : « Je lui ai toujours dit qu’elle était trop franche. Que cela lui causerait des ennuis».
Aurélie : « Elle fonce sans réfléchir. Si quelqu’un l’embête, elle l’envoie promener. Parfois trop directement. Dans le même temps, elle fait trop vite confiance aux gens, elle est un peu naïve. »
Marcel : « C’était en effet très risqué de se promener dans des rues aussi malfamées que celles-là, le soir, pour une jeune fille seule !».
Aurélie : « Si une voiture s’est arrêtée à sa hauteur pour demander son chemin ou quoi… ».
Marcel : « Elle est capable d’être montée à bord pour montrer le chemin… »
Stéphanie : « A mon avis, c’est ce qui s’est passé. Alicia ne se méfie de personne, elle a trop confiance… ».
Pour être complet, on signalera encore qu’au moment de sa disparition, Alicia partageait sa vie affective entre deux hommes. Le père de son enfant, Judigaël, et François, la personne avec laquelle elle parlait au téléphone en se rendant chez l’épicier pakistanais… Ces deux hommes ont été interrogés. Ils ont aussi passé avec succès le test du polygraphe et l’enquête, à ce stade, les met totalement hors de cause, de même d’ailleurs que toute personne appartenant à l’entourage de la disparue.