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ICDI : Mais où va l'argent des ordures de Charleroi? (11/05/2006)

Lucien Cariat

Lucien Cariat

Une enquête publiée 11 mai 2006 dans l'hebdomadaire belge "Ciné-Télé Revue"

 

Un scandale dans le milieu des ordures ménagères après celui des logements sociaux ? Après celle de La Carolo, la région de Charleroi va-t-elle connaître une «affaire ICDI», du nom de l’«Intercommunale pour la collecte et la destruction des immondices» ? C’est ce que souhaitent en tout cas des membres du personnel de cette société publique qui se sont confiés à nous. Pêle-mêle, ils dénoncent des «dépenses somptuaires qui n’ont rien à voir avec l’objet social de l’ICDI», le «népotisme» de son président socialiste, Lucien Cariat, des détournements de leur force de travail «au profit de l’intérêt de certains particuliers et pendant les heures de service», et l’existence d’emplois fictifs, notamment au profit d’un actuel échevin socialiste de Charleroi. L’un d’eux a cette formule : «Il est temps que la justice s’en mêle. Ici, c’est La Carolo au carré !» Principal accusé, Lucien Cariat se défend bec et ongles : «Tout cela est complètement faux. Je n’ai absolument rien à me reprocher ! Je ne sais pas qui est derrière la campagne de diffamation qui est orchestrée en ce moment contre ma personne, mais il est clair que l’on cherche à m’abattre.» Enquête. A charge et... à décharge.

 

«On est prêt à vous décrire tout le “système Cariat”. Il y a trop de choses illégales qui se passent à l’ICDI, mais, avant que nous sautions le pas, vous devez nous assurer l’anonymat. Je ne peux pas m’engager pour mes collègues, mais en ce qui me concerne, si j’obtiens les mêmes garanties de la justice, je veux bien tout expliquer aussi au procureur du Roi de Charleroi. Tant qu’un nettoyage ne sera pas fait, nous risquons très gros, vous comprenez ?»

 

L’homme qui nous parle au téléphone se dit révolté, mais, dans le même temps, il a peur de perdre le seul salaire qui nourrit sa famille. Début d’enquête classique sur de potentiels détournements d’actifs et de présumées magouilles au sein d’une intercommunale du pays de Charleroi. En l’espèce, il est question de l’ICDI, un sigle qui désigne l’« Intercommunale pour la collecte et la destruction des immondices ». Une structure imposante. Offrant de l’emploi à plus de 400 personnes et réalisant un chiffre d’affaires de près de 30 millions d’euros, l’ICDI gère les ordures et les déchets de 13 communes, qui sont autant d’« associés publics » représentés au sein de son conseil d’administration (Anderlues, Chapelle-lez-Herlaimont, Charleroi, Châtelet, Courcelles, Farciennes, Fleurus, Fontaine-l’Evêque, Gerpinnes, Ham-sur-Heure, Les Bons Villers, Montigny-le-Tilleul, Pont-à-Celles).

 

L’ICDI, c’est aussi le fief de celui qu’on appelle parfois le «Roi de Marcinelle», à savoir le dénommé Lucien Cariat. Echevin à la Ville de Charleroi, où il dispose de plusieurs compétences (Ecologie urbaine, Propreté, Tourisme, Jumelages et Associations patriotiques), ce vieux briscard de la politique locale n’a jamais exercé de mandat fédéral ou wallon, mais cela n’enlève rien à son poids au sein d’un PS de Charleroi dont il préside sans partage l’une des sections les plus importantes depuis quelque trente années. Généralement présenté comme un « ennemi » de Jean-Claude Van Cauwenberghe, l’homme exerce aussi de nombreux mandats. Accrochez-vous : en plus de la présidence de l’ICDI et de la section marcinelloise du PS, Lucien Cariat assume aussi celles du Foyer Marcinellois (logements sociaux), de la section de Marcinelle de Présence et action culturelles (une asbl satellite du PS), du Centre social de Délassement de Marcinelle, de la Maison du tourisme... de Marcinelle, du Syndicat d’initiative communal... de Marcinelle, d’Adichar (Association pour l’étude de l’élimination des déchets industriels et toxiques dans la région de Charleroi), de Charleroi recyclage, d’Etude et Recyclage, des asbl Dante Alighieri, Procultura, Fondation Charlier, Mémoire du Bois du Cazier et des sociétés Sage et Sitec. A côté de ces activités, Lucien Cariat trouve encore le temps d’être vice-président de l’asbl Marcinelle en Montagne et celui d’exercer des mandats d’administrateurs à la Spaque et au sein du conseil de la SA Recymex.

 

Quelle énergie ! Et bien qu’il soit âgé de 67 ans, Lucien Cariat ne semble pas rassasié. «Je ne bois pas, je ne fume pas et je m’entretiens. J’ai la force de travail d’un homme de 50 ans. Mener de front toutes ces activités ne me pèse nullement. D’ailleurs, je n’imagine pas une autre vie que celle-là», argumente-t-il lorsque nous lui demandons s’il n’est pas temps de raccrocher. Ces derniers mois, Cariat s’est donc battu comme un lion pour obtenir une dérogation de son parti afin de pouvoir se présenter une dernière fois sur les listes du PS lors des prochaines élections communales. Sans succès... Atteint par la limite d’âge, la fin de la carrière politique de l’homme fort de Marcinelle a été entérinée par ses camarades. Une décision qui n’est évidemment pas sans conséquences sur son mandat politique de président de l’ICDI, qui ne pourra pas être prolongé dès lors que Lucien Cariat n’aura plus son statut d’élu. Qu’à cela ne tienne, le « Roi de Marcinelle » n’accepte pas d’être détrôné aussi facilement.

 

Conseiller communal (MR) et administrateur de l’ICDI, Philippe Sonnet accuse : «Le 24 avril dernier, lors de la réunion du conseil d’administration de l’ICDI, Lucien Cariat nous a fait prendre connaissance du procès-verbal qui était censé relater notre réunion précédente. J’y ai découvert avec stupéfaction que le texte qui était soumis à notre approbation indiquait que le conseil d’administration avait déjà marqué son accord lors de sa réunion du 6 mars 2006 pour qu’il reprenne les fonctions de directeur-gérant de l’ICDI jusqu’en 2008 ! Et qui plus est, avec une délégation de pouvoir telle que le nouveau président qui le remplacerait après les prochaines élections ne serait, de fait, qu’un pantin sans réelle marge de manœuvre. Ce p.-v. était un faux caractérisé : jamais une décision de ce type n’a été prise lors de la réunion du 6 mars ! Tout au plus, cette piste avait été évoquée de manière fugace, mais sans que l’on vote. En plus, ce faux p.-v. a été envoyé à l’autorité de tutelle — le ministre régional wallon des Affaires intérieures et de la Fonction publique Philippe Courard (PS) — dès le 23 mars. Un vrai coup d’Etat légal, car, à partir du moment où le p.-v. était envoyé au ministre, les administrateurs disposaient de trente jours pour introduire un recours ou une contestation. Mais comment aurions-nous pu le faire, puisque nous n’avons découvert le p.-v. qu’en date du 24 avril ? »

 

Cette première affaire qui agite le landernau carolo depuis quelques semaines a déjà conduit Lucien Cariat à tenir une conférence de presse, où, assisté par l’expert juridique de l’ICDI (le ténor du barreau Roger Lorent), il s’est inscrit en faux contre les accusations du conseiller communal MR : «En 1981, j’ai été nommé directeur-gérant de l’ICDI. Quand je suis devenu échevin, une loi de 1996 avait établi une incompatibilité. J’ai donc pris un congé politique et je suis devenu président chargé de la gestion. Comme je ne me présente pas aux élections, je réintégrerai logiquement ma fonction. Pour ce faire, une seule formalité : une lettre recommandée précisant ma décision. C’est par volonté de transparence et d’efficacité que j’ai annoncé cette décision en mars.» (1)

 

Fin du débat ? Loin s’en faut. Philippe Sonnet rétorque que «Cariat avait besoin de l’aval du conseil d’administration de l’ICDI pour recevoir la délégation de pouvoir qu’il a ajoutée à la reconduction de son mandat de directeur-gérant. C’est uniquement pour cette raison qu’il a voulu faire croire que nous avions été consultés. Je maintiens que son p.-v. était bel et bien un faux, et d’ailleurs, un recours a été introduit auprès du ministre Courard, et je n’exclus pas de porter aussi l’affaire devant la justice pénale.» De son côté, le président de l’ICDI a annoncé son intention de déposer plainte en diffamation contre Philippe Sonnet. Ambiance...

 

Le décor étant planté, revenons-en à cet homme qui disait avoir des confidences à nous faire sur le «système Cariat». Rendez-vous est pris dans un lieu discret de la métropole carolo. Notre interlocuteur est accompagné de deux collègues qui, comme lui, travaillent depuis plusieurs années à l’ICDI. Ils témoignent pendant plus de deux heures.

 

«Il est temps que la justice s’en mêle. Ici, c’est La Carolo au carré», entame l’un de nos témoins. «Le président de l’ICDI ? C’est le Roi-Soleil. Il se sent autorisé à faire tout ce qu’il veut ! Vous ne serez sans doute pas étonné d’apprendre que, pendant leurs heures de service, des ouvriers ont réalisé des travaux d’aménagement à son domicile de Marcinelle, mais aussi pour le compte de certains de ses proches et de ses amis.» Quels travaux ?

 

Les trois témoins évoquent des choses très diverses : «Aller planter des sapins dans un jardin, placer une barrière en fer forgé fabriquée dans l’un des ateliers de l’ICDI, aller retirer des terres ou des encombrants, placer une statue achetée pour 350.000 francs à un artiste italien par l’ICDI sur un terrain privé, des travaux de rénovation très variés (électricité, peinture, menuiserie), déménagement, mécanique dans les garages de l’ICDI pour les véhicules du président et de son fils. » Le tout se ferait avec « des matériaux et fournitures en provenance directe des ateliers de l’ICDI».

 

Confronté à ces accusations, Lucien Cariat conteste formellement : «C’est de la pure calomnie. Il n’y a jamais rien eu de tout cela.» Parole contre parole. Cependant, les trois hommes disent savoir qui a fait quoi et chez qui... L’un d’eux ajoutant que si cela intéresse la justice, il est prêt à lui communiquer des détails utiles.

 

« Il y a plein d’emplois fictifs à l’ICDI. Des gens qui sont chez nous et qui ne font rien. Comme un certain T., par exemple, qui passe ses journées à étudier les cours de la Bourse sur son PC. Ou S., qui fait le moniteur à la piscine du Centre de Délassement de Marcinelle pendant l’été et qui ne travaille pas le reste de l’année. Des gens aussi qui travaillent à la commune de Marcinelle ou dans des asbl présidées par Cariat... mais qui sont payés par l’intercommunale», affirment encore nos témoins.

 

Pour appuyer leurs dires, ils nous donnent une note interne de l’ICDI qui est assez troublante. Elle recense le personnel de l’intercommunale par statuts (ouvriers, employés, chargeurs, responsables, etc.) et par lieux d’affectation... A savoir le «service secrétariat Ville» pour au moins six personnes de sexe féminin. Selon eux, cela veut dire que ces employées-là travaillent à l’hôtel de ville de Marcinelle. «On ne sait pas très bien ce qu’elles y font, puisque nous ne les voyons jamais. Mais on peut supposer qu’elles ont une utilité pour les nombreuses activités politiques du patron», dit un témoin. «Ce n’est pas comme cela qu’il faut comprendre les choses», rétorque Lucien Cariat. «En fait, c’est en tant que président de l’ICDI que je dispose de deux personnes à l’hôtel de ville pour mon secrétariat.» Lorsque nous disons à M. Cariat que d’après nos informations, il y aurait non pas deux, mais bien six personnes concernées par cette «délocalisation», il nous répond finalement qu’il y en a... trois... plus une. Soit «une personne mise à disposition du Tourisme qui vient d’une filiale de l’ICDI et trois secrétaires. Elles font tous mes dossiers de l’ICDI depuis l’hôtel de ville. Cela fait vingt ans que c’est comme cela.»

 

Deux autres femmes sont renseignées dans le listing comme travaillant au «service secrétariat Destrée», dont notamment la conseillère communale PS Maria Pittacolo. «Allez voir au 25 de la rue Jules Destrée à Marcinelle», décode l’un de nos hommes. «Vous y découvrirez une magnifique demeure style 1900 qui appartient à l’ICDI. Celle-ci a été rénovée à grands frais par du personnel de chez nous. L’intérieur est aussi luxueux que la façade (voir photo). Cependant, on n’y preste aucune activité qui ait un quelconque rapport avec l’objet social de l’intercommunale. Le 25 rue Destrée abrite une asbl dénommée Dante Alighieri qui est présidée par Lucien Cariat. Elle organise de temps en temps une exposition ou des danses folkloriques en relation avec la tradition italienne. Rien à voir donc avec le traitement des déchets !»

 

Vérification faite au Moniteur belge, cette asbl Dante Alighieri est bien mentionnée au 25 rue Jules Destrée et son objet officiel, sous la présidence de Lucien Cariat, est bien de «protéger et de diffuser la langue italienne et la culture italienne, ravivant les liens spirituels des Italiens avec la mère patrie». Mais nous découvrons aussi que d’autres asbl, toutes présidées par l’homme fort de Marcinelle, sont abritées dans ces locaux financés par l’argent public. A savoir «Procultura», une association dont l’objet social est très large. Certes, les statuts mentionnent l’organisation de «séminaires relatifs à l’environnement», ce qui peut avoir un rapport avec la politique de prévention et d’incitation au tri des déchets menée par l’ICDI. Mais il est aussi question de «l’organisation de conférences culturelles, touristiques, scientifiques et archéologiques » ainsi que de « radio locale». «Procultura» est en effet partie prenante dans «Radio Marcinelle». Cette station est réputée dans la région pour citer le nom du président de l’ICDI au moins une fois entre chaque disque...

 

 

A la même adresse se trouve encore la Fondation Charlier et, jusqu’il y a peu, s’y trouvait encore le Cemaps (Centre marcinellois d’action et de promotion sociale) (2), deux asbl présidées comme il s’entend par Lucien Cariat et qui partagent un objet social identique : organiser des «conférences culturelles et musicales» ainsi que la remise d’un «prix musical intitulé André Charlier». Last but not least, le 25 rue Destrée abrite enfin une asbl dénommée «Association pour l’étude, l’évolution de l’environnement et la promotion de l’image du pays de Charleroi», dont le véritable objet est sujet à controverse.

 

Lorsque nous interrogeons Lucien Cariat sur les activités qui se déroulent dans les locaux de la rue Destrée, il s’emmêle un peu les pinceaux : «Nous avons là des filiales de l’ICDI. Elles sont encore gérées sur place, mais bientôt, ce ne sera plus le cas. Nous avons Mme Pittacolo, qui n’est là que pour un cinquième temps, une employée qui est contractuelle et une handicapée qui s’occupe de répondre au téléphone.»

 

Question logique : si des filiales de l’ICDI sont à l’œuvre au 25 rue Destrée, desquelles s’agit-il et que font-elles ? M. Cariat a du mal à nous répondre. Il évoque la présence de deux filiales de l’ICDI (Sitec et Adichar), mais sans autre détail et, surtout, en nous laissant entendre qu’il n’est pas certain qu’elles se soient trouvées un jour domiciliées à cette adresse. Quand nous lui faisons remarquer que les activités de Dante Alighieri, du Cemaps ou de la Fondation Charlier n’ont rien à voir avec l’objet social de l’ICDI, il nous produit une réponse difficilement déchiffrable. Nous citons : « Ce n’est pas vrai. L’ICDI peut pratiquer toute politique d’environnement en rapport avec l’économie d’énergie. Donc, tout cela est fait. Et en termes de stratégie, il y a aussi du personnel qui est là. » Faudrait-il en déduire que les danses folkloriques et les concours musicaux sont des activités qui permettent de réduire la consommation d’énergie ? Notons pour la bonne forme que le président de l’ICDI reconnaît que ses asbl logées rue Destrée payent « un loyer symbolique de 1.000 euros par an » et que « depuis cette année, elles payent aussi leurs charges (électricité, téléphone, etc.) ».

Une affaire Van Dyck?

Bernard Van Dyck est le dauphin politique de Lucien Cariat. Devenu échevin (PS) de la ville de Charleroi à la suite des démissions suscitées par l’affaire de la Carolo, il a grandi à l’ombre du «Roi de Marcinelle». «J’ai connu M. Cariat quand j’avais encore des culottes courtes. Il a été mon professeur de dessin», nous explique-t-il. Selon nos témoins, «M. Van Dyck a bénéficié pendant plusieurs années d’une voiture de société offerte par l’ICDI et il émargeait au payroll de la société, alors qu’il n’y travaillait pas effectivement. On le voyait seulement venir pour faire le plein d’essence de son Alpha 156 avec la carte de la société» (ndlr : l’ICDI disposant de sa propre pompe à carburant)». «C’est faux», rétorque M. Van Dyck. Et d’expliquer son parcours professionnel : «J’ai été engagé par l’ICDI en 1980 et pendant dix ans, j’y ai travaillé dans le service comptabilité (ndlr : à l’époque, Lucien Cariat y jouait déjà un rôle dirigeant)». «Début 1990, j’ai été détaché dans un cabinet ministériel à la Région wallonne. J’ai donc pris un congé politique : en d’autres termes, comme le veut la loi, je gardais officiellement ma fonction dans l’Intercommunale et le traitement qui en résultait et, trimestriellement, l’ICDI facturait au cabinet ce que je lui coûtait (salaire, onss, précompte et chèques repas). Après les élections de juin 1999, j’ai décidé de ne plus postuler dans un cabinet parce que je désirais me consacrer plus pleinement à mon action politique à Charleroi où j’étais conseiller communal. J’ai donc réintégré l’ICDI. A cette époque, l’intercommunale venait de créer une nouvelle filiale, à savoir la société d’économie sociale «Sitec» qui s’occupait de tri des déchets. On m’a désigné secrétaire-gérant de cette société et le même principe de rétribution que précédemment a été appliqué : l’ICDI continuait à me payer mon salaire, lequel était refacturé à la Sitec. C’est aussi à cette époque que j’ai pu bénéficier de l’Alpha 156 comme voiture de fonction. Il s’agissait d’un avantage en nature tout à fait légitime pour un cadre et je l’ai toujours déclaré sur ma feuille d’impôt.»

 

Cependant, on l’a dit, nos témoins affirment que l’emploi de Bernard Van Dyck à la Sitec n’était qu’une fiction… «C’est totalement inexact!», s’indigne l’échevin socialiste. «J’avais mon bureau dans les anciens bâtiments de l’ICDI à Montignies-sur-Sambre. Les ouvriers de la Sitec sont des personnes minimexées remises au travail en partenariat avec le Cpas de la ville de Charleroi. Pour ma part, je m’occupais des relations avec le Cpas, des recrutements d’embauche, des feuilles de prestation du personnel, des rapports d’évaluation et du secrétariat du conseil d’administration. C’était donc un vrai boulot dans lequel je jouais aussi un peu un rôle d’assistant social avec ces personnes qui connaissent souvent plus de difficultés administratives et autres que la moyenne. Je ne comprends pas qu’on puisse dire que je n’étais pas là ! En janvier 2001, le conseil d’administration du Foyer Marcinellois (ndlr : présidé par Lucien Cariat) m’a demandé d’assurer sa gestion journalière. Malgré le fait que ce nouveau boulot était un temps plein bien remplis, j’ai continué à être secrétaire gérant de la Sitec (embauche, feuilles de prestations) mais pour les évaluations, c’est quelqu’un d’autre qui s’en est occupé. Et là encore, mon salaire continuait à m’être payé par l’ICDI qui, du moins durant les dernières années, le refacturait au Foyer Marcinellois.»

 

Bernard Van Dyck admet qu’à cette époque, il conserve sa voiture de fonction payée par l’ICDI alors que, dans les faits, il travaille principalement pour le Foyer Marcinellois «Ce n’était que normal puisque j’occupais plus de responsabilités qu’auparavant. Je n’avais pas un centime en plus de rémunération. Je n’allais tout de même pas en plus perdre la voiture», nous dit-il. Mais n’était-ce pas plutôt à la société de logement de lui offrir cet avantage en nature ? «Non, puisque j’étais toujours salarié de l’ICDI et que je n’avais pas totalement quitté mes fonctions de secrétaire-gérant de la Sitec. Cette situation a duré jusqu’en octobre 2005, moment où je suis devenu échevin des sports de la ville de Charleroi. Dès le lendemain de ma nomination, j’ai mis fin à mes activités de gérant de la Sitec et j’ai donc rendu la voiture».

Le foot en salle financé par les ordures de Charleroi

«L’ICDI est financée par le contribuable et nous doutons que celui-ci soit ravi d’apprendre qu’en payant ses sacs poubelles, il contribue à financer un club de foot en salle. C’est pourtant ce qui se passe», s’indignent nos trois témoins. «Il y a plus d’un an une quinzaine d’ouvriers ont été engagés par l’ICDI avec statut précaire. Officiellement ces hommes étaient recrutés pour l’entretien des parcs à conteneurs mais en réalité ils n’ont jamais fait ce boulot-là. Tout leur temps de travail a été consacré à la rénovation d’un bâtiment appartenant à l’ICDI au n°358 de la Chaussée de Bruxelles à Jumet. In fine, il s’agit d’offrir une salle d’entraînement pour les jeunes du club de «futsal» Action 21. Lucien Cariat est, il est vrai, président d’honneur d’Action 21. Nous savons aussi que c’est la SA Seplex qui a refait toute l’électricité du bâtiment pour un montant d’environ 300.000 euros. Il s’agit de la société dirigée par le président d’Action 21, Paul Locicero».

 

Plusieurs documents tendent à confirmer ces propos.

 

1. 20 mai 2005, une offre de travaux : un vent favorable nous a fait parvenir un bon de commande de l’ICDI portant le numéro 40506. Daté du 30 juin 2005 et signé par le président Lucien Cariat, il marque son accord pour la société Seplex réalise des «travaux électriques» au «bâtiment, chaussée de Bruxelles, 358» pour un montant total de 318.724, 136 euros (TVA comprise). On notera avec intérêt que ce bon de commande mentionne explicitement qu’il répond à une offre «n°7005» faite par la société «Seplex», en date du 20 mai 2005. En résumé, M. Cariat, président d’honneur d’Action 21 et président de l’ICDI commande des travaux à M. Locicero président effectif d’Action 21.

 

2.26 mai 2005, la constitution d’une ASBL : comme en témoigne un acte déposé au Moniteur belge, 8 personnes se réunissent au 25 de la Rue Destrée à Marcinelle, le 26 mai 2005. Dans cette assemblée, il y a notamment Luc Cariat, le fils du président de l’ICDI, Paul Locicero, Atabey Aktepe, directeur sportif et financier d’Action 21, Christian Blondeel, directeur financier de l’ICDI, Robert Clause (cousin de Lucien Cariat, père de Jacques dont nous avons parlé plus haut et conseiller technique à l’ICDI), Abdelati Laakairi, architecte de l’ICDI et, last but not least Lucient Cariat. Ces personnes décident de la mise sur pied d’une «Association pour l’étude, évolution et promotion de l’environnement de l’image du pays de Charleroi (A.E.P.I.C.)», laquelle sera présidée par Luc Cariat. A quel fins ? L’acte fondateur de l’A.E.P.I.C. mentionne «la prévention environnementale et la formation des jeunes et des adultes (…) par toutes opérations sportives et sociales». Cela laisse la porte ouverte à beaucoup d’activités…

 

 

3. 27 mai 2005, séance du conseil d’administration de l’ICDI : en notre possession, le procès-verbal de cette séance, présidée par Lucien Cariat et à laquelle assiste aussi Robert Clause, traite longuement du bâtiment de la chaussée de Bruxelles à Jumet. Extraits : «Le président rappelle l’origine de l’acquisition de ces biens à Jumet (…) Le bâtiment reste non occupé et difficile à louer à cause de la crise des petites entreprises de la ville de Charleroi. Le 21 octobre 2004, l’architecte de l’ICDI préconise la réhabilitation des locaux en vue de louer le bien. Le 26 mai 2005, l’architecte confirme son rapport de 2004 et encourage la Direction à se séparer du bien ou à lui trouver un locataire fidèle. En effet, les espaces sont de plus de 3500 m2 mais il apparaît urgent de donner une finalité à ce bien. (…) L’Asbl A.E.P.I.C. qui s’occupe de l’étude, l’évolution de l’environnement, de la promotion de l’image du pays de Charleroi, se déclare intéressée pour la prise en jouissance du bien dans des conditions symboliques et pour donner une affectation et un rendu pour l’avenir. (…) Considérant que l’association, candidate à l’usage, est constituée sous forme d’association sans but lucratif (…), le conseil d’administration décide à l’unanimité, sur proposition du Comité de direction, de louer le bien (à A.E.P.I.C.) par un bail emphytéotique de 30 ans, susceptible d’être reconduit pour le canon d’1 euro à l’exception des frais de fonctionnement et d’entretiens locatifs qui se sont à charge de l’association A.E.P.I.C.». Traduction : l’asbl ont sont associés les Cariat, leurs proches et les dirigeants d’Action 21 peut jouir gracieusement pendant trente ans d’un bâtiment appartenant à l’ICDI et rénové au frais du contribuable par les ouvriers de l’Intercommunale. Dont coût ? C’est le PV d’une autre séance du conseil d’administration de l’ICDI, celle du 10 janvier 2006, qui nous donne la réponse. On peut y lire que «le président commente l’évolution des travaux de réhabilitation des bâtiments sis chsée de Bruxelles à Jumet. (…) La dépense, jusqu’à ce jour est de 770.489, 58 euros. L’estimation finale des travaux est de 870.743,90 euros, hors TVA.

 

Sur la finalité de toute cette opération, les PV du conseil d’administration de l’ICDI restent relativement vagues. On se contente d’y évoquer une réaffectation du bâtiment à des «fins associatives ou d’environnement» ou de renvoyer aux statuts de l’asbl A.E.P.I.C, ce qui encore une fois laisse la porte ouverte à beaucoup de projets et, par exemple à la création d’une salle d’entraînement pour Action 21. Et cela d’autant plus que, grâce à son président d’honneur Lucien Cariat, le terrain a été bien préparé. En 2005, Action 21 a en effet reçu quelques 180.000 euros de l’ICDI dans le cadre d’un action intitulée : «Charleroi propre et sans déchets». «On utilise l’image des joueurs pour sensibiliser l’opinion aux questions d’environnement sur des affiches, dans des spots télé et lors de différentes animations. Et cela a un prix», argumente Lucien Cariat.

 

Force est en tous cas de constater que les joueurs et dirigeants d’Action 21 n’hésitent pas à payer de leur personne. Si on se rend sur le site du club de futsall (www.action21.be) on les voit poser en photo lors du récent bal de Lucien Cariat avec ce commentaire lénifiant : «Le Centre de Délassement de Marcinelle était presque trop petit samedi dernier pour accueillir celles et ceux qui avaient répondu à l'invitation de Lucien Cariat, pour son traditionnel bal. Notre club était lui aussi bien représenté puisque l'ensemble des dirigeants, le staff, les joueurs de l'équipe première et une très grosse délégation de notre école des jeunes étaient de la partie. Notre président d'honneur était bien entouré pour une soirée où chacun a pu apprécier l'ambiance conviviale de cet événement.» On suppose que ces agapes doivent aussi être considérées comme des actions en faveur de l’environnement… Dans le même ordre d’idée, on signalera enfin qu’il arrive que des équipes de jeunes d’Action 21 jouent avec des maillots affichant le slogan «Cariat team». Mais, nous assure, M. Cariat : «Pour cela je paye de ma poche…»

 

Comme il va de soi, nous nous sommes rendus à Jumet pour voir le bâtiment mis à disposition de l’A.E.P.I.C. par l’ICDI. Des ouvriers que nous avons interpellés nous ont dit «ne pas savoir à quoi devait servir le bâtiment». Toutefois, notre collègue Sylvie Duquesnoy qui travaille pour l’émission «Question à la une» de la RTBF a fait une meilleure pêche. Quelques jours avant notre passage, cette dernière a pu en effet enregistrer les témoignages d’ouvriers de l’ICDI qui disaient travailler à la préparation d’une salle pour Action 21. Dans la rue Delvaux, à l’arrière du bâtiment, des riverains nous confirment aussi que «c’est pour Action 21 que les ouvriers sont là»…

 

Pourtant, lorsque nous le rencontrons, Lucien Cariat nie tout. En bloc et sans nuance, car son argumentation va jusqu’à remettre en cause la décision du conseil d’administration de l’ICDI d’offrir le bâtiment à l’A.E.P.I.C., présidée par son fils.

 

Extrait de cet entretien :

- L’ICDI va-t-elle faire bénéficier Action 21 de son bâtiment de Jumet ?

 

- Non, c’est des bobards. La rénovation de ce bâtiment n’a rien à a voir avec Action 21. Là, on va créer le «Centre régional pour le développement durable». C’est Mme Brisy (ndlr : sa belle fille) qui va diriger tout cela. Cela fait partie de la politique de prévention de l’ICDI.

 

- Action 21 n’occupera jamais ces locaux ?

 

- «Rien du tout. Action 21, je le dis avec fermeté, ne mettra pas ses pattes là-dedans!

 

- Mais alors pourquoi des dirigeants d’Action 21 se trouve dans le CA de l’asbl qui va gérer le bâtiment ?

 

- L’asbl ne va pas bénéficier du bâtiment. C’était juste un projet. Et il n’a pas été concrétisé.

 

- Le 27 mai 2005, il y a pourtant eu une décision en ce sens du conseil d’administration de l’ICDI !

 

- (Il ne relève l’objection). Cette asbl avait un projet, c'est-à-dire l’environnement. Désormais, c’est Mme Brisy qui va le développer. L’environnement peut être promotionné au travers d’actions dans le domaine de la jeunesse et du sport mais Locicero ne mettra pas ses pattes là-dedans! Cette asbl n’a plus pas sa raison d’être, elle n’a pas reçu sa concession. Depuis plus d’un an, je ne lui ai pas donnée.

 

- Mais pourquoi M. Locicero, le président d’Action 21 est-il dans l’asbl qui devait bénéficier de l’usage du bâtiment ?

 

- Parce qu’il m’a garanti une aide du côté de la Communauté française et du ministre pour obtenir des animateurs pour les jeunes qui fréquenteront le centre polyvalent. L’idée était de faire de la prévention de l’environnement au travers d’activités sportives. Locicero était là parce qu’il avait promis son aide. Comme il ne sait pas l’apporter, il ne sera plus là.

 

Pour sa part, M. Locicero plaide aussi la bonne foie : «Moi, j’ai appris un jour que l’ICDI allait faire des travaux dans ce bâtiment pour la mise en place d’un centre décentralisé de prévention pour l’environnement. Qu’il y aurait aussi des salles polyvalentes où les jeunes du quartier pourraient faire du sport. Ayant appris cela, j’ai joué mon rôle de chef d’entreprise en faisant une offre pour les travaux d’électricité. J’ai remis un devis en bonne et due forme et on m’a commandé le chantier. Il n’y a rien de condamnable là-dedans. En découvrant le bâtiment, j’ai aussi vu qu’il y avait des espaces pour des bureaux. J’ai proposé à Lucien Cariat de les louer mais il a refusé.»

 

- Donc, il n’aurait jamais été question d’une salle d’entraînement spécifique pour Action 21 ?

 

 

- Non pour moi, il n’a jamais été question que Cariat fasse ce bâtiment pour Action 21. Il y a bien des salles polyvalentes avec des vestiaires et des douches mais ce n’était pas prévu spécifiquement prévu pour Action 21. D’ailleurs, les salles sont un peu petites pour le futsal. Elles peuvent convenir pour les minimes et préminimes – j’avais d’ailleurs proposé de louer quelques heures à cette fin- mais c’est trop exigu pour les équipes de joueurs plus âgés.

 

- Mais pourquoi faites-vous alors partie de l’asbl A.E.P.I.C. ?

 

- C’est Lucien Cariat qui m’a demandé d’en faire partie. Son intercommunale fait des campagnes dans différents endroits de Charleroi où des jeunes se rendent et mes joueurs y participent, cela fait partie de la convention qui nous lie à l’ICDI. Pour lui, je pouvais donc avoir un apport intéressant pour son centre polyvalent. Moi, je n’en avais pas plus envie que cela. Après il m’a dit qu’il n’avait plus besoin de moi. Je n’ai jamais posé le moindre acte concret dans cette asbl.

 

- Il se fait que le conseil d’administration de l’ICDI a décidé de donner l’usage du bâtiment de Jumet à cette asbl dont vous faites partie…

 

- Ah bon ? Franchement, vous me l’apprenez. De mon point de vue, cette asbl n’a jamais fonctionné. Lucien Cariat m’avait dit que je n’en faisais plus partie. Dès demain, j’envoie ma lettre de démission officielle.

 

On signalera pour terminer que nos témoins nous ont encore parlé de bien d’autres faits qui demandent des investigations complémentaires…

 

(1) : Le Soir du 28 avril 2006.

(2) : La dissolution du Cemaps a été décidée le 7 novembre 2005.

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Michel Bouffioux


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