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22 Mai 2008
VERS UN NOUVEAU GESTE DES ASSUREURS ?
- Enquête évoquée sur le plateau de "L'Info Confidentielle Paris Match" , le 18 mai 2008 et publiée dans "Paris Match (Belgique), le 22 mai 2008 -
Dans le cadre de « L’info confidentielle Paris Match » sur RTL/TVI, David da Palma, l’un des rescapés de la catastrophe a lancé un vibrant appel aux assureurs : « Attendre la fin du processus judiciaire pour recevoir les indemnisations, soit 2012 ou plus tard encore, c’est intolérable. Il faut une solution anticipée. Si 10 % des montants probables étaient libérés, ce serait une bouée de sauvetage pour de nombreuses familles en difficulté ! ». Ce souhait sera-t-il exaucé ? Des discussions très secrètes ont lieu depuis plusieurs semaines sur une éventuelle indemnisation « hors justice ». Y participent dix compagnies d’assurances – dont plusieurs du top 10. Accepteront-elles de faire un geste pour les victimes avant que le débat sur les responsabilités soit judiciairement clos ? Rien ne les y oblige légalement. Moralement et en termes d’image de marque, c’est évidemment un tout autre débat…
En juillet 2004, l’émoi causé par la tragédie de Ghislenghien (24 morts, 132 blessés) avait suscité de grandes promesses politiques : la justice ferait la clarté sur les responsabilités et on réparerait les préjudices subis au plus vite. « En trois ans ! », avait osé annoncer la ministre de la Justice Onkelinx. Quatre ans plus tard, il n’y a pas de coupable jugé. Les victimes sont toujours en attente d’indemnisation. Et certaines d’entre elles rencontrent d’énormes difficultés sociales. Avec le temps qui passe, la frustration devient de plus en plus manifeste parmi les rescapés de l’enfer et dans les familles endeuillées. « Devra-t-on attendre l’issue définitive du processus judiciaire pour être indemnisé ? Pour nous, c’est intolérable. Cela risque de nous reporter à 2012, voire plus tard ! », a crié dimanche David da Palma, sur le plateau de « L’info confidentielle Paris Match ».
Cet ouvrier de Diamant Board est l’un de ces miraculés qui a survécu aux flammes ; A cette chaleur suffocante qui, ce jour-là, était assez forte pour littéralement faire fondre les corps. « Juste après l’explosion, j’ai couru avec mon collègue et ami Angelo. Il paraît qu’il a voulu revenir en arrière pour sauver quelqu’un. Je ne l’ai plus jamais revu. » David s’en est sorti avec un corps brûlé à 50 %, des traces indélébiles sur le visage, un handicap permanent… Son bilan se résume en quelques chiffres : 50 jours de coma, 35 opérations et, à ce jour, pas un euro des assurances.
« Pour être de bon compte », explique-t-il, « je veux souligner que j’ai bénéficié, comme les autres victimes, des dons qui ont été faits immédiatement après la catastrophe par Assuralia et Fluxys (N.d.l.r. : 2 millions d’euro au total). En ce qui me concerne, j’ai reçu environ 15 000 euros… A celui qui estimerait que c’est une belle somme, je dis que je veux bien lui donner tout de suite cet argent à la condition qu’il prenne aussi ma vie d’aujourd’hui. Mon apparence physique a été modifiée, je n’ai plus de souffle, je souffre de douleurs récurrentes, l’un de mes bras est atrophié et si je ne vais pas très régulièrement chez le kiné, plus rien ne fonctionne correctement… Tout cela n’est encore rien. Ce sont les aspects psychologiques et moraux qui pèsent le plus. Je souffre d’un stress post-traumatique très profond. Impossible de reprendre le travail, impossible de retourner sur ce zoning. Ma vie affective et familiale n’est plus la même. J’angoisse. Je ne vois pas le bout du tunnel. Et, en plus, j’ai parfaitement conscience que mon espérance de vie n’est plus aussi longue qu’avant cette catastrophe. »
Afin de ne pas s’enfoncer dans un désespoir stérile, David s’est rapproché de Silu, de Diane, de Michele, de Salvatore et de plusieurs autres victimes de Ghislenghien. D’abord pour partager des impressions et confronter les expériences. Ensuite pour donner naissance à une association des victimes de Ghislenghien. A l’origine, en février dernier, ils étaient dix. Moins de quatre mois plus tard, ils sont trois fois plus nombreux. Pour se faire entendre, ils ont eu l’idée d’écrire une lettre ouverte au monde politique et aux autorités judiciaires (voir l’encadré ci-contre). Leur sentiment est d’être pris en tenaille entre une justice qui avance au rythme qu’on lui connaît et un monde des assurances qui ne leur fait pas de cadeaux.
« Et pendant que le temps s’écoule, la situation de certaines familles qui ont beaucoup perdu devient difficile. Parfois intenable. De toute façon, le problème n’est même pas là. Toutes les victimes d’une telle catastrophe devraient avoir droit à une réparation dans un délai raisonnable. Ce n’est pas plus compliqué que cela », résume Silu Diatezwa, qui est l’une des chevilles ouvrières de ce rassemblement.
Difficile de reprocher à la justice – malgré les promesses déraisonnables faites en son temps par une ministre – de prendre tout le temps nécessaire pour affiner ses constatations dans un dossier aussi complexe. Dans un État de droit, on ne peut pas non plus s’indigner du fait que certains avocats demandent de nombreux devoirs complémentaires qui, certes, sont de nature à rallonger le temps d’instruction mais qui pourraient aussi contribuer à mieux déterminer les responsabilités de chaque acteur du drame. Par contre, on ne peut que constater que tous ces principes respectables bénéficient seulement aux compagnies d’assurances qui devront in fine indemniser les victimes. « Chaque jour qui passe rapporte des intérêts sur les sommes qui ont été provisionnées par les assureurs et ce n’est pas rien : on parle d’un montant global d’environ un milliard d’euros ! Moi, je vis exactement l’inverse avec mes huissiers. Chaque jour qui passe, les intérêts sur mes dettes me font perdre de l’argent », résume M. Diatezwa.
Un problème sans solution ? David da Palma a exprimé le souhait, dimanche dernier, que « les compagnies d’assurance concernées par ce dossier acceptent de faire un geste en faveur des victimes au travers d’une avance sur les indemnisations à venir. Pourquoi n’anticiperaient-elles pas le versement de 10 % de la somme qu’elles devront de toute manière payer après le procès ? ».
En février dernier, François de Clippele, le porte-parole d’Assuralia, le groupement professionnel qui représente le secteur des assurances avait cependant déjà exclu cette possibilité lors d’un entretien accordé à Paris Match : « Nous avons déjà fait un don d’un million d’euros en 2004 alors que nous n’y étions pas tenu juridiquement. Ce don ne sera pas déduit des indemnisations à venir, mais une telle action n’est pas susceptible d’être répétée (…) A ce stade, aucun assureur n’estime être celui qui, in fine, sera le principal débiteur d’indemnisation. Dès lors, on ne peut raisonnablement demander à l’un d’entre eux de déjà indemniser « pour compte de qui appartiendra. C’est ce qui rend ce dossier différent de celui de la catastrophe industrielle AZF de Toulouse où, c’est vrai, il y avait eu des avances sur indemnisation parce qu’un seul assureur était concerné pour un seul coupable évident » (…) « Il n’y aura donc pas d’indemnisation complète des victimes avant l’issue du processus judiciaire. Ni d’avances sur le montant final qu’elles devront percevoir. Il faut qu’une responsabilité soit déterminée avant qu’il y ait une indemnisation. Agir autrement créerait un précédent. Ce ne serait pas éthique par rapport à d’autres victimes qui attendent aussi l’issue d’un procès pour être indemnisées. (Mais) il n’est pas impossible que la position de certains assureurs évolue à la fin de l’instruction, si une responsabilité apparaissait déjà indubitablement dans le chef de certains inculpés. On pourrait alors imaginer que les assureurs concernés décident d’anticiper le paiement d’indemnisations ».
Nous avions soumis ces propos tranchés à Marie-Claude Maertens, procureur du Roi à Tournai, un magistrat qui, alors que rien ne l’y oblige, a le mérite d’œuvrer en coulisses pour convaincre les assureurs de trouver une solution d’indemnisation anticipée. Elle démentait alors : « Il faut garder espoir. Ce n’est pas un dossier facile, mais les négociations sont encore en cours ». A l’époque, le ministre de la Justice avait renchérit : « La plupart (des victimes) ont eu leurs frais médicaux remboursés, mais elles doivent attendre une décision du tribunal pour être dédommagées. Certaines d’entre elles connaissent de gros problèmes financiers, ne peuvent toujours pas reprendre le travail. Le ministre propose donc de réunir les assurances et les firmes concernées pour essayer de débloquer de l’argent pour les victimes ».
Où en est-on aujourd’hui ? M. de Clippele, le porte-parole d’Assuralia, nous confirme intégralement sa position exprimée en février. Et précise : « Assuralia n’a pas été convoqué à une réunion par le ministre Vandeurzen. Le monde politique ferait œuvre plus utile en travaillant à l’élaboration d’une législation qui permettrait à l’avenir d’éviter les écueils rencontrés par les victimes de Ghislenghien. Pourquoi ne pas s’inspirer de ce qui a été fait par rapport au risque terroriste, prévoir une petite cotisation obligatoire pour tous les assurés afin de les protéger de ces risques technologiques ? ». Cependant, dans une conversation ultérieure, il ajoutera : « Je vais vous surprendre mais je viens d’apprendre que notre association n’est plus l’interlocuteur du ministre de la Justice dans le dossier de Ghislenghien ! M. Vandeurzen a entamé des discussions avec plusieurs compagnies d’assurances. Je ne sais rien de leur contenu ».
Au cabinet du ministre, on nous informe que « les discussions avec les assureurs n’ont commencé qu’il y a un mois ». Très prudent, le porte-parole de M. Vandeurzen ne donne aucun détail. Pas de calendrier, pas de montants… Mêmes les noms des compagnies d’assurance qui ont accepté de participer à ces réunions où « on conserve encore l’espoir de trouver une solution hors justice » sont tenus secrets!
Renseignements pris à bonne source, les sociétés qui sont actuellement à la table de ces négociations présidées par Mme le procureur du Roi de Tournai avec l’assistance d’éminents juristes et spécialistes du droit des assurances sont au nombre de dix. Il y a de grands noms du secteur : HDI-Gerling, Ethias, Assurances Fédérales, Zurich, KBC, Protect, Euromaf, Generali, P&V, Axa. Impossible d’avoir un commentaire auprès de ces sociétés sur leurs intentions. L’un des négociateurs argumentant que « ce ne serait pas correct, étant donné que la confidentialité a été acceptée par tous les participants. La seule personne habilitée pour parler de tout cela, c’est Mme la procureur du Roi de Tournai, Mme Maertens ».
« On recherche toujours une solution. En bien ou en mal, il y a aura bientôt une réponse. Ce n’est pas une question de mois mais de semaines », nous déclare ce magistrat qui, en outre, « se refuse à formuler tout pronostic ». Il est vrai que dans des affaires aussi lourdes, les prévisions sont risquées. En février dernier, Marie-Claude Maertens nous avait assuré que « le juge d’instruction arrive au bout des devoirs complémentaires » et qu’il n’était « pas exclu que l’on soit en chambre du conseil avant les vacances judiciaires ». Aujourd’hui, la complexité évidente du dossier l’a conduite à revoir cette prévision et à ne pas en proposer une autre.
Lettre Ouverte
« Au Gouvernement fédéral, aux autorités judiciaires et à tous les citoyens qui se sentiront concernés : le Collectif des victimes de Ghislenghien s’est réuni afin de faire le point sur l’interminable instruction judiciaire, ainsi que sur la situation sanitaire et sociale des victimes. Le constat est amer (…). Quatre ans après, bien des consolidations ont eu lieu, mais la justice n’est pas au rendez-vous. Fragilisées, beaucoup de victimes se voient soit dépendantes de la mutuelle ou du chômage tout en devant faire face aux frais liés à leurs sinistres ; les avocats doivent être payés ainsi que les experts médicaux.
Cette fragilité sanitaire et sociale ne leur permet pas toujours de faire face et beaucoup d’entre nous ont plongé dans une certaine morosité, dans le doute, voire pour certains dans la dépression… Pour d’autres, les huissiers font déjà l’inventaire de leurs avoirs.
C’est pourquoi nous attirons votre attention sur la situation actuelle qui livre les victimes de Ghislenghien à une deuxième catastrophe (victimisation secondaire) : pas de procès avant 2009, voire pas de jugement définitif après 2012 ? Pas d’indemnisation provisoire avant le procès et pas avant un jugement définitif ? Cela fait peut-être l’affaire des assureurs qui ont certainement placé le milliard d’euros d’indemnités qui sera payé dans le futur sur des comptes à intérêts, mais pas celui des victimes.
De plus, les spécialistes vous confirmeront qu’il est dans l’intérêt de la santé des victimes que la procédure judiciaire ne s’éternise pas afin de permettre un travail de résilience… A notre grand désespoir, c’est bien le contraire qui s’impose à nous ! Nous sommes très conscients que Ghislenghien n’est pas une affaire facile, mais pour nous, l’allure que prend ce dossier suscite une grande angoisse. Ne faudrait-il pas donner un statut particulier à ces victimes fragilisées socialement et médicalement ? Qu’il y ait au moins un gel de leur imposition fiscale, de la pression des huissiers, etc. ;
Dès lors :
1. Si la justice ne peut accélérer son cours et que les responsables politiques ne parviennent à obtenir un geste des assureurs, nous sollicitons clairement la mise en place d’un système de bouclier juridique dans le but de préserver les victimes du joug des huissiers de justice dans l’attente d’un jugement (...).
2. Nous demandons avec insistance le bouclage de cette longue instruction, de ce que nous appelons désormais une prise d’otage juridique.
3. Nous souhaitons l’émergence d’une Cellule de coordination permanente pour les victimes qui pourra organiser une réaction efficace si, un jour, une nouvelle catastrophe devait avoir lieu.
4. Nous soutenons toute initiative législative qui viserait à empêcher à l’avenir que d’autres victimes de catastrophes technologiques soient, comme nous, placées dans une situation d’attente interminable et douloureuse. A l’heure actuelle, ce sont malheureusement les puissances financières qui sont favorisées. Elles ont tous les moyens à leur disposition pour faire un long procès, tandis que les victimes ne peuvent se permettre ce luxe, tant sur le plan de la santé que sur le plan social.
Il est pour nous nécessaire d’être fixés. Quand aura lieu le procès ? Nous sommes toujours dans un flou inacceptable. Mme le procureur du Roi de Tournai, Mme Maertens, nous avait, dans sa lettre du 5 juillet 2006, annoncé que des devoirs complémentaires ont été demandés au juge d’instruction, ce depuis le 19 juin 2006. Voici deux longues années ! La lassitude nous désespère à un tel point que nous nous fixons comme objectif en temps voulu de saisir la Cour européenne des droits de l’homme. Nous espérons avoir clairement exposé nos préoccupations dans ce que nous appelons déjà un double drame, et nous osons encore espérer un signe positif des autorités.
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