Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Publié par Michel Bouffioux

LE LONG COMBAT DES FAMILLES


- Enquête évoquée le 1er mars 2009 sur le plateau de l’Info Confidentielle Paris Match sur RTL/TVI et publiée dans l’édition de ce 5 mars 2009 de Paris Match (Belgique) -

 

Ce dimanche 1er mars 2009, sur le plateau de «L’Info confidentielle Paris Match» diffusé sur RTL-TVI, Christine Taelemans  a fait part de sa profonde angoisse. Quelle sera l’avenir de son fils Jérôme? Autiste modéré, le jeune homme de 21 ans a trouvé son équilibre dans une institution spécialisée de Linkebeek. Mais, atteint par la limite d’âge, il devra bientôt quitter ce lieu de vie adapté. Vers où? C’est là toute la question.

 

“A l’heure actuelle, notre fils est heureux dans un lieu d’accueil spécialisé pour enfants autistes. Mais tout ce qui a été construit pendant des années d’accompagnement, brique par brique, pourrait bientôt être anéanti. Pas question que Jérôme se retrouve dans un home pour personnes âgées! Nous ne voulons pas non plus d’un asile psychiatrique ou de toute autre “institution-parking” qui accepte d’héberger des adultes autistes sans disposer du personnel spécialisé indispensable. S’il le faut, on le reprendra à la maison, mais ce ne sera pas sans nous être mobilisés jusqu’au bout pour tenter de faire aboutir la seule solution acceptable pour lui. » 

 

Ce sont des paroles de parents déterminés. Celles de Christine et Théo Taelemans, un couple vivant dans une commune de l’ouest de la capitale. Elle est infirmière. Il est pompier professionnel. Les situations d’urgence, ces deux-là les connaissent, et ils sont bien décidés à tout tenter pour éviter que leur fils soit emporté par le véritable tsunami qui menace de détruire sa vie. «Les repères et les habitudes de vie sont essentiels pour les autistes. C’est ce qui donne du sens à leur existence. Par question d’accepter que tout soit irrémédiablement démoli pour une question de subsides.»

 

« Autiste modéré », Jérôme a été pris en charge dès l’âge de 6 ans par La Maison à Linkebeek. Selon Théo, «cette structure d’hébergement offre une réponse bien adaptée à la spécificité de ses résidents. De manière empirique, une méthode pédagogique originale y a été développée. Son nom en exprime clairement la philosophie. Ils appellent cela le “pas à pas”. Vous devriez voir les progrès incroyables que certains enfants sont capables de faire en quelques mois!» Christine, complète l’éloge: «Mon fils mène avec une relative autonomie diverses activités, comme par exemple du jardinage. Les éducateurs qui œuvrent à La Maison sont doués pour donner confiance et stabilité aux enfants autistes. Je crois pouvoir dire que Jérôme est heureux.»

 

Depuis quinze ans, un rythme harmonieux pour tous s’est donc installé. Jérôme revenant avec bonheur chez ses parents un week-end sur deux, ainsi qu’à l’occasion des vacances scolaires. Mais comme l’expliquent les Taelemans: «Tout doit s’arrêter parce qu’il a atteint l’âge limite de 21 ans. La Maison ne peut plus le garder. Tout ce qu’on a pu obtenir, récemment, c’est un sursis jusqu’à ses 23 ans.»

La solution dont rêvent les parents de Jérôme, celle pour laquelle ils sont «prêts à tout tenter», se trouve dans la région d’Enghien, plus précisément à Hoves, où est implantée une maison d’hébergement pour adultes autistes: «Il s’agit de Bellerive, une ancienne ferme qui a été aménagée en logements supervisés. Cette structure a été créée dans les années 1990, notamment dans le but de proposer une continuité aux résidents de La Maison devenus adultes. Ils y retrouvent les mêmes règles de vie sociale et les mêmes méthodes pédagogiques. Ce serait vraiment l’idéal pour Jérôme.»

 

Malheureusement, comme nous l’explique avec regret sa directrice Valérie Marchal, «Bellerive affiche plus que complet. Nous avons envie que Jérôme et d’autres jeunes adultes autistes viennent nous rejoindre, mais nous comptons déjà quinze résidents, dont dix seulement sont subsidiés par la Région wallonne. En plus, près de quarante candidats résidents, la plupart depuis des années, patientent sur nos listes d’attente.» C’est bien sûr le cas de Jérôme, pour qui les parents espèrent la libération d’une place à Bellerive depuis plus cinq ans.

 

«Bientôt, nous pourrions être contraints de le reprendre chez nous pour lui éviter de se retrouver dans un endroit inadapté», insistent les Taelemans. «L’asile ou tout autre hébergement non spécifique, ce serait l’équivalent d’une condamnation à mort. Non seulement il perdrait très vite son apprentissage acquis en plusieurs années, mais il en viendrait ensuite à régresser. Avant, c’est certain, de perdre pied moralement et physiquement. Et de terminer transformé en légume nourri aux antidépresseurs et aux calmants.»

 

Alors, pas de solution? «Si, il y en a une. Et on va se battre pour elle», dit avec force la maman. «Bellerive a obtenu des banques de pouvoir emprunter quelques 600 000 euros pour construire des annexes permettant l’accueil de dix résidents supplémentaires. Pour mener à bien ce projet, il faut réunir 400 000 euros et, avec d’autres familles, on tente de rassembler cette somme. Un compte en banque géré par Bellerive permet de recueillir les dons et donne droit, à partir d’un versement de 30 euros, à la déductibilité fiscale» (voir encadré).

 

La démarche combative des Taelemans est courageuse mais, malheureusement, elle n’a rien d’exceptionnel. «La Maison», le centre d’hébergement de Linkebeek où se trouve leur fils, fut mis sur pied en 1969 grâce à l’énergie déployée par des parents d’enfants autistes. Comme tellement d’autres projets, aboutis ou à venir, dans le domaine de l’aide aux personnes handicapées. A Saint-Georges sur Meuse, « Mistral », qui accueille trente résidents autistes adultes sévèrement dépendants, est aussi le fruit de la mobilisation de familles engagées dans un combat au long cours. «Les subsides publics ne suffisent pas. Nous devons trouver chaque année 300 000 euros pour honorer, entre autres, les charges en personnel», nous explique l’assistant social de cette asbl, Laurent Cerfont. Lequel précise au passage que «la liste d’attente de Mistral comporte quarante noms de candidats résidents. La pertinence de vingt-cinq autres demandes d’hébergement est actuellement évaluée. Le flux est permanent et régulièrement des autistes sont aiguillés vers d’autres structures d’accueil.»

 

Dans la périphérie bruxelloise, nous rencontrons Brigitte et Xavier Ullens, parents de Yolande, une autiste sévère de 29 ans. Depuis sept ans, ceux-là se battent avec d’autres familles pour créer le premier centre d’hébergement pour autistes adultes en Région bruxelloise. «On a beaucoup ramé mais on pourrait bientôt toucher terre. Enfin, on l’espère, car la rive donne parfois l’impression d’être toute proche et puis, soudain, elle s’éloigne», témoigne M. Ullens. Son association a stratégiquement lié son destin à celui d’Estreda, un autre groupe formé par des parents, lequel soutient la création du premier centre de jour spécifiquement dédié aux autistes dans la capitale. Sous le nom de Coupole bruxelloise de l’autisme, les deux associations espèrent voir une concrétisation de leurs espoirs en 2010. «La commune de Jette nous a permis de signer un bail emphytéotique de 38 ans renouvelable afin de pouvoir construire sur deux terrains situés dans une même rue», explique M. Ullens. «La Région a aussi donné son accord de principe pour subventionner les deux centres (personnel, frais de fonctionnement), qui comporteront chacun quinze places, et pour financer une partie de la construction.»

 

L’addition à payer par les parents reste cependant très lourde. Xavier Ullens la détaille: «Le coût total de la construction des bâtiments s’élève à 2,3 millions d’euros. La CoCoF est d’accord de subventionner à hauteur de 1,3 million qui seront délivrés par tranches sur une période de trois ans. A charge pour nous de trouver le million d’euros qui reste et les crédits ponts en attendant la libération de tous les subsides. L’objectif n’est pas facile à atteindre en cette période de crise. Après sept ans de labeur, on stagne à environ 750 000 euros de promesses de dons.»

 

Dans la catégorie des handicapés en grande dépendance, les familles d’autistes adultes ne sont pas les seules à la recherche de structures d’hébergement adaptées. Durant ces dernières décennies, il est vrai que le nombre de «candidats» à la prise en charge n’a fait qu’augmenter avec l’accroissement constant du nombre de personnes sévèrement handicapées. Une situation qui, paradoxalement, résulte des progrès de la médecine. Des accidentés graves de la route et des victimes de problèmes de santé délicats ont plus souvent la vie sauve, des enfants prématurés survivent parfois dès l’âge de 6 mois.

 

Revers de la médaille, certains de ces «miraculés» grossissent le nombre des handicapés qui sont dans l’impossibilité de vivre de manière autonome. Lorsque les familles ne peuvent pas s’en occuper — soins trop lourds, logement inadapté, indisponibilité professionnelle… — ou n’ont plus la force d’assumer — parents vieillissants — se pose évidemment la question de l’hébergement en centre spécialisé. Cinzia Tolfo-Agoni, qui est aussi très active au sein du GAMP (Groupe d’action qui dénonce le manque de places pour personnes handicapées de grande dépendance), remarque à cet égard que «notre société, qui s’enorgueillit du maintien en vie d’êtres humains qui autrefois n’auraient pas vécu, doit être cohérente: il faut alors leur permettre d’exister dans la dignité.»

 

Dans le domaine de la prise en charge des polyhandicapés, on trouve donc également des parents combatifs qui se démènent. Notamment pour le projet HOPPA (Hébergement occupationnel pour personnes polyhandicapées): vingt-cinq places de jour et vingt-cinq places d’hébergement pour des polyhandicapés sur un terrain offert par la CoCoF à Berchem Saint-Agathe. «Pour financer la construction de nos bâtiments, nous avons une promesse d’investissement public à hauteur de 2 millions d’euros et nous devons rassembler par nous-mêmes 2 millions d’euros. Après plus de douze ans de galère, nous avons le premier million, mais on se demande bien comment on va pouvoir faire pour trouver le solde… qui ne fait d’ailleurs qu’augmenter avec l’inflation des prix pratiqués par les entrepreneurs.»

 

On citera encore le projet Constellations, lui aussi initié par des parents pour créer un centre de jour et un centre d’hébergement pour des personnes lourdement handicapées à Etterbeek, sur l’emplacement d’un ancien orphelinat à l’abandon. La construction, qui vient d’obtenir le feu vert de la CoCom, devrait démarrer en 2010. Coût total: 2,5 millions d’euros. Financement public promis: 1,8 millions. Solde à charge des parents: 700 000 euros. «Nous avons recueilli la moitié et la crise qui s’installe nous fait peur pour l’avenir», s’inquiète Dominique Rossion, la directrice du projet. A termes, c’est quarante places de plus — vingt en hébergement et vingt en jour — qui devraient être ainsi créées par la mobilisation de familles touchées par le handicap d’un proche. «L’accord de la CoCom est un pas en avant important qui a pu se concrétiser grâce aux actions menées par le GAMP. En interpellant sans relâche les décideurs politiques depuis bientôt quatre ans, il a su porter à leur connaissance le dramatique problème du manque de places pour les personnes handicapées de grande dépendance à Bruxelles», tient encore à préciser Mme Rossion.

 

Un million d’euros ici, deux millions là, 300 000 euros dans tel autre projet, 400 000 ou 700 000 euros encore ailleurs… (1) A Bruxelles comme en Wallonie, des associations de parents sont donc contraintes de développer des activités de collecteur de fonds pour tenter d’offrir des places d’hébergement adaptées à des handicapés en grande dépendance. «Demande-t-on aux gens qui doivent faire l’objet d’une opération chirurgicale de préfinancer la construction de l’hôpital qui les soignera ?» s’interroge l’un de ces parents en lutte. Toutes ces familles nous impressionnent par leur détermination sans faille, engrangeant tout ce qui leur est promis pour continuer à avancer. Pas à pas. Mais ces combats admirables ne doivent pas occulter une question de fond incontournable: dans une société démocratique et riche comme la nôtre, est-ce bien le rôle des parents de personnes handicapées d’ainsi se mobiliser pour financer la création de places adaptées?

 

En Région bruxelloise, cette tendance est particulièrement criante. Mais Véronique Gailly, la spécialiste de la Politique des handicapés au cabinet de la ministre Evelyne Huytebroeck nous dit qu’il faut nuancer le propos: «Ce que nous demandons aux parents, c’est plus exactement un préfinancement. Ces sommes reviendront aux associations via les subventions de fonctionnement quand les centres seront effectivement ouverts.» Xavier Ullens, la cheville ouvrière du projet Condorcet, tempère: «Formellement, c’est vrai. La subvention contient un poste loyer qui est théoriquement destiné à compenser le financement apporté par les associations de parents. Mais en réalité, les subsides de fonctionnements sont calculés tellement juste qu’ils suffisent seulement à payer les charges réelles de fonctionnement.»

 

Le cabinet Huytebroeck planche aussi sur un décret qui permettrait la prise en charge d’une plus grande quotité de financement par les pouvoirs publics. La ministre Ecolo aimerait enfin imposer l’idée d’un «financement alternatif», comme il existe déjà dans le secteur des homes: la CoCoF garantirait des prêts consentis par les institutions bancaires aux associations de parents et elle en assurerait également le remboursement. Une réforme à ne pas espérer avant la prochaine législature, au cours de laquelle il conviendra de refinancer la CoCoF pour que toutes les promesses faites aujourd’hui puissent être tenues. Mme Gailly estime enfin que «trouver des formules pour faciliter l’investissement des associations de parents est une nécessité, mais qu’il ne faut pas non plus que tout vienne des pouvoirs publics. L’apport du secteur associatif est très bénéfique pour faire évoluer l’offre d’hébergement de manière adéquate.»

 

En Wallonie comme à Bruxelles, les cabinets des ministres concernés évoquent aussi leur volonté — déjà concrétisée en partie — d’investir dans diverses «solutions de répit» pour les familles qui ont besoin de souffler quelques heures ou quelques jours. Chacun fait sans doute de son mieux dans un contexte budgétaire difficile, et en héritant des insuffisances qui se sont développées dans un passé où les parents d’enfants handicapés n’osaient pas encore faire des sit-in mensuels devant les bâtiments des partis politiques et des ministères pour faire entendre leur voix. Des voix qui nous rappellent, comme le martèle Cinzia Tolfo-Agoni, que «le degré de civilisation d’une société se mesure aux protections qu’elle accorde aux plus faibles de ses citoyens».

 

Quelques numéros de compte

 

Dons déductibles à partir de 30 euros.

Bellerive: 310-0970320-18. Communication: «Dons Projet».

Aide aux Autistes Adultes— Mistral asbl: 240-0132999-16.

Coupole Bruxelloise de l’Autisme (Condorcet/Estreda):

000-0000004-04. Communication: «L79269-Condorcet».

Constellations: 000-0000004-04.

Communication: «L79589-Constellations-Sterrenbeelden».

Hoppa: 191-2080352-56.

 

Les briques du GAMP


Grâce au combat du GAMP, trente-trois places seront ouvertes vers 2010 ou 2011 à Bruxelles dans un bâtiment offert par la Régie des bâtiments, avec une promesse de rénovation par Beliris. Dont coût: 4 millions d’euros. La CoCoF a donné un accord de principe pour les subventions de fonctionnement. Ces infrastructures bénéficieront in fine à l’asbl FARRA qui y déménagera ses seize places en hébergement déjà existantes et en créera huit nouvelles. Vingt-cinq nouvelles places en accueil de jour, dont cinq places «de répit», seront aussi créées pour des personnes handicapées de grande dépendance, y compris des personnes avec autisme (www.lesbriquesdugamp.be).

 

 

  Manque de places. Vous avez dit combien ?

 

Qu’il manque de places adaptées à l’hébergement des handicapés de grande dépendance en Wallonie et de manière encore plus criante à Bruxelles n’est contesté par personne. Mais pour savoir qu’elle est l’ampleur du besoin non satisfait, c’est une autre paire de manche.

 

Dans un communiqué rédigé il y a quelques jours à peine, l’asbl « Constellations » exposait qu’en Région bruxelloise, « à ce jour, il manque plus de 300 places d’accueil pour les personnes handicapées de grande dépendance ». Ce nombre de 300 revient souvent dans les discussions avec les parents mobilisés que nous avons rencontrés. Mais il pourrait être largement sous-estimé. La présidente d’ « Infor-Autisme », Cinzia Tolfo Agoni propose en effet de prendre en compte la prévalence de l’autisme de grande dépendance dans notre société, soit 1,1 pour 1000 de la population totale : « Pour la Région bruxelloise qui compte environ 612.000 personnes adultes âgées de 20 à 64 ans, les autistes adultes bruxellois de grande dépendance se chiffrent donc à quelques 673 personnes. Or, selon des recherches faites par notre association avec le soutien de la Cocof, 259 personnes adultes bruxelloises bénéficient d'une prise en charge (plus ou moins convenable) à Bruxelles et en Wallonie. Il nous reste encore 414 personnes sans prise en charge (c'est-à-dire sans place ou sans services adaptés). Et en plus de celles-là, il faut ajouter quelques dizaines de personnes qui souffrent de prises en charge de très mauvaise qualité (hôpital psychiatrique notamment), ce qui nous conduit à une estimation de 500 prises en charges manquantes rien qu’à Bruxelles. Et seulement pour les autistes de grande dépendance » !

 

Bien que par « prise en charge », Mme Agoni n’évoque pas systématiquement la création de places en centre d’hébergement ou en centre de jour mais aussi des aides spécifiques pour les handicapés lourds résidants à domicile (budget d’assistance personnalisé), les chiffres qu’elle avance impressionnent. Et plus encore, si l’on tient compte de toutes les handicaps représentés par le GAMP : « Dans ce cas, comptez bien six cent ou sept cents prises en charge manquantes à Bruxelles. Et c’est vraiment un petit minimum quand on songe qu’il y a dans notre société 1 personne sur 100 qui relève de l’handicap de grande dépendance. Parmi celles-là, combien sont-elles à domicile par choix ou par nécessité ?»

 

Et en Wallonie ? «Nous ne pouvons pas nous prononcer de façon exacte car nous n'avons pas effectué d'étude sur cette population», répond le président d’Infor-Autisme. «Toutefois la prévalence de l’autisme de grande dépendance est évidemment la même qu’à Bruxelles, ce qui conduit à une estimation de 1200 personnes en besoin d'une place ou d’une  prise en charge adaptées.»

 

Inexistantes à Bruxelles, les structures proposant des solutions d’hébergement spécifiques pour les adultes autistes en Région wallonne sont peu nombreuses. « Le Mistral » à Saint-Georges sur Meuse, « Les Aubépines » à Incourt, « La Graignette » (Village n°1) à Ophain et « Bellerive ». En tout, cela quelques 120 places. Sans compter qu’un certain nombre d’entre elles sont occupées par des Bruxellois et des résidents français très ‘attractifs’ parce qu’ils arrivent en Belgique avec un subside de 200 euros par jour octroyé par le ministère français de la sécurité sociale… . Pour Mme Tolfo-Agoni, «même si on considère que des autistes de grande dépendance sont accueillis par ailleurs, c’est à dire dans des centres non spécifiques, il faudrait aussi plus de structures d’accueil en Wallonie pour faire face aux besoins de cette population».

 

Combien de places ? Serge Clossen, « conseiller Awiph (Agence wallonne pour l’intégration des personnes handicapées) » au cabinet du ministre wallon de la Santé, de l’Action sociale et de l’Egalité des chances estime en tous les cas risqué de l’estimer en se basant sur des estimations liées à la prévalence d’un handicap dans la population. Sans prétendre que tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes, ce collaborateur direct de Didier Donfut (PS) se refuse en outre à donner une estimation chiffrée de la carence en places adaptées pour les handicapés de grande dépendance en Wallonie et partant pour les autistes adultes sévères. Il souligne la volonté du gouvernement de palier à un certain nombre de situation par des efforts budgétaires constant visant à renforcer les « budget d’aide personnalisé » qui permettent à certains handicapés fortement dépendant de continuer à vivre dans leur famille avec le bénéfice d’une aide ciblée et accrue. Une politique de transferts des handicapés plus légers vers des « services résidentiels de transition » est aussi mise en œuvre afin de libérer des places pour les handicapés de grande dépendance.

 

Pour évaluer le manque de places «grande dépendance» en Wallonie, M. Clossen renvoie toutefois aux données qui ressortent la cellule des «cas prioritaires» de l’Awiph. Chaque mois, cette cellule attribue des subventions aux personnes lourdement handicapées en situation de détresse afin qu’elles puissent trouver urgemment un hébergement adapté. Ce qui permet de contourner le moratoire existant depuis le milieu des années ’90 sur la création de nouvelles places d’hébergement subsidiées pour handicapés. Au 28 janvier 2009, la cellule «cas prioritaire» gérait 144 dossiers de personnes en recherche de solutions. Est-ce là l’état réel du manque de place au sud du pays ? La cellule «cas prioritaires» tourne en tous les cas en permanence autour de 150 cas en attente de solution. Des dossiers débouchent sur des solutions tandis que d’autres arrivent régulièrement.

 

Par exemple, la cellule «cas prioritaires» a récemment trouvé une solution d’hébergement pour un homme d'une quarantaine d'années souffrant d’autisme associé à des troubles du comportement. Agressif envers autrui, ayant une tendance prononcée à l’automutilation, se mordant les mains et se frappant contre les murs, ce cas lourd a un besoin impérieux d’encadrement pour tous les gestes de la vie quotidienne. En outre, il est incontinent. La maison de soins psychiatrique où il résidait avait décidé de mettre un terme à sa prise en charge ; Orphelin de père et de mère, ne bénéficiant d’aucun soutien familial, l’homme allait se retrouver livré à lui-même. La cellule des «cas prioritaires» a donc contacté plusieurs services résidentiels d’hébergement sans succès parce que le parcours psychiatrique de l’intéressé était une étiquette le desservant. In extremis la solution a été trouvée dans un centre résidentiel pour handicapés en Région liègeoise, lequel s’est vu attribué une subvention par l’Awiph pour s’occuper de cet autiste sévère.

 

En Région bruxelloise, la cellule wallonne des cas prioritaires à son équivalent, l’asbl «Interface-Grande dépendance». Sa directrice, Fabienne Cornet nous explique que la liste des cas problématiques d’handicapés en grande dépendance cherchant une place dans un centre d’hébergement compte actuellement 120 noms, parmi lesquels environ 70 personnes souffrant de troubles du comportement, pour la plupart des autistes. Comme en Wallonie, ce nombre de demandeurs de service résidentiel est stable : des cas sont régulièrement résolus et des demandes arrivent tout aussi régulièrement.

 

120 personnes à Bruxelles, 144 en Région wallonne, cela ferait une demande de 264 places pour toute la Communauté française. Mais cette donnée doit être relativisée à la baisse, tempère Mme Cornet : «Notre expérience montre qu’il peut arriver que des gens qui se trouvent en liste d’attente ne sont plus vraiment candidats lorsqu’une solution d’hébergement se concrétise. Je pense aux cas de familles fatiguées ou vieillissantes qui ont introduit une demande pour un proche à l’occasion d’une crise… Lorsque la solution se profile, la situation s’est calmée, la vie a repris un cours plus ou moins normal et plus personne ne souhaite le départ de la personne handicapée ». Il y en outre des cas où la solution proposée n’est pas jugée comme adéquate par la famille du demandeur.

 

Dans le même temps, Fabienne Cornet estime que les estimations formulées par « Infor Autisme» ne doivent certainement être pas être balayées d’un revers de la main. Une question essentielle serait en effet de déterminer où sont tous ces autistes adultes sévèrement dépendants qui selon la prévalence de cet handicap sont censés existés. C’est aussi l’avis de Véronique Gailly qui est conseillère au cabinet de la ministre bruxelloise Evelyne Uytebroek… « Et c’est pourquoi je suis d’avis qu’il faut un peu augmenter l’estimation du besoin en place d’hébergement en Région bruxelloise par rapport aux chiffres renseignés par la liste de demandes urgentes. Une fourchette de 120 à 200 places supplémentaires à celle qui existe à ce jour semble être raisonnable. On en a déjà créé 80 sous cette législature, dont une vingtaine de grande dépendance. Et puis il y a tous les projets en cours, Condorcet, Constellations, OPPA etc… ».

 

Où sont donc les autistes de grandes dépendances qui ne font l’objet d’aucune prise en charge ? Un certain nombre d’entre eux parmi ceux nés avant les années ‘80 pourraient n’avoir jamais été diagnostiqués comme tels. L’autisme, rappelons n’a été considéré comme un handicap spécifique qu’en 2004 en Communauté française. Parmi cette population, on peut imaginer qu’une partie des personnes vivent dans leur famille sans avoir jamais eu besoin de demander une solution d’hébergement. Plus malheureusement, on peut imaginer des cas d’autistes qui séjournent en psychiatrie - ou y ont séjournés et y sont morts – sans jamais avoir été diagnostiqué correctement. Actuellement, en Région bruxelloise, 8 autistes sont dans ce cas selon «Interface-Grande dépendance» qui cherche une alternative d’hébergement. Pour ce qui est des victimes d’erreurs d’aiguillage en Wallonie, la situation semble plus floue. M. Clossen n’a pu nous dire combien de centres non spécialisés ont un agrément pour recevoir des autistes et combien d’autistes se trouvent dans de tels centres. Le conseiller Awiph au sein du cabinet Donfut estime en tous les cas que «nombre d’autistes vivent très bien la mixité avec d’autres handicapés».

 

Cependant nombre de parents rencontrés lors de cette enquête interrogent la qualité du service dans les centres qui mélangent différents types de handicaps. C’est le cas aussi de Laurent Cerfont, l’assistant social de « Mistral » : «Le discours qui prône la mixité des handicaps doit être nuancé : cela peut-être bénéfique pour certains autistes. Mais le succès en termes de soins adaptés n’est pas nécessairement au rendez-vous car l’encadrement risque souvent de défaillir. Dans une unité spécialisée comme Mistral, le personnel développe des habilités, des réflexes, des comportements et de compréhensions des situations qui sont tout à fait essentiels. Un personnel qui est confronté en permanence à plusieurs types de handicaps ne peut évidemment le faire aussi bien. Il nous arrive toutes les semaines de recevoir des appels de confrères œuvrant dans des centres non spécialisés dans l’autisme et qui se posent des questions sur une manière d’intervenir avec ces résidents très particuliers.»

 

Qu’en est-il en définitive de ce débat sur les chiffres en Communauté française ? Manque-t-il 200, 300, 700 ou bien plus encore de places (hébergement/budget personnalisés) pour des handicapés de grande dépendance ?  Fabienne Cornet de l’asbl «Interface-Grande dépendance » estime qu’ «il faut parfois se résoudre à accepter l’absence de réponse tout à fait claire». Il est toutefois des signaux qui ne trompent pas. Tel la longueur des listes d’attente (il faut attendre jusqu’à 10 ans pour obtenir le sésame dans certaines structures d’accueil) et la nécessité de gérer sans cesse l’urgence de cas devenus désespérés aux travers de services spécialisés, tant en Wallonie qu’à Bruxelles. «Tout ce débat sur le nombre de places manquantes ne doit pas masquer les souffrances rencontrées par trop de familles. S’il ne manquait qu’une seule place, ce serait déjà inacceptable», conclut Xavier Ullens, le papa de Yolande.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
M
Article très instructif qui résume la situation des personnes en difficultées. Merci pour ce partage.
Répondre