12 Juin 2008
APRES LA GUERRE DES POLICES, LA GUERRE DES CHIENS
- Enquête évoquée sur le plateau de l'Info Confidentielle Paris Match sur RTL/TVI, le 8 juin 2008 et publiée dans Paris Match (Belgique), le 12 juin 2008 -
Dimanche dernier, sur le plateau de « L'info confidentielle Paris Match » diffusée sur R.t.l.-t.v.i., Jacques Nuyens, un sapeur-pompier de la ville de Charleroi, qui est aussi maître-chien depuis de nombreuses années, a dénoncé « un gaspillage de ressources incroyable et choquant » : « Les chiens formés par les équipes cynophiles des services incendie et de la protection civile ont des compétences spécifiques en termes de recherche d'êtres humains disparus. Celles-ci sont d'ailleurs reconnues officiellement par le ministère de l'Intérieur. Nous pouvons contribuer à sauver des vies ! Toutefois, les autorités de ce pays ne font jamais appel à nous, sauf de temps à autre pour des missions à l'étranger. Cela fait les affaires du “ service d'appui canin ” de la Police fédérale qui a la volonté d'occuper seul le terrain des interventions canines ». Exit la guerre des polices, voici maintenant celle qui oppose les chiens policiers et les « rescuedogs » ou, plus précisément, nom d'un homme, les maîtres de ces braves bêtes.
Le service d'appui canin de la Police fédérale est très performant et nul doute que le service de communication de cette même police l'est tout autant. Chaque année, dans des communiqués bien ficelés, le bilan est dressé des résultats très positifs engrangés par les chiens policiers. En mai dernier, la porte-parole de la Police fédérale exposait ainsi que « l'appui canin est indispensable pour la population et le travail policier. Les teams canins permettent, en effet, de retrouver des personnes disparues, de sauver des vies ou de découvrir des criminels. (…) Le service d'appui canin dispose actuellement de 36 équipes. En 2007, il a exécuté 3 565 missions, cela revient à une moyenne de 10 interventions par jour (…). Grâce aux chiens pisteurs, 58 personnes disparues ont été retrouvées. Dans 55 cas, ils ont également découvert des éléments qui ont permis d'avancer dans une enquête concernant des auteurs de délits (la découverte d'un G.s.m. lié à une enquête, le butin d'un vol…) ».
Bravo la police ! Qu'ils soient pisteurs, détecteurs de drogue, de foyers d'incendie ou d'explosifs, les chiens des fédéraux sont des as et personne n'en doute. D'ailleurs, les médias vantent leurs mérites et relaient régulièrement les appels de leur maîtres. Comme nos confrères de la D.H.-Les Sports, en février dernier, qui dévoilaient le contenu d'une « note confidentielle du service d'appui canin adressée à la direction générale de la Police fédérale » dénonçant le caractère « squelettique » d'effectifs qui ne seraient « plus en mesure d'assurer un service minimal ».
Ce type d'appel fait bondir Jacques Nuyens et Alain Dehan, deux maîtres-chiens qui, il est vrai, ne travaillent pas à la Police fédérale… Mais pour la brigade de sapeurs-pompiers de Charleroi : « Nos collègues policiers du service canin sont certainement très talentueux mais, depuis quelques années, ils sont soit trop gourmands, soit un peu myopes. Dans nombre de cas de disparition de personnes, nos chiens pourraient être utilisés aussi, mais on ne fait jamais appel à nous ! ». En effet, à côté des premiers rôles, de ces chiens de la police dont certains ont presque un statut de star, d'autres canidés ne font pratiquement que de la figuration. Oubliés ? Niés ? En tout cas inutilisés sur le terrain alors qu'ils s'entraînent pourtant très dur, deux fois par
emaine, avec leurs maîtres. Ce sont les « rescuedogs », littéralement les « chiens de secours » qui font partie des « équipes cynophiles » organisées au sein des services publics d'incendie et des unités opérationnelles de la protection civile.
« Nous sommes reconnus officiellement par le ministère de l'Intérieur et, il y a trois ans, une circulaire de M. Dewael a encore rappelé aux gouverneurs de province et au commissaire général de la Police fédérale que nous pouvions être utilisés dans le cadre de la recherche de certaines catégories de personne disparues (enfants, personnes âgées égarées, blessés…) Mais, sur le terrain, il ne se passe rien. Les autorités judiciaires qui peuvent faire appel à nous restent aussi silencieuses que nos amis de la police. Ceux-ci semblent plus soucieux de vanter leurs mérites que de toute autre préoccupation. Jamais notre aide n'est demandée. C'est choquant et inacceptable parce que, nous aussi, nous pouvons sauver des vies », grognent Jacques Nuyens et Alain Dehan.
C'est en octobre 2002 qu'un arrêté royal « portant organisation d'équipes de secours cynophiles » a vu le jour. A l'époque, le Gouvernement fédéral avait fait le constat que plusieurs « brigades canines » existaient de manière anarchique dans différentes brigades de pompiers et dans des unités la protection civile. Il était apparu d'autant plus nécessaire de rationaliser ce secteur à la lumière d'interventions à l'étranger de sauveteurs belges accompagnés de chiens, comme lors du grand tremblement de terre de 1999 en Turquie, qui avait mis en évidence de réelles lacunes de gestion et de coordination.
Le législateur créait donc une structure de coordination avec deux numéros d'appel régionaux pour l'ensemble de ces équipes cynophiles en leur conférant un cadre réglementaire (brevets pour les formateurs, qualité garantie des prestations des chiens, etc.). Des missions très précises étaient aussi attribuées. Primo : « La recherche et du sauvetage de personnes ensevelies sous des décombres à la suite d'événements tels qu'un éboulement, une explosion, un effondrement de bâtiment, un tremblement de terre, que ce soit en Belgique ou à l'étranger ». Secundo : « La recherche, à la demande des autorités de police ou judiciaire, de personnes disparues dont l'intégrité physique pourrait être menacée ».
Sept ans plus tard, le constat des maîtres-chiens qui se sont investis sans compter dans ces équipes cynophiles pour disposer à tout moment de chiens opérationnels est plutôt amer : « Chaque fois que nous entendons par les médias qu'il y a une disparition, nous nous interrogeons… Nous disposons d'équipes accréditées et prêtes à intervenir 24 h/24 et, pourtant, nous ne sommes jamais appelés ! Traduction : dans ce pays, on ne met JAMAIS en œuvre tous les moyens disponibles pour retrouver les victimes disparues dont l'intégrité physique serait menacée », mord Alain Dehan en nous accueillant sur un terrain vague de Marchienne-au-Pont qui sert de lieu d'entraînement à une dizaine de chiens de secours.1
Son collègue Jacques Nuyens renchérit, exemples à l'appui : « Tout récemment encore, on ne nous a pas demandé d'aide pour retrouver ces deux jeunes filles qui avaient disparu à Gosselies. On apprendra qu'elles se sont suicidées dans un bois qu'elles fréquentaient près de chez elles. Ce sont des membres de la famille qui ont retrouvé les corps après plus de 24 heures. On aurait pu leur épargner cette vision d'horreur et gagner beaucoup de temps. Si on avait recouru à nos services, il est certain qu'on les aurait trouvées en passant dans ce bois où il était connu de leurs proches qu'elles avaient leurs habitudes ».
Ces maîtres-chiens en colère évoquent aussi l'affaire « Stacy et Nathalie » dont on a beaucoup reparlé ces dernières semaines à l'occasion du procès devant la cour d'assises de Liège d’Abdallah Ait Oud. « L'un de nos maîtres-chiens habitant tout près du lieu des recherches avait proposé ses services mais son offre a été déclinée par la Police fédérale. La Cellule disparitions n'a donc pas fait usage de toutes les compétences et de toutes les bonnes volontés disponibles pour retrouver au plus vite les corps des enfants victimes. Des gens de la protection civile et des pompiers ont bien été requis mais nos chiens, eux, n'étaient pas les bienvenus », déplore Jacques Nuyens.
Et son collègue Dehan confirme que « le service d'appui canin de la Police fédérale veut le monopole des recherches. Pour faire cavalier seul, ils forment de plus en plus de bêtes, notamment des chiens pour la recherche dans les décombres… Alors que ça, c'est clairement notre secteur ! » « Si nos chiens avaient été utilisés le long de la voie de chemin de fer, on n'aurait pas mis dix-huit jours pour retrouver les corps de Stacy et Nathalie. C'est certain », assure M. Nuyens.
Pour info, on signalera que dans ce dossier en cours de jugement devant les assises, les jurés ont eu la tâche compliquée par l'effacement de traces et donc de preuves… en raison du trop long séjour dans l'eau des dépouilles des victimes. « Dans un autre dossier à Diest, un collègue, qui était proche du lieu d'une disparition, s'est aussi proposé. Il a pu travailler un jour avec la police locale et puis, les fédéraux l'ont écarté. Nous sommes d'autant plus choqués par ces mises en quarantaine répétées que nos collègues policiers connaissent très bien le niveau de nos chiens. Dans le passé, certains d'entre nous se sont parfois rencontrés sur le même terrain d'intervention, comme lors du tremblement de terre en Turquie. »
Déplorant un climat de concurrence avec le service d'appui canin de la police, les équipes cynophiles plaident plutôt pour une complémentarité. Jacques Nuyens en donne le mode d'emploi : « Nos chiens sont formés différemment de ceux de la Police fédérale. Eux, ils ont surtout des chiens pisteurs qui travaillent avec une odeur de référence. Ils leur font respirer une taie d'oreiller, un vêtement de la personne disparue, et ces chiens peuvent suivre l'odeur pendant quelques heures si les conditions climatiques le permettent (pas en cas de pluie). Plus les heures passent, plus les molécules s'évaporent dans la nature. Quant à nos chiens, ils sont capables de repérer une présence humaine à des centaines de mètres et ce sans odeur de référence. C'est ce qu'on appelle le « questage » : on lâche le chien dans un périmètre donné et il doit retrouver toute trace de présence humaine. Il balaie tout le terrain jusqu'à ce qu'il ait trouvé. Gros avantage par rapport aux chiens pisteurs : plus le temps passe, plus les odeurs s'accumulent. Et les chances de trouver un corps immobilisé augmentent. Imaginez le rôle que l'on pourrait jouer dans la recherche d'une personne blessée ou en hypothermie qui serait immobilisée dans un bois. C'est parfois une question d'heure… Nos chiens peuvent sentir une odeur humaine à 300 ou 400 mètres ! ».
Pour arriver à de bons résultats, la formation des chiens appartenant aux équipes cynophiles est commencée dès le plus jeune âge et elle compte pas moins de deux ans, à raison de minimum 16 heures par semaine. « Tout est basé sur le jeu… Le chien ne travaille pas, il joue et il faut savoir le récompenser chaque fois qu'il trouve », explique M. Dehan. Les maîtres-chiens des unités cynophiles aimeraient aussi être récompensés en prouvant leur utilité… « On ne veut pas aller à la recherche de malfaiteurs ; cela, c'est une mission judiciaire », conclut Jacques Nuyens. « Nous sommes là pour secourir, sauver des vies. Par exemple, si un enfant se perd en forêt, si un vieillard s'égare, si un cavalier tombe de son cheval et qu'il est bloqué quelque part… On peut imaginer des tas de scénarios qui n'ont rien de judiciaire. Mais tant que la police ou un magistrat n'en donne par l'ordre, on ne peut pas bouger. On est performant mais, sur le terrain, on ne sert pratiquement à rien ! La Police fédérale a-t-elle peur que nous prouvions notre valeur ? ».
« Pas du tout et même au contraire », rétorque Tine Hollevoet, porte-parole de cette dernière. Selon elle, en effet, « la Police fédérale cherche, pour l'instant, ensemble avec la Sécurité civile, à améliorer la collaboration et à adapter un protocole. Pour ce faire, le directeur général de la police administrative, Olivier Libois, a déjà rencontré à plusieurs reprises le directeur général de la Sécurité civile, Mme Breyne. Cette collaboration ne concerne pas seulement les chiens, mais également d'autres domaines ». Et la Police fédérale de conclure avec ce compliment : « Nous savons également que les autres services d'aide disposent de chiens bien formés et, quand cela est possible, nous sommes bien évidemment prêts à collaborer avec ces derniers ».
Dont acte, il resterait donc de l'espoir pour les chiens des équipes cynophiles. On suivra le dossier …
1. En 2007, la Cellule des personnes disparues a eu 264 fois recours à des chiens et il s’est agi exclusivement de bêtes appartenant au service d’appui canin de la Police fédérale.
BON À SAVOIR
B-Fast
Une bonne vingtaine de chiens sont en formation permanente au sein des équipes cynophiles et sept d'entre eux disposent d'un brevet donné par une commission technique composée notamment de pompiers, d'un représentant du ministère de l'Intérieur et d'un représentant de… la Police fédérale. Les chiens des équipes cynophiles font aussi partie de la structure « B-Fast » créée après le tremblement de terre en Turquie en 1999. Son objectif est d'apporter à l'étranger une aide dans le cadre des premiers secours d'urgence lors de catastrophes d'ampleur telles que le pays touché ne parvient pas à faire face seul (tremblement de terre, tempête, cyclone, inondations…). Le pays sinistré doit faire clairement la demande d'aide à la Belgique et il ne peut être impliqué dans un conflit armé. C'est un comité interministériel au niveau fédéral qui prend la responsabilité de l'envoi ou non de secouristes belges.
Long museau
La carrière de chien de secours n'est pas promise à n'importe quel chien. D'abord, ce dernier doit avoir un long museau qui lui assurera la possession d'un maximum de cellules olfactives. Ce qui réserve ce rôle à des races telles que les bergers allemands et belges, les labradors, les goldens, les dobermans et autres bergers de Brie ou des Pyrénées, voire même aux rottweilers (même s’il doit être impressionnant d'être retrouvé par une telle bête…). Pour donner une idée des capacités en jeu, un homme possède de 5 à 10 millions de cellules olfactives et il peut, avec de l'entraînement, différencier de 2 000 à 4 000 odeurs. Bien supérieur, le chien possède plus de 100 millions de cellules olfactives qui lui permettent de différencier quelques 500 000 odeurs. Certaines guerres entre services devraient aussi parfois conduire à s'interroger sur la présence suffisante d'autres types de cellules chez l'homme…
Envie de jouer ?
Pour leurs exercices, les maîtres-chiens des équipes cynophiles ont besoin de « fausses victimes » à rechercher. Si cela vous intéresse, vous pouvezappeler les numéros suivant : 0476/553.223 (Jacques Nuyens) ou 0475/721.510 (Alain Dehan).
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