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Marie-Noëlle Bouzet : "L'âme d'Elizabeth m'accompagne"

 

Un entretien publié dans l'hebdomadaire "Paris Match" (Belgique), le 6 mars 2008 -

 

 

 

michel-bouzetmichel-elizabethInstallée depuis plusieurs années dans une région très reculée au Canada, Marie-Noëlle Bouzet était en train de boucler ses valises pour rejoindre le continent européen lorsqu’elle nous a accordé cet entretien. Comme d’autres victimes du duo criminel formé par Michel Fourniret et Monique Olivier, la maman de la petite Elizabeth Brichet va bientôt vivre une terrible épreuve. Celle du procès d’assises qui commencera à Charleville-Mézières, le 27 mars prochain. Un moment où elle croisera les regards du tueur en série et de sa complice ; un moment aussi où toutes les circonstances des enlèvements et des meurtres commis par le couple diabolique vont être détaillées devant les jurés. Sans nouvelles de sa fille pendant quinze ans, Marie-Noëlle Bouzet a encore dû attendre près de quatre ans pour vivre cette étape importante : « Tout ce que je devais savoir sur l’enlèvement et l’assassinat de ma fille, je le sais déjà », nous confie la maman d’Elizabeth. « Malgré la possibilité d’appel prévue par la loi française, ce procès me conduira à tourner définitivement la page judiciaire. Personnellement, c’est évidemment autre chose : la page de ma vie qui correspond à la fin de celle d’Elizabeth ne se tournera qu’avec ma mort ». 

 

Comme d’autres journalistes, j’aurais volontiers fait le déplacement jusqu’à ce lieu très reculé où vous vivez désormais. « Pas question, aucun média ne viendra ici », m’avez-vous dit. Pourquoi entretenez-vous tellement de mystère sur l’endroit où vous habitez ?

Marie-Noëlle Bouzet. Je ne veux pas vous décevoir mais je tiens réellement à me préserver des journalistes. J’habite désormais dans un endroit où aucune caméra n’est jamais venue me filmer, très loin de cette partie du Canada où certains de vos confrères avaient fait une intrusion en juillet 2004, alors que l’on venait de retrouver le corps d’Elizabeth… J’utilise à dessein le mot « intrusion ». J’avais ressenti cela comme une mise en péril de la vie qu’il me reste encore. Mon ambition étant de poursuivre mon existence dans un lieu où la majorité des gens ne me perçoivent pas comme une victime, une maman qui a connu ce qui peut lui arriver de pire.

 

Au Canada, vous êtes donc quelqu’un d’autre ?

Je ne suis pas quelqu’un d’autre. Ce sont les autres qui me voient autrement. Mes connaissances d’ici, mes voisins, pour la plupart en tous les cas, ne connaissent pas mon lourd passé et donc, ils ne se sentent pas obligés de me plaindre ou, pire, de me poser des tas de questions… Cela dit, l’envie de tout raconter se manifeste parfois avec force. Je veux juste garder le choix du moment et de la manière pour leur raconter les événements qui ont bouleversé ma vie. En 2004, sans prévenir, des journalistes québécois étaient venus poser des questions à mes voisins qui tombaient des nues. Ce fut une expérience horrible et très déstabilisante que je ne veux revivre à aucun prix.

 

Vivre si loin, au bout du monde, c’est une fuite ?

Effectivement, je n’avais plus la force de rester en Belgique. Tout le monde sait que mes rapports avec la police belge dans l’enquête sur la disparition de ma fille n’ont pas toujours été faciles. Mais ensuite, il y a eu l’été 1996. Quand on a retrouvé Julie et Melissa, cela a été un choc énorme pour moi qui cherchais Elizabeth déjà depuis six ou sept ans. Un choc énorme parce que je connaissais leurs parents et qu’ils étaient dans une situation comparable à la mienne. Mais aussi parce que… Vous savez, la maison de Dutroux, le long de la voie de chemin de fer à Marcinelle…

Oui. Là où il avait construit sa sinistre « cache »…

Cette maison, je la voyais quand je prenais le train. Et je me souvenais d’avoir posé les yeux dessus avant que l’on retrouve Julie et Melissa ; avant que l’on découvre que toutes les victimes de Dutroux y avaient séjourné. Cette révélation était de nature à me faire perdre pied. Je pensais désormais que chaque façade en Belgique, chaque maison aussi sécurisante pouvait-elle apparaître, chaque immeuble pouvait dissimuler le temple d’un pédophile, la souffrance d’un enfant. Le sentiment m’envahissait qu’Elizabeth pouvait être enfermée derrière chacun de ces murs. Qu’elle pouvait être enterrée n’importe où. Il fallait que je parte, que je quitte la Belgique, pour ne pas tomber dans un piège obsessionnel. En plus, j’étais vraiment dégoûtée.

 

Dégoûtée ?

Oui, par la manière dont certains intellectuels ont réagi au combat des parents d’enfants disparus et au mouvement citoyen qu’il avait suscité. De victime du pire, on était devenu des personnes dérangeantes quand on n’était pas présenté comme des dérangés. Je me souviens du journaliste René-Philippe Dawant qui, lors d’une conférence, mettait l’index à sa tempe en le faisant tourner quand je prenais la parole. Je me souviens d’un sociologue de l’U.l.b., un petit bonhomme qui a toujours un commentaire à formuler sur tous les sujets d’actualité. Comment s’appelle-t-il encore ?

 

Claude Javeau ?

Oui, c’est cela. Je le vois encore se lever et refuser de débattre lors d’une autre conférence parce que j’avais eu l’outrecuidance de critiquer ses prises de position… Qui consistaient à dire que certains parents de victimes n’avaient pas de légitimité pour prendre part au débat public. En résumé, quand ma fille a disparu, les disparitions d’enfant n’émouvaient que peu de personnes en Belgique. Donc, je n’avais pas le droit à la parole. Les questions que je posais alors à la police irritaient. Le commissaire Deside m’avait d’ailleurs fait remarquer qu’à cette époque, on classait les affaires de disparition non résolues après un mois… Plus tard, l’actualité des enlèvements et des meurtres d’enfants, l’apparition d’autres parents de victimes combatifs a ouvert un droit à la parole. Mais un droit à peine concédé. Je n’ai jamais eu le sentiment que dans les milieux dirigeants et chez les intellos, cela équivalait à une légitimation de notre discours.

 

Ce contexte hostile vous a-t-il blessée ?

Oui, vraiment. Mais bon, il faut oser dire que toute une frange de l’intelligentsia a toujours montré beaucoup de complaisance vis-à-vis de la pédophilie. J’ai été marquée dans le passé par l’émission de Bernard Pivot qui avait invité l’écrivain Gabriel Matzneff. Ce sinistre type évoquait ses extases sexuelles avec des « jeunes personnes ». C’était juste avant la disparition d’Elizabeth. En Belgique, il y a eu aussi l’affaire du C.r.ie.s. (1) à l’occasion de laquelle de nombreux intellectuels, des avocats notamment, ont pris fait et cause pour ce qu’on appelait le « nouvel amour », c’est-à-dire cette théorie fumeuse selon laquelle les adultes devraient avoir des rapports intimes avec les enfants pour leur apprendre la sexualité. J’affirme qu’il y a toute une génération – et je sais de quoi je parle puisque j’en ai fait partie – qui ayant vécu la libération de 1968 a ensuite perdu, pendant un certain temps, des repères indispensables sur le plan des mœurs. A force de ne rien vouloir interdire, certains sont devenus de petits ou de grands monstres qui ne pouvaient plus résister à aucune frustration. Notamment sur le plan sexuel. D’ailleurs, ils ont souvent élevé leurs gosses à leur image, comme des enfants-rois…

 

Cette complaisance que vous dénoncez existe encore un peu au travers des propos et des œuvres de quelques survivants de la « libération de mœurs » devenus de vieux types un peu puants. Officier des arts et des lettres, Matzneff propose désormais des extraits de l’émission qui vous a choquée sur son site. Pascal Sevran, un animateur de télé, a récemment fait état de son goût pour le tourisme sexuel dans un talk show. Michel Polac, l’ancien présentateur de « Droit de Réponse », n’a pas fait l’objet d’un débat médiatique alors que ce qu’il avait écrit sur ses expériences pédophiles fut mis en exergue…

Cela ne m’étonne guère. Je me doute que la tentation de la complaisance a poursuivi son chemin dans certains esprits soi-disant « rebelles ». Cette tentation d’expliquer, de relativiser et, finalement, de banaliser la pédophilie reviendra toujours puisque certains mettent ainsi leur intellect au service de leur pénis pour trouver les arguments justifiant leur appétit sexuel et leur intolérance aux frustrations. Vous auriez pu aussi me parler de Daniel Cohn-Bendit… De la génération pédophile, quoi ! Il s’agit de gens bénéficiant autrefois du label « gauchiste véritable » ou libertaire que, par ailleurs, j’ai admirés pour leur prises de position contre le système. Mais une fois encore, certains d’entre eux sont allés trop loin dans le domaine de la libération des mœurs.

 

Cohn Bendit a fait son autocritique…

C’est vrai, il s’est excusé et in fine, il a pris des positions fortes par rapport à la pédophilie. Il n’en reste pas moins que ses écrits des années 1970 sont très révélateurs du point de vue complaisant d’une génération sur la pédophilie (2).

 

Lors des funérailles d’Elizabeth, vous aviez fait référence à la sagesse des Indiens Navajos en citant leur « chant de la nuit » qui dit notamment : « Avec la beauté tout autour de moi, je marche. Tout est fini dans la plénitude… ». Vous expliquiez qu’il s’agissait d’un « chant de guérison », d’une incantation conduisant vers une quête nouvelle d’harmonie pour ceux qui ont failli être noyés dans un océan de malheur… Aujourd’hui, vous êtes guérie ? Là où vous demeurez, la vie est-elle redevenue un long fleuve tranquille ?

Non, la vie n’est pas redevenue un long fleuve tranquille. Et la guérison ne viendra qu’avec ma mort. Je traite une partie de mon cerveau comme un objet sur lequel j’ai un pouvoir. Je le force à rejeter les images violentes qu’il a mémorisées, celles qu’il crée aussi. Je me force à me concentrer sur ce genre de prière. C’est un effort presque quotidien.

 

Pas de salut de votre vivant, donc ?

J’ai acquis la conviction que le propos de la vie est d’être confronté à des difficultés, à des souffrances. A partir de ce qui nous apparaît injuste, il faut trouver la force d’aller de l’avant et même de grandir. Ici, on dit : « Tout ce qui ne me tue pas doit être bon pour moi ». Je vois la vie ainsi. Tel un processus d’apprentissage, de lutte et d’évolution. De toute manière, je n’ai pas d’autre solution…

 

Ce que vous avez vécu vous a-t-il fait découvrir des ressources personnelles dont vous ignoriez l’existence ?

Effectivement, je me suis vraiment découverte en étant confrontée à ce cataclysme. Mais cette évolution a été un long processus durant lequel ce qui me culpabilisait le plus, c’était les gens bien intentionnés qui me disaient les larmes aux yeux : « Comme tu es courageuse, moi je ne saurais jamais survivre à cela ». A un moment, j’en étais arrivée à me demander pourquoi je pouvais survivre à la disparition de ma fille. Etais-je insensible ? Mais voilà, je ne suis qu’une survivante. En temps que maman, j’ai vécu la pire des choses. Et je savais déjà avant qu’Elizabeth disparaisse que ce serait cela, la pire des choses. J’étais complètement traumatisée quand je voyais un article concernant un viol ou un meurtre d’enfant. Et puis voilà, cela m’est arrivé. Je ne sais pas s’il faut croire aux pressentiments, mais c’est comme cela.

 

Vous disiez donc que vous avez été transfigurée par ce drame…

Oui… Je suppose qu’on peut évoluer dans le bonheur aussi mais moi, c’est ce malheur qui m’a changée. Je ne suis plus la même du tout. Je parviens à sublimer, à anesthésier, peut-être à dépasser cette horreur qui s’est imposée dans ma vie. Aujourd’hui, je trouve même des moments de paix. En peignant, en écrivant ou tout simplement en contemplant la nature encore très sauvage qui m’entoure.

 

Peu de temps après la découverte du corps de votre fille, vous m’aviez déclaré : « Je veux savoir ce qui est arrivé à Elizabeth. Tout savoir ». Vous avez le sentiment, sinon de tout savoir, d’en connaître désormais assez sur ce que fut son calvaire ?

J’en connais assez maintenant, même si j’ai l’intime conviction que je ne sais pas tout. J’ai très bien conscience que je ne connaîtrai jamais qu’une partie de la vérité car celle-ci ressort des propos que veut bien tenir l’assassin de ma fille.

 

Cela laisse encore un pouvoir à Fourniret…

Oui, un immense pouvoir… Je ne sais pas ce qu’il a ajouté ou retranché par rapport aux faits quand il évoque la mort d’Elizabeth. Mais je suis quelqu’un de très intuitif et il m’arrive, un peu comme un médium, de ressentir ce qu’elle a dû ressentir. D’être moi-même Elizabeth. Cela me suffit.

 

Naguère, dans un reportage réalisé par José Dessart (R.t.b.f.), vous aviez cité ces aveux à vomir de Fourniret : « Vous ne pouvez pas savoir, c’est un mélange de douceur et de cruauté, je lui ai dit “Maintenant, c’est fini”, je lui ai mis un sac plastique transparent sur la tête, je pouvais voir la détresse et l’angoisse dans ses yeux. Elle continuait à me regarder, puis comme ça prenait trop de temps, j’ai décidé de l’étrangler… Ce n’est pas facile d’étrangler, vous savez. Il y a les soubresauts du corps, ça prend du temps… ». Ces mots qu’il a prononcés, ces mots que vous avez lus, ils hantent vos nuits ?

Ce ne sont pas ces mots-là qui hantent mes nuits mais plutôt la terreur qu’a inévitablement éprouvée Elizabeth… Je n’ai pas eu besoin de ces mots du tueur pour ressentir la panique d’être séquestrée qui fut celle de mon enfant ; cette peur totale de l’animal pris dans un piège qui ne laisse aucun espoir. Je sais qu’à partir du moment où elle a été enfermée dans la voiture, elle a compris… Et je sais ce qu’elle a ressenti. C’est cela qui m’obsède. Cette peur immense mais aussi ce sentiment de culpabilité qu’elle a dû ressentir, estimant qu’elle avait commis une erreur lorsqu’elle était montée dans ce véhicule… Je suis certaine qu’elle s’en est terriblement voulue de s’être fait avoir. Quelques jours auparavant, à l’endroit même où elle a été enlevée, je lui avais dit de ne jamais oublier de faire attention car il y a des malades sur cette Terre qui s’en prennent aux enfants. Bien sûr, n’imaginant pas qu’un homme et une femme accompagnés d’un enfant puissent enlever une petite fille, je ne lui avais pas dit qu’il était interdit de rendre service à des inconnus… Et donc, elle est tombée sur ces prédateurs qui ne lui ont laissé aucune chance. Elizabeth a simplement écouté son bon cœur en voulant aider des personnes qui disaient chercher un médecin en urgence pour leur garçon. Il n’y a évidemment pas de morale dans cette histoire tragique. Seulement un constat : on vit dans un monde où le fait d’avoir du cœur peut vous coûter la vie.

 

Par rapport à une telle horreur, existe-t-il une place pour le pardon ?

Mais dans ce cas, le mot « pardon » n’a vraiment aucun sens ! Je n’ai pas à pardonner pour quelque chose qui a été fait à Elizabeth. Ensuite, on ne pardonne pas au mal incarné. Cela ne veut pas dire que j’éprouverais un sentiment de vengeance même si parfois l’envie vient en moi de les voir disparaître, de les écraser. Non, pour moi, la plupart du temps, Fourniret et Olivier n’existent pas. Si, d’aventure, je leur pardonnais dans un grand élan judéo-chrétien, avec l’espoir que cela puisse produire quelque chose en eux, une sorte de rédemption ou que sais-je encore, je ne serais qu’une crétine. Ces psychopathes sont totalement insensibles et ce qu’ils font pour paraître humain n’est toujours que stratégie, instrumentalisation des bons sentiments et des fragilités d’autrui afin de servir leurs intérêts. Ma fille a déjà eu bon cœur lorsqu’elle a croisé la route de ces prédateurs. Je ne veux pas reproduire cela. Elle ne me le pardonnerait pas ! Ce n’est pas parce qu’on a tué Elizabeth que le pardon est impossible, c’est parce que l’auteur est Michel Fourniret. Il ne comprendrait pas le pardon, il en rirait intérieurement et il l’utiliserait pour servir ses intérêts stratégiques.

Fourniret, dans ses aveux, en arriverait presque à se plaindre : « Ce n’est pas facile d’étrangler, vous savez … », etc.

 

Ce sont les propos d’un malade ?

Fourniret n’est pas un malade au sens médical du terme. C’est une personnalité antisociale, un type qu’aucun médicament ne saurait « guérir ». C’est une personne qui a laissé parler et agir la part la plus sombre de lui-même. Comme l’a dit le psychiatre Jean-Yves Hayez dans le débat qui est né des révélations sur l’avocat pédophile Victor Hissel, nous avons tous cette part sombre en nous. Lui, il l’a laissée s’emparer de lui et puis, il en a profité pendant toute sa vie d’adulte… On l’a aussi laissé faire. Son sentiment d’impunité grandissant l’ayant sans doute rendu de plus en plus monstrueux. Je pense d’ailleurs que par rapport à ce personnage mais aussi d’une manière plus générale, cette problématique du sentiment d’impunité est fondamentale. Il faut être lucide : la plupart d’entre nous, moi y compris, ne faisons pas un certain nombre de choses déviantes ou « pas bien » parce que nous avons peur de la réaction sociale, de celle des autorités, de la police.

 

Vous m’avez dit un jour : « Cet homme n’est rien, c’est le néant. Il n’est que l’instrument du mal absolu… ». Fourniret n’en est pas moins responsable des actes qu’il a posés, non ?

Oui, bien entendu. J’aurais dû dire : « Il a choisi d’être l’instrument du mal et il s’est complu dans ce rôle ». Il est bien entendu responsable de ses actes. Dans une vie, peut-être pas à tout moment mais à de nombreuses occasions, on est tous confrontés à des choix entre le bien et le mal.

 

Après son arrestation, vous étiez d’avis que le traitement le plus juste pour un personnage de ce type, c’était de le faire « lobotomiser ». Cela avait déclenché une polémique…

C’est très difficile de trouver une punition juste pour un crime répétitif de cette ampleur. Et puis, il y a l’intérêt de la société à empêcher toute récidive. Voilà les termes du débat. Je constate que le seul moyen de l’empêcher d’encore nuire à l’heure actuelle, c’est une perpétuité, mais on sait que pas plus en France qu’en Belgique, il n’y a de perpétuité réelle. Je trouve intolérable de devoir craindre qu’un jour Fourniret puisse sortir de prison.

 

Si c’est un psychopathe, le risque de récidive est maximum… Il aura toujours la même structure psychique dans dix, vingt ans ou plus…

C’est clair, il sera seulement affaibli physiquement. Mais j’ai déjà lu des choses sur des personnes âgées qui avaient pu se montrer d’une extrême violence à l’égard de jeunes enfants. Ces gens-là, malheureusement, ne deviennent pas bons en devenant vieux !

 

Pour vous, Michel Fourniret ne devrait donc jamais retrouver la liberté ?

Bien sûr. Mais ce n’est pas suffisant. On devrait le faire travailler dur. Le produit de ce travail devrait servir à financer quelque chose de positif et de visible pour la société. Il ne devrait pas pouvoir bénéficier de « visite d’amour » comme il en a eu dans le passé. Je rappelle que Monique Olivier est allée le chercher en prison. Il ne faudrait pas qu’il ait accès à Internet et, enfin, il ne devrait pas être protégé des autres détenus. Ras-le-bol que les plus pervers des criminels bénéficient des conditions de détention les plus soft ! Aller en prison, c’est quelque chose de terrible ? Eh bien, je trouverais juste que ce soit aussi terrible pour un Fourniret que pour ces jeunes gens qui y sont parfois enfermés pour des faits mineurs.

 

Vous n’avez pas répondu très précisément à la question portant sur la lobotomie…

J’y viens. Je n’ai pas changé d’avis. Il n’y a aucune honte à parler de lobotomie dans le but d’empêcher des gens comme Fourniret de récidiver. Bien sûr, la lobotomie a été fort décriée et aujourd’hui, rien que le mot donne envie d’hurler. Mais je maintiens que dans des cas de tueurs en série dépourvus de toute humanité, dans le cas de ces psychopathes qui sont plus que des candidats à une récidive certaine, cela aurait un sens. On fait bien des « lobectomies » pour traiter des troubles compulsifs du comportement. Ne pourrait-on pas considérer que tuer une petite fille ou une jeune femme tous les ans, c’est un trouble compulsif du comportement particulièrement préoccupant qui mériterait, lui aussi, un traitement radical ?

 

En 2004, vous me disiez qu’il fallait « lobotomiser » Fourniret parce que ce serait aussi une manière de supprimer sa mémoire des faits ; un moyen pour éradiquer des souvenirs dont il continuerait à se gargariser en prison…

Ce type jouit en se remémorant le mal qu’il n’a cessé de répandre. Je continue à ne pas supporter l’idée qu’il se masturbe en se rappelant la peur panique qu’il lisait dans les yeux de ma fille alors qu’il était en train de l’étrangler. Il reviolera ses victimes dans sa tête jusqu’à la fin de ses jours. C’est son butin. Un magot qu’il a prélevé sur la vie de jeunes filles innocentes. Un trésor de tueur qui, j’en suis certaine, a bien plus de valeur à ses yeux que toutes les pièces d’or du monde. Je trouverais juste qu’on le lui retire. Que l’on comprenne que pour un type pareil, les crimes du passé ne sont pas un poids. N’ayant pas de conscience, étant dénué de tout sens moral, il les considère comme des atouts, des viatiques pour passer son temps dans sa cellule. Il faut donc éradiquer le souvenir du crime tout en empêchant définitivement la récidive. Je le répète une nouvelle fois même si cela doit choquer : mon point de vue sur la nécessité de « lobotomiser » cet homme n’a pas changé d’un iota. J’ajoute que l’alter ego féminin de Fourniret, Monique Olivier, devrait être l’objet d’un traitement identique. Qu’on ne parle plus à cet égard de droits de l’homme. Moi aussi, je trouve que la vraie punition serait que ces deux-là se réveillent un matin en prenant la vraie mesure de ce qu’ils ont fait. Mais ça n’arrivera jamais !

 

Que savez-vous aujourd’hui du rôle joué par Monique Olivier dans la série de meurtres commis par Michel Fourniret ?

Je le répète : pour moi, elle est aussi perverse que son assassin de mari. Elle a vécu sa perversité par procuration. Elle lui apportait de l’assistance tant au moment des enlèvements qu’au moment des meurtres et viols. Lorsque le tueur, ne disposant que d’un trop petit sexe trop peu puissant, avait besoin d’une assistance technique pour arriver à sa jouissance, elle répondait présente. Pour moi, elle a fait la pire de choses possibles en utilisant son propre enfant pour enlever d’autres enfants. Elle est beaucoup plus impliquée encore qu’une Michelle Martin… Enfin pour ce que l’on sait du véritable rôle de Martin dans les crimes de Dutroux et consorts.

 

Ce n’est pas une passive, en tous cas ?

Pas du tout ! Elle a fait la démarche d’aller chercher son pervers de compagnon en prison, elle connaissait son passé et je pense que c’est bien cela qui l’a intéressée dans son futur mari parce qu’elle est elle-même une pédocriminelle. En prison, consciemment ou non, elle était à la recherche d’un compagnon de route. Ensuite, elle a été sa complice, son assistante dévouée. Je crois comme Jean-Maurice Arnould, mon avocat, que le « cas Olivier » sera l’un des enjeux importants du procès. Il ne faudra pas que les jurés se laissent abuser par cette sinistre personne.

Ce couple maléfique a agi en toute impunité pendant de longues années.

 

Quelle réflexion cela vous inspire-t-il ?

Cela me confirme dans l’idée qu’en Belgique, comme dans d’autres pays européens, il y a encore du chemin à faire pour que les autorités mesurent l’ampleur insoupçonnée de la criminalité à mobile sexuel. Je rappelle que tous les éléments du casier de Fourniret avaient été effacés automatiquement en France quelques années après sa première condamnation… Tous sauf un relatif au vol d’un révolver. C’est sans doute cela l’important !? C’est une vraie question de société. Un déficit de conscience perdure encore bien des années après les premières mobilisations du mouvement féministe. La sexualité est un domaine tellement perturbé et délicat qu’il y a toujours des gens pour voir les choses dans une perspective qui n’est pas la bonne.

 

35% des femmes et 15% des hommes dans un pays comme la Belgique admettent avoir été l’objet de violences sexuelles, généralement pendant leur enfance. Trop de victimes optent encore pour la reproduction ou le déni plutôt que de trouver le chemin de la résilience et/ou une remise en question sociétale…

C’est un énorme problème. Fatalement, la plupart des victimes doivent avoir le sentiment que la puissance des auteurs de tels faits est indestructible, voire enviable, puisque la plupart d’entre eux ne sont jamais punis, voire même jamais dénoncés. Tout cela explique les réactions parfois paradoxales des victimes. En Afrique, par exemple, ce sont les femmes excisées qui recommandent et pratiquent l’excision de leurs filles.

 

Est-il raisonnable de faire reproche à la justice belge de ne pas avoir mis la main plus tôt sur Fourniret ?

Je crois qu’en faisant de moi la principale suspecte pendant tout un temps et qu’en limitant l’essentiel des démarches d’enquête au quartier de Saint-Servais et, au surplus, sans accorder plus d’importance que cela à la thèse du pervers qui enlève à répétition, la justice belge ne risquait pas un jour d’arrêter Fourniret… Sauf, bien entendu, si le tueur leur tombait dans les mains sans pratiquement rien faire, ce qui est finalement arrivé. Je voudrais ajouter qu’Elizabeth, on le sait aujourd’hui, a passé la frontière enfermée dans le coffre d’une voiture… Je me prends parfois à imaginer qu’on ait tout de suite enregistré ma plainte – plutôt que de demander de revenir trois heures plus tard– et que cette plainte ait tout de suite débouché sur des contrôles aux frontières… Je rêve parfois que c’est la justice qui gagne, que les policiers ouvrent le coffre d’une voiture et y trouvent une petite fille transportée par un tueur en série. Ai-je trop d’imagination ? Je me souviens d’une discussion avec le juge d’instruction Coméliau qui autrefois dirigeait « l’enquête Elizabeth Brichet ». Sans agressivité, cet homme tentait de tempérer mes espoirs : « Vous savez, Mme Bouzet, en Belgique, il n’y a qu’environ 11 % des affaires criminelles qui sont résolues ». On en parlait déjà tout à l’heure : il y a en plus tous ces crimes dont la justice n’a même pas connaissance. Il ne faut donc pas être trop ambitieux quand on occupe le rôle de victime dans le grand théâtre de la justice. C’est aussi une question de démocratie, m’a dit un jour le procureur du Roi de Liège, Cédric Visart de Bocarmé : « Vous savez, Mme Bouzet, le respect des libertés garanties par la loi implique qu’on laisse courir des gens dont on n’est pas certain de la culpabilité ». Je suis d’accord mais si 11 % des crimes sont résolus, cela veut bien dire qu’il y a 89 % des crimes qui paient ? Le prix de la liberté est élevé. En tant que démocrate, je l’accepte. En tant que victime, je sais aussi qu’on le paie parfois à vie. Il y a un sentiment qui ne disparaît pas en moi. Quand ma fille a disparu, j’ai été présumée coupable. Fourniret, aujourd’hui encore, est présumé innocent.

Votre rancune à l’égard de certains membres des services de police belges reste-t-elle entière ?

Bien sûr. Je me souviens particulièrement de la condescendance de l’un d’entre eux qui avait une formation d’assistant social. De sa manière suspicieuse de plaider le faux avec l’espoir, sans doute, de me faire avouer. Mais avouer quoi ? Il m’incitait à lui faire des « confidences ». Après avoir créé un climat de confiance, il détournait tout ce que je lui avais dit. Une fois que j’étais toute nue, que j’avais dévoilé ma vie privée dans les moindres détails, il l’utilisait à mes dépens. J’ai été l’objet de manipulations, de déloyauté. Cela me reste encore en travers de la gorge.

Par contre, au niveau des magistrats, cela s’est-il mieux passé ?

Certainement. J’ai toujours eu les rendez-vous que je sollicitais auprès du juge d’instruction Guy Coméliau. Il a toujours été extrêmement cordial et je suis persuadée que s’il n’avait pas été là, ces pétés de flics qui dirigeaient l’enquête à Namur auraient réussi à m’envoyer en prison ! C’était une autre époque… Enfin, je l’espère. Une époque où la disparition d’un enfant n’était pas une priorité pour la police et où une maman qui posait des questions était au mieux une emmerdeuse, au pire une présumée coupable. Même le fait que mon ami d’alors était le cousin du patron de la gendarmerie à Namur n’y a rien fait : à un moment donné, l’officier a décidé que ce n’était pas intéressant, qu’Elizabeth n’était pas une priorité.

 

Des reproches à faire à la justice française ?

Où était-elle ? Elle existe dans cette affaire ? On soulignera particulièrement l’intervention catastrophique du jury populaire lors du premier procès de Fourniret où des faits de viols ont été requalifiés en attentats à la pudeur parce que le prévenu avait fait semblant de verser quelques larmes et qu’avec sa douce voix, il avait fait savoir que son pénis n’était pas assez vigoureux pour violer… Résultat, il est sorti de prison après seulement trois ans et il a tué sept fois – peut-être plus qui sait ? – en seize années de liberté.

 

Vous avez attendu quinze ans avant d’enfin savoir où Elizabeth se trouvait. Avez-vous eu parfois le sentiment que vous alliez basculer dans le désespoir, voire dans folie ?

Il y a eu cette période difficile dont j’ai parlé au début de cet entretien. Et puis, quand on a retrouvé Elizabeth, j’ai compris beaucoup de choses. J’avais pu survivre grâce à un certain déni de l’insupportable pendant toutes ces années durant lesquelles on la recherchait. En fait, c’était plus facile de la rechercher que de savoir. Dans la recherche, il y avait tout de même un espoir. Il y avait la possibilité de solutions moins cruelles que ce qu’a été la réalité. En fait, pendant longtemps, j’ai eu la sensation que je ne voulais pas savoir. J’ai dit un jour aux Russo : « Je ne veux pas savoir ce que vous savez ».

 

C’est donc plus difficile de savoir ?

Oui mais, dans le même temps, c’est plus sain. Psychologiquement, le déni, ce n’est évidemment pas tenable. Le déni anesthésie, mais il ne fait pas disparaître le mal.

 

Qu’espérez-vous du procès qui va s’ouvrir le 27 mars prochain à Charleville-Mézières ?

Il marquera la fin de ma bataille avec le système judiciaire. Bien sûr, des appels sont possibles mais je ne m’en occuperai pas. Une page va se tourner définitivement. Je veux parler de la page juridique. Le reste, c’est mon problème tout personnel.

 

Prendrez-vous la parole dans la salle d’audience ?

Peut-être.

 

Que diriez-vous le cas échéant à Fourniret et Olivier ?

Je préfère répondre de manière évasive. Ces deux-là pourraient avoir l’idée de ne pas venir. Ils en ont le droit et je trouve cela tout à fait aberrant. Que nous, les parents des victimes, nous n’ayons même pas le droit d’exiger qu’ils soient confrontés à nous et à la mise en lumière publique de leurs actes, est tout à fait incroyable. S’ils devaient ne pas être présents au procès, je n’aurais même plus envie d’entendre prononcer le mot « justice ».

Si on tient compte d’un éventuel appel, cette affaire se clôturera judiciairement plus de vingt ans après l’enlèvement d’Elizabeth. Vingt ans, c’est tellement long…

De toute façon, pour moi, c’est hier qu’Elizabeth a disparu. Quand je vois les images et les photos de 1989, tout à l’air démodé, vieilli, jauni. Mais mon souvenir, lui, est celui d’hier.

Aujourd’hui, savez-vous enfin où se trouve Elisabeth ?

Un jour, mon fils Thomas vous avait déclaré : « Elizabeth est en moi ». Il n’y a pas de meilleure formule. Elle est là. Tous les jours. Je lui parle souvent. Depuis que son enveloppe charnelle a été retrouvée, l’âme de ma fille m’accompagne et elle ne me quittera plus jamais. m

 

(1) C.r.i.e.s. – Centre de recherche sur l’enfance et la sexualité. Groupe d’activistes pédophiles, bien introduit dans les milieux « progressistes » bruxellois au début des années 1980. Cette organisation servait en fait de couverture à un réseau international d’échange d’images pédopornographiques. Ces activités criminelles ont été interrompues par la justice belge en 1986.

 

(2) Dans son livre « Le Grand Bazar (Belfond, 1975) » Cohn Bendit écrivait à propos de ses activités d’aide-éducateur dans un jardin d’enfants autogéré à Francfort : « Il m’était arrivé plusieurs fois que certains gosses ouvrent ma braguette et commencent à me chatouiller. Je réagissais de manière différente selon les circonstances, mais leur désir me posait un problème. Je leur demandais : « Pourquoi ne jouez-vous pas ensemble, pourquoi m’avez-vous choisi, moi, et pas d’autres gosses ? » Mais s’ils insistaient, je les caressais quand même » (…) J’avais besoin d’être inconditionnellement accepté par eux. Je voulais que les gosses aient envie de moi, et je faisais tout pour qu’ils dépendent de moi ».

 

« La Marche blanche, une fierté »

 

Peu de gens ont retenu que c’est vous qui aviez eu l’idée d’une « marche blanche » en 1996.

Avoir l’idée était une chose, mais j’ai aussi beaucoup travaillé à la préparation de cet événement. Je me souviens d’un moment de quasi panique quand on a pris la mesure de l’événement. Cela aurait pu aussi très mal se dérouler. J’ai dû me battre avec des associations politiques de tous bords pour les empêcher de récupérer notre cause. J’étais surtout très inquiète de la sécurité de la marche, des agitateurs qui pouvaient s’y glisser. Un souvenir m’a particulièrement marquée : celui de petits loubards dont j’aurais eu peur si je les avais rencontrés au coin d’une ruelle sombre de Bruxelles mais qui, ce jour-là, m’avaient témoigné leur solidarité avec enthousiasme. Je dirais que je suis fière d’avoir été à l’origine de tout cela.

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Michel Bouffioux


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