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Publié par Michel Bouffioux

Une enquête publiée dans l'hebdomadaire Paris Match (Belgique), le 23 août 2012

Les repreneurs américains accusent les syndicats et les décideurs politiques

 

Ce sont les syndicats et les politiques belges qui ont provoqué le chaos. Dans une plainte déposée en avril 2012 devant l’US District Court d’Alexandria en Virginie, le patron et fondateur du "Team Best", Krish Suthanthiran réclame des dizaines de millions de dommages et intérêts à la Région wallonne, à l’Etat belge ainsi qu’à plusieurs autres acteurs du dossier (une déléguée syndicale, les administrateurs provisoires…) en raison de « pratiques évidentes de discrimination à l’égard de Best Medical Inc et de son président » visant à le déposséder de sa société. Une ancienne directrice belge de BMB estime aussi que le climat au sein de l’entreprise a été pourri par les syndicats, empêchant toute possibilité de relance des activités.

 

«Induit en erreur», «trompé», «discriminé» : l’homme d’affaire Krish Suthanthiran n’a pas de mots assez forts pour traduire son amertume après sa courte expérience belge. L’image du groupe Best qu’il a fondé a été plus qu’égratignée par l’affaire de Fleurus. Jamais les sociétés qu’il compte aux Etats-Unis, au Canada, en France et en Italie, toutes actives dans le domaine de la médecine nucléaire, n’ont eu à connaître de telles crises. Elles ont plutôt une excellente réputation. En plus, ce businessman qui consacre une partie de ses bénéfices à de l’action humanitaire est aujourd’hui sur la sellette de la justice belge qui instruit un dossier de détournement de fonds.

 

«Son point de vue est de dire qu’il a été trompé par les responsables politique belges et que les syndicats lui ont mis des bâtons dans les roues, lors de son court passage en Belgique», explique Dominique Jadoul, une ex-directrice du service clientèle de BMB et de Nordion, laquelle, précisons-le, travaille encore aujourd’hui, comme consultante, pour le groupe Best.

 

Elle poursuit : «Krish et son équipe sont arrivés en Belgique avec l’intention très claire de maintenir tous les emplois en reprenant Nordion. C’était un projet ambitieux et en même temps très généreux car il reprenait une société qui perdait des centaines de milliers d’euros chaque mois et qui, il ne faut tout de même pas l’oublier, avait pour plan de licencier les deux tiers du personnel, voire même d’en finir totalement, peu de temps avant l’arrivée providentielle de Best.»

 

Selon Dominique Jadoul, «les transferts de fonds dénoncés par les syndicats n’avaient rien de suspect. Krish a mené d’emblée une politique d’investissement – achats de cyclotrons à implanter à Fleurus- qui n’a pas été comprise par les syndicats mais qui, pourtant était de nature à relancer l’affaire. Il s’était donné deux ans pour la rendre à nouveau profitable. Bien sûr, sa manière de décider seul et rapidement a interpellé les syndicats qui, du temps de Nordion, étaient associés à toutes les décisions stratégiques. Le point de vue de Suthanthiran était de dire qu’il gérait comme il l’entendait les finances de ses sociétés, puisque c’était son argent qu’il investissait. Les syndicats voulaient avoir des comptes sur tout. La communication a rapidement été houleuse entre ces deux parties et le personnel a été pris en otage par les syndicats.»

 

«On ne lui a rien épargné !» déplore encore cet ex-directrice. «Des menaces d’arrêt de travail, du personnel se mettant en congé de maladie sur conseil d’un représentant syndical pour bloquer le fonctionnement de certains services indispensables à la survie de l’entreprise, des fuites de documents confidentiels, l’alimentation d’une campagne de presse pour le faire passer pour une sorte d’escroc… Et pourtant les salaires ont toujours été payés à heure et à temps, en plus des investissements et malgré les pertes.»

 

Ce n’est pas tout. «A ce contexte interne difficile se sont ajoutées des difficultés que Krish n’avait pas prévues dans ses relations avec les autorités belges : absence d’aides à l’investissement qu’il croyait acquises de par ses différents contacts préalables à la reprise de Nordion, révocation unilatérale de la convention déchets alors qu’on lui avait assuré qu’elle se poursuivrait comme du temps de Nordion. Et, cerise sur le gâteau, lorsqu’il demande la protection du tribunal de commerce, on le dépossède de la gestion de la société, le faisant passer du statut d’entrepreneur et d’investisseur à celui de supposé criminel qui a organisé des détournements de fonds. A partir de ce moment, il n’a plus voulu rien savoir et il a déposé plainte aux Etats-Unis. Cela prendra le temps qu’il faudra, mais on peut être certain qu’il ira jusqu’au bout pour obtenir réparation du préjudice important qu’il a subi dans cette affaire.»

 

La plainte de Best Medical Inc compte une vingtaine de pages, pas moins. Elle a été déposée au printemps dernier devant l’US District Court d’Alexandria en Virginie. L’Etat Belge, la Région wallonne, un juge du tribunal de commerce de Charleroi, une déléguée syndicale, les administrateurs provisoires sont mis en cause. A chacune de ses personnes ou institutions, Krish Shuthanthiran demande 30 millions de dollars de dommages et intérêt. Il les accuse de lui avoir fait perdre le contrôle de Best Medical Fleurus, créant par là même les conditions d’une faillite qui lui a, affirme-t-il, coûté plusieurs millions d’euros. Impossible de reproduire ici l’intégralité de cette plainte. Mais quelques extraits donnent le ton de ce document très accusateur.

 

A propos des plans financiers de Best Medical jugés non crédibles par les syndicats et le tribunal de commerce : «En mars 2012, Valérie Pottier de la Sogepa (société wallonne de gestion et de participations) a confirmé à l’avocat de Best Medical Belgium Inc que les business plans présentés par Best Medical Belgium Inc et Best Medical Belgium SA étaient les meilleures options possibles pour restructurer Best Medical Belgium SA et en faire une entreprise rentable, compétitive et promise à la réussite. Le business plan soumis par Best Medical Belgium impliquait toutefois les soutiens et le support financier de la Région wallonne. La Région wallonne a refusé d’apporter ces aides à Best Medical Belgium SA en dépit de la confirmation que sa participation aurait fourni les meilleures garanties d’une restructuration réussie. Ce refus d’investir a été largement influencé par les actes mensongers de la déléguée syndicale N.»

 

A propos de la révision de la convention de 1990 : «L’Ondraf a mis Best Medical Belgium SA sous pression afin de nous faire signer un contrat par lequel nous devrions payer cette organisation pour l’élimination des déchets nucléaires. (...) C’était une remise en cause des accords dont disposait Best Medical Belgium SA avec l’IRE et la Région wallonne pour stocker et éliminer les déchets (...) La modification unilatérale de ce contrat sans juste compensation et sans finalité publique, imposée à un étranger en Belgique, est une discrimination et un vol de propriété contraires aux lois internationales. (…) Il a résulté des tentatives arbitraires de l’Ondraf d’influencer à tort le ministre du Climat et de l’Energie à son propre profit un sérieux risque pour la sécurité.»

 

A propos de la mise de Best Medical sous administration judiciaire par le tribunal de commerce de Charleroi : «En définitive, le juge délégué et les administrateurs ont transformé une affaire à potentiel de viabilité et de rentabilité en une entreprise sans valeur qui ne fabrique plus rien et n’emploie plus personne. Cette affaire a été conduite à la faillite par la faute du juge et des administrateurs provisoires qui se sont obstinés à refuser les plans de de restructuration proposés par le plaignant (…) Le plaignant a investi 5 millions d’euros dans la société à la date du 9 mars 2012. (...) Best Medical Inc n’a reçu aucune compensation quand la société a été liquidée par les administrateurs et quand elle a été mise en vente, en mars 2012.(...) Le Royaume de Belgique a violé les lois internationales quand il s’est emparé de ce qui était la propriété de Best Medical Belgium Inc, sous la direction du juge qui avait été nommé par le tribunal de commerce de Charleroi dans le cadre du PRJ. Cette prise de propriété illicite sans compensations justes viole les lois internationales (...) L’Etat belge est responsable des actes posés par ses agents.»

 

A propos des administrateurs provisoires désignés par le tribunal de commerce de Charleroi : «Tout au long des mois de janvier et février 2012, Best Medical a continué à présenter des plans de restructuration raisonnables aux administrateurs provisoires et au juge du tribunal de commerce, mais ils ont tous été ignorés. En parallèle, l’affaire perdait maintenant environ 1 million par mois bien qu’elle était sous contrôle des administrateurs. (...) A notre connaissance, ils n’ont pas présenté d’autre plan de restructuration. (...) Best Medical Belgium a continué à perdre des clients et de l’argent à cause de cette mauvaise gestion, des critiques injustifiées distillées dans les médias causant de préjudices supplémentaires au plaignant ». Avant l’implication des administrateurs provisoires et du juge délégué, BMB SA perdait environ 500 000 euros par mois sur les six premiers mois et elle a présenté un plan de restructuration qui aurait pu sauver des emplois et développer l’affaire dans le monde entier. Après l’implication des administrateurs et du juge, l’affaire a perdu des millions d’euros, la compagnie a été vendue aux enchères et la plupart des emplois ont été perdus.»

 

A propos du rôle des syndicats, et particulièrement d’une déléguée, N., visée directement par la plainte : «Alors que Best Medical Belgium SA avait décidé de sanctionner un travailleur pour une violation grave des règles de sécurité, en délivrant du matériel radioactif à des clients sans les licences appropriées, N. appela à des arrêts de travail, indifférente aux menaces sérieuses pour la santé publique et aux problèmes de sécurité que cela impliquait. Encourageant deux travailleurs de l’expédition et deux autres travailleurs du service clientèle à prendre des congés de maladie factices dans le but de créer des pénuries de main d’œuvre et des arrêts de travail. Utilisant ces faux congés de maladie comme levier pour écarter le manager en charge du service clientèle, Dominique Jadoul. Elle a dit aux administrateurs provisoires qu’elle pourrait mettre fin aux congés de maladie si Madame Jadoul était écartée de son poste de direction ».

 

Ce que les administrateurs provisoires ont accepté de faire comme le prouve un mail envoyé à la déléguée syndicale N. Il comporte notamment cette phrase de l’avocat Cornil : «J’ai pris la décision de retirer à Madame Jadoul la direction du Customer Service. Mon propos a été non pas de "couper des têtes", ce que je vous ai dit que je ne ferais pas, mais simplement de tenter de réinstaurer un fonctionnement correct et efficace des services customer et shipping. Il y a en effet urgence. J’ai noté que suite à cette décision vous vous faisiez forte de pouvoir faire "revenir les malades" et de rétablir le bon fonctionnement. »

 

A propos du rôle des syndicats, et particulièrement d’une déléguée, N., encore : «N. montrait du mépris pour les directions de Best Medical Belgium Inc et de Best Medical Belgium SA, alors qu’elles travaillaient fiévreusement pour sauver la société et maintenir l’emploi. Elle a désiré et cherché de manière évidente l’échec de Best Medical Belgium SA. En raison des actions mensongères de N., les travailleurs de Best Medical Belgium SA, les administrateurs, le juge délégué, la Région wallonne et l’opinion publique à travers les médias ont eu une vue tronquée et négative des intentions du plaignant et de ses plans visant à restructurer et transformer Best Medical Belgium SA en une affaire profitable et florissante. (…) N. a fourni des informations mensongères et inexactes aux administrateurs provisoires et au président du tribunal de commerce avec l’intention de détruire l’affaire Best Medical. En dépit de ces difficultés, Best Medical Belgium SA a continué à investir du cash dans son projet belge aux fins de soutenir son personnel hautement qualifié. La société a ainsi perdu environ 6 millions d’euros entre avril et décembre 2011 »

 

A propos d’aides promises par des représentants de la Région wallonne, Krish Suthantiran évoque plusieurs rencontres avec des représentants de la « Belgian Trade Commission-Wallonia Investment and Trade Office (BTC-WIT), notamment les 12 et 13 janvier 2012, à Orlando : «Les représentants du BTC-WIT ont promis verbalement que la Wallonie offrirait des services de consultance et un soutien financier, ainsi que des incitants à Best, en retour de ses investissements en Belgique (…) Sans ces promesses, le plaignant n’aurait jamais poursuivi ses négociations avec Nordion, de même qu’il n’aurait pas investi 5 millions d’euros dans la société belge à la date du 9 mars 2012. (…) « Best Medical a présenté différents plans de restructuration qui tous visaient à maintenir l’emploi d’autant de travailleurs qu’il était possible. Tous les plans présentés par Best Medical étaient raisonnables et avaient pour but de préserver la viabilité et la rentabilité de Best Medical Belgium employant des travailleurs expérimentés dans des emplois bien rémunérés. Avec la mise en œuvre de ces plans, Best Medical SA aurait pu être en mesure de trouver de nouveaux investisseurs et partenaires potentiels pour développer l’affaire mais la Région wallonne n’a pas donné suite à une offre d’accorder une subvention de 2 millions d’euros et un prêt de 4 millions d’euros visant à restructurer l’affaire.»

 

A propos d’une discrimination liée aux origines de Krish Suthanthiran : «Les administrateurs et le juge délégué ont été de parti-pris négatif à l'égard du propriétaire principal de Best Medical Belgium en raison de ses origines indiennes et ils ont injustement pris parti pour la position défendue par les syndicats, ne respectant pas ainsi leur devoir de loyauté vis-à-vis de toutes les parties en présence pour maintenir l'affaire viable au travers d'un plan de restructuration juste et raisonnable. (...) L'actionnaire principal de Best Medical Inc qui possédait Best Medical Belgium SA est de descendance indienne. Durant tout le processus de PRJ, les administrateurs ont cité Monsieur Suthanthiran comme «l'homme d'affaire indien». Il n'y a d'autre raison de présenter Monsieur Suthantiran tel «un homme indien» que de le discriminer lui et la société dans laquelle il opère.»

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