19 Octobre 2004
Texte inédit rédigé en octobre 2004
Les secrets de l’Yonne
En ce début d’automne, le Serein et l’abondante végétation qui borde les rives de cet affluent de l’Yonne semblent vouloir prolonger la belle saison. Pas étonnant que de nombreux pêcheurs et promeneurs cherchent ici la tranquille compagnie des nénuphars qui trônent sur cette eau à la couleur de l’émeraude. La rivière, bordée par quelques villages médiévaux parmi les plus beaux de France nourrit aussi les 3.000 hectares de vignobles de Chablis qui produisent les incomparables vins blancs de Chardonnay. Ici, il n’est pas difficile de trouver un viticulteur qui vous décrira le terroir avec emphase : «En Bourgogne, depuis toujours, l’homme est conscient d’hériter chaque jour d’un vrai miracle de la nature. Cette terre est bénie des Dieux.» Sans doute, mais ces dernières années, cette terre a aussi été fréquentée par le diable. C’est en effet quelque part dans ces lieux idylliques, sur les berges du Serein, qu’Emile Louis a enfoui les corps de toutes ses victimes mais seuls ceux de Madeleine Dejust et de Francine Weiss ont été retrouvés. A quelques kilomètres à peine se trouve Saint-Cyr les Colons. C’est là que Michel Fourniret avait élu domicile, en 1987, pour entamer ses «chasses aux vierges». Un soir de décembre, il y a enlevé Isabelle Laville, une jeune fille de 17 ans. Pour la violer et la tuer.
Un peu plus près d’Auxerre, un «village fleuri» dénommé Appoigny alimente les conversations de bistrot depuis plus de vingt ans. Faut dire que les faits qui ont été découverts ne sont pas banals. En cause, un certain Claude Dunand et sa femme Monique, arrêtés le 22 janvier 1984. Ces deux-là détenaient depuis plusieurs mois deux jeunes filles issues de la Ddass. Pas pour eux. Enfin, pas seulement. Des clients payaient pour rendre «visite» à ces «sans familles» dont la disparition n’avait guère ému les gens du «terroir». L’une d’elle qui réussit à s’échapper raconta ses quelques mois d’enfer. Séquestrée à partir d’octobre 1983, deux hommes l’avaient d’abord enchaînée nue à un tuyau. Le premier jour, elle avait été fouettée et violée par Claude Dunand. Et puis, elle avait été laissée à l’abandon dans une cave, sans eau et sans nourriture. Juste le temps nécessaire pour l’affaiblir, l’avilir; La préparer à la venue des amis de monsieur Claude. Des personnages aux mœurs très spéciales que Dunand disait faire partie de «l’organisation». L’un d’eux, un Allemand qui se faisait appeler Helmut, l’avait flagellé et lui avait enfoncé des aiguilles dans les seins. Un autre l’avait obligé à boire son urine. Dunand lui avait perforé les lèvres vulvaires avec des épingles à nourrice qu’il avait attaché à ses cuisses. Un autre homme lui avait brûlé les seins avec un tournevis rougi avant de dessiner une croix gammée sur l’un d’eux. Un autre encore lui avait envoyé des décharges électriques dans la poitrine… Ils étaient une trentaine à être venus ainsi la torturer pendant près de quatre mois. Un médecin, cagoulé, passait de temps à autre, pour soigner les plaies. Claude Dunant, le logeur, encaissait l’argent. Et comme les affaires marchaient bien, il avait accru l’offre dès fin décembre 1983. Une seconde jeune fille était arrivée dans son pavillon d’Appoigny qui avait été aussitôt enchaînée à des madriers formant une croix de Saint-André.
En janvier 1984, lorsque la première des séquestrées parvient miraculeusement à s’échapper, son médecin la recueille. Le procureur de la République d’Auxerre est prévenu, les flics aussi. Grand classique : on ne la croit pas; Pas tout de suite en tous cas. Il faut trois jours pour que la police se décide à aller tout de même voir ce qui se passe chez Dunand. L’autre séquestrée est encore là. Attachée sur sa croix, prête à être suppliciée. Les objets de torture sont là aussi : un carton rempli de phallus artificiels en bois et en caoutchouc, de pinces à linge, d’aiguilles à tricoter, de bougies, de deux tubes de vaseline et d’une pince crocodile… Les fenêtres de la pièce de torture sont occultées avec du papier journal et de la laine de verre. Dunand avoue et des agendas sont saisis. Mais seulement trois «clients» sont identifiés, dont deux meurent avant le procès. Le tortionnaire d’Appoigny est condamné à la perpétuité le 31 octobre 1991, son épouse à cinq ans –après sa libération, elle perd bêtement la vie dans une chute d’escalier. Le troisième homme, qui avait participé aux viols mais qui avait aussi permis à la première des séquestrées de s'enfuir, écope de deux ans de prison dont dix-huit mois avec sursis. Dunand n’a jamais révélé les noms de ses autres membres de «l’organisation», se contentant d’allusion à «des gens importants». Depuis lors, la rumeur court à Auxerre : l’un des agendas saisis, contenant des identités, aurait disparu en cours d’instruction. Une enquête interne de la magistrature laisse des points d’interrogation à cet égard. Seule certitude, dès 2001, Dunant retrouve la liberté et, avec le soutien d’un notable politique local, il se reconvertit dans le cadre d’une association favorisant la réinsertion d’anciens détenus. Aujourd’hui, il vit dans la région de Mulhouse. Avec ses secrets.
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