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Publié par Michel Bouffioux

Un entretien publié dans l'hebdomadaire Ciné Télé Revue, le 12 mai 2005.

Freya Van den Bossche - «Je voulais devenir reporter de guerre»

Elle est jeune. Très jeune! Mais son CV pourrait déjà faire pâlir quelques vieux routiers de la politique belge. Bardée de diplômes universitaires, elle a été échevin de la ville de Gand. Ensuite, elle est devenue députée. Tant en voix de préférence qu’en termes de sondages de popularité, ce petit bout de femme aux yeux bleu gris est confortablement installée dans le top 10 des personnalités préférées des flamands. Depuis presque deux ans, elle est aussi ministre dans le gouvernement fédéral. Ses compétences : l’emploi, le bien-être au travail et la protection des consommateurs. Après une séance de photo, accordée à Ciné-Télé Revue, elle m’avait fixé rendez-vous dans un café branché de la région bruxelloise. Je l’y ai attendu avec une rose. Simple galanterie : deux jours auparavant Freya Van den Bossche venait de fêter ses trente printemps…

- Vous devriez peut-être vous méfier d’un journaliste qui commence par vous offrir une fleur!

 

- On verra! En tous cas, c’est très gentil d’avoir pensé à mon anniversaire.

 

- Justement, parlons de votre âge. A trente ans, avoir autant de responsabilités, ce n’est pas un peu trop lourd ?

­

- Moi, ça va très bien! Mon âge, c’est surtout dans le regard des autres que cela pose problème. Je l’ai ressenti, en tant que ministre de l’Emploi, lorsqu’il s’est agit de négocier avec les partenaires sociaux (ndlr : représentants des organisations syndicales et patronale) Il a fallu que je leur prouve qu’ils pouvaient avoir confiance en moi. Je ne m’en offusque pas car il est évident qu’en entrant en fonction je n’avais pas l’expérience d’un Frank Vandenbroucke ou d’une Laurette Onkelinx. Mais j’ai pu leur montrer que je maîtrisais mes dossiers. L’essentiel est là : on doit juger les gens sur leurs actes et sur rien d’autre.

 

- Mais pour vous personnellement, cela ne va pas un peu trop vite ?

 

- Oui, cela va très vite! Et pourtant ce n’était pas mon but. Pendant très longtemps, il m’apparaissait exclu de mener une carrière politique! J’avais trop bien vu ce que c’était chez moi. Mon père (ndlr : Luc Van den Bossche, ex-ministre de l’Intérieur, notamment…) n’était jamais à la maison! En plus, déjà pendant l’enfance, j’étais quelqu’un de très intuitif. Et j’avais le sentiment que mon père était entouré d’un tas de gens très hypocrites; De toutes sortes de courtisans, de personnes qui ne l’aimaient pas vraiment et qui visiblement étaient intéressés. J’en avais retiré une image très négative de la politique.

 

- Pourquoi avez-vous changé d’avis ?

 

- Après mes études en communication, j’ai obtenu un poste à la ville de Gand. J’étais chargée des relations externes de Frank Beke, le bourgmestre. Cet homme a pour habitude de se rendre tous les samedi à la rencontre de ses administrés. Il n’hésite pas à sonner à la porte des gens! J’ai été amenée à l’accompagner et c’est ainsi que j’ai pu me rendre compte d’un certain nombre de réalités sociales et des aspirations de la population. Ce côté pragmatique et proche des gens de M. Beke m’a vraiment donné envie de m’engager. J’ai compris que la politique pouvait aussi être une activité très chaleureuse. 

 

- A ce moment, quel conseil votre père vous a-t-il donné ?

 

- Il m’a dit de ne pas le faire! C’était cela son conseil principal (Elle a un éclat de rire).

 

- Ce n’était pas très encourageant!

 

-Je comprends sa réaction : c’est un monde très dur! Comme n’importe quel parent, il voulait protéger son enfant. A partir du moment où il a été convaincu que mon choix était définitif, il m’a tout de même donné ce conseil : «fais toujours ce que tu crois être juste, tu dois te retrouver dans la politique que tu mènes, avoir ta personnalité et la défendre». Il m’a aussi appris de toujours dire la vérité, de ne pas cacher qui je suis, de ne pas essayer de jouer un rôle.  

 

- Alors dites-moi la vérité : faut-il être une tueuse pour réussir en politique ?

 

- Non, ça je ne le pense pas! Mais il faut être prêt à taper sur la table pour défendre ses idées. Et ne jamais montrer que l’on a peur.

 

- Des études universitaires brillantes, la présidence du parlement des jeunes européens et puis très rapidement des responsabilités politiques importantes. C’est à 28 ans que vous devenez ministre…

­

- (Elle interrompt en rigolant) Quoi ? Vous vous demandez ce que je vais faire dans cinq ans! Je ne vais pas devenir Roi, ça c’est déjà certain…

 

- En lisant votre cv, je me disais plutôt que votre trajectoire de vie est parfaite. Presque trop parfaite?

 

- Oups! Trop parfaite?

 

- Oui, le parcours d’une petite fille très sage qui ne se serait jamais rebellée ?

 

- Détrompez-vous. D’abord, j’ai toujours recherché une certaine autonomie. Dès l’âge de 15 ans, j’ai commencé à travailler un hôtel à Oostduinkerke, chaque week-end et pendant toutes les vacances. Cela a duré sept ans et j’ai tout fait : éplucher les patates, le nettoyage, les chambres, le service jusqu’à devenir l’assistante de la patronne. Je voulais connaître l’expérience du travail, gagner mon propre argent. Comme tous les jeunes, j’ai eu aussi des périodes d’intenses débats avec ma famille. Par exemple, quand j’ai décidé de devenir maman à 23 ans alors que j’étais encore aux études et que le papa de ce premier enfant, lui, n’était pas en mesure d’assumer. Ce choix de devenir mère célibataire, j’ai du le défendre. Cela dit, il est vrai que de telles périodes de confrontations n’ont jamais débouché sur des drames. Il y a toujours eu un espace pour la discussion dans ma famille. J’ai été élevée dans l’idée que l’on a le droit de revendiquer des choix, pour autant que l’on soit en mesure d’argumenter et surtout que, par la suite, on assume! Ce contexte éducatif m’a sans doute épargné des crises d’adolescence stériles. Non seulement je savais où se trouvaient les frontières à ne pas dépasser mais en plus je comprenais pourquoi elles existaient. C’est ainsi que j’ai vite compris l’intérêt qu’il y avait à m’investir sérieusement dans mes études et dans des activités culturelles et autres qui pourraient me donner une vision plus large du monde.

 

­- On m’a d’ailleurs dit que vous seriez bien devenue journaliste ? 

 

- Exact. Après deux ans en faculté de droit à l’Université de Gand, je me suis rendu compte que cela ne m’intéressait absolument pas de retenir par cœur des articles de loi. Ce n’était pas du tout créatif! J’ai bifurqué vers la communication : je voulais devenir reporter de guerre! J’ai même obtenu une bourse pour aller étudier le journalisme aux Etats-Unis mais finalement j’ai choisi d’avoir mon premier enfant.

 

- En juillet, vous allez mettre au monde un deuxième enfant. Vous ne craignez pas d’être une mère aussi absente que votre père le fût?

 

- J’ai conscience qu’un papa ou une maman ne doivent pas être là uniquement pour aller à Disneyland le samedi! Il faut une vraie présence dans le quotidien. Prendre le temps de parler, de raconter des histoires. Donc, je fais tout et je continuerai tout à faire pour ne pas être une mère absente. C’est un choix de vie. En tant que ministre, on est invité partout. Si l’on veut, on pourrait être sorti tous les soirs. Moi, j’installe des limites : pas de mondanités inutiles! Les week-ends sont pour ma famille. En semaine, j’organise mes horaires pour garder une disponibilité familiale. Par exemple, j’abas un maximum de travail certains jours, en commençant très tôt et en finissant très tard, afin de trouver des plages de temps pour aller chercher ma fille à l’école et m’occuper d’elle. Une fois qu’elle est au lit, je recommence à travailler. Certes, la vie de ministre est très envahissante mais je me dis qu’il y a bien d’autres métiers où des femmes et des hommes doivent composer. Si j’étais infirmière de nuit, ce serait encore plus difficile!

 

- Etre la fille de votre père, cela a contribué à votre ascension politique ?

 

- Bien sûr que c’est beaucoup plus facile d’entrer dans le monde politique quand on a déjà un pied dedans. De l’autre côté, cela me met en situation de devoir plus justifier ma propre place. Certains continueront pendant longtemps à me voir comme la «fille de Luc Van den Bossche». Cela n’est pas nécessairement un avantage mais je m’en suis fait une raison.  A vrai dire, ce qui me fâche plus c’est qu’on oublie que je suis aussi la fille de ma mère. Sans elle, je ne serais pas ce que je suis aujourd’hui! De plus, mon père est pour moi l’homme qui m’a appris mille choses de la vie quotidienne, ce n’est pas le ministre Van den Bossche. Je lui suis reconnaissante de m’avoir appris à rouler en bicyclette mais il ne m’a jamais appris à faire de la politique!

 

- Puis-je me permettre de vous dire que vous avez de très beaux yeux ?

 

- (Elle est surprise) C’est toujours agréable à entendre pour autant que l’on retienne pas uniquement cela de ma personne. Je suis une femme politique et je voudrais surtout marquer les esprits par mes réalisations. A ce stade, je voudrais plutôt qu’on retienne que j’ai pu conclure l’accord sur Kyoto en Belgique, qu’on a aboutit à un accord interprofessionnel ou que j’ai pu imposer les 24 retraits gratuits par an aux banques…

 

- Je suis tout à fait d’accord avec vous. Pourtant, quand on se rend sur le site officiel de la ministre Van den Bossche, on tombe d’abord sur une photo en gros plan de vos yeux et il est proposé à l’internaute de consulter une galerie de photos de votre personne. Disons que c’est un peu juste en termes d’argumentation politique… 

 

- (Sur le ton d’un aveu). Ok, c’est vrai! Mais on est en train de reconstruire le site. Et puis tout de même, on y trouve aussi des textes politiques! (Elle réfléchit un instant) De toute façon, je suis convaincue qu’on ne vote pas seulement pour des personnes qui ont des idées mais aussi pour l’image qu’elles dégagent, la façon de vivre qu’elles présentent aux gens. Il doit donc y avoir des éléments personnels dans la communication. Mon physique, c’est aussi une partie de moi-même. Je ne veux pas en jouer : une poupée en politique, cela ne dure pas! Dans le même temps, je ne vais pas dissimuler mon physique pour paraître plus sérieuse!

 

- Venons-en à quelques sujets d’actualité. Par exemple, à ce sondage récent qui indiquait que 59% des flamands ne seraient pas opposés à une participation du Vlaams Belang à votre gouvernement régional. Qu’en dites-vous ?

 

- Cela me choque profondément et cela me rend triste. Jamais de ma vie, je ne pourrais siéger dans une telle majorité! Je ne suis pas du tout d’accord avec ceux qui disent qu’une telle participation au pouvoir des extrémistes serait peut-être de nature à les décrédibiliser. D’une part, l’histoire nous enseigne qu’il ne faut pas jouer ainsi aux apprentis sorciers avec l’extrême droite. D’autre part, il y a tous les dégâts qu’ils auraient le temps de faire pendant qu’ils seraient au pouvoir. Cinq ans, c’est long! Je suis donc favorable au maintien du cordon sanitaire mais, en ce qui me concerne, je n’en ai pas besoin pour savoir que  je ne ferai jamais faire alliance avec le Vlaams Belang. C’est une question d’éthique, tout simplement.

 

- A votre avis, pourquoi 25 % des flamands votent-ils pour des fachos ?

 

- On cherche la réponse depuis des années! On ne le sait pas. Chaque semaine, chaque mois, il y a d’autres analyses. En tous cas, je pense que le monde politique traditionnel doit renouer avec une politique de proximité. Je l’ai vu avec le bourgmestre de Gand : il faut aller sur le terrain, s’intéresser de plus près à leur vécu. Il y a une partie des gens qui votent pour le Vlaams Belang parce qu’ils ont eu peur. Peur de l’avenir, peur de perdre leur emploi, peur pour leur sécurité. En tant que politique, j’estime que ma mission est de rétablir un dialogue avec ces personnes. De leur démontrer que le Vlaams Belang instrumentalise leurs peurs en ne donnant aucune bonne solution. Il faut redonner de l’espoir et ne pas se contenter des grandes idées : il y a des petits problèmes du quotidien que les élus doivent prendre en compte. Je veux dire par-là qu’à partir d’une question de voirie laissée en plan pendant des années, des extrémistes arrivent à faire des généralisations abusives qui peuvent causer beaucoup de dégâts dans l’esprit des gens. Il ne faut pas leur laisser cette opportunité. En étant plus à l’écoute de tous les citoyens.

 

- Quand l’enfant que vous allez mettre au monde aura 20 ans sera-t-il de nationalité belge ou de nationalité flamande?

 

- Il sera Belge!

 

- Vous vous sentez plutôt belge, flamande ou européenne ?

 

- Je suis un mélange de tout cela. En fait, je me sens très gantoise! J’aime beaucoup cette ville. Cela dit, en tant que ministre fédéral, je suis au service de tous les Belges.

 

- Etes-vous d’accord avec Steve Stevaert lorsqu’il dit : «Bruxelles-Halle-Vilvorde, c’est le 177ème problème à régler». Avant cela, les Belges attendent le monde politique sur des enjeux économiques, sociaux, environnementaux…

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- Je suis d’accord. C’est le 177ème problème, il n’est pas le plus crucial. Mais on ne pourra pas trouver de solution aux 176 problèmes plus importants si le 177ème, la scission de BHV, reste en rade.

 

- Ca, c’est une manière très flamande de voir l’ordre des priorités !

 

- Ce n’est pas une manière de voir, c’est une réalité qui s’impose à nous puisque la scission de BHV est inscrite dans l’accord de gouvernement de l’exécutif de la Région flamande.

 

- C’est justement la bêtise que les partis flamands n’auraient pas du commettre?

 

- (Elle rit, visiblement gênée) Disons qu’il n’est pas facile de réformer l’Etat d’un seul côté du pays. Au moins, le président de l’exécutif flamand a compris que la solution viendra du fédéral et il s'est montré assez patient!

 

- N’est-il pas choquant que tant de temps soit consacré par le monde politique belge à BHV, alors qu’il y a tellement d’autres problèmes plus importants à résoudre, notamment sur le plan économique et social ?

 

- Je suis tout à fait d’accord : il y a des problèmes plus important à régler et il vrai qu’avec la pression exercée par le débat sur BHV, il est de plus en plus difficile pour chaque ministre de ce gouvernement de fonctionner comme il le faut. Pour autant, cela n’empêche pas non plus d’avancer : je viens d’augmenter la durée des congés parentaux, de concevoir tout un plan d’aide pour les jeunes chômeurs peu qualifiés qui leur permettra d’aller étudier sans perdre leur allocation, il y a aussi des mesures qui ont été conçues pour venir en aide aux familles monoparentales…

 

- Mais toutes ces mesures n’aboutiront pas si le gouvernement tombe ?

 

- En effet puisqu’il faut encore prendre des arrêtés royaux, voter des lois. Pour moi, c’est donc très important que je puisse encore travailler dans les mois à venir. Ce ne sera peut-être pas possible de l’éviter, mais je trouverais vraiment dommage que le gouvernement tombe maintenant.

 

- Donc, pour vous, BHV peut valoir une éventuelle chute du gouvernement ?

 

- (Elle esquive) Je garde confiance dans la concertation en cours. Selon moi, cela doit aboutir à une solution dans laquelle tout le monde pourrait se retrouver.

 

- Les Flamands se montrent obstinés sur BHV, au risque de créer beaucoup de casse. Et, sans cesse, ils sont aussi demandeurs de nouvelles régionalisations de compétences fédérales. Les francophones en arrivent à se demander si le Nord du pays a encore envie d’être Belge…   

 

- L’impression que j’ai en discutant avec des citoyens flamands, c’est qu’ils veulent que la question de BHV soit résolue…

 

- Ne serait-ce pas plutôt le monde politique flamand qui veut absolument cette «solution» ?

 

- Je ne crois pas. Au-delà de son contenu, le dossier BHV a valeur de symbole. Mon sentiment est que si les Flamands constatent qu’on ne peut aboutir à un accord, beaucoup d’entre eux en tireront comme enseignement qu’il n’est plus possible de s’entendre sur les enjeux communautaires. Ils auront l’impression que les femmes et hommes politiques des différentes communautés ne parviennent plus à travailler ensemble et ils se demanderont s’il y a encore un avenir possible pour ce pays. Il faut donc absolument aboutir.

 

- Les chiffres parlent : en Belgique, ces dernières années, les bénéfices de la plupart des grandes entreprises ont fortement augmenté. Globalement, ce pays produit toujours plus de richesses mais, parallèlement, les salaires et l’emploi ne suivent pas. Ennuyant, non, pour une ministre socialiste de l’Emploi ?

 

- (Après quelques secondes de réflexion). Je veux bien être à l’écoute de tous les partenaires sociaux mais il faudrait, en effet, que tout le monde joue le jeu correctement. En d’autres termes, je veux bien soutenir les patrons quand ils demandent à des travailleurs de faire un effort parce que la situation d’une entreprise est périlleuse. Mais les chiffres que vous évoquez montre malheureusement que l’inverse n’est pas nécessairement vrai : quand cela va bien, ce sont surtout les actionnaires qui en bénéficient. Ce n’est pas normal. C’est même très dommage parce que la concertation sociale serait grandement favorisée si l’emploi et les salaires bénéficiaient plus des bons résultats de l’économie. D’ailleurs, il n’y a pas qu’en termes de créations d’emplois que ce problème se pose. On pourrait aussi parler des consommateurs qui ne bénéficient pas assez de la croissance. Un exemple très concret : j’ai dû batailler ferme avec une grande banque belge pour qu’elle n’impose pas le paiement des retraits d’argent aux distributeurs automatiques. En soi, c’était une mesure injuste mais quand on constate par ailleurs les bénéfices colossaux que fait cette banque, cela avait aussi quelque chose d’écœurant!

 

- Dans le contexte de mondialisation de l’économie, le pouvoir d’un ministre belge n’est-il pas devenu très relatif. Une entreprise qui sera trop contrainte sur le plan social ou environnemental pourra toujours agiter le spectre d’une délocalisation. Un professeur de l’Université catholique de Louvain, Ricardo Petrella, estime d’ailleurs que les politiciens ne sont plus désormais que «les greffiers du pouvoir économique»?

 

- Je refuse de croire que le politique n’aurait plus qu’un rôle marginal. On peut encore prendre des décisions qui changent la vie de gens. Cela dit, le contexte de mondialisation que vous évoquez est bien présent. Quand une entreprise fait un gros bénéfice en Belgique, il peut arriver qu’elle reçoive des instructions de sa maison mère aux Etats-Unis ou ailleurs, lui enjoignant de faire encore plus l’année suivante en poursuivant des restructurations. Déplorer cela ne sert à rien. Il faut agir. C’est ce que nous avons fait dans le cadre du récent accord interprofessionnel. On a réduit les charges sur le travail en équipe. Les secteurs où l’on travaille en équipe sont sous pression et il y aura inévitablement des fermetures en Europe de l’Ouest d’ici les cinq prochaines années. L’idée était donc de mettre les entreprises belges en situation de meilleure compétitivité pour leur permettre de survivre. C’est aussi une manière de préserver des emplois.

 

- Selon vos amis des Mutualités socialistes, «il faudra probablement redéfinir la place que l’on donne au travail dans notre société. Puisqu’il n’y a pas, qu’il n’y a plus et qu’il n’y aura peut-être plus de travail pour tous, le travail ne devrait plus être une obligation. Au lieu de se plaindre du «manque d’emploi» on en viendra peut-être enfin à se réjouir du temps retrouvé»…

 

- Pour moi, ce sont les carrières qui doivent être repensées. Aujourd’hui, on fait des études et puis le but est travailler un maximum. Une fois la cinquantaine arrivée, on commence à fatiguer et on se rend compte que l’on est un peu passer à côté des enfants qui viennent de quitter la maison. Le «temps retrouvé», on pourrait le chercher durant toute la carrière. Celle-ci devrait être plus souple. Il faut favoriser des pauses, pour s’occuper des enfants, pour étudier ou simplement parce qu’on en ressent le besoin. Et dans le même temps, il faut favoriser des carrières plus longues.

 

- Encore promettre le plein emploi aux Belges, ce serait de la démagogie ?

 

- En tant que politique, la seule chose que je puisse promettre c’est les emplois que le gouvernement créé lui-même. Après le mouvement social dans les hôpitaux, nous avons dégagé l’argent nécessaire pour créer 10.000 postes supplémentaires. De même, les titres-services qui donnent la possibilité à des particuliers d’employer des personnes aux chômage pour des tâches domestiques ont d’ores et déjà débouché sur l’équivalent de 11.000 emplois. On peut donc avoir une influence sur le marché du travail. Par sa politique d’accompagnement des entreprises, le gouvernement tend à les inciter à créer de l’emploi mais il est vrai que nous sommes aussi relativement dépendants de leur volonté de suivre ce mouvement, ainsi d’ailleurs que de la croissance économique. 

 

- La croissance n’est pas celle que Verhofstadt attendait. Quand aux 200.000 emplois qu’il a promis, ils ne sont pas là non plus…

 

- Moi, je ne donne pas de chiffre. Il faut faire de son mieux en ayant conscience que dans tous les pays européens on rencontre les mêmes difficultés : la courbe de croissance économique et celle de l’emploi ont tendance à s’éloigner. Si autrefois il fallait 1 point de croissance pour créer x milliers d’emplois, il faut aujourd’hui 2 points pour obtenir le même résultat. 

 

- Il y aura bientôt un grand débat sur les fins de carrière et vous êtes plutôt mal prise : les patrons veulent totalement réformer les prépensions et les syndicats ne veulent pas qu’on y touche…

 

- En tous cas, on ne touchera pas à l’âge de la pension. De même, je trouve très important qu’en cas de restructuration d’une entreprise, on puisse toujours bénéficier d’une prépension. Toutefois, il faudrait d’abord que l’entreprise fasse tout – en termes de formation, notamment- pour que son travailleur puisse retrouver un autre emploi. C’est un premier axe de réflexion. Il faudra aussi revoir les prépensions de type «canada dry». Des entreprises virent des gens parce que, soi-disant, ils sont trop vieux. On leur dit : «Tu vas au chômage et tu reçois un extra tant que tu y restes». Premier problème, cet «extra» n’est pas connu de la sécurité sociale. Second problème : si le travailleur trouve un autre emploi, il perd l’extra et bien souvent, chez son nouvel employeur, il ne retrouve pas le salaire qu’il avait auparavant. L’ «extra» devrait dont être acquis définitivement, comme un petit sac à dos qui accompagne le travailleur. J’espère qu’une telle mesure pourrait convaincre les gens d’avoir une carrière plus longue. D’un autre côté, il faudra aussi convaincre les patrons que les gens plus âgés sont aussi plus expérimentés et que cela a un sens de les garder en place.

 

- A vrai dire, les patrons ne contestent pas ce fait mais ils voudraient, si on s’en réfère à certains documents de travail de la FEB, que les travailleurs âgés soit moins payés puisqu’ils deviendraient moins productifs ?

 

- Oh là ! Ca ne marche pas cela. On ne peut pas payer moins les jeunes qui sont très productifs parce qu’ils manquent d’expérience et dans le même temps payer moins les plus âgés parce qu’une fois qu’il ont l’expérience, on les considérerait moins productifs. Cela revient à payer moins tout le monde! Maintenant, s’ils veulent baisser les salaires des travailleurs âgés mais payer d’avantage les jeunes, moi je veux bien discuter. Cela dit, j’accepte d’entendre les patrons sur un autre thème : il faut réduire les charges sur le travail et donc, trouver des manières alternatives de financer la sécurité sociale.

 

- Celle-ci pourrait-elle être scindée ?

 

- Non, je suis opposée à la scission de la solidarité entre les communautés qui forment ce pays.

 

- Il y a une vieille rumeur qui a court en Flandre : s’il y a plus de chômage dans le sud du pays, c’est que les Wallons seraient plus fainéants?  

 

- Je ne fais pas partie de celles et de ceux qui relayent cette idée fausse. C’est le contexte socio-économique de ces dernières années qui a été différent. En plus, la Wallonie bouge et cela se traduira dans les statistiques de l’emploi dans les années à venir. Cela dit, un débat a lieu dans le nord du pays à propos de la procédure d’accompagnement et de suivi des chômeurs. Même si chaque région a traduit l’acoord d’accompagnement des chômeurs de manière loyale, il y a eu des différences dans leur approche.Étant donné que l’ONEM ne recevait pas les mêmes données de chaque région, je ne pouvais pas garantir cette approche d’égalité. Alors, on s’est réuni et tout le monde s’est déclaré d’accord pour travailler selon une norme fédérale.

 

- Contrôler «la disponibilité de chômeurs», ce n’est pas un peu les culpabiliser?

 

- Non, il s’agit des les accompagner, de faciliter la recherche de formations qui peuvent réellement déboucher sur des emplois. Je suis d’ailleurs convaincue que l’immense majorité des chômeurs cherchent un emploi. D’ailleurs, c’est aussi ce que montrent les chiffres des premiers contrôles qui ont eu lieu sur quelques 9000 jeunes chômeurs de 20 à 25 ans. Les deux-tiers ont pu démontrer facilement qu’il faisait le nécessaire pour trouver un job. Mais il faut aussi comprendre qu’actuellement il y a des pénuries de main d’œuvre dans certains secteurs et que l’on peut accompagner les chômeurs sur le chemin qui conduit à ces emplois. Cela ne veut pas dire que tout le monde trouvera un emploi mais, en tous cas que, si une offre existe, il y aura quelqu’un pour y répondre! (ndlr : L’attaché de presse de Freya Van den Bossche lui signale à ce moment qu’elle a déjà parlé trop longtemps. Son emploi du temps chargé l’oblige à partir précipitamment…)

 

- N’oubliez pas votre rose!

 

- Merci encore, je ne l’oublie pas. Ni ses épines!

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