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1 Septembre 2011
Interview publiée dans l'hebdomadaire "Paris Match Belgique", le 1er septembre 2011.
Au moment de quitter la présidence du CDH, la ministre de l'Emploi se confie. Sans (trop) de langue de bois...
Les vacances ont été bonnes?
Excellentes... Et plus encore, parce qu'elles étaient inespérées ! J'étais persuadée qu'on allait négocier les réformes institutionnelles pendant tout le mois d'août. Mais, finalement, le message royal nous a permis de partir. Au-delà du plaisir de me retrouver avec ma famille et des amis, j'ai vécu une expérience magnifique en Corse, une semaine sur un bateau. Barrer. Sentir ce vent marin qui caresse les visages et libère les esprits. Nous avons navigué entre Ajaccio et Porto-Vecchio. Découvrant, émerveillés, une côte encore sauvage et grandiose sous un soleil étincelant. Il y avait quatre voiliers, plusieurs familles, plein d'enfants et de jeunes. L'ambiance était chaleureuse. On se sentait coupés du monde. Le soir, on mouillait dans des criques, le matin on plongeait dans l'eau bleue de la Méditerranée. On a même vu des dauphins le jour de l'anniversaire de ma petite dernière. Fabuleux.
Et vous voilà à nouveau autour d'une table de négociations pour parler « prioritairement » de BHV. Lassée ?
Non, je suis très motivée. J'ai le sentiment de contribuer à une mission historique : sauver l'Etat. Tout le monde ne pèse pas la dangerosité de la crise institutionnelle, mais on en est là. Ces derniers mois, à plusieurs reprises, j'ai eu le sentiment que nous étions à deux doigts d'une hypothèque totale sur l'avenir du pays. Mais là, il y a un espace nouveau. Un moment tout à fait crucial. La N-VA s'est mise hors-jeu, tandis que nos alter ego flamands ont affirmé en juillet qu'ils travailleraient à la stabilisation et à la pérennité d'une Belgique réformée. Une course contre la montre contre le séparatisme vient de débuter. Si on échoue, les partis nationalistes seront renforcés et cela ouvrira la voie à de périlleuses élections ayant pour thème l'avenir du pays. Nous sommes condamnés à réussir! La pression est devenue trop forte, qu'elle soit citoyenne, économique ou politique. Autour de la table, il faudra le sens des responsabilités et du courage.
Il y aurait tellement d'autres débats cruciaux à mener dans ce contexte de crise financière...
C'est frustrant, mais il y a ce pas de porte. L'indispensable réglage des outils institutionnels qui nous permettront d'agir, de prendre des décisions politiques. Comme tellement d'autres, je piaffe. Je suis impatiente de sauter dans le vrai wagon. Le socio-économique, l'emploi, la justice, la sécurité, la santé... Autant d'enjeux essentiels qui doivent revenir au centre du débat politique.
Etudiante, vous rêviez de travailler dans l'humanitaire. Là, vous allez passer des nuits à discuter de la réforme d'un petit arrondissement électoral belge alors que plus de dix millions de personnes crèvent de faim dans la Corne de l'Afrique... N'avez-vous pas le sentiment que votre énergie pourrait être plus utile ailleurs?
Parfois. Dans le métier politique, il arrive que l'on perde beaucoup de temps et d'énergie pour des questions qui auraient pu rester accessoires. C'est un peu ce qu'on est en train de vivre. En même temps, ce métier reste magique quand il est fait avec conviction et sincérité. Je ne désire pas m'en retirer à ce moment de l'histoire où l'on a besoin de l'engagement d'un maximum de personnes pour réaffirmer la primauté du politique sur l'économie... Cela dit, je réfléchis beaucoup. Je suis en quête de sens. Je pense à des engagements ultérieurs. Dans l'humanitaire, dans l'antiracisme, dans le social. Je veux être solidaire des femmes qui sont violées au Congo, de ces enfants dont on ne s'occupe pas dans d'autres pays... J'ai toujours été une collective. Avant la politique, j'ai été chef scout, j'ai milité pour Amnesty, j'ai fait du bénévolat dans une école de devoirs, j'ai été très active au cercle de droit à l'UCL... Toute petite, je rêvais d'être médecin tropical. Ce qui me nourrit, c'est d'être utile au bien commun. La politique, c'est un moyen, pas un but en soi.
Après avoir côtoyé, puis exercé le pouvoir pendant autant d'années, il resterait donc quelque chose de l'étudiante en droit éprise de justice, qui vendait des sandwichs pour suppléer au paiement de ses études universitaires?
Je me suis sans doute endurcie, mais j'ai gardé une intacte capacité d'indignation. Un roman de Levy raconte l'histoire d'une petite fille de 7 ans qui s'envoie une lettre à elle-même. Elle devra l'ouvrir quand elle aura 30 ans. L'enfant y parle de sa vie, de ses rêves, de ses désirs. Je pourrais ouvrir une enveloppe comme celle-là. Je ne me suis pas trop éloignée de la petite fille qui rêvait de sauver des enfants juifs.
Vous êtes trop jeune pour avoir connu la guerre !
Alors que j'étais encore très petite, mes grands-parents m'en ont beaucoup parlé. Du coup, je n'arrêtais pas de penser à ces enfants qui avaient été déportés avec leurs parents. Je m'inventais des histoires où je remontais le temps pour les sauver.
« Sauver les enfants juifs », « sauver le pays», il y a quelque chose, là...
Je n'ai pas fait d'analyse... En tous cas, j'ai conservé ce feu sacré, l'envie de participer, de faire bouger le monde. Je dis souvent à mes enfants d'oser être idéalistes et audacieux. A cet égard, même dans mon parti, je me sens parfois plus jeune que certains jeunes !
A18 ans, quel était votre ambition?
Je voulais aller en Afrique...
Pour « sauver des vie » ?
Oui... Mais étant une littéraire, j'envisageais mal des études de médecine à cause des maths, de la physique et de la chimie. J'ai opté pour le droit, me disant que j'allais devenir juge de la jeunesse. Finalement, après une expérience d'assistante parlementaire, je me suis passionnée pour la chose publique, la gestion de l'Etat.
Dans votre bio officielle (www.joellemilquet.be), vous expliquez être originaire d'une « famille unie et respectueuse des valeurs humanistes ». Cela pourrait être aussi la définition d'un cdH idéal, le parti dont vous êtes la « mère fondatrice ». Phénomène de transposition?
En tous cas, c'est le cdH que je lègue. Un mouvement où il n'y a pas de conflit de personnes. Où il y a une réelle amitié entre les dirigeants. Ce parti est construit sur la convivialité et le respect. Des valeurs que je défends aussi dans les négociations politiques. C'est la clé qui permettra d'aboutir sur le plan institutionnel. Des décisions historiques ont pu être prises grâce au respect que se portaient des adversaires politiques.
Sauf dans « La Petite Maison dans la prairie » — mais cela a un peu vieilli —, les familles idéales n'existent pas. Ces derniers temps, quand les médias ont évoqué le cdH, il a beaucoup été question du « meurtre de la mère »...
Il y a des familles qui se portent mieux que d'autres. Je me sens très heureuse de vivre une succession qui a été choisie, préparée et qui se fait de manière harmonieuse avec un ami que j'apprécie et que je trouve compétent. Je vis tout cela avec beaucoup de sérénité.
Hum... Vous idéalisez un peu, là !
Dans tous les partis, vous avez toujours l'un ou l'autre frustré qui, sous couvert d'anonymat, dit l'une ou l'autre chose. J'ai connu cela depuis que je suis arrivée là, à 38 ans, avec ma volonté de transformation. Quand vous faites les choses avec conviction, il y a toujours le risque d'être critiqué par des gens qui restent assis sur le banc. Les chiens aboient, la caravane passe.
Selon un membre du bureau du cdH, lequel évoquait dans un quotidien une réunion animée au parti en avril dernier, vous auriez lancé : « Je fais tout, je travaille jour et nuit, je suis tout le temps disponible, et vous m'attaquez ! » Sentiment d'ingratitude?
Je ne me souviens pas avoir dit cela. Personne ne m'a attaqué au bureau politique. Que je travaille jour et nuit, que je bosse comme une malade, que j'ai pris sur moi, oui, sûrement. Il y a des critiques lâches parce qu'elles sont anonymes, ou qui blessent parce qu'elles sont fausses.
Qui blessent? A ce point?
Ce n'est pas le genre de chose qui va me faire détourner de mes objectifs mais oui, cela me blesse profondément. Derrière la présidente, il y a tout de même une femme qui est fort dans l'affectif. Comme tout le monde, j'ai des défauts, mais on ne peut me reprocher aucune malhonnêteté, aucune déloyauté, aucune erreur politique, aucun désintérêt. La vie politique est parfois très dure.
De vos réalisations sur le plan politique, quelle est celle qui vous donne le plus grand sentiment de satisfaction ?
En termes d'Etat, parce que je suis une femme d'Etat avant d'être une femme de parti, je dirais que je suis très fière d'avoir initié la stratégie politique qui a permis le refinancement de l'enseignement en 2001. Le cdH était dans l'opposition et je me suis battue en interne pour faire comprendre les avantages d'une opposition constructive. En soutenant les réformes institutionnelles depuis l'opposition, on a aussi obtenu la signature de la Convention-cadre pour la protection des minorités.
Vous avez grandi à Loverval (Charleroi). C'était donc dans « une famille unie et respectueuse des valeurs humanistes», mais quoi encore?
Mes parents étaient tous les deux enseignants. Ils se sont rencontrés en faisant les romanes à Louvain. Ils sont devenus professeurs de français. Mon père dans le réseau officiel, ma mère dans le libre. Cela ne les éloignait en rien, car leurs écoles se trouvaient dans la même rue. Michel, mon père, était un grand humaniste, passionné par les philosophes et les poètes. Il vouait une admiration particulière à Cervantes, l'auteur de « Don Quichotte ». Il nous a quittés subitement. Très jeune. A 36 ans. Un cancer foudroyant. Ma mère a assumé. Nous avons été très entourés par les oncles, les tantes, les cousins. Dans notre famille, il n'y a jamais eu un seul conflit.
Comme au cdH ! Même pas une petite dispute pour une bêtise?
Aucun nuage. J'ai « koté » avec mes cousines à Louvain. On est parrains, marraines de nos enfants respectifs. On part en vacances les uns avec les autres. Nos enfants sont comme des frères. Une famille comme cela, c'est une force, une garantie d'équilibre. Grâce à cet environnement, j'ai pu rester moi-même. Je ne suis pas du tout devenue mondaine. Je ne recherche que les choses simples. Le contact avec la nature, surtout.
La perte d'un père, à un âge si important dans le développement d'un enfant, cela laisse inévitablement des traces. En quoi, cette perte a-t-elle influencé votre manière d'être ?
Quand on est confronté à un tel drame, on mûrit plus vite... Peut-être n'ai-je pas perçu tout de suite toute la dimension de ce qui se passait. A 6 ans, ce n'est pas évident de comprendre la nature exacte de la mort. En tous cas, le 14 octobre 1967 a laissé une trace indélébile. Je m'en souviens comme d'un film que j'aurais vu hier. Je venais d'entrer en première primaire. Je me souviens de tout. De l'enterrement. D'une sorte de poids qui s'est abattu sur moi.
L'émergence d'un sentiment de responsabilité?
Oui, le sentiment de devoir épauler ma mère. Ne plus être un enfant qui est porté, prendre sa part et grandir un peu plus vite. J'ai pris conscience que je ne devais pas être la source de difficultés supplémentaires, il fallait que je m'assume. Ce qui ne veut pas dire que ma mère ne s'est plus impliquée. Au contraire, elle a toujours été exceptionnelle.
En vous rendant à l'école, vous éprouviez un décalage par rapport à vos camarades de classe ?
Une différence. A la mort de papa s'ajoutait le fait que désormais nous n'étions plus que trois. Ma mère, mon frère et moi. Une petite famille nucléaire. On se sent moins protégé. J'ai lu un livre qui m'a fait beaucoup réfléchir parce qu'au fond, j'ai fait la même chose que son auteure. Dans «Le Voile noir», Anny Duperey raconte qu'elle a perdu ses parents quand elle avait 9 ans. Ils sont morts asphyxiés dans la douche alors qu'elle était présente dans leur appartement. Pour se protéger d'un événement qu'elle ne pouvait assimiler, elle a d'abord tout refoulé. Elle n'a plus jamais voulu en reparler pendant des années. C'est ce que j'ai fait également. Pendant longtemps, je n'ai pas été en mesure d'aborder la perte de mon père.
Et puis?
Eh bien, on croit que tout est assumé, mais cela rejaillit à des moments clés comme des anniversaires, des mariages, des naissances, des choix professionnels, des ennuis. Ce sentiment de n'avoir pas ce père protecteur, d'être seule et sans filet. Peut-être est-ce cela qui m'a un peu endurcie, qui m'a donné un côté un peu...
« Patrick», dirait André Lamy...
Oui, je dirais un peu viril... Mais cela ne veut pas dire que je ne sois pas féminine !
Après une scolarité sans faute — le droit à l'UCL, une spécialisation à Amsterdam —, vous avez entamé, il y a vingt-cinq ans, un parcours professionnel fulgurant : grands cabinets d'avocats, assistante à l'UCL, assistante parlementaire, secrétaire politique du groupe PSC au Sénat, chef de cabinet adjoint d'un ministre, conseillère communale, secrétaire politique, puis vice-présidente et présidente du PSC et du cdH, première échevine, ministre de l'Emploi et de l'Egalité des chances. Quel parcours !
A la vérité, les titres ne m'intéressent pas. Je ne comptais pas faire une carrière dans la politique active.
Allons, vous n'êtes pas fière de vous ?
Ce n'est pas important, ce sont les projets qui m'intéressent.
Ce n'est tout de même pas un parcours commun !
Cela s'est enchaîné. Mon ambition n'a jamais été de me mettre en avant. Au départ de ma carrière, j'étais une technicienne, une femme de dossiers, je n'avais pas l'envie de me vendre sur des listes électorales. Mais Gérard Deprez m'a repéré et il a insisté pour que je devienne secrétaire politique du parti. J'ai accepté parce que c'était une fonction de l'ombre comme celles que j'avais accomplies dans les années précédentes, notamment comme assistante parlementaire. Et puis le président m'a demandé d'être sa première suppléante lors d'élections, et je suis devenue sénatrice sans en avoir eu le projet.
Comme quoi, il y a des rencontres déterminantes dans la vie professionnelle.
Oui, j'ai eu de la chance. Les choses ne se seraient pas passées comme cela sans Gérard Deprez.
La chance, c'est un peu court !
Il y a bien sûr ce que l'on vaut. Mais encore une fois, je n'ai jamais eu de plan de carrière. Pas plus aujourd'hui qu'hier. Pendant toutes ces années de présidence, je n'ai jamais préparé l'après. Je suis dans l'action, dans le présent. Par exemple, mon poste de vice-Première au fédéral, je l'avais négocié pour André Antoine et, finalement le parti m'a demandé d'en prendre la charge...
Magnifique parcours, mais très lisse. Pas une aspérité, pas de révolte. Une bonne élève, une bonne patronne, une bonne mère. Vous ne vous mettez pas un peu trop la pression ?
Non. La révolte, elle est là. Ma capacité d'indignation est restée intacte. C'est elle qui m'a conduit vers une activité où l'on peut essayer de faire bouger les choses. Le parcours lisse aurait été de chercher un boulot où j'aurais très bien gagné ma vie, de m'occuper plus de ma famille et de moi-même. Point barre. Objectivement, la trajectoire professionnelle que j'ai choisie implique pas mal de sacrifices. C'est une vie dure. Journées très longues, exposition aux critiques, le sentiment que l'on a parfois de se trouver sur un siège éjectable. Je ne me plains pas. De toute manière, je me sens portée par mes convictions.
Selon certains de vos collaborateurs, vous êtes excessivement exigeante. Le genre à demander un rapport sur ceci ou cela le vendredi soir à 22 heures...
La vie politique ne s'arrête jamais ! Il peut y avoir une urgence à tout moment. Un fait de société, une déclaration, un effondrement de la Bourse, que sais-je? Quelque chose qui nécessite un commentaire, une prise de position, une décision... Oui, je suis très exigeante dans mon travail. Quand je fais une note, chaque phrase, chaque virgule est soupesée. Ce qui est paradoxal, c'est que, d'un autre côté, il y a du désordre dans ma voiture, j'oublie mes clés j'arrive en retard... Terriblement cartésienne dans le boulot, assez latine dans la logistique, je résumerais.
A l'occasion de votre récente sortie sur le « décret Robin des Bois », certains vous ont reproché d'être une « droguée des médias », de vouloir absolument « exister » au prix de déclarations intempestives...
Ce truc-là, ça m'a bien énervé. Moi, je ne suis pas le genre à téléphoner d'un conseil des ministres pour critiquer un confrère. J'ai refusé beaucoup de demandes médiatiques dans ma carrière. Je ne me suis jamais déguisée comme d'aucuns ! On ne voit jamais mon mari dans les journaux. Il ne supporte pas cela. On tient tous les deux à préserver un jardin secret. Je ne donne pas de photo de moi en maillot sur la plage. Je suis toujours restée dans le cadre que m'impose ma fonction. En plus, avant cette polémique, il y avait un an qu'on me reprochait d'être très discrète ! Mais je l'étais par souci de mener au mieux mon job de négociateur institutionnel. J'ai travaillé dans l'ombre, rencontré des tas de gens, produit des notes que l'on retrouve très largement dans les discussions en cours.
Et donc, il y a eu « Robin des Bois »...
Oui. Eh bien, l'école, c'est important pour moi. Ensuite, Marie-Dominique Simonet est une ministre de l'enseignement exceptionnelle, qui occupe un poste explosif sans être toujours soutenue par sa propre majorité. Quand j'ai dit qu'il fallait revoir ce décret, c'était en parfaite synergie avec elle et André Antoine. C'était même à leur demande expresse. Après cela, dire que je fais les choses sans concertation avec mes ministres, pour faire parler de moi, ce n'est pas sérieux.
Quel conseil donneriez-vous à votre successeur?
Aucun ! Je ne veux pas être une belle-mère pour Benoît. Je serai là de manière confidentielle quand il en exprimera le besoin. Nous sommes très complices.
Lutgen, Tobback, Wathelet, De Croo, Michel... Quand on lit les pages politiques des journaux belges, c'est en même temps un bain de jouvence et une seconde jeunesse, vous ne trouvez pas ?
Ce n'est pas le père de Benoît qui l'a fait arriver là où il est. Il est revenu d’Angleterre à 31 ans pour exercer une fonction de base dans le parti. Ensuite, il a fait lui-même son chemin. Je suis de celles et de ceux qui ont repéré ses qualités. J'ai décidé de le lancer. Je sais de qui je parle. Benoît, c'est tout sauf un fils à papa. Idem pour Melchior Wathelet : je suis allée le chercher. Il a beaucoup hésité, car son ambition première était de devenir avocat. A 33 ans, c'est un ministre du Budget impeccable. Grandes capacités intellectuelles et tout-terrain. Certes, il a le nom et même le prénom de son père. Et alors?
Vos enfants préparent-ils déjà leur joyeuse entrée ?
Déjà, mes enfants ne s'appellent pas comme moi. Avec ce qu'ils ont vu des implications personnelles de la vie politique, je ne crois pas que je leur ai donné l'envie de se lancer dans cette direction. Ils feront de toute manière ce qu'ils veulent, mais j'attends d'eux qu'ils s'engagent dans la vie collective, qu'ils se bougent pour des causes. Raphaël, 19 ans, termine sa deuxième candi de droit. Laura a 17 ans et elle sort de rétho avec l'intention de faire le droit. Sacha a 12 ans et il rentre en deuxième humanité. Clara, quant à elle, rentre en quatrième primaire. Elle a déjà 9 ans. Hélas...
Ah, il en faudrait une petite ou un petit en plus?
J'en ai très envie. Cette fois, nous ferons famille d'accueil.
Question rituelle : « Si c'était à refaire ? »
Sans doute serait-ce la même chose. De temps à autre, j'imagine une vie où j'aurais passé le cap de mon désamour pour les maths, la chimie et la physique. Médecin, cela aurait été un passionnant métier. Mais je suis heureuse. Il ne faut jamais regarder derrière.
Une vie réussie, en somme ?
Attention à l'autosatisfaction ! Il y a plein des choses qui manquent. J'aimerais avoir le temps de m'investir de manière plus personnelle dans des actions plus concrètes. Je souhaiterais avoir plus de temps pour la réflexion. Pour un enrichissement spirituel et intellectuel. On est mangé par l'immédiateté alors que le sens de l'existence interpelle. La vie va si vite !
« IL FAUT UN GOUVERNEMENT ÉCONOMIQUE MONDIAL»
Au bénéfice d'une croissance raisonnable, le chômage a diminué depuis que vous êtes ministre de l'Emploi. Encore faut-il s'entendre sur ce qu'est un emploi ! Les temps partiels, titres-services et autres formules subsidiées ne rapportent pas gros aux travailleurs concernés...
C'est une nécessité. Sans cela, on serait à 20 % de chômage avec des jeunes sans espoir. On est en pleine crise économique et si, en Belgique, elle n'a pas encore eu de répercussions importantes en termes de licenciement, c'est parce que nous avons pris des tas de mesures anticrise pour limiter la casse (chômage économique augmenté, réduction du temps de travail, etc.) 100 000 emplois ont été sauvé de cette manière. Avec les mesures win-win, on a mis plus de 80 000 personnes à l'emploi. C'est un tremplin formidable, notamment pour des jeunes sans qualifications. Les titres-services, ce sont des vrais contrats, indexés, qui sortent les personnes du travail au noir. Cela dit, l'avenir est préoccupant, une crise de l'emploi s'annonce partout en Europe.
Selon l'Institut pour le développement durable, 60 % de la croissance de l'emploi est liée en Belgique à des subsides importants de l'Etat... Or, on annonce des coupes budgétaires considérables.
La politique actuelle reste soutenable dans la mesure où il faut tenir compte de l'effet retour des subsides. Par exemple, en sortant des personnes du travail au noir, les titres-services ont un effet retour de 50 % au moins. Le win-win, ce sont des jeunes qui échappent au chômage et que l'on forme en même temps.
50 % des salariés belges gagnent moins de 1740 € nets par mois. C'est suffisant ?
On doit valoriser le travail, c'est fondamental. Je suis très sociale, mais je veux aussi que le sens de l'effort soit récompensé. Il y a des choses qui ne vont pas. Exemple parmi d'autres de piège à l'emploi : le chômeur qui gagne 1 200 euros comme chef de famille n'est pas taxé, le travailleur qui gagne à peine plus est taxé à partir de la tranche de revenu de 500 euros. Le différentiel entre celui qui travaille et celui ne travaille pas est trop faible. Il faut augmenter la quotité exonérée des revenus du travail, 6 000 euros actuellement, pour la porter à 9 000 euros, de sorte d'augmenter les salaires poches les plus bas. Dans cette tranche de revenus, cela fait quelques 250 euros net en plus par mois. Qu'il y ait de plus en plus de travailleurs pauvres est inacceptable.
Des Didier Bellens et autres qui affichent des rémunérations de plusieurs millions d'euros par an, ce sont des gens qui auraient une idée géniale par heure?
Non, je ne crois pas. Ce type de rémunérations est tout à fait excessif. Les salaires du privé pour des fonctions de ce type sont tout à fait démesurés. Ce n'est pas normal que les Premiers ministres passent leur temps à désigner des gens qui gagnent le quintuple d'eux alors qu'en tant que chefs de gouvernement, ils doivent faire face à des responsabilités bien plus importantes. Il y a une crise de la gouvernance dans le secteur privé.
Où des gens surpayés ne brillent pas nécessairement par une grande lucidité, voire provoquent des dégâts sociaux considérables...
C'est pourquoi il faut injecter une dose d'éthique dans l'économie et la finance. Un retour vers plus de régulation. Il faut une révolution internationale. On ne réalise pas à quel point ce qui arrive est dramatique. Nos démocraties n'en sont plus. Qui dirige? Les Etats, avec leurs élus légitimes, sont devenus les objets d'agences de notation, des acteurs privés qui n'ont aucune légitimité. Quand ces agences condamnent des pays qui ont investi pour sauver des banques, je me demande où l'on va ! C'est n'est plus l'idée que l'économie domine le politique. C'est encore plus grave: des groupuscules sans légitimité dictent leur loi aux démocraties du monde entier. La restauration de la primauté du politique sur l'économie est le plus grand défi du XXIe siècle. Les structures socio-économiques actuelles ne sont plus du tout adaptées à des enjeux devenus planétaires. Il faut un gouvernement économique mondial, une sorte d'ONU socio-économique.
LES ANNEES DE L' INSOUCIANCE
Février 1961, un homme heureux tient une future vice-Première ministre dans ses bras. « Mon père était professeur de français dans le réseau officiel, ma mère enseignait dans le libre. Mes parents aimaient à se détendre du côté de la mer du Nord. Sur la photo où je joue dans le sable à St-ldesbald, j'ai 3 ans. Quand je la regarde, j'ai la nostalgie de cet âge de l'insouciance. En même temps, je vois mes enfants. Comme moi, ils ont adoré construire des châteaux de sable sur la plage. Aujourd'hui encore, nous allons séjourner à St-ldesbald. Quelle continuité ! Sur la photo où nous sommes à quatre, nous posons devant la villa que mes parents avaient achetée près du bois à Loverval, là où ma maman vit
toujours. On aperçoit aussi mon frère Jean-Marc. Il a trois ans de plus que moi. Je l'adore. Il est devenu contrôleur des contributions à Charleroi. Nous étions une famille très unie. Nous le sommes restés après la mort soudaine de papa. Un cancer foudroyant, à 36 ans. Il est parti en trois mois. Je n'avais que 6 ans. Malgré ce drame, j'ai eu une enfance heureuse dans une famille très unie. Ma mère a toujours été là pour mon frère et moi. Ma grand-mère maternelle, une passionnée de littérature, me faisait lire et lire encore. Enfant, je connaissais toute la mythologie grecque sur le bout des doigts. Je pouvais réciter d'interminables poèmes. Cette grand-mère était une intellectuelle pure qui ne savait pas cuire un
poulet. Mais elle m'a ouver l'esprit. Son mari, mon grand-père, était un pharmacien très "guindailleur" qui avait son office rue Neuve à Charleroi. Je me souviens qu'à la mort du général de Gaulle, ils avaient mis un drapeau français en berne, ce qui avait surpris. »
REGARDS VERS L’AVENIR
Deux clichés pris à quelques années d'intervalle mais un même regard. Droit, direct, confiant. Comme si l'adolescente, puis la jeune femme, avait conscience d'un destin, d'une tâche à accomplir.
« J'aime beaucoup la photo au polo rayé rouge et blanc, avec mon petit sifflet. J'avais 17 ans. A ce moment-là, j'étais cheftaine lutin, comme une de mes filles l'est aujourd'hui. C'est vraiment la tête que j'avais en rétho. Je n'étais pas très conventionnelle et je ne mettais pas toujours l'uniforme. J'ai toujours beaucoup aimé m'occuper d'enfants.La deuxième photo a dû être prise en 1987. J’étais assistante parlementaire depuis peu. C'est à cette époque que je me suis découvert une véritable passion pour la gestion de l'Etat. »
ELOGE DE LA FIDELITE
« Les photos en noir et blanc datent du début des années 1980. J’étais très active à l'Université, notamment au sein du Cercle des étudiants en droit. J'ai plusieurs fois participé à la "Revue", le cliché où nous sommes entre copines en témoigne. On sortait d'un numéro de danseuses. Le thème, c'était Jésus-Christ et chaque prof était décrit sous les traits d'un personnage de cette époque. Je n'ai perdu le contact avec aucune d'entre elles. Sauf Patricia (NDLR : la femme qui porte des lunettes) : elle nous a quittés trop tôt, mais je vois encore très souvent sa fille. Deux des femmes qui sont là étaient en vacances avec moi, cet été. En fait, je suis très fidèle en amitié. La photo où l'on voit également des garçons date de la même époque, et là encore, combien d'amis sont restés dans ma vie ! L'un d'entre eux, Miche Eggermont, celui qui est assis en bas à gauche, travaille dans le bureau d'à côté comme directeur adjoint de mon cabinet. En bas, à droite, le jeune homme agenouillé s'appelait Stéphane Steinier (NDLR: devenu journaliste à la Nouvelle Gazette de Charleroi, il sera assassiné en 1988 par des personnes liées à la mafia des négriers de la construction). C'était un super copain ; ensemble, nous étions les rédacteurs en chef du journal du Cercle de droit. Cela s'appelait "Le Bègue" et j'y rédigeais notamment des critiques de films. Là où je suis déguisée en lavandière, la photo en couleur, c'est la marche de Saint-Hubert à Lover-val. J'ai toujours adoré ce folklore. D'ailleurs, j'y retourne le 4 septembre. J'invite tout le monde à nous rejoindre, il y a une ambiance du tonnerre de Dieu. »
LE TEMPS DE L'ÉPANOUISSEMENT
« Ce sont des photos de vacances prises à la plage, aux Antilles et sur l'île de la
Réunion. Elles datent du début des années 1990. Je travaillais dans des cabinets ministériels. La photo en noir et blanc date du tout début de ma carrière politique, l'époque de ma première campagne électorale, en 1995. L'enfant qui pose avec moi est mon petit Raphaël. A ce moment-
là, l'emploi était au centre de notre discours. J'étais secrétaire politique du PSC et, sans que je m'y sois vraiment destinée, j'allais devenir sénatrice. »
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