13 Juillet 2006
Quelques jours avant la libération d’Ait Out, un expert psychiatre l’avait écrit : «Je pense qu’il reste potentiellement aussi dangereux qu’au premier jour»
Toujours présumé innocent au moment de boucler cette édition de Ciné-Télé Revue (lundi 10 juillet), Abdallah Ait Out n’en restait pas moins le suspect numéro 1 dans le cadre de l’enquête sur les assassinats des petites Nathalie et Stacy à Liège. Qui est vraiment ce récidiviste ? Dans quelles conditions a-t-il été interné –plutôt condamné à une peine de prison- après un odieux viol d’une jeune fille de 14 ans en 2001 ? Quelles sont les circonstances qui ont conduit à sa remise en liberté, fin 2005 ? Un risque inconsidéré pour la société a-t-il été pris en relâchant un tel individu dans la nature ? Ces questions sont au centre du débat politique et médiatique depuis plusieurs semaines. Ayant pu avoir accès à tous les rapports d’expertise psychiatrique d’Abdallah Ait Out, nous y répondons largement.
Les documents que nous révélons cette semaine donnent des éclairages inédits sur le parcours de vie de l’inculpé lequel affirme, parmi d’autres choses, qu’il a été lui-même victime d’abus sexuels répétés durant son enfance. Mais surtout, ces pièces inédites laissent à penser qu’Abdallah Ait Out n’aurait pas dû être interné en 2001 et qu’en 2005 le risque de récidive de cette «personnalité anti-sociale avec une importante composante narcissique» (ce qui veut dire «psychopathe» dans le langage des psychiatres) était clairement connu de la Commission de défense sociale, avant qu’elle le libère.
Dans les pièces sur lesquelles elle a fondé sa décision, elle disposait notamment les informations suivantes : le 28 octobre 2004, 1 an avant sa remise en liberté, trois médecins du Centre de défense sociale de Paifve ont signé collégialement un rapport dans lequel on pouvait lire : «Nous restons persuadés de la prégnance des traits anti-sociaux de la personnalité du sujet et du risque de récidive». Le 10 octobre 2005, quelques jours à peine avant la libération d’Ait Out, l’expert psychiatre Pierre Lux écrivait dans un autre rapport : «Je pense qu’il reste potentiellement aussi dangereux qu’au premier jour».
Pourquoi alors l’a-t-on alors relâché ? La Commission de défense sociale n’avait pas vraiment le choix… Récit d’une histoire de fou. Avec la mise en évidence d’un échec collectif après lequel tout le monde pourra prétendre avoir eu raison et avoir fait son boulot dans les règles tout en renvoyant la balle vers d’autres intervenants. Une histoire bien belge en définitive… Qui mériterait une commission d’enquête parlementaire pour que de tels errements ne puissent plus se reproduire.
Dix mars 2001, il est environ 9 heures du matin. Christine H., une jeune fille de 14 ans promène son chien à proximité immédiate de son domicile à Grâce-Hollogne. Elle entend une voiture qui ralentit lorsqu’elle arrive à sa hauteur. Dans un premier temps, l’homme qui est à bord lui demande son chemin. Alors qu’elle lui inscrit quelques indications sur un bout de papier, le conducteur la frappe à la tête avec une pierre. Ensuite, il essaye de la faire monter à bord du véhicule mais la victime résiste. L’agresseur se fait alors plus menaçant : terrorisée et sans défense, Christine comprend qu’elle a intérêt à obéir si elle ne veut pas encore être frappée. Alors qu’elle entre dans la voiture, l’homme lui demande son âge et, semblant bien connaître les lieux, il prend la direction d’un petit chemin. Lorsque l’auto s’immobilise, le pervers déshabille sa victime complètement, il se déshabille lui aussi, il abaisse le siège où se trouve sa proie et il l’a viole. Ensuite, il l’a laisse se rhabiller et il lui donne une cigarette. Alors que la victime parvient à s’enfuir, la voiture redémarre. Christine H. court à perdre haleine pour trouver refuge dans la première maison qu’elle rencontre. L’occupant des lieux prévient aussitôt la police…
Un mois plus tard, le 9 avril 2001, Christine H. consulte un fichier photos de personnes déjà connues de la justice pour des faits de mœurs dans les locaux de la police; Elle reconnaît formellement un certain Abdallah Ait Out, né à La Hestre, le 23 juillet 1967. Pour la justice le suspect désigné par la victime de Grâce-Hollogne est déjà l’un de ses vieux «clients». Sa première condamnation remonte à 1988, époque où il était âgé de 21 ans : 6 mois de prison pour usage et détention de stupéfiants. En 1991, il prend encore une fois six mois pour des faits de coups et blessures. Ensuite les condamnations se succèdent : 8 mois (sursis pour la moitié) pour coups et blessures, le 30 juin 1994. 5 ans (sursis pour un an) du chef de viol et d’attentat à la pudeur sur mineur d’âge le 20 décembre 1994 : il s’agit du viol de sa nièce Nadia E. dont Ciné-Télé Revue a publié le témoignage dans son édition du 29 juin 2006. 1 mois, le 28 octobre 1996 du chef du roulage. 15 jours, le 6 juin 1997 du chef de roulage. 8 mois ferme le 11 février 1999 du chef de vols qualifiés, vol et grivèlerie. Depuis 1988, Ait Out a aussi bénéficié de deux périodes de libérations conditionnelles, toutes deux révoquées pour non respect des conditions ou/et commission de nouveaux délits rapidement après sa remise en liberté.
Le 23 avril 2001, Abdallah Ait Out est enfin interpellé par les policiers qui ont eu du mal à le trouver parce qu’il se cachait. Sur les raisons de cette cavale, Abdallah Ait Out expliquera que cela n’avait rien à voir avec le viol de Christine H. ; Que s’il se cachait c’était parce qu’il craignait d’être arrêté pour un fait bien plus mineur. A savoir ? Le non respect des conditions de sa liberté conditionnelle : il ne fréquentait plus depuis un certain temps le centre de santé mentale qui était chargé de son suivi… Un scénario que ressemble étrangement à celui que l’on retrouve aujourd’hui dans le dossier «Nathalie et Stacy». Ait Out affirme que s’il s’est volatilisé après l’enlèvement et l’assassinat des petites liégeoises, ce n’est pas parce qu’il était impliqué dans cette affaire mais parce qu’il craignait d’avoir des ennuis pour des faits mineurs de grivèlerie et de vol.
Ce qui se passe ensuite dans l’affaire de 2001 fait aussi penser à la récente actualité. Confronté au fait que sa victime le désigne formellement comme l’auteur des faits, Abdallah Ait Out… nie tout en bloc. «C’est faux, cette fille est folle», déclare-il en substance. Il est néanmoins inculpé pour le viol de Christine H. par le juge d’instruction Closon et placé sous mandat d’arrêt. En prison, Abdallah Ait Out maintient ensuite ses dénégations pendant plusieurs semaines : révolté, il jure qu’il est totalement innocent ! De «mauvaise humeur», - ce qui est logique à ce moment puisqu’il a adopté la posture de l’innocent injustement accusé - il refuse un premier entretien avec l’expert psychiatre Walter Denys qui a été désigné pour procédé à son «examen mental»…
Mais le 18 juin 2001, on assiste à une vraie volte face. Abdallah est réauditionné à la lumière des résultats de tests ADN prouvant formellement qu’il est bien l’auteur du viol de Christine. A partir de ce moment précis, il avoue… Prouvant par là même qu’il est loin d’être un débile mental, Abdallah prend aussitôt un autre axe de défense pour tenter d’échapper à la prison. Et cela va très bien fonctionner! A partir de sa réaudition du 18 juin 2001, il admet désormais les faits mais, dit-il, le jour du viol de Christine H., il ne savait pas ce qu’il faisait parce qu’il était sous l’influence d’un mélange détonnant d’alcool et de drogue (cocaïne, extasy). D’ailleurs, prétend alors Ait Out, il ne se souvient que très mal de ce qui s’est passé, tout au plus «quelques images» lui reviennent en tête…
«J’ai tout nié. Je ne me retrouvais pas dans ma tête»
Immédiatement après ces aveux, l’expert psychiatre Walter Denis parvient lui aussi à obtenir la «collaboration» de l’inculpé. Dans le rapport qu’il signe en date du 23 juin 2001, le Dr Denys relate avec précision une partie de l’entretien qu’il a avec Abdallah Ait Out :
« - (…) Pourquoi êtes-vous en prison ?
- Pour viol. J’avais bu et pris de la cocaïne, dix grammes au moins… et de l’ecstasy. Je ne me rappelle pas tout : juste quelques images.
- Lesquelles ?
- J’ai été à Huy avec une voiture, oui, une voiture volée. Et puis j’ai poussé une fille dans la voiture ; elle était jeune mais je ne saurais pas la reconnaître.
- Vous la poussez dans la voiture…
- Oui, à cause de la drogue ; je me suis réveillé sur un palier dans un building et une femme m’a dit que je ne pouvais pas rester là.
- Où était-ce ?
- Du côté de Jemeppe. Je suis parti et j’ai dormi plus qu’une journée et une nuit.
- Et la voiture ?
- Je ne sais pas où je l’ai laissée. Pendant 36 heures, j’ai des trous. J’avais été dans des dancings. J’ai pris de la coke et de l’XTC.
- Combien d’XTC ?
- Je ne sais pas : je buvais du whisky…
- Vous avez dormi 24 heures.Où ?
- Chez mon père.
- On vous a arrêté plus tard ?
- Oui, le 24 avril seulement. J’ai tout nié : je ne me retrouvais pas dans ma tête. On m’a interrogé il y a quelques jours et j’ai admis, enfin, ce que je sais. J’avais demandé un test ADN et on l’a fait : il est positif. Je sais maintenant que c’est bien moi !
- Vous n’avez pas de souvenir de la fille ?
- Je me revois couché sur elle mais c’est tout.
Un élément est particulièrement frappant dans cette audition d’Abdallah Ait Out : à aucun moment, il n’assume réellement ses responsabilités par rapport à l’acte qu’il a commis. Certes, il ne peut nier les faits mais dans son discours c’est la drogue et l’alcool qui sont les vrais accusés, ce sont ces substances qui l’ont poussé, malgré lui, à commettre l’irréparable. Une défense osée qui pourrait malheureusement inspirer ces trop nombreux chauffards qui tuent des enfants sur les routes en roulant en état d’ébriété. «Ce n’est pas moi, Monsieur le Juge. C’est l’alcool. Je ne savais plus ce que je faisais»… Car pour Abdallah, cela va marcher. Le docteur Walter Denys conclut qu’ «au moment des faits qu’il a commis, le prévenu ne se trouvait ni dans un état grave de débilité mentale ou de déséquilibre mental, mais bien dans un état de démence qui lui a enlevé le contrôle de ses actes». Et le médecin ajoute même qu’ «actuellement son état est le même». Traduction : Abdallah Ait Out ne doit pas rester en prison, il peut échapper à un procès pour prendre directement un billet à destination d’un Centre de défense sociale.
«J’en ai marre de mes conneries mais je les fais sans le savoir en plus »
Ce rapport du docteur Walter Denys est relativement bref. Le médecin y fait notamment état de quelques éléments biographiques : très jeune Abdallah aurait été victime d’abus sexuels intrafamiliaux (lire encadré), il a aussi connu d’importantes difficultés scolaires : «Il a fait les primaires jusqu’à la troisième années puis est passé en accueil et fait six années en enseignement spécial (Trixhes) formation soudure». Le rapport mentionne également le fait qu’Abdallah a été livré à lui-même dès l’âge de 17 ans alors que ses parents sont repartis vivre au Maroc (lire encadré). Le récit que nous fait ce psychiatre de la vie d’Abdallah met en évidence un fil conducteur : Ait Out semble avoir une tendance à commettre des faits dont il ne se souvient plus par la suite. A cet égard, Il met notamment en exergue cette citation à propos de ses trop nombreuses bagarres de café ou de rue : «Oui, j’en ai eu. Je ne me rappelle jamais parce que c’est quand j’ai bu beaucoup. J’ai même reçu trois balles dans les jambes, mais je ne saurais pas expliquer comment». Le psychiatre souligne aussi cette autre phrase d’Ait Out : «J’en ai marre de mes conneries mais je les fais sans le savoir en plus. C’est la coke et l’ecstasy».
Le docteur Denys en arrive ensuite à décoder le viol commis par Abdallah de la manière suivante : après avoir subi des abus sexuels dans son enfance qui ont laissé des traces (ndlr : mauvaise image de lui-même) et ensuite de longues périodes d’emprisonnement pour des délits divers, l’intéressé aurait aussi mal vécu sa libération à partir de juin 2000. Pourquoi ? Parce que durant celle-ci «il se voit de manière répétitive soupçonné de nouveaux délits» par la police. Cela l’aurait angoissé et «déstabilisé» au point qu’il ait développé un sentiment de persécution, ce qui l’aurait conduit à boire et à consommer des drogues qui l’aurait encore plus déstabilisé. Conclusion de l’expert : «Je pense qu’en temps normal, c’est-à-dire en dehors du contexte psychologique que vivait le prévenu et en l’absence des effets de divers psychotropes, Ait Out n’aurait pas agi comme il l’a fait. Il ne semble pas être un sujet agressif. Le contrôle de ses actes me paraît dès lors avoir été largement altéré au moment des faits et une prise en charge de longue durée s’avère nécessaire pour éviter de nouveaux comportement indélicats». Objectivement, cette expertise rejoint parfaitement la stratégie de défense d’Ait Out : c’est la drogue qu’il a prise qui l’a mis dans un «état de démence» et si il a pris de la came c’est parce qu’il souffrait. Où comment le bourreau d’une ado violée devient presque une victime…
Pour conforter son expertise, le Dr Denys fait appel au psychologue Didier Salah, lequel rencontre également Abdallah Ait Out à la prison de Lantin. Pour rappel, l’expert Denys estimait donc que Ait Out était non seulement dans un état de démence au moment du viol, mais aussi plusieurs semaines après les faits, au moment de son expertise mentale. Mais quand on lit le rapport de M. Salah, rien, absolument rien, ne renvoie à la description d’une personne démente! Ce psy se rend une première fois à la prison de Lantin, le 11 mai 2001. A ce moment, Ait Out n’a pas encore été forcé d’avouer à cause des tests ADN et celui qui joue encore à l’«innocent révolté» refuse de parler au psy en lui «expliquant de manière laconique qu’il souhaite d’abord discuter avec son avocat». Et comme de bien entendu, lors d’une seconde visite du psy, le 29 juin –après les aveux-, Abdallah est dans de toutes autres dispositions : «l’intéressé accepte sans la moindre réticence de participer à l’examen».
Le psy a droit aux mêmes évocations que son prédécesseur (abus sexuels, sentiment d’abandon au moment du retour des parents au Maroc etc…) mais ce qu’il note ne correspond en rien à la description d’un individu en état de démence : «Le niveau intellectuel est normal. M. Ait Out maintiendra son attention sans difficulté, et évoquera des souvenirs anciens et récents de manière suffisamment précise. Seule la scène des faits qui lui sont reprochés serait mal engrammée et accessible à la remémoration que par flash. Le contenu du discours est cohérent, sans fuite des idées ni évocation de conviction délirante. (…) L’intéressé comprend et raisonne de manière adéquate et son vocabulaire et sa syntaxe sont de bonne qualité. (…) On ne peut observer aucun signe susceptible d’évoquer une détérioration des fonctions mnésiques, du langage (…) On n’observe pas de manifestation d’angoisse. (…) Son attention et son état de conscience apparaîtront tout à fait normaux pendant l’examen.». Alors que rien dans ce rapport ne corrobore cet «état de démence» qui, selon le docteur Denys, justifiait l’internement d’Ait Out, son collègue Salah –par confraternité avec celui qui lui a commandé le rapport ?- conclut de manière identique à son collègue : «L’intéressé devrait bénéficié d’une prise en charge médico-psycho sociale au long cours». Autrement dit, il faut l’interné plutôt que de le juger et de l’envoyer en prison.
«Je suis sûr que je suis plus traumatisé que la fille, sûr à cent pour cent !»
Pourtant, ce rapport Salah comportait déjà bien des indices d’une éventuelle psychopathie d’Abdallah Ait Out. Un psychopathe ou «personnalité anti-sociale» dans le langage actuel des psychiatres répond à plusieurs critères clairement identifié dans la littérature scientifique. Si l’on se réfère par exemple au DSM IV, un ouvrage connu de tous les psy et qui résume les critères diagnostiques de différents troubles mentaux, la psychopatie se définit comme un «mode général de mépris et de transgression des droits d’autrui qui survient depuis l’âge de 15 ans, comme en témoignent au moins trois des manifestations suivantes :
- (1) Incapacité de se conformer aux normes sociales qui déterminent les comportements légaux, comme l’indique la répétition de comportements passibles d’arrestation ;
- (2) Tendance à tromper par profit ou par plaisir, indiquée par des mensonges répétés, l’utilisation de pseudonymes ou des escroqueries ;
- (3) Impulsivité ou incapacité à planifier à l’avance ;
- (4) Irritabilité ou agressivité, indiquées par la répétition de bagarres ou d’agressions ;
- (5) Mépris inconsidéré pour sa sécurité et celle d’autrui ;
- (6) Irresponsabilité persistante, indiquées par l’incapacité répétée d’assumer un emploi stable ou d’honorer des obligations financières ;
- (7) Absence de remords, indiquée par le fait d’être indifférent ou de se justifier après avoir blessé, maltraité ou volé autrui.
Il va de soi qu’il est extrêmement rare qu’un psychopathe collectionne les 7 critères ici définis. Même un personnage comme Marc Dutroux qui a été qualifié de grand psychopathe pendant son procès d’Arlon échappait par exemple au critère (3) puisqu’il planifiait ses enlèvements d’enfants en effectuant divers repérages. Il y en tous cas une chose sur laquelle l’immense majorité des psychiatres sont aujourd’hui d’accord : dans l’état actuel des connaissances scientifiques, les psychopathes ne sont pas des «malades qui peuvent être soignés» par des médicaments ou par des thérapies analytiques. La structure psychique qui est la leur est présente dès l’enfance et si elle a le malheur de s’installer dans les débuts de l’âge adulte –ce qui n’est pas systématique pour certains sujets qui semblent présenter des signes de psychopathie pendant l’enfance-, aucun moyen curatif n’a encore été trouvé pour la modifier. Par conséquent, la place de telles personnalités anti-sociales n’est pas en «Centre de défense sociale». D’abord parce que les médecins qui s’y trouvent ne peuvent rien pour eux d’un point de vue thérapeutique. Ensuite, parce que ces «patients» un peu particuliers ont une tendance à instrumentaliser et à manipuler les vrais malades et débiles mentaux qui se trouvent dans ces centres (organisation de trafics divers, abus sexuels etc…). Le contrôle de ces psychopathes implique alors un surcroît considérable de travail qui n’a dès lors plus que des enjeux de sécurité comme seule finalité. Outre quelques exceptions de plus en plus rares et de plus en plus contestées, les experts psychiatres laissent donc actuellement les psychopathes dans le circuit judiciaire classique (jugement, condamnation avec une éventuelle mise à disposition du gouvernement pour retarder au plus loin une éventuelle sortie, prison).
Ces précisions étant faites, nous pouvons maintenant revenir au cas Ait Out et à ce rapport du psychologue Salah. Bien qu’il épouse finalement les conclusions du Dr Denys (internement), son exposé rencontre parfaitement en certains points les critères de psychopathie décrit dans le DSM IV :
«Il semble bien que les dernières années se soit caractérisées par une déstructuration de son mode de vie : accumulation d’actes délictueux et consommation de divers toxiques de manière anarchique» (Critères 1 et 5)
«Lorsque l’on évoque les faits, il fait état de pertes de mémoire, affirmant ne plus se souvenir que de flash. Il invoque sa consommation d’alcool et de toxiques, et assure qu’il se trouvait alors dans un état inhabituel, où son sens des réalités était perturbé. Il affirme ne pas se reconnaître dans les faits, et se dit même convaincu d’en souffrir plus que la victime elle-même. Ce qui illustre un sens de l’empathie pour le moins déficient» (Critère 7). A cet égard, le psychologue cite aussi Ait Out dans une autre partie de son rapport : «Je suis sûr que je suis plus traumatisé que la fille, sûr à cent pour cent !»
A l’époque, ces indices de psychopathie n’interpellent personne et, dès le 6 août 2001, le parquet de Liège se range derrière l’expertise du Dr Denys pour constater que «l’inculpé se trouvait au moment des faits en état de démence, le rendant incapable du contrôle de ses actions, qu’il se trouve actuellement dans le même état et qu’il constitue un danger pour la société». Conséquence logique, le ministère public requiert l’internement immédiat d’Abdallah Ait Out. C’est aussi la décision qui est prononcée par la chambre du conseil du tribunal de 1ère instance de Liège, le 12 septembre 2001. Ait Out reçoit donc son billet pour l’internement psychiatrique. Et à lire ce qu’il avait déclaré, quelques jours plus tôt, au psychologue Salah sur ses conditions de détention à Lantin, il doit alors être très heureux d’échapper à la prison : «Je reste dans ma cellule ; je reçois des menaces de partout, des surveillants et des détenus. Je ne veux pas aller au huitième (ndlr : section des délinquants sexuels), je veux être normal. Je n’ai pas peur des autres, même s’ils viennent à vingt. Je ne veux pas être mis avec les pédophiles. Je n’ai pas peur d’être tué, dans ma tête, je suis déjà mort».
«Je ne peux être d’accord avec son internement»
Fin du premier acte. Abdallah Ait Out entame son parcours d’ «interné» par l’annexe psychiatrique de Lantin. Et très rapidement, les médecins qui ont à connaître de son cas estiment qu’une grosse erreur a été commise en leur envoyant ce type qui est sensé être «dément». D’une part, pour eux il ne l’est pas du tout mais en plus ils ont immédiatement la conviction d’avoir à faire à un psychopathe qui a berné les experts judiciaires. Dans les documents que nous avons pu découvrir au cours de nos investigations, il y a notamment cette «note confidentielle» rédigée par le docteur Michel Bataille dès le 5 novembre 2001, soit moins de deux mois après la décision d’internement. Elle est tout à fait explicite :
«Concerne : Ait Out Abdallah (…) interné, séjournant actuellement à l’annexe psychiatrique de Lantin. Il s’agit de la part de l’intéressé d’un viol crapuleux sur la personne d’une mineure d’âge de moins de 16 ans, avec violence, ruse et menaces. L’individu est par ailleurs en récidive légale. L’intéressé dit ne pas se souvenir du tout des faits. Il semble avoir commis cet acte odieux sous l’influence de cocaïne et d’ecstasy. En dehors du contexte de la drogue, l’intéressé se montre parfaitement normal, et il se retranche derrière la consommation de drogue pour justifier ou se défendre des faits commis. Pendant tout l’entretien avec lui, il ne fait jamais allusion à sa ou à ses malheureuses victimes. L’intéressé me paraît posséder un noyau psychopathique et de ce fait je ne peux être d’accord avec son internement. Je pense que Ait Out aurait bénéficié beaucoup mieux d’une lourde peine. Je ne vois pas d’ailleurs ce que nous allons pouvoir faire pour lui en défense sociale, mais ceci sera pour plus tard… En tous cas pour l’instant, il séjourne sans heurt à l’annexe, il n’a pas de traitement, n’en demande pas et vraiment on ne voit pas ce qui est à soigner au sens strict du terme. Toute analyse comme celle du psychologue expert (ndlr : Walter Denys) renvoyant à des explications de type analytique dans l’histoire personnelle est à mon avis obsolète par rapport à l’évidence des faits, à leurs récidives et surtout à leurs réalisation sous l’emprise de la drogue. Si on se met à interner tous délits quelconques sous l’effet de la drogue, on pourra multiplier à l’infini les établissements de défense sociale.»
«La dangerosité sociale reste entière»
Le 29 mai 2002, Abdallah Ait Out dépose ses valises au centre de défense sociale de Paifve. Un lieu où il ne recevra jamais la moindre médication puisque cela ne sert à rien. Moins d’un an plus tard, le 14 mars 2003, il reçoit l’autorisation de participer à des «sorties en groupes et accompagnées». Les médecins qui accèdent à ce souhait de leur «patient» notent cependant dans un rapport confidentiel que l’intéressé à «un important émoussement affectif et une froideur émotionnelle» : «Par rapport aux faits, il apparaît sur la défensive, fuyant soigneusement toute tentative de confrontation ; la gravité de ceux-ci est minimisée ; ils se seraient d’ailleurs selon lui, toujours passés sous l’influence de substance psychoactives et dès lors toute responsabilisation semble difficile.»
Le 26 septembre 2003, Ait Out fait l’objet d’un nouveau rapport psychiatrique au Centre de défense sociale de Paifve. Ses examinateurs relèvent une nouvelle fois «des traits de personnalité psychopathiques s’exprimant par la prédominance de l’agir sur la mentalisation, l’impulsivité, la difficulté à utiliser constructivement les expériences antérieures, l’instabilité affective, l’agressivité, le recours au toxiques (…) Du point de vue du D.S.M. IV, sur l’axe 2, Monsieur Ait Out présente un trouble de personnalité antisociale avec des traits narcissiques.(…) Compte tenu de sa personnalité et de ses consommations, la dangerosité sociale reste entière. En outre, il apparaît peu probable qu’une prise en charge psychothérapeutique puisse fournir les garanties suffisantes par rapport à un éventuel risque de récidive».
Ce rapport de 2003 mentionne que le fait que «Monsieur Ait Out désirerait (ndlr : déjà !) obtenir une libération définitive via une nouvelle expertise. Il verbalise qu’il se sent actuellement ‘au bout du rouleau’ que la vie en E.D.S est plus difficile qu’en prison parce ‘qu’on est tout le temps face à soi-même’». Confronté à cette demande, les médecins tentent d’évaluer ce qui s’est passé lorsque, dans les années précédentes, Abdallah Ait Out a bénéficié de périodes de liberté conditionnelle. Et ce n’est guère encourageant : «1996 : 2 jours après sa libération, Monsieur Ait Out assiste à une bagarre et reçoit 3 balles perdues dans la jambe. Il est hospitalisé et a des problèmes financiers. Il rompt avec son amie et ne se rend plus au centre de santé mentale. Il recommence à voler et sera à nouveau écroué 7 mois après sa libération conditionnelle. 2000 : 10 mois après sa libération, il est arrêté pour viol. Il a recommencé à boire, à consommer de la drogue et à négliger progressivement ses rendez-vous au centre de santé mentale (…) Les contacts avec l’assistant de justice se sont également dégradés au fil du temps. En 1999, les intervenants (SPS Lantin) soulignaient la remise en question de l’intéressé par rapport à l’échec de sa libération conditionnelle en 1996. Monsieur Ait Out verbalisait son désir de «penser à sa situation de vie affective et professionnelle, avant de sortir et de s’amuser». L’évaluation de la libération conditionnelle prouvera l’inverse. Nous pensons que rien n’a fondamentalement changé : le discours de l’intéressé est identique («je vais travailler, je ne penserai plus à m’amuser, j’ai bien compris… ». En effet, Monsieur Ait Out considère qu’il n’a pas de problèmes. Selon lui «plus rien ne lui fera commettre de nouveaux délits si on lui laisse sa chance»…
«Une sortie à l’essai me semble envisageable»
En cette fin d’année 2003, les médecins de Paifve constatent donc qu’Ait Out est toujours aussi «dangereux socialement» mais que, dans le même temps, il n’a pas sa place dans leur établissement de défense sociale. L’idée qui sous-tend leur raisonnement est toujours la même : cette personne aurait du faire l’objet d’une peine de prison plutôt que d’un internement où elle ne peut être l’objet d’aucune aide sur le plan thérapeutique. Le désaccord de ces médecins avec l’expertise de Walter Denys qui était à l’origine de l’internement est donc patent. Ce dernier reçoit donc une nouvelle mission qui lui commandée par la commission de défense sociale de Lantin : «déposer rapport décrivant l’état mental actuel de l’intéressé (…) et dire s’il relève encore de la loi de Défense sociale». A cette fin, Walter Denis rencontre Ait Out, le 20 novembre 2003. Le rapport que cet expert produit deux jours plus tard n’est rien d’autre qu’une confirmation de sa première expertise de 2001. Pour lui, c’est évident, tous les autres médecins qui ont rencontré Ait Out ont tort : Abdallah n’est pas un psychopathe.
Extrait : «Lorsqu’en 2001, j’avais écarté la notion de personnalité antisociale, c’était au profit d’un trouble essentiellement relationnel lié à une carence affective ancienne et prolongée et à une faible valorisation de l’image personnelle. J’avais en effet relevé les élément suivants fort peu présent dans un contexte de psychopathie : le sujet ressent le besoin de s’étendre sur sa vie personnelle…, une prise en charge à laquelle il dit tenir beaucoup…, destabilisé à cause des soupçons qui pesaient sur lui…, une fort mauvaise image de soi. J’y ajouterai l’état manifestement dépressif avec pessimisme (…) et les sentiments de honte qu’il dit connaître en repensant à deux ans de distance aux faits en cause. Ceci non plus n’est pas compatible avec un fonctionnement psychopathique.». Que recommande le docteur Denys ? «Une sortie à l’essai me paraît pouvoir être envisageable mais si elle survient, elle devra être soigneusement préparée (gestion financière, support psycho-social durable… et organisation de la vie).». A la suite de ce rapport, Ait Out reçoit l’autorisation de la commission de défense sociale d’effectuer des sorties non accompagnées. Le récidiviste est donc déjà en semi-liberté, moins de trois ans après le viol de Christine H.
Le 27 janvier 2004, les médecins de Paivfe prennent acte de la contre-expertise du Docteur Denys : «Nous n’avons pas le même avis quant à l’évaluation psychologique et psychiatrique de l’intéressé et nous maintenons nos conclusions (rapport spécialisé du 26 septembre 2003)». 9 mois plus tard, ils se penchent une nouvelle fois sur le cas Ait Out (rapport du 28 octobre 2004) et ils confirment leur analyse de la situation : «En dépit de la dernière décision de la commission de défense sociale (ndlr : autorisation de sorties non accompagnées) et du contenu de la contre-expertise du Docteur Denys, nous restons persuadés de la prégnance des traits antisociaux et psychopathiques de la personnalité du sujet et du risque de récidive («dangerosité sociale… entière»).» C’est aussi un embarras certain qui filtre au travers de ce rapport. D’une part, les médecins confirment leur point de vue sur le fait que «la place de ce sujet en défense sociale nous pose toujours question, entre autre, sur le plan thérapeutique.(…) Nous doutons que la notion de ‘déresponsabilisation’ découlant de la mesure d’internement (maintien de ce statut) puisse contribuer pour Monsieur Ait Out à une ébauche de changement ou de remise en question de ses comportements déviants et délictueux». Mais dans le même temps, la libération d’Ait Out qui se profile à l’horizon leur pose également question : «Rappelons les échecs des mesures de faveurs antérieures au travers notamment de récidives rapides».
Pendant ce temps, Abdallah Ait Out continue à préparer sa remise en liberté. Lors de ses sorties, il cherche déjà un appartement et conçoit comme projet de s’installer en région liégeoise. Il obtient aussi l’aval du «Service Epsylon», un service de santé mental situé à Herstal, aux fins d’assurer son suivi lorsqu’il sera libre. Le 2 juin 2005, un assistant social d’Epsylon écrit une lettre au Centre de défense sociale de Paifve : «Nous vous confirmons que nous acceptons de poursuivre le traitement médico-psycho-social entamé avec Mr Ait Out.» Une situation assez surréaliste dans la mesure où Abdallah Ait Out n’a jamais fait l’objet d’aucun traitement à Paifve pour les raisons que nous avons déjà longuement exposées.
En parallèle l’avocat d’Ait Out écrit à la Commission de défense sociale pour demander sa libération. Dans la foulée, le 16 juin 2005, Ait Out fait l’objet d’une dernière évaluation psychiatrique à Pfaive. Les médecins de l’EDS maintiennent leur avis : l’intéressé est une personne anti-sociale, un psychopathe dont la dangerosité sociale reste entière et il présente un risque important de récidive. De plus, ils n’affirment pas croire à la validité de l’accompagnement médico-psycho-social dont leur patient pourra bénéficié lors de son éventuelle libération. Mais comme la place d’Ait Out n’est pas non plus en Centre de défense social, les médecins de Paifve entrouvent tout de même la porte à sa libération en conclusion de leur rapport :
«Monsieur Ait Out souhaite obtenir de la Commission un accord de principe pour une libération (…) A ce jour, il répond donc aux conditions matérielles minimales relatives au plan de reclassement (occupation, logement, source de revenus et conventions de moyens). Les contre-indications relevées dans nos précédents rapports demeurent, à nos yeux, et sont principalement associées aux traits psychopathique et antisociaux de la personnalité de l’interné et aux risques de récidive. Nous sommes toutefois conscients du peu d’évolution possible pour ce type de profil clinique et de la nécessité de pouvoir envisager, de manière claire et ‘humaine’, les perspectives d’avenir de tout interné»
La patate chaude est ainsi transmise en l’état à la Commission de défense sociale près l’annexe psychiatrique de la prison de Namur, laquelle est présidée par Henry Pol Godin (on y trouve aussi un médecin psychiatre, un représentant du parquet de Liège, une avocate). Le 30 juin 2005, cette CDS constate qu’«il résulte du dossier et des débats à l’audience qu’il existe un doute sur l’état mental de l’interné qui pourrait ne plus ressortir à la commission de défense sociale». Pour être fixée sur ce point et trancher les désaccords qui ont opposés l’expert Denys au médecins de Paifve pendant les années précédentes, la CDS donne mission à l’expert psychiatre Pierre Lux «de dire dans un rapport motivé si l’état actuel de l’interné relève encore de la loi de défense sociale (…) en vue de l’examen d’une libération définitive».
Dangereux mais pas dément
Ce rapport est déposé le 10 octobre 2005 et il est accablant pour Walter Denys. Le docteur Pierre Lux a soumis Abdallah Ait Out au test de psychopathie de Hare et ce dernier a obtenu un score très élevé de 25 points (ndrl : ce qui est un score très élevé). La conclusion de l’expert est claire et nette : «Ni arriération mentale, ni psychose, ni démence (…) On a évidemment affaire à une personnalité anti-sociale, avec une importante composante narcissique». Les traits de psychopathie relevés par ce psychiatre sont extrêmement nombreux : «Loquacité/ Charme superficiel, surestimation de soi, tendance au mensonge pathologique, duperie/manipulation, absence de remords ou de culpabilité, affect superficiel, insensibilité, manque d’empathie, faible maîtrise de soi, apparition précoce de problèmes de comportement, incapable de planifier (long terme + réaliste), irresponsabilité, incapable d’assumer la responsabilité de ses faits et gestes, délinquance juvénile, violation des conditions de liberté conditionnelle, diversité des types de délits commis.»
Et les attaques de front contre l’expert Denys se succèdent. On l’a vu au début de cet article, non seulement le premier psychiatre estimait que Ait Out était en état de démence au moment du viol de Christine H. mais, pour lui, il l’était encore trois mois plus tard lorsqu’il avait rencontré l’inculpé à Lantin. Pierre Lux s’inscrit en faux : le contenu de l’entretien entre Denys et Ait Out démontrerait au contraire que l’inculpé était «parfaitement orienté dans le temps et dans l’espace, comprenait bien les questions et n’y répondait jamais à côté. Au moment de l’interview, il n’est certainement pas dément ! »
Et le nouvel expert de préciser «qu’Ait Out n’est pas dément non plus au moment des faits. Rien dans les dépositions des uns et des autres ne permet de reconnaître aucun des symptômes de la démence. Par contre, le prévenu s’est comporté comme un parfait psychopathe. La conclusion de l’expert au diagnostic de démence est donc incompréhensible. Le fait que Ait Oud aurait été ‘sous l’effet de l’alcool et de divers psychotropes’ ne justifie en rien le diagnostic de démence, pas plus qu’on n’appellerait dément un automobiliste qui sous l’effet de l’alcool tuerait un piéton. (…) La motivation qui déterminé l’internement de Ait Out était une erreur de diagnostic (…). Le vrai diagnostic de trouble anti-social de personnalité (anciennement psychopathie ou sociopathie) a été négligé par la première expertise».
«Potentiellement aussi dangereux qu’au premier jour »
A partir de ce constat, le docteur Lux ne peut malheureusement tirer qu’une seule conclusion : que ce soit d’un point de vue légal ou thérapeutique, la place d’un psychopathe tel Ait Out n’est pas dans un Centre de défense sociale mais en prison : «Ait Out ne relève pas de la loi de défense sociale ni maintenant, ni à l’époque de son internement. Cette affirmation repose sur le libellé exact dans cette loi des motifs d’internement. De plus, les éléments de structure de sa personne excluent toute intervention thérapeutique que ce soit, tant médicamenteuse que psychologique. La bonne conduite signalée à l’E.D.S. n’est pas une objection. Elle est seulement l’effet d’un encadrement institutionnel strict sur une personne qui n’a pas de règles intériorisées pour se bien conduire seul. Attention que cet avis n’entraîne aucune affirmation sur la non dangerosité sociale de l’intéressé. Je pense qu’il reste potentiellement aussi dangereux qu’au premier jour. Mais la dangerosité sociale ne suffit pas à elle seule à prononcer un internement. D’ailleurs si cette erreur d’aiguillage n’avait pas eu lieu, il aurait dû purger de lourdes peines de prison, et la société serait pour de nombreuses années encore à l’abri de ses possibles erreurs de conduites».
En décembre 2005, la Commission de défense sociale constate donc qu’Abdallah Ait Out ne relève pas de la défense sociale et elle prononce sa libération définitive. Le parquet ne fait pas appel de cette décision. Techniquement, il n’y a aucun reproche à faire : tant pour l’internement en 2001 que pour la libération en 2005, les décisions ont été prises sur base d’avis d’experts reconnus comme tels par la justice. Ces experts eux-mêmes, même si leur avis ont été totalement divergeant, plaideront chacun la bonne foi. N’empêche. Le risque de récidive était clairement identifié et Ait Out était décrit comme dangereux en raison de sa personnalité anti-sociale. Aurait-il fallu alors le libérer à l’essai ? Pas sûr que cela ait tenu la route juridiquement puisqu’en 2005, les dernières expertises estimaient que l’intéressé ne relevait plus de la défense sociale. En plus, nous fait remarquer un juriste, «un interné qui commet un acte pendant une libération à l’essai est toujours considéré comme irresponsable. Dans un tel cas de figure, si ce devait être bien lui le coupable dans l’affaire des petites liégeoises, il aurait une nouvelle fois échappé à un procès pénal.». In fine, on pourrait encore se dire qu’il aurait mieux fallu alors de le laisser séjourner à Paifve. Mais là encore, les avocats d’Ait Out aurait eu beau jeu de contester une telle décision qui aurait été contraire à l’avis d’un expert assermenté qui estimait que ce n’était plus sa place. C’est donc bien en 2001 que l’erreur fatale a été commise dans ce dossier, au moment où Ait Out a été interné plutôt d’aller en prison pour une longue peine.
Abdallah Ait Out prétend avoir été lui-même la victime d’abus sexuels
Dans notre précédente édition, nous prenions acte des déclarations qui nous avait été faites par le grand frère d’Abdallah, Mohamed Ait Out. Celui-ci nous laissait entendre qu’il n’y avait pas trace d’un quelconque évènement dans l’enfance de l’assassin présumé de Nathalie et Stacy qui aurait pu le faire disjoncter. Dès lors, nous avions émis une hypothèse à propos du parcours de vie d’Abdallah : «Ce serait donc l’histoire d’un type qui n’a pas souffert et qui a fait souffrir…». Avec une semaine d’investigation supplémentaire, il nous apparaît que c’est fort heureusement que nous avions utilisé le conditionnel. Dans les rapports de psychiatres et de psychologues consacrés à l’intéressé, il apparaît en effet que son enfance et son adolescence n’auraient pas été toutes roses. S’il nous semble incontournable d’apporter ces précisions supplémentaires, on les accueillera aussi avec la prudence qui s’impose puisqu’elles ressortent de confidences faites par Abdallah Ait Out à différents thérapeutes au cours de ces dernières années. En d’autres termes, il s’agit de regards portés sur son passé par une personne qui, selon sa dernière expertise mentale en date est psychopathe doté d’une «tendance au mensonge pathologique» et d’une «incapacité d’assumer la responsabilité de ses faits et gestes». En outre, s’il devait se confirmer qu’Abdallah Ait Out était le ou l’un des coupables des horribles faits commis à Liège, il évident que ses tourments passés, fussent-ils avérés, ne pourraient lui servir de causes d’excuse.
1. Victime de faits de maltraitance durant sa petite enfance ?
A ses psychiatres, Ait Out présente son enfance comme difficile, dans un milieu pauvre, et avec un père extrêmement sévère, alcoolique, analphabète et parfois violent. En juin 2001, il déclare à un psychologue : «Quand on faisait des bêtises, il nous mettait dans la cave et nous attachait parce qu’on s’enfuyait pas le soupirail». Plus tard, son père le soutiendra pendant ses ennuis judiciaires lors de divers retour en Belgique.
2. Victime d’abus sexuels au sein de sa famille ?
Au cours de plusieurs interrogatoires par des psy, Abdallah Ait Out a fait état d’abus sexuels dont il aurait été victime au sein de sa famille entre ses 4 et ses 17 ans. En juin 2001, il déclare : «Mon enfance a été fort perturbée ; on m’a fait des attouchements depuis que je suis jeune ; j’avais quatre ans quand ça a commencé. Qui ? Des hommes et même des femmes. Oui, certains de ma famille… mais je n’aime pas en parler. C’est pour ça que j’ai tripoté une jeune nièce en 1993, une fille de ma sœur». A d’autres psy, il dira encore : «On me touchait depuis que j’étais tout petit. Je pensais que c’était normal quand j’étais petit, et même après quand j’ai grandi (…) C’est avec l’affaire Dutroux que j’ai compris». A d’autres occasions, Abdallah expliquera avoir victime d’abus sexuels de l’un de ses frères et même de l’une de ses sœurs.
3. Livré à lui-même à l’âge de 17 ans.
En 1984, le père et la mère d’Ait Out décident de retourner vivre au Maroc. A l’époque, Abdallah qui a 17 ans et son frère Mustapha qui est d’un an son cadet refusent d’accompagner leur parents. Les deux ados fuguent, ce qui ne reporte pas le départ des parents. Mustapha et Abdallah ressentent alors un profond sentiment d’abandon et ils sont livrés à eux-mêmes. Abdallah Ait Out déclare à cet égard : «Je suis resté dans la rue avec mon frère, on s’est caché, je dormais chez des copains, on travaillait dans un café et on a fini par louer un studio». C’est aussi à cette époque que commence le parcours délinquant d’Abdallah Ait Out.
4. La perte tragique de Mustapha qu’il considérait être son jumeau
Deux ans après le départ de ses parents au Maroc, Mustapha le frère préféré d’Abdallah avec lequel il avait fugué, se tue dans un accident de voiture. Le conducteur avait trop bu. Abdallah était à bord du véhicule. C’est un moment tragique dans son existence. Il considérait Mustapha comme son frère jumeau. Il a notamment déclaré à son égard : «Il était plus jeune que moi mais c’est lui qui pensait pour moi, il était débrouillard, les gens croyaient qu’il était plus âgé que moi d’ailleurs.»
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