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14 Janvier 2010
CLASSEMENT SANS SUITE...
- Enquête évoquée sur le plateau de "L'info confidentielle Paris Match" sur RTL-TVI, le dimanche 10 janvier 2010 et publiée dans l'hebdomadaire "Paris Match" (Belgique), le 14 janvier 2010 -
Bien au-delà de ses quarante printemps, Alain Souchon a compris que si «la vie ne vaut rien, rien ne vaut la vie». Clément Druet était dans une autre phase de l'existence. Révolté, pas d'accord avec le monde des adultes qui, il est vrai, n'est guère admirable, il n'aura jamais la possibilité de goûter à l'apaisement qu’apportent l'âge et l'expérience. Pour lui, à 18 ans, tout s'est arrêté sur une route nationale. Renversé par une conductrice en état d'imprégnation alcoolique, laquelle a pris la fuite avant de se rendre à la police. Clément n'est plus. Mais pour le Parquet de Nivelles, sa mort ne vaut rien. Même pas un petit débat. Rien, sauf quelques feuilles d'une enquête indigente, suivie d'un classement sans suite. Les parents de Clément ne comprennent pas.
« J’ai l'honneur de porter à votre connaissance que le dossier dont référence ci-dessus a fait l'objet d'une décision de classement sans suite.»
Le 2 novembre dernier, Suzanne et Jean-Claude ont été pour le moins surpris en découvrant ces quelques mots ressortant d'une lettre-type envoyée par le procureur du Roi de Nivelles. Il faut dire que le «dossier dont référence» n'est autre que l'information judiciaire ouverte à la suite de l'accident de la route qui a coûté la vie à leur fils Clément. «II avait 18 ans. C'était un gentil rebelle», raconte son papa. «II était un peu fâché avec ce monde qui, à ses yeux, débordait d'injustices. En plein questionnement, il avait lu attentivement la BD "SOS Bonheur" de Griffo et Van Hamme qui invite à une réflexion sur notre façon de vivre et l'organisation de notre société. Généreux, Clément était capable de passer du temps avec un mendiant croisé dans la rue. Il était épris de liberté et c'est d'ailleurs ce qui l'attirait chez les punks. Le noir, pour eux, cela symbolise la liberté. Clément venait de terminer ses études techniques en sylviculture à Gembloux. Il devait encore découvrir des tas de choses touchant au fonctionnement de la société, de l'économie, de la justice. Et plus encore sur le sens de la vie, pour autant que la vie ait un sens... Mais il avançait vite et bien dans son existence parce qu'il était travailleur, inventif et ouvert à la discussion. »
«Et son souvenir mérite plus que ces trois lignes d'un magistrat qui concluent trop rapidement une information judiciaire remplie de contradictions, d'à priori, d'insuffisances et de partis pris.», enchaîne Suzanne. «Dans une lettre au procureur du Roi de Nivelles, début décembre, j'ai notamment mis en exergue la faiblesse incroyable du rapport d'expertise qui, outre deux ou trois procès- verbaux très laconiques de la police de Nivelles, constitue la pièce centrale du dossier. Au moment où je vous parle (NDLR: le jeudi 7 janvier), une réponse vient de me parvenir. Trois autres lignes, trois autres courtes lignes par lesquelles le parquet nous annonce qu'à la suite de cette interpellation, "l'expert" va être invité à réexaminer son dossier. Dommage que les professionnels de la justice ne se soient pas rendu compte eux-mêmes des négligences incroyables du rapport sur lequel ils ont fondé leur décision de classement sans suite. De toute manière, on doute que l'expert se dédira... »
Voyons les faits, ce qui permettra de situer le contexte qui suscite l'ire des parents de Clément. Un certain nombre de données sont incontestables et incontestées. Dans la soirée du 29 août 2009, Clément et trois de ses amis (Gilles, Henri et Julien) assistent à un concert à Bruxelles. Un événement où ils boivent chacun quatre ou cinq verres de bière, avant de projeter un retour au domicile de l'un d'entre eux à Nivelles. Ils doivent cependant descendre du train avant d'arriver à leur destination car, ne s'étant pas signalés avant le départ, le contrôleur refuse qu'ils payent leur ticket à bord. Commence alors une longue marche, deux heures environ sur huit kilomètres, qui va les conduire jusqu'au lieu du drame, sur la chaussée de Bruxelles, à hauteur d'une ferme portant le n°2ïl, soit à environ un kilomètre de l'entrée de Nivelles.
Alors que le groupe des quatre amis est en train de marcher, deux jeunes femmes montent à bord d'une VW Lupo de couleur rouge à Waterloo. E. et L. sont soeurs. Elles rentrent chez elles après être allées boire un verre — trois à cinq coupes de kir, disent-elles — dans un établissement, «Le Stamp». Elles empruntent la chaussée de Bruxelles en direction de Nivelles.
Vers lhl5, à hauteur de la ferme portant le n°211, la VW rouge heurte violemment Clément Druet, projetant son corps à plusieurs mètres. La voiture fait mine de s'arrêter, puis repart. Julien se porte au secours de Clément. Mais il crache du sang, s'étouffe. Gilles appelle la police. A 1 h26, une première équipe de la police de Nivelles est sur place. Le SMUR arrive rapidement et transporte le corps de la victime jusqu'au Centre hospitalier d’Ottignies. Une deuxième équipe de la police de Nivelles arrive vers 1 h 30. Des constats et premiers interrogatoires sont réalisés et le magistrat de garde au Parquet est informé des faits. Vers 3 heures du matin, la conductrice et sa sœur se rendent d'initiative à la police de Nivelles. A ce moment, E. a un taux d'alcoolémie de 0,98 g/ml dans le sang.
Il ne faut pas être d'une intelligence supérieure pour déterminer les questions clés d'une telle affaire. Où marchaient les quatre garçons au moment de l'accident? Etaient-ils du bon côté de la route? Voire carrément au milieu de la chaussée, avançant peut-être de front? A partir de quand étaient-ils visibles pour un conducteur attentif? A quelle vitesse roulait la VW Lupo? Quel était le taux d'alcoolémie de la conductrice au moment de l'accident? Pourquoi ne s'est-elle pas arrêtée après avoir renversé Clément? Mais plutôt que de trouver des réponses circonstanciées à toutes ces questions, une justice rapide peut évidemment se contenter de beaucoup moins. C'est ce qui ressort d'évidence à la lecture des maigres pièces rassemblées par le Parquet de Nivelles dans cette affaire. Moins de dix procès-verbaux comportant des insuffisances, des détails irrelevants ou des jugements de valeur inopportuns. Un faible édifice sur lequel trône un rapport «d'expert», consternant de préjugés et intellectuellement indéfendable, mais qui semble faire office d'atout-maître pour classer le dossier sans suite.
Jean-Claude Druet à proximité de l'accident qui a coûté la vie à son fils : "Clément avait 18 ans. Il venait de terminer ses études techniques en sylviculture à Gembloux. Il devait encore découvrir des tas de choses..."
Donc, le jugement émis par l'expert laisse place à peu de doute : «En fonction de la visibilité très médiocre, des vêtements très foncés des piétons et de la position de ceux-ci sur la chaussée, la responsabilité d'E., conductrice de la voiture, ne semble pas engagée. La responsabilité est à rechercher dans l'attitude des piétons qui, très probablement, se déplaçaient sans tenir compte de la prudence la plus élémentaire.» Rapport déposé au greffe le 26 octobre 2009. Décision de classement sans suite le lendemain. Lettre envoyée aux parents de Clément le 30 octobre...
Fin du débat ? Inacceptable pour les parents de Clément. Et ils ne manquent pas d'arguments. D'abord, ils déplorent des a priori qui semblent avoir immédiatement pris place dans ce dossier. «Quand vous lisez les constats des enquêteurs, vous voyez tout de suite que le courant ne passe pas avec les jeunes qu'ils viennent secourir. Comment dire? On sent quelque chose comme un délit de sale gueule. Un truc du genre: "Ces punks l'ont certainement un peu cherché"», explique Jean-Claude. Et Suzanne de renchérir: «Par contre, quand la jeune et jolie conductrice de 25 ans et sa sœur viennent se livrer à la police, le ton des PV devient très différent. Certaines phrases trahissent une compassion certaine. Quand E. se livre, la question d'une prise de sang n'est pas posée. On se contente d'un éthylomètre. Par contre, les enquêteurs ont le réflexe de l'envoyer vers le Service d'aide aux victimes et elle sera prévenue personnellement de la mort de Clément. Ce sont des égards qu'on n'a jamais eu de la part de la police.»
Un autre élément trouble encore le papa de Clément. «Ce dossier est constitué essentiellement d'un long PV de synthèse rédigé au lendemain des faits par l'un des policiers qui est descendu sur place. Il n'y a plus aucun acte d'enquête au-delà mais, cinq jours plus tard, un rapport est produit par un autre policier qui faisait partie de la première équipe d'intervention. Il n'a pour seul but que d'appuyer fortement l'idée que la visibilité sur la chaussée était mauvaise. Sans faire de procès d'intention, je ne peux m'empêcher de constater que ce PV complémentaire est du "sur mesure" pour la défense d'E. Plus tard, le rapport de l'expert va d'ailleurs s'appuyer sur ce document pour prendre parti. »
Ce qui est dit par les parents de Clément est confirmé par les pièces du dossier. Dans le PV initial rédigé au lendemain des faits, l'un des agents décrit les témoins de l'accident en des termes assez négatifs, soulignant des détails vestimentaires ou culturels qui ne devraient pas être retenus comme signifiants dans cette enquête: «A notre arrivée sur les lieux, nous constatons la présence d'un homme allongé sur le talus herbeux longeant la chaussée (...). Trois personnes du mouvement culturel "punk" se trouvent autour de la victime, elles seront identifiées comme étant ses copains. Ces derniers sont manifestement sous l'influence de la boisson mais (sic) ne présentent pas de signes évidents d'ivresse. Dans le contexte de l'accident, tous trois se montrent agressifs et très nerveux. » Vers 3 heures du matin, quand la conductrice arrive au poste avec sa sœur , le ton du rédacteur est très différent: «A son arrivée en nos locaux, E. nous apparaît directement comme étant très choquée, cette dernière pleure abondamment et nous demande comment se porte l'homme qu'elle a renversé. L, la sœur de la conductrice et passagère, nous apparaît également comme très choquée suite au fait, des larmes sont visibles dans ses yeux. »
Le PV complémentaire, qui interpelle le papa de Clément, est bien dans le dossier aussi. Daté du 3 septembre, il a été rédigé d'initiative: «Nous tenons à apporter certaines précisions quant à notre intervention », entame le verbalisant. Avant de détailler l'arrivée de son équipe sur les lieux : «Nous circulons donc à bord de notre véhicule de service sur la chaussée de Bruxelles. (...) Alors que nous roulons à une vitesse d'environ 80 km/h, feux de croisement allumés, en recherche dudit accident, nous sommes surpris par la présence de deux piétons effectuant des grands signes (...) Les intéressés sont vêtus de pantalons de type jeans très foncés et de vestes noires. Nous les apercevons alors que nous sommes à une distance d'environ 15-20 mètres. Malgré un freinage puissant, nous ne parvenons pas à nous arrêter avant d'arriver à leur hauteur. Nous ne nous arrêtons qu'une quinzaine de mètres plus loin. (...) Si nous avions circulé sur l'autre bande de circulation, il ne nous aurait pas été possible de nous arrêter à temps (...) Précisons que, bien que l'éclairage public était allumé, il faisait particulièrement sombre et la visibilité était fortement réduite (...) Deux points lumineux, à proximité immédiate du lieu de l'accident, étaient défectueux. »
Les parents de Clément contestent. «Peu de temps après les faits, alors que les deux poteaux d'éclairage étaient encore défectueux, nous avons emprunté plusieurs fois cette chaussée. Cette route est une longue ligne droite où la visibilité n'est entravée par rien. De plus, l'éclairage public fonctionnait à l'endroit supposé de l'accident, les lampadaires défaillants se trouvant 50 mètres avant et 50 mètres après l'endroit de l'impact. De nuit, dans des conditions météo identiques, le lieu d'impact était visible à au moins 100 mètres pour quelqu'un qui roulait dans le sens Lillois-Nivelles !
Dès lors, quand on ne constate pas la moindre trace de freinage sur le lieu de l'accident, cela interpelle. Où regardait la conductrice ?» On notera sur ce thème de la visibilité que l'expert désigné par le Parquet ne prendra en compte que le PV complémentaire contesté... Avec ce commentaire assez alambiqué: «La visibilité était de plus de deux cents mètres, la visibilité était fortement limitée par l'éclairage public faible et les points lumineux défaillants à l'endroit de l'accident. » Que veut dire ce charabia ? Que la visibilité était «fortement limitée... à 200 mètres » ? En plus, l'accident a eu lieu à un endroit normalement éclairé, entre ces deux lampadaires cassés, comme le confirme l'expert lui-même, un peu plus loin dans ce même rapport.
Qu'en était-il ensuite de la position des jeunes sur la route ? Personne ne conteste qu'ils étaient habillés avec des vêtements sombres. Mais où marchaient-ils ? En file indienne, sur le côté extérieur droit de la route, comme les trois amis de la victime l'ont déclaré le soir de l'accident? Ou bien faut-il se fier aux déclarations de la conductrice, qui parle de «trois hommes marchant de front à droite de la chaussée» ? Ou encore à celles de sa sœur qui évoque, quant à elle, «trois personnes en plein milieu de la chaussée» ? Des questions essentielles pour déterminer les circonstances de l'accident et à propos desquelles le dossier du Parquet de Nivelles se contente de conjectures. Le rapport d'expertise qui a conduit au classement sans suite note en effet que «l'accident n'ayant pas laissé de traces au sol et les témoignages des parties étant en contradiction, aucun paramètre ne permet de déterminer l'endroit exact du contact entre le voiture et le piéton». Ce qui n'empêche pas l'expert de sanctionner un peu plus loin: «Sans reposer sur un quelconque paramètre concret, il paraît difficilement imaginable que quatre jeunes gens reliant à pied Braine-l’AIIeud à Nivelles en pleine nuit, en rase campagne, après avoir consommé des boissons alcoolisées, sans tenir compte du côté de la route où il convient de se trouver, fassent toute la distance en file indienne. Il semble plus évident que les piétons marchaient de front.»
«II ne manque qu'une phrase du genre : "En plus, comme il s'agit de marginaux du "mouvement culturel punk", ce sont certainement des menteurs dont le témoignage est par essence peu fiable"», s'indigne le papa de Clément. « De toute manière, on peut exactement faire le raisonnement inverse. Comment les quatre garçons auraient-ils pu marcher de front au milieu de la route pendant huit kilomètres sans avoir le moindre problème? L'accident se serait produit bien plus tôt!» complète Suzanne. «Dans cette expertise, tout va dans le même sens », dénonce-t-elle encore. «D'une part, l'expert constate "qu'il n'est pas possible, faute de paramètres fiables, de calculer une vitesse d'impact" mais un peu plus loin, il la calcule tout de même "en fonction des dégâts relevés sur le véhicule" et il l'estime conforme aux déclarations de la conductrice, soit 60 ou 70 km/h... Il est plus que contestable de prétendre qu'à cette vitesse, la conductrice n'ait pu apercevoir notre fils à telle enseigne qu'elle n'ait même pas eu le temps de freiner ou de l'éviter. Il ne faut que vingt mètres pour immobiliser un véhicule à cette vitesse sur une route sèche. En tout état de cause, ou elle roulait beaucoup plus vite, ou elle manquait de vigilance et ne regardait pas la route. Nous ne pouvons nous contenter de telles conclusions. On a l'impression que tout cela a été fait à la va-vite, sans précision, sans sérieux. Et c'est inacceptable pour la mémoire de notre fils», conclut la maman de Clément.
Constitution de partie civile
Contradictions, insuffisances, flous... Ce n'est évidemment pas à Paris Match de répondre aux questions restées en suspens dans cette enquête. Ce n'est pas à nous de vérifier 'emploi du temps de la conductrice après son délit de fuite (y-a-t-il eu des coups de téléphone, des comportements visant à atténuer le degré d'alcoolémie?). Ce n'est pas nous non plus qui sommes en mesure de faire un appel à témoin pour savoir si d'autres voitures ont croisé ces quatre piétons avant l'accident, ce qui aiderait à trancher entre la thèse de la «file indienne » et celle de la «marche de front»... Ce n'est pas à la presse non plus d'organiser une simple reconstitution sur cette route : un soir, par temps sec, avec les deux lampadaires éteints et une voiture roulant à 60 ou 70 km/h... Que voit-on exactement, combien de temps faut-il pour s'arrêter ? Tout ce travail assez élémentaire aurait déjà dû être fait par la justice... Et sûr que s'i avait été fait, les parents de Clément s'en serait contentés. Même dans le cas où cela aurait abouti à un classement sans suite. «Nous ne voulons pas une sanction à tout prix contre la conductrice, mais nous exigeons une enquête complète et sérieuse », disent-t'ils. Pour l'obtenir, Suzanne et Jean-Claude ont fait appel un avocat. Lequel leur a conseillé de se constituer partie civile. A partir de là, un juge d'instruction étayera les sommaires investigations du Parquet de Nivelles et les parents de Clément pourront demander, le cas échéant, des devoirs complémentaires... En marge de l'instruction judiciaire, ils veulent aussi «interpeller le monde politique sur la nécessité de durcir la législation». «Les accidents causés par des conducteurs en état d'ivresse ou d'imprégnation alcoolique devraient être considérés comme des crimes et délits prémédités», estiment-ils.
Enquête bâclée
"On a le sentiment que ce dossier a été traité à la va-vite, sans précision, sans sérieux", dénonce la maman de la victime. Une pétition a été postée sur le site www.lapetition.be
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Clément Druet, cet adolescent de 18 ans, a été fauché en 2009 par une automobiliste qui avait bu, positive avec 1,23 gramme d'alcool par litre de sang. La conductrice ne s'était pas arrêtée ...
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