Centre fermé de Vottem : Des pratiques qui font peur (01/03/2007)
Enquête publiée dans l'hebdomadaire "La Libre Match", le 1er mars 2007
A la suite de la publication de cette enquête, l'Office des Etrangers a fortement critiqué mon travail et a annoncé le dépôt d'une plainte du directeur du Centre "pour étrangers illégaux" de Vottem à mon encontre. Lire le communiqué de l'O.E : OE11357074 Le 11 septembre 2012, au bout de plusieurs années procédure, le tribunal de 1ère instance de Liège a jugé que cette plainte n'était pas fondée, les magistrats considérant que j'ai réalisé un travail d'investigation sérieux et objectif, dans le respect de la déontologie journalistique. Lire ici l'intégralité du jugement : Vottem jugement Le tribunal a aussi jugé que les témoins courageux qui s'exprimaient dans l'article n'ont pas non plus commis de faute. Le directeur du Centre fermé de Vottem a renoncé à introduire une action en appel de cette décision qui est donc définitive. Ce fonctionnaire est condamné à payé une somme de 2.750 euros, qui sera prise en charge par l'Office des Etrangers, en d'autres termes par le contribuable... Voici l'article :
N’y a-t-il place pour un vrai secret médical dans le Centre fermé pour « illégaux » de Vottem? Des membres du personnel non médical interviennent-ils dans des prescriptions de calmants- destinés à «casser» des «résidents» jugés «trop excités»? Du DHBP, un neuroleptique potentiellement très dangereux pour la santé si les doses ne sont pas respectées, est-il délivré à la légère par certains médecins qui travaillent à la prestation pour le Centre ? Ces questions ressortent des témoignages d’infirmières qui, jusqu’il y a peu, travaillaient à Vottem. «On voulait me faire cautionner des entorses graves à la déontologie médicale. Comme je ne cédais pas, j’ai été victime de harcèlement, puis d’un licenciement abusif» accuse notamment l’une d’entre elle. L'un des médecins du centre fermé confirme l'utilisation de DHBP pour calmer des «résidents agités» mais, affirme-t-il, «c'est rare et cela se fait dans le respect de la déontologie médicale». Le directeur de Vottem, quant à lui, se porte en faux contre les accusations de harcèlement. «La Libre Match» a mené l’enquête… Avant que la justice ne revienne une nouvelle fois mettre son nez dans le linge sale de Vottem? C'est ce que souhaite la « Ligue des Droits de l'Homme » qui estime que les infirmières témoignent de graves atteintes à la dignité humaine.
« C’est de la médecine soviétique ! Il s’agit de faits graves, passibles d’une sanction disciplinaire pour le confrère concerné, voire même d’une sanction pénale». Ce psychiatre liégeois auquel nous faisons part des témoignages de deux infirmières qui travaillaient jusqu’il y a peu au « Centre fermé pour illégaux de Vottem » (CIV) n’en revient pas. Nous venons de lui donner à connaître deux extraits de lettres écrites très récemment par ces dames en blanc. Des documents dont «La Libre Match» a pu prendre connaissance grâce à un vent favorable et qui, c’est important de le signaler, sont également en possession du directeur de Vottem et de ses supérieurs de l’Office des Etrangers à Bruxelles depuis plusieurs semaines. En d’autres termes, tous ces gens savent…
Dans ces documents, on peut lire la description détaillée de faits qui renvoient à un exercice de la médecine, disons très particulier. Où il est fait usage d'un neuroleptique qui, vu ses effets secondaires potentiels est encore très peu utilisé dans les unités psychiatriques et ce, dans le but de «calmer» un «résident» jugé trop excité… Alors qu’en fait le «patient» présenté aux infirmières est calme, alors qu'aucun médecin n’est présent pour juger de son état et que ce sont des membres de la direction administrative qui transmettent un ordre de «piquer» donné par téléphone… Cela se serait passé un vendredi soir, fin novembre dernier, derrière des murs généralement infranchissables pour la presse. Et évidemment, cela n’aurait jamais du se savoir...
Premier document. Il s’agit d’une lettre signée Chantal Boveroux, une infirmière intérimaire qui a exercé pendant plusieurs semaines au CIV. Extrait : «30 novembre 2006 : Un résident est amené à l’infirmerie, le soir. C’est un vendredi et comme il est un peu ‘dérangé de la tête’ et assez ‘excité’, Messieurs Khmiri, Stassens et Riga (ndlr : trois membres de la direction du centre fermé de Vottem) ont parlé au docteur : on peut le piquer avec deux ampoules de DHBP dans la fesse (afin) qu’il soit tranquille pour le week-end et ne pose pas de problème aux agents. (…) Léone et moi, nous décidons d’abord d’appeler le docteur une première fois : ok, 2 ampoules, mais notre type n’est pas très épais et nous ne le trouvons pas excité comme il était (censé l’être) d’après eux. Dans ce contexte, nous rappelons le docteur pour exprimer nos craintes d’une dose trop forte. Les trois directeurs s’impatientent, notre résident est pourtant calme… Ok, 1 ampoule à injecter suffira. Nous restons tout de même pantoises car le DHBP, c’est en général lors de crise et d’excitation intense qu’il est administré en psychiatrie. Nous jetons la moitié de cette ampoule à la poubelle. Mr S. est resté calme tout le week-end».
Second document. Cette fois, la lettre est signée par l’infirmière graduée Léone Lowao, collaboratrice du service médical de Vottem entre septembre 2005 et janvier 2007. Avec sa sensibilité, elle relate le même événement : «Le 30/11/06, 3 directeurs viennent à l’infirmerie (Khmiri, Stassens et Riga); Ils me présentent un résident tout calme et Khmiri prend la parole : ‘Voilà Léone, le docteur a dit de réaliser 2 ampoules de DHBP (dehydrobenzperidol) d’une dose maximale comme cela il sera calme tout le week-end’. M. Riga me dit : ‘Viens réaliser l’injection, je le tiens’. Je réponds aux trois que je dois moi-même parler au docteur. Ce dernier m’ordonne de faire une seule ampoule de 5 mg au lieu de 2 ampoules comme m’a dit M. Khmiri. Après réflexion, voyant que le patient n’est pas en crise, ma collègue et moi décidons de mettre le docteur au courant de certains paramètres qu’il ignore peut-être. Les trois s’excitent plus que le résident.»
Léone Lowao poursuit : «M. Khmiri contacte à nouveau le docteur. Après, je mets le docteur au courant de l’état du résident : il est calme, il ne pèse que 55 kilos. Au téléphone, le docteur diminue la dose à 1 ampoule de 2,5 mg, au lieu de 5 mg. M. Khmiri n’apprécie pas ma démarche (…). Pour lui, je n’obéis pas à ses ordres (…) Comment exécuter les ordres de quelqu’un qui ne fait pas partie du corps médical et qui ne connaît rien aux effets actifs et secondaires des médicaments ? Après l’injection du DHBP, M. Stassens est revenu avec un agent de sécurité (ASA) pour demander les effets secondaires du médicament».
Ces témoignages évoquent-t-ils des faits contraires à la déontologie médicale ? Trois psychiatres qui connaissent bien le DHPB, ses indications, ses effets et son mode d’administration sont unanimes : un tel neuroleptique doit être injecté en présence d’un médecin, lequel doit constater un état d’agitation très aigu du patient et dans des cas très spécifiques, par exemple un alcoolique qui souffrirait d’une crise de delirium tremens. Le fait qu’un généraliste prescrive une telle drogue par téléphone et, au surcroît en passant par des personnes totalement étrangères au monde médical (directeurs du centre), est une faute grave. L’un de spécialistes contacté par «La Libre Match» à notamment ces mots : «Ce n’est tout de même pas de l’aspirine ! Mal utilisé, ce médicament peut tuer. Par exemple, dans le cas d’une personne qui souffrirait de problèmes cardiaques. Il faut bien connaître les antécédents du patient... Sachez aussi qu’on utilisait aussi le DHBP dans les dictatures communistes de l’ancien bloc de l’Est pour casser les dissidents. Si vous donnez cela à quelqu’un de normal, c’est un bon moyen de le rendre fou !» (NDLR : Pour en savoir plus, lire aussi l’encadré ci-contre).
Cela s’est-il souvent passé à Vottem? Il faut nous rendre sur les hauteurs de Flémalle pour trouver un début de réponse. C’est là, dans une petite maison de cité que nous retrouvons la trace de l’infirmière Léone Lowao. Elle accepte de nous parler. «En ce qui me concerne, je n’ai injecté du DHBP qu’à une seule occasion. C’était lors de cette fameuse soirée de novembre dernier où les trois directeurs étaient présents», assure-t-elle. Avant d’ajouter : «Mais je sais que ce médicament a été injecté par d’autres infirmières à d’autres résidents. Ce type de pratique a commencé au printemps de l’année dernière après le départ du médecin permanent du CIV, lequel a été remplacé par des généralistes qui travaillent à la prestation, tandis que la responsabilité du service médical était confiée à une personne qui n’a aucune compétence dans ce domaine. A savoir le chef du personnel, Mohamed Khmiri. Prouver que ces injections ont faites à plusieurs reprises ne sera peut-être pas chose aisée car il n’est pas dans la pratique de tout le monde au service médical de répertorier ce qui a été injecté, à quel moment et à qui… Pour ma part et toujours sur ordre d'un médecin, j’ai souvent injecté du Valium».
D’origine congolaise mais belge de nationalité, cette mère de trois enfants est infirmière depuis de nombreuses années et elle n’a jamais eu le moindre accroc professionnel. Pourtant, elle vient d’être licenciée. Pourquoi ? Dossier en main, Léone nous donne une version des faits qui témoigne d’autres dysfonctionnements médicaux à Vottem : «Mon licenciement est l’aboutissement d’un processus de harcèlement mené par un membre de la direction depuis quelques mois parce que je n’acceptais pas de fermer les yeux sur la déontologie de ma profession», accuse-t-elle.
«J’ai rejoint l’équipe médicale du CIV en septembre 2005 », raconte ensuite l’infirmière. «Pendant des mois, j’ai travaillé en parfaite harmonie avec le Dr Juna Petrillo qui dirigeait ce service. Mais au printemps 2006, ce médecin est parti vers d’autres horizons professionnels et la direction a décidé de faire chapeauter le service médical par le chef du personnel, un certain Mohamed Khmiri. C’est à partir de là que les problèmes ont commencé.»
Incompatibilité de caractère ? Léone s’en défend, bien qu’elle relève au passage le tempérament «autoritaire» de son nouveau chef. «La difficulté principale n’a rien de personnel !», dit-elle, «mais en donnant de telles responsabilités à M. Khmiri, l’Office des Etrangers a créé de toutes pièces un dysfonctionnement structurel. En fait, ce monsieur n’a aucune formation médicale. Il se présente lui-même comme un ex-policier tunisien qui a acquis la nationalité belge par mariage. C’est un criminologue que la direction du CIV a placé à la tête du service médical, alors que cette place devrait être évidemment occupée par un médecin ou, à tout le moins, par une personne qui connaît les limites imposées par le secret médical! Ce n’est pas du tout le cas de M. Khmiri!».
Léone affirme avoir dénoncé cette situation en interne. Et elle nous donne à lire une lettre qu’elle adressait au directeur du Centre de Vottem, M. Jacob, le 11 décembre dernier : «Monsieur le Directeur, j’aime mon travail et je le fais volontiers (…) Pour mieux saisir le sens des relations entre M Khmiri et moi, il faut que vous sachiez certaines choses. Il nous amène parfois à lui donner un refus déontologique catégorique comme lorsqu’il nous demande de lui transmettre des données médicales qui relèvent de la confidentialité ou quand il nous oblige à poser des actes médicaux réservés à un médecin, comme la prescription de médicaments. Il sait pertinemment bien qu’il nous est interdit de le faire par notre engagement d’infirmière et pourtant il nous faut le faire. Comment justifier cela en cas de problème grave ?»
Selon Mme Lowao, cette problématique du secret médical s’est notamment posée, le 7 septembre 2006, lors d’une réunion de travail des infirmières présidée par M. Khmiri. Dans un dossier qu’elle a fait parvenir à son syndicat et à la direction de l’Office des étrangers, elle joint une lettre d’une de ses collègues infirmières qui confirme son témoignage en ces termes : «Réunion du 7/09/06… Mr Khmiri dit qu’il peut être au courant des dossiers médicaux : il sera muet comme une carpe. Léone refuse : secret professionnel. M Khmiri est directeur de l’infirmerie sans être membre d’une profession médicale ou paramédicale !».
« Lors de cette réunion du 7 septembre 2006, je me suis opposé aux exigences excessives du chef et cela a tourné au vinaigre », détaille Mme Lowao. «Par exemple, j’ai fort peu apprécié une remarque raciste ‘ici, ce n’est pas la loi de la jungle’. Je m’en suis plainte et au lendemain de cette réunion, j’avais droit à un rapport dans lequel il me reprochait ‘un grand manque de respect envers le chef de service et un refus total de collaboration’. Dans ce rapport daté du 8 septembre, tout était transformé. On me reprochait d’invoquer le secret professionnel à propos de situations ou de données qui n’en relevaient pas, on me prêtait des propos et des attitudes que je n’avais pas eus et ses dires à lui, sur la loi de la jungle, il les transformait pour qu’ils paraissent acceptables. Dès ce moment, ce directeur qui ne supporte aucune contradiction affichait déjà ses intentions en concluant son rapport par une menace de licenciement ».
Et de fait, à partir de là, les rapports se succèdent. Le 28 novembre, M. Khmiri reproche à Léone de «n’être toujours pas ouverte à la discussion (attitude, elle évite mon regard…). Cette situation dure depuis quelque temps déjà (07/09/2006, début sérieux des incidents avec Mme Lowao». Plus loin dans ce rapport, il brosse un portrait peu flatteur de l’infirmière : «plusieurs colères lors de réunions, réactions disproportionnées, relations tendues avec ses collègues et son responsable hiérarchique…». Et, sans doute parce qu’il est tout de même chef de l’infirmerie, le criminologue se permet même un diagnostic médical : «il s’avère que l’état de santé de cette collègue se détériore de semaine en semaine». Pour en arriver, bien évidemment, à la confirmation de son postulat de départ, il faut qu’elle dégage car « son état de santé, certes très préoccupant d’un point de vue humain et social, s’avère malheureusement incompatible avec une exécution correcte des tâches, par ailleurs, à très haute responsabilités, qui lui sont dévolues ».
Mais d’un point de vue professionnel, que reproche-t-on à Mme Lowao dans ce rapport au vitriol du 28 novembre ? De n’être pas assez souple sur la question de ses horaires et notamment des gardes qu’elle n’a plus faite «depuis avril 2006». C’est finalement le seul grief objectivable… Et il est faux, comme en témoigne des documents internes du centre (feuilles de présence) que nous montre l'infirmière. Présentée comme une personne manquant de respect en septembre, Léone est devenue, si on croit ce second rapport, une demi dingue en novembre. La personne posée que nous avons rencontrée ne correspond pourtant pas à ce profil. Et ce n’est pas non plus celui qui est tracé par plusieurs agents du CIV qui louent la compétence et le dévouement de cette infirmière. Dans une lettre dont dispose la direction de l’Office des Etrangers, une collègue de Léone écrit avoir eu le sentiment qu’on avait cherché à la « pousser à la faute grave… ».
Le 11 décembre 2006, Mme Lowao écrit au directeur du CIV, M. Jacob pour dénoncer le harcèlement dont elle estime être l’objet de la part de Mohamed Khmiri… Trois jours plus tard, le 14 décembre, retour de flamme. Dans un nouveau rapport, son chef de service dénonce des faits qui «seront rapportés au service du personnel de l’Office des Etrangers» car «ils sont assez graves et pourraient aboutir à une procédure de licenciement»! Lesquels?
Le 13 décembre, un résident de Vottem se blesse en jouant au foot. Il a mal au dos et à un genou. Un médecin présent dans le centre est appelé mais il ne juge pas nécessaire d’intervenir en urgence. Le «patient» est en effet connu du service médical comme étant relativement simulateur. En second recours, les gardiens s’adressent à l’infirmerie. Au moment où le téléphone sonne, Léone est en route pour les toilettes... «J’ai pris un retard de cinq minutes. Pas plus! Des collègues l’ont confirmé par écrit. M. Khmiri me présentait comme une infirmière sans conscience, ne donnant pas suite à un appel urgent. J’ai répondu à ce rapport tendancieux. Il ne s'agissait pas d'une urgence médicale. Comme en a témoigné une collègue, le vrai souci de la direction était d'éviter une «agglomération» de résidents autour du 'blessé'; Ce qui les obsède, c'est le risque d'émeute... Mes explications n’ont rien changé. Dans les jours qui ont suivi, j'ai reçu un C4 avec la mention «Ne convient plus». Khmiri voulait ma peau parce que, par souci de déontologie, je ne disais pas oui à tout. Il a gagné… La voie est libre dans le service médical de Vottem. Il n'y a pratiquement plus que des intérimaires. Des personnes au statut précaire. Et forcément plus dociles...».
Prescription à la légère de neuroleptiques potentiellement dangereux, non-respect de la déontologie et du secret médical, harcèlement suivi d'un licenciement abusif dans le but de camoufler ces infractions… « Si de tels faits sont avérés, ils sont très graves », commente Pierre Arnaud Perrouty, juriste à La Ligue des Droits de l’Homme. «Ces témoignages s'inscrivent dans la ligne de ce que des gardiens dénonçaient déjà il y a quelques mois et je pense qu'un tribunal pourrait qualifier certains des faits évoqués de traitement inhumains et dégradants. La violation du secret médical est aussi une infraction qui est sanctionnée par le code pénal. En l’espèce, il serait assez piquant de constater une telle entorse à la loi alors que, souvent, l'Office des étrangers se drape derrière le secret médical pour refuser de donner certaines informations demandées par des avocats de résidents. Dans un état des lieux des centres fermés que l'on avait publié en octobre 2006 avec d'autres ONG, on avait déjà dénoncé l'usage abusif de calmants et de somnifères. En plus du fait que, très souvent, les détenus ne savent pas ce qu'on leur fait avaler comme médicament. Cela dit, on n'avait pas encore connaissance de l'usage de neuroleptiques comme le DHBP. Il y a une enquête du parquet qui a été entamée sur Vottem, il faudrait absolument que ces nouveaux faits soient également passés à la loupe par la justice liégeoise ».
Mais qu'en dit la direction de Vottem? M. Jacob nous donne rendez-vous un vendredi après-midi derrière les grilles du centre. Après avoir passé le sas de sécurité – c'est bien une prison!- nous nous retrouvons dans une salle où le comité d'accueil est fourni. Le directeur, un médecin en la personne du docteur Kolacoglu (ndlr : ce n'est pas lui qui est intervenu dans l'épisode du 30 novembre relaté par les infirmières), une porte-parole de l'Office des Etrangers et trois syndicalistes représentant le personnel du CIV. M. Khmiri qui avait été annoncé n'est pas là. Occupé à d'autres taches comme le dit son directeur? A moins qu'il ne s'agisse d'une précaution juridique car le directeur du personnel est l'une des personnes directement mises en cause dans les témoignages des infirmières? Tout le monde semble sur la défensive. L’entretien est vidéofilmé, tandis que la porte-parole de l'Office des Etrangers note consciencieusement tout ce qui se dit. La grande idée du jour sera facile à retenir : circulez, il n'y a rien à voir!
Le service médical dirigé par un criminologue ? Pas un problème, explique le Dr Kolacoglu. «L'année dernière, avec le directeur, on a revu toute l'organisation du service médical. (...) Ce n'est pas M. Khmiri qui a pensé cette organisation, c'est moi. (...) Il n'a jamais eu accès à des données médicales. Il reste très bien à sa place. Il s'occupe des aspects administratifs, par exemple les congés, les présences. Quand il demande comment va un monsieur qui est à l'hôpital, ce n'est pas vouloir violer le secret médical, mais certaines infirmières peuvent être sur la défensive et refuser de répondre. Il y a de mauvaises interprétations»
Les recours à des infirmières intérimaires ? «Ce n’est pas pour qu’elles soient plus dociles», conteste le directeur du CIV. «Simplement, il n’y a pas assez de candidates qui postulent aux examens. Quand on leur parle des conditions financières, elles s’encourent. C'est juste un problème de recrutement».
Les injections de DHPB ? « Cela peut arriver comme partout ailleurs » dit le Dr Kolacoglu. Dans n'importe quel service médical, on utilise cela quand vous avez quelqu'un d'agité qu'il faut calmer absolument. Ce médicament à un effet qui dure quelques heures et puis c'est terminé. Un agité reçoit une ampoule de DHBP si nécessaire, mais c'est très rare. Cela s'est fait peut-être quatre fois sur les six derniers mois, pas plus. (...) Soyons très clair, le DHBP est injecté uniquement si le patient commence à être dangereux pour son entourage. Pas pour qu'on soit tranquille parce qu'il fout le boxon dans l'aile».
Le dérapage du 30 novembre, les trois directeurs qui auraient transmis l'ordre de 'piquer' un résident ?
Le directeur, M. Jacob botte en touche : «Ce que vous me dites là ne me dit rien du tout. J'entends bien que vous avez cette information. Je ne peux pas vous dire «non, c'est faux» ou «oui c'est vrai». Les faits sont pourtant relatés dans des documents écrits dont il a eu connaissance puisqu'ils font partie du dossier sur lequel il s'est penché avant de demander le licenciement de l'infirmière Lowao. «Je reçois tellement de notes, de mails. Et puis, ce n'est pas le seul dossier... Je ne nie pas. Je vérifierai», rétorque-t-il faiblement. Le Dr Kolacoglu est plus catégorique : «Le médecin qui donne la prescription à un directeur plutôt qu'à une infirmière? C'est impossible. Je dirais même que c'est rigolo. Jamais ce n'est arrivé. Dire qu'on aurait piqué une personne calme, c'est de la calomnie». Parole contre parole. Nous n'avons pas de détecteur de mensonge.
Au passage, ce médecin semble admettre que des prescriptions de DHPB sont parfois faites par téléphone et/ou aussi sans contact direct entre le patient et le prescripteur : « Un jour, un intérimaire me dit : on fait comme en prison, si on a un agité, on lui fait une injection de DHBP ? Je lui ai répondu : 'Ici, hors de question, quand il y a un problème tu me téléphones et je te donnes l'autorisation de le faire. Point à la ligne' (...) Dans une situation très particulière où il y a quelqu'un qui ne va pas bien, l'infirmière me téléphone et me dit 'ce monsieur, il ne va pas bien'. Je dis à l'infirmière 'va voir un peu ce qui se passe.' Elle revient. Je lui donne la consigne : 'tu peux faire l'injection de DHPB'»
Le DHBP, un produit dangereux et dépassé ? Mais non, pas du tout, réplique encore le docteur Kulacoglu : «Le DHPB, cela aide juste à calmer (...) C'est le médicament qui a le moins d'effets secondaires en injection. Il y en a qui reçoivent deux ou trois ampoules et qui sont toujours bien debout. Ce n'est pas un médicament dépassé, allez voir dans n'importe quel service d'urgence. Je suis urgentiste, je le sais très bien».
Les infirmières sont-elles parfois conduites à poser des actes qui sont normalement réservés aux médecins comme la prescription de médicaments ? «Non, conteste encore Kulacoglu, à part ce qui relève de la pharmacie familiale, un spray pour déboucher le nez. Elles ne vont pas me téléphoner pour chaque nez bouché mais cela ne va pas plus loin.». Mme Lowao affirme néanmoins qu’une infirmière du CIV a délivré de la méthadone à un résident sans passer par un médecin.
Et le harcèlement dont Léone Lowao dit avoir été victime ? On vous le donne en mille, c'est de la pure invention aussi. M Jacob affirme être « incapable de dire tout ce qui se trouve dans le dossier » qui a conduit au licenciement de Léone Lowao : « Je sais juste vous dire la tendance générale. Il n'y a pas de faute grave. C'est une accumulation de problèmes sans issue . In fine,sur une période de huit mois peut-être, j'ai dis qu'on arrêtait les frais ». Une argumentation qui nous semble très vague. Par contre, M. Jacob est beaucoup plus affirmatif pour défendre son directeur du personnel : « M Khmiri n'a rien à se reprocher. Je connais très bien la norme en matière de harcèlement dans le cadre administratif et ici on en est très loin. Vous savez, pour arriver au licenciement, un dossier doit être bien monté sinon la hiérarchie intermédiaire ne suit pas. On a déjà eu le cas. Mais avec le temps, on sait comment on doit faire. Il y a toute une série d'étapes et de termes à employés dans les écrits et même si on passe du temps à cela, on le fait ». Pour l'avoir lu, le dossier à charge de l'infirmière Léone a en effet été très bien «monté» par l'ex-policier de Tunis... A juste titre? Léone a pris un avocat pour obtenir réparation d'un licenciement qu'elle estime abusif. Et on peut supposer que le parquet de Liège qui a déjà ouvert une information judiciaire sur Vottem sera également intéressé d'entendre son témoignage...
Comme celui de sa collègue Chantal Boveroux qui confirme à « Match » la pertinence des propos de Léone Lowao : « Oui le directeur Khmiri ne discerne pas les contours du secret médical. Oui, on nous a demandé d'injecter du DHBP à un résident dans des circonstances fort peu déontologique. D'ailleurs j'ai décrit tous les détails dans une lettre (ndlr : voir plus haut)!». Chantal a-t-elle injecté des produits de ce type à d'autres occasions? Sa réponse est du même tonneau que celle de Léone Lowao : « Moi, non ! Mais il ne reste que des intérimaires à Vottem. Alors vous savez... Pour Khmiri, une bonne infirmière est celle qui obéit sans jamais broncher, même si il se trompe.» Que pense-t-elle de sa collègue? «Léone est quelqu’un de bien. C’est une bonne infirmière et, à ce titre, elle a bien compris qu’elle faisait un métier qui implique un devoir de réflexion. Quel acte médical est-on en train de poser ? Dans quelles conditions ? Sur l’ordre de qui ? Outre la dextérité, il faut aussi être altruiste, avoir le souci du bien-être de ses patients… Pour l’avoir côtoyée, je vous assure que Léone a toutes ces qualités! Mais c’est aussi une personne qui a de la franchise. Si quelque chose n’est pas juste, elle le dit. Et cela, le nouveau chef du service médical ne l’a jamais accepté.»
« Insoutenable légèreté »
«Le DHBP (dehydrobenzperidol) est un neuroleptique utilisé pour contenir l'hyperexcitation», explique un psychiatre. «Il fait partie de la famille de l’Haldol. Existant depuis plus de trente ans, il est considéré comme dépassé et il n’y a guère plus que quelques vieux psychiatres qui le prescrivent encore... Et, je l’apprends, des généralistes au centre de Vottem! Je ne vois pourquoi, on utiliserait encore ce produit, si ce n’est par incompétence. Aujourd’hui, il y a des molécules beaucoup plus modernes et qui présentent moins de risques en termes d’effets secondaires. Mais celles-là aussi, il me semblerait peu éthique de les utiliser pour «calmer» un «illégal» en voie d’expulsion qui n’aurait pas de problème psychiatrique particulier. De plus, je ne vois pas en quoi un généraliste est habilité à donner un tel traitement. Les effets secondaires potentiels ne sont pas négligeables. Cela va du risque de raideurs musculaire jusqu’à la mort par arrêt cardiaque. Ce médicament crée une sorte de maladie de Parkinson artificielle, le patient est enfermé dans une camisole chimique. Bien sûr, légalement, un généraliste prescrit ce qu’il veut. Mais pour ce type de médicament, il ferait mieux de laisser l’appréciation à un spécialiste. Le fait de donner l’ordre d’injecter par téléphone sans constater l’état du patient est d’une insoutenable légèreté. Quant à la dose évoquée de deux ampoules de 5mg. C’est énorme ! Et dans un tel cas, il faut attendre six heures entre l’injection des deux ampoules pour juger d’éventuels effets secondaires. Il faut aussi tenir compte des contre-indications, des antécédents du patient, de l'interaction avec d’autres médicaments. La littérature renseigne tout de même des cas de morts subites lors de la prise de DHBP! Dans l’affaire dont vous me parlez, on ne peut que saluer la clairvoyance des infirmières qui ont tenté d’éclairer le médecin sur l’état réel du patient»
Des gardiens avaient déjà lancé un cri d'alarme en novembre dernier
En novembre 2006, des gardiens du CIV s’étaient déjà confiés. Ils décrivaient des pratiques inacceptables dont auraient été victimes plusieurs ‘résidents’ souffrant de pathologies psychiatriques : détention en cellule d’isolement, absence de suivi véritable sur le plan thérapeutique, état d’abandon sur le plan de l’hygiène. Plusieurs ONG avaient alors indiqué que ces déclarations confirmaient des craintes exprimées de longue date, une information judiciaire avait été ouverte par le parquet de Liège, des parlementaires avaient interpellé le ministre de l’Intérieur et la direction de l’Office des Etrangers avait tenu à démentir, taxant les accusations des témoins – qui ont pourtant confirmés leur dires à la police fédérale- d’ «exagérées», de «sorties de leur contexte», voire même pour certaines d’entre elles, de «mensongères». Parmi les griefs exprimés, des voix s'étaient exprimées sur le rôle du psychologue de Vottem, M. Riga, qui cumule cette fonction avec celle de cadre administratif. «Le psy est aussi directeur adjoint du centre. Et il cela avant tout. Ce qui compte, c'est que la machine continue à tourner sans faire de vagues... Il pourrait aller visiter les résidents pour déceler ceux qui sont suicidaires. Il ne le fait même pas», disait un agent. Un autre ajoutait : «C'est vrai. Il est dans son bureau. Et ce sont les agents qui font de la psychologie comme ils le peuvent en parlant avec les résidents qui ont des problèmes. (...) A qui parlent les résidents lorsqu'ils ont des problèmes? Au directeur ou au psy?». Interpellé, le ministre de l'Intérieur avait déclaré au parlement que «le budget 2007 prévoit un psychologue par centre qui sera responsable de l'accueil des personnes souffrant de problèmes psychiques et qui ne fera pas partie de la direction du centre.». Une source interne à Vottem nous indique qu'une personne est déjà prévue pour cette fonction… Il s'agit du directeur adjoint psychologue actuel, M. Riga... Le directeur M. Jacob nous le confirme : « Il aura une casquette en moins, ce sera plus facile pour lui et quelqu’un le remplacera à la direction ».