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Publié par Michel Bouffioux

Frédéric Ries : «L’orgueil de la France coûte 200 millions d’euros par an aux contribuables européens»(18/05/2006)

Un entretien publié dans l'hebdomadaire belge "Ciné-Télé Revue", le 18 mai 2006

 

La majorité des députés européens en ont assez de devoir se partager entre Bruxelles et Strasbourg. Pour l’essentiel, leurs activités se déroulent dans notre capitale mais, une fois par mois, ils doivent boucler leurs valises pour aller siéger pendant quatre jours dans l’hémicycle alsacien. L’eurodéputée Frédérique Ries (MR) fulmine : «Ce parlement européen à double tête est un non-sens qui perturbe le travail de près de 4.000 personnes (députés, assistants parlementaires et fonctionnaires) : à cause de cette caravane mensuelle, on perd beaucoup trop de temps et d’énergie. De plus, cela à un coût prohibitif : 200 millions d’euros par an ! Tout le monde en assez mais les parlementaires français, qu’ils soient de droite, de gauche ou du centre, ne veulent rien entendre : pour eux, le maintien du siège officiel du parlement européen à Strasbourg est une question de prestige national. Cela dit, je doute que leurs électeurs connaissent vraiment le dessous des cartes!»

 

- Donc, vous en avez marre de faire vos valises une fois par mois pour aller siéger à Strasbourg ?

 

- En ce qui me concerne, cela fait déjà sept ans que cela dure. Alors, à force, je m’y suis habituée. Sur le plan personnel, cela demande un peu d’organisation mais ce n’est pas un vrai problème. Je vis à Bruxelles et c’est dans cette ville que se déroule l’essentiel de mon activité. De plus, voyager n’est pas en soi une difficulté, il y a des tas de professions qui impliquent de nombreux déplacements. En l’espèce, ce qui me choque, comme d’ailleurs une majorité de parlementaires européens, c’est que l’on dépense beaucoup de temps, d’énergie et d’argent de manière tout à fait inutile. Il n’y a aucune nécessité sur le plan pratique ou en termes d’efficacité à organiser des séances plénières dans le parlement de Strasbourg. On a tout ce qu’il faut pour cela à Bruxelles!

 

- L’hémicycle qui se trouve dans le quartier Léopold à Bruxelles convient en effet parfaitement et il accueille déjà de nombreuses séances du parlement européen…

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- Bien sûr, mais il n’y a pas que cela. C’est à Bruxelles aussi que travaillent la commission et ses services. C’est dans notre capitale que logent les fonctionnaires européens indispensables pour l’accomplissement de notre travail parlementaire mais également la quasi-totalité des députés européens et de leurs assistants. Conséquence, chaque mois, tout ce petit monde doit déménager. Dans notre jargon, on appelle cela la «caravane». Elle concerne environ 4.000 personnes - qui emportent des tonnes d’archives- qu’il faut ensuite loger aux frais du contribuable européen en Alsace.

 

- Dont coût financier?

 

- On estime la facture globale à environ 200 millions d’euro par an. La facture n’a fait que gonfler, bien évidement à chaque élargissement.

 

- Vous parliez aussi d’un coût en énergie ?

 

- Pour la parlementaire belge que je suis, c’est encore vivable même si ce n’est pas très agréable. Une fois par mois, je prends ma voiture et je roule pendant cinq ou six heures pour me rendre en Alsace. C’est un peu plus d’une demi journée de travail perdu mais bon… Par contre, pour les députés d’autres pays, ce déplacement est une véritable galère. Les communications aériennes dont Strasbourg bénéficie ne sont pas aussi performantes que celles de Bruxelles. Pour ne prendre que l’exemple des représentants des pays baltes, ils mettent plus de huit heures pour arriver sur leur lieu de travail! Et puis, il y a tous les préparatifs qu’implique le déplacement de la «caravane». Dès le vendredi qui précède le départ (ndlr : les plénières de Strasbourg ont lieu du lundi au jeudi), tout se met à tourner au ralenti à Bruxelles. Encore du temps inutilement perdu…

 

- Cette manière de fonctionner ne donne pas vraiment une image d’efficacité au parlement européen…

 

- C’est évidemment un très mauvais signal. Je dirais même que c’est du pain béni pour les eurosceptiques qui se servent régulièrement de cette question pour pointer les gaspillages et les dysfonctionnements de l’Union européenne. En Belgique, c’est vrai, on ne parle que rarement dans les médias de cette bizarrerie historique que constitue ce parlement européen à deux têtes. Mais il faut se rendre compte que dans bien d’autres pays, en Angleterre, en Hollande et chez la plupart des nouveaux adhérents de l’Union, ce débat fait régulièrement la «une» ; Suscitant tantôt de la raillerie et des caricatures, tantôt un réelle incompréhension, voire même un certain dégoût pour les institutions européennes. Les citoyens, en ce compris les Français, n'auraient pourtant pas de mal à comprendre que ces 200 millions d'euros par an pourraient plus utilement financer des projets destinés à améliorer le bien-être collectif!

 

- Comment en est-on arrivé à la mise en place de ce parlement bicéphale ?

 

- C’est une vieille histoire. Il faut remonter à 1951, date de la création de la Communauté européenne du Charbon et de l’Acier (CECA), soit l’ancêtre de l’Union européenne actuelle. A l’époque, les membres fondateurs étaient tous d’accord pour installer le siège de cette nouvelle institution à Bruxelles. Tous sauf un…

 

- La France ?

 

- Non la Belgique! Elle était alors représentée par un premier ministre catholique en la personne de Joseph Pholien, lequel plaidait la cause de… Liège. Faute d’un accord sur Bruxelles ou sur la cité ardente, le choix s’est finalement porté sur Luxembourg. (ndlr :Aujourd’hui, c’est encore dans cette ville que se trouve le secrétariat général du parlement européen). Seulement voilà, le Grand Duché ne disposait pas d’un hémicycle adapté pour accueillir les assemblées parlementaires de la CECA. Alors, pour cette raison pratique, il a été décidé que les séances plénières se tiendraient… à Strasbourg où l’on utiliserait des locaux appartenant au Conseil de l’Europe. Quelques années plus tard, la CEE (Communauté économique européenne) a vu le jour et la commission (ndlr : le gouvernement européen) a concentré la plus grande partie de ses activités à Bruxelles. Les parlementaires européens ont suivi ce mouvement. Dès les années ‘80 donc, il est évident que Bruxelles était leur principal lieu de travail! Pour mieux coller à cette réalité, il a été décidé en 1989 que les députés pourraient également se réunir dans un hémicycle à Bruxelles…

 

- Tout en conservant celui de Strasbourg ?

 

- Et bien oui… Selon le compromis boiteux issu des négociations de l’époque, on organisait toujours les séances plénières à Strasbourg et le bâtiment bruxellois n’accueillait que les séances «additionnelles». Et puis, au Conseil européen d’Edimbourg (1992), on s’est encore un peu empêtré dans l’absurde : la Belgique a alors accepté que Strasbourg devienne à terme le siège officiel du parlement européen (avec 12 sessions plénières par an) à condition que les autres activités politiques (les réunions des commissions du parlement, celles des groupes politiques et les plénières additionnelles) demeurent à Bruxelles… En quelque sorte, on a institutionnalisé le dysfonctionnement! Et comme si l’on voulait être certain de ne plus pouvoir le corriger, cet accord a été consacré par le traité d’Amsterdam en 1999. Depuis lors, bien entendu, c’est le statu quo…

 

- Si cette situation porte préjudice à l’image de l’Europe et qu’une majorité de députés est désormais d’avis de déménager l’ensemble des activités du parlement à Bruxelles, pourquoi ne passet-on pas à l’acte ?

 

- Tout simplement parce que le Conseil, et seulement le Conseil (ndlr: soit les gouvernements européens) est compétent en la matière. Sur cette question, il doit trancher à l'unanimité. Et comme le veto de Paris est catégorique sur cette question...! Cela dit, nos collègues parlementaires français, qu’ils soient de droite, de gauche ou du centre, ne veulent rien entendre non plus.

 

- Quels sont leurs arguments ?

 

- Officiellement, leur discours est d’affirmer que le maintien du siège officiel du parlement européen à Strasbourg est un magnifique symbole de la réconciliation franco-allemande. Je suis très attachée moi aussi aux symboles, nous construisons notre avenir sur notre expérience du passé, mais je pense que l'Union est assez adulte aujourd'hui pour les interpréter de façon dynamique et pragmatique.

Derrière tout cela, il y a aussi une question de prestige national. Sans doute, s’agit-il pour nos collègues français de flatter leur opinion publique mais c’est un pêché d’orgueil qui coûte très cher à l’Europe! Et je doute que leurs électeurs connaissent vraiment le dessous des cartes…

 

- A savoir ?

 

- Leurs représentants évitant soigneusement de débattre en profondeur de cette question, les Français ignorent ce que leur coûte vraiment l’entretien du bâtiment, vide les trois quart du temps, qui abrite le parlement de Strasbourg. Surtout, ils ne sont pas assez, voire pas du tout, informés des compensations dont ils pourraient bénéficier en cas de déménagement du parlement à Bruxelles.

On a proposé la création d’une Université européenne, un Institut européen pour la technologie qui serait à la pointe de la recherche, une école de la diplomatie européenne. Bref, toutes sortes de projets qui valoriseraient Strasbourg… Mais rien n’est assez beau pour eux. Ce qui se passe est vraiment déplorable!

 

Le Parlement européen, mode d’emploi

 

Le Parlement européen est l'organe législatif de l'Europe. Son assemblée est composée de 732 députés qui représentent l'ensemble des habitants du territoire de l'Union européenne, soit 457 millions de citoyens. Ils sont élus tous les cinq ans depuis 1979. Le Parlement européen a pour missions de ratifier la nomination de la Commission (qu'il peut renverser à la majorité des deux tiers), contrôler le programme de la Commission et la bonne marche des politiques européennes (via les questions écrites et orales adressées à la Commission et au Conseil), d’examiner les pétitions des citoyens, d’exercer le pouvoir budgétaire avec le Conseil, d’exercer le pouvoir législatif avec le Conseil (les directives et règlements émanent de la Commission). Son hémicycle est situé Rue Wiertz, à 1047 Bruxelles. Site web : http://www.europarl.eu.int

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