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25 Février 2010
ON N'A PAS TIRE LES LEÇONS DE «L'AFFAIRE DUTROUX»
- Enquête évoquée sur le plateau de "L'info confidentielle Paris Match" sur RTL-TVI, le dimanche 21 février 2010 et publiée dans l'hebdomadaire "Paris Match" (Belgique), le 25 février 2010 -
Dans un livre qui paraît cette semaine, l’ex-procureur du Roi de Neufchâteau revient sur les grandes affaires qu’il a eu à connaître lorsqu’il dirigeait le parquet chestrolais. Cools, Dutroux bien sûr et le cortège de débats et de polémiques qui ont entouré ces dossiers hors normes. Mais aussi «l'affaire Fourniret», à propos de laquelle Michel Bourlet (photo de gauche) déplore que le juge d'instruction Connerotte seul juge belge légalement compétent pour instruire les deux derniers assassinats de jeunes filles commis par le pervers, ait été privé, dès juin 2003, comme sa collègue Doutrèwe en juillet 1995, des informations capitales qui l'auraient autorisé à l'inculper et à le placer sous mandat d'arrêt II s'interroge également sur les circonstances qui ont fait que, malgré son lourd passé de pervers sexuel et les multiples agressions et autres délits commis depuis sa sortie de prison en France à la fin des années 1980, et en Belgique à partir de son installation à Gedinne en 1993, Fourniret (photo de droite) n'ait pas été pointé du doigt plus tôt, en France comme en Belgique, quand il était encore temps de l'empêcher de commettre d’autres méfaits irréparables. Le magistrat émérite constate : «Si tout avait fonctionné normalement, comme le législateur lavait souhaité à la suite des dysfonctionnements de "l'affaire Julie et Mélissa", Fourniret aurait pu être empêché de nuire avant qu'il ne s'attaque à Mananya Thumpong, la dernière de ses victimes décédées».
Au moment de prendre sa retraite, en mars 2009, l'ex-procureur du Roi de Neufchâteau n'avait que des projets de voyages, de lectures et de promenades dans les bois de Nollevaux. Là où se trouve l'ancien moulin qu'il habite, tout près des chemins qu'empruntaient naguère le jeune Paul Verlaine et son père pour se livrer à la traque au loup. Le temps était venu aussi de consacrer plus de temps à son épouse, Dominique, avec laquelle il vient encore de passer quelques jours de détente en baie de Somme. Il y a encore tellement à voir, à faire, à lire quand on n'a que 61 ans. Un âge auquel, d'ailleurs, pour la première fois, Michel Bourlet a mis les pieds hors du continent européen. Prochainement encore, il prendra son envol vers la Bolivie où travaille l'une de ses trois grandes filles, devenues femmes.
Avec des faux airs de Donald Sutherland de plus en plus avérés, le proc', alors qu'il venait d'accéder à l'éméritat, rêvait donc de soigner ses rosiers. Dans le calme retrouvé, avec la constance du jardinier. Il s'agissait de prendre du recul, de flâner dans la campagne azurée, ouvert sur le monde certes, mais peut-être aussi enfin sur soi, à la recherche d'une forme de paix intérieure. Une continuité car, de toute manière, empruntant à la sagesse du poète François de Maucroix dont la lecture lui a enseigné que c'est «loin des lieux fréquentés » que l'on peut « jouir des beautés dont la terre est parée», Bourlet n'a jamais été un courtisan, un mondain ou un ambitieux. Parlons plutôt d'une tête de bois ou d'un curieux mécréant, donc d'un emmerdeur, qui a toujours gardé un peu du gauchiste révolutionnaire mais pacifique qu'il fut, du temps des (petites) barricades de mai 68 à l'Université de Liège.
Malgré tout, une idée de livre trottait dans la tête de ce gentleman. Pas un bouquin où il étalerait des souvenirs vite écrits. Vite et beaucoup vendus. Et vite oubliés. Il pensait plutôt à un roman dont l'action se situerait dans le Congo colonial du XIXe siècle. Voilà qui était un beau projet pour ce passionné de littérature et d'histoire dont la volumineuse bibliothèque personnelle ferait pâlir d'envie certains libraires. Pas question de ressasser ses vingt-trois années de sacerdoce judiciaire passées dans ce vieillot palais de province parfois devenu, par le fait de prédateurs et d'assassins, le centre du monde, le lieu de rendez-vous de la presse belge et internationale. A quoi bon reparler de Dutroux et de l'enquête sur l'assassinat d'André Cools - pardon, de l'affaire dite «des titres volés», car c'est du pareil au même ? Regarder plutôt devant, élargir le spectre. Reprendre une vie sociale autrefois handicapée par un emploi du temps trop nourri, aller chanter dans la chorale d’Anloy, participer activement aux réunions de la Société des amis d'Octave Mirbeau.
Octave Mirbeau ? Un écrivain et journaliste français, très critique, quelque peu subversif et anarchiste, dont la plume trempée dans le vitriol connut un grand succès au début du siècle passé. Il a notamment écrit cette phrase : «Je n'ai pas pris mon parti de la méchanceté et de la laideur des hommes. J'enrage de les voir persévérer dans leurs erreurs monstrueuses, se complaire à leurs cruautés raffinées... Et je le dis». Ce qui nous conduit au vif du sujet, c'est-à-dire à dire au livre que Michel Bourlet a tout de même, finalement, avec la force de l'indignation, écrit sur les grandes affaires criminelles à propos desquelles il a eu le devoir de requérir. Cette citation, il l'a mise d'ailleurs en avant-propos de «La Traque au loup», son ouvrage, arrivé hier dans les librairies. C'est en effet de voir reproduit dans «l'affaire Fourniret» les mêmes dysfonctionnements que ceux constatés dans «l'affaire Dutroux» que Michel Bourlet n'a pu prendre son parti.
Il en a touché quelques mots, ce dimanche déjà, dans «L'Info confidentielle Paris Match» sur RTL-TVI. Il nous l'a précisé en nous recevant dans sa maison au bout de nulle part, perdue dans une forêt du Luxembourg, « accessible » par une route même pas déneigée. Après avoir joué de la pelle tel un cantonnier pour nous créer une place de parking, le procureur du Roi, en jeans et pull, a retiré ses bottes pour nous conduire jusqu'au salon de lecture de sa rustique demeure. Nous voici maintenant assis dans des fauteuils en cuir qui se font face, lumière tamisée, entourés de livres ; le poêle à bois diffusant une réconfortante chaleur alors qu'il s'attelle à nous faire la démonstration que des négligences coupables et d'inacceptables rétentions d'information ont dû être déplorées dans la traque du loup qui ensanglantait l'Ardenne.
Michel Bourlet : «Dans le dossier Fourniret, mes collègues de Dinant me semblent avoir gardé pour les collègues français des informations qu'ils avaient le devoir de transmettre aussi au juge d'instruction de Neufchâteau. Au moment où je les ai vécus, ces dysfonctionnements, ces fautes, m'avaient déjà interpellé et découragé. J'oserais même dire - et je l'ai d'ailleurs écrit dans mon livre - que cela m'a inspiré du dégoût pour le milieu professionnel dans lequel j'ai œuvré pendant près de trente-cinq ans. Mais la retraite que j'avais choisie m'incitait à tourner la page. Je ne pensais donc pas écrire de livre sur ce sujet ou d'autres affaires. Je l'avais d'ailleurs déclaré à Vrebos lorsque je m'étais rendu l'an dernier, une grande première en ce qui me concerne, dans son émission dominicale ».
«Et puis, en mars 2009, il m'a pris l'envie de regarder un reportage de « Faites entrer l'accusé» sur «l'affaire Fourniret». C'est alors que j'ai été stupéfait d'entendre les déclarations d'un chef d'enquête du SJA Dinant J'apprenais que lors des perquisitions de juin 2003 dans le véhicule de Fourniret, un cheveu de type asiatique, morphologiquement identique à celui de la victime Mananya Thumpong, avait été découvert. Et que, dès ce moment, c'est-à-dire aussitôt après l'arrestation du suspect, la conviction était née qu'il était bien l'auteur de l'assassinat de la petite Sedanaise ! »
«C'est tout à fait aberrant que mes collègues de Dinant aient gardé pour eux ce lien objectif entre le dossier Thumpong et Fourniret. En juin 2003, il n'y avait qu'un seul magistrat instructeur qui était saisi en Belgique de l'assassinat de la jeune Mananya, et c'était le juge Jean-Marc Connerotte de Neufchâteau ! Lequel, comme moi, pensait déjà à ce moment que Fourniret était l'homme qu'il recherchait dans son dossier Thumpong, mais aussi dans celui relatif à l'assassinat d'une autre jeune française, Céline Saison, dont on avait retrouvé le corps en juillet 2000 dans le bois de Sugny ».
«Après avoir éteint ma télévision, ce soir de mars 2009, j'étais extrêmement contrarié. C'était la goutte qui faisait déborder le vase. Je ne pouvais plus rester les bras croisés. Comme la juge Doutrèwe dans "l'affaire Dutroux", Connerotte et mon parquet de Neufchâteau auraient volontairement été mis hors jeu, non pas seulement par des policiers du SJA de Dinant mais aussi par un juge d'instruction et le procureur du Roi de Dinant. Sans parler des autorités françaises qui, instruisant elle aussi les dossiers Thumpong et Saison, portent également une lourde responsabilité dans le fait que Fourniret n'ait pas été arrêté plus tôt. Je veux dire en temps utile, avant qu'il ait eu le temps de tuer sa dernière victime. »
Pour comprendre toute la portée des propos de Michel Bourlet, il n'est pas inutile de rappeler la chronologie des faits, ce qui permettra de mieux appréhender aussi une autre indignation exprimée par le magistrat émérite : «II n'y a pas eu que de la rétention d'information. Précédemment, il y a eu aussi des négligences que je ne m'explique toujours pas dans le chef des Carrefours d'information d'arrondissement (CIA) concernés (1) et des services policiers français. Le nom du suspect Fourniret aurait dû sortir deux ans plus tôt et être communiqué au juge d'instruction de Neufchâteau et à ceux de Charleville. Je dirais même plus : il ne pouvait pas ne pas sortir. Ces dysfonctionnements se sont produits avant que Fourniret ait enlevé et tué Mananya Thumpong. Sans ceux-ci, il y aurait une victime décédée en moins sur la longue liste du prédateur. »
Venons-en à la chronologie.
Le 22 juillet 2000, des randonneurs découvrent des ossements dans le bois de Sugny, en Belgique mais tout près de la frontière française. La victime est rapidement identifiée comme étant Céline Saison, 18 ans, disparue à Charleville en mai de la même année. Les autorités judiciaires françaises et belges se mettent d'accord pour travailler en parfaite collaboration. Côté belge, l'affaire sera instruite par le juge Jean-Marc Connerotte qui travaillera avec deux enquêteurs de la BSR de Dinant (laquelle, en 2001, lors de la réforme des polices, se fondra bientôt dans le SJA de Dinant). Côté français, l'assassinat de Céline est instruit par le juge d'instruction Préaubert qui pilote des enquêteurs du SRPJ de Reims.
Après quelques semaines d'investigations, encore en 2000, Connerotte et ses enquêteurs ont une idée précise du profil de l'auteur qu'ils pistent. Ils font passer le message aux CIA d'Arlon, de Neufchâteau et de Dinant, ainsi qu'à toutes les polices du royaume et à leurs collègues français de Charleville et de Reims. Michel Bourlet précise. «Connerotte voulait les noms de tous les auteurs d'agressions sexuelles déjà condamnés ou suspectés qui habitaient dans la région de la découverte du corps de Céline, que ce soit d'un côté ou de l'autre de la frontière. Il pouvait aussi simplement s'agir de personnes ayant des intérêts dans cette région. Il élargissait le spectre aux auteurs de tentatives d'enlèvement et d'"agissements suspects". Le juge d'instruction de Neufchâteau attirait l'attention sur le fait que le tueur pouvait avoir des occupations dans le domaine forestier. Il demandait d'être particulièrement attentif aux renseignements pouvant ressortir dans plusieurs localités (Bouillon, Libramont, Bertrix, Paliseul, Vresse-sur-Semois, Bièvre et Gedinne). Des noms de suspects seront effectivement fournis, mais jamais celui de Fourniret. C'est à ce moment que se manifestent les premières "anomalies" dans la transmission d'informations. Mais nous n'en prendrons conscience que bien plus tard. »
Début mai 2001, Mananya Thumpong (ici sur la photo) disparaît à Sedan. Le 1er mars 2002, son corps est retrouvé dans une sapinière à Nollevaux, à quelques centaines de mètres de la demeure de Michel Bourlet. Il se souvient : «On a tout de suite eu le sentiment que "l'affaire Saison" et celle-ci pouvaient être liées. Le juge d'instruction Connerotte et les enquêteurs du SJA local de Neufchâteau ont hérité de ce nouveau dossier. Ils travailleront en étroite collaboration avec les deux policiers de Dinant toujours saisis de l'affaire Saison. Avec le flair qui le caractérise, Connerotte avait dans l'idée que le prédateur habitait bien la région. Toutefois, il n'avait reçu aucun renseignement lui permettant de s'intéresser à Fourniret. Dans les jours suivant la découverte de Mananya, ses enquêteurs réuniront beaucoup d'éléments permettant de lier les deux affaires : même type de victime, l'auteur devait avoir une connaissance des lieux où il enlevait les jeunes femmes et de ceux où il déposait leurs cadavres, même processus lors des enlèvements. On a commencé à vivre dans la hantise. Le loup courait dans la région. Un nouvel enlèvement suivi d'une découverte macabre pouvaient arriver à tout moment. »
Une année et demie passe. Le 26 juin 2003, un homme tente d'enlever la petite Marie Assomption à Ciney. L'adolescente de 13 ans parvient à s'échapper et a porter plainte. L'auteur, qui roulait dans une camionnette blanche, est identifié et arrêté. Il correspond en plusieurs points au profil du tueur que Connerotte piste depuis 2000 : c'est un forestier, il habite depuis 1992 à Gedinne et les policiers français préciseront rapidement qu'il s'agit d'un personnage connu pour des faits de moeurs, de vol et d'armes... «A partir de ce moment, nous irons de surprise en surprise», explique Michel Bourlet. «Très peu de temps, après l'arrestation de Fourniret, il apparaîtra qu'il était déjà connu dans l'arrondissement judiciaire de Dinant pour des "agissements suspects" commis le 19 avril 2001 dans les environs de Rochefort ! Quinze jours avant l'enlèvement de Mananya Thumpong, il avait harcelé une jeune femme qui roulait à vélo. Celle-ci avait pris note de la plaque de sa camionnette blanche et la plainte qu'elle avait déposée avait été enregistrée par le Parquet de Dinant. Ce fait n'avait donc jamais été porté à la connaissance du juge Connerotte par le CIA de Dinant. Dommage... » Après l'arrestation de Fourniret, le juge Connerotte et ses enquêteurs des dossiers Saison et Thumpong ont l'intention d'aller perquisitionner chez Fourniret, mais cet acte d'instruction leur échappe car l'affaire de l'enlèvement de Marie Assomption à Ciney - celle qui a valu à Fourniret d'être placé sous mandat d'arrêt - a été mise à l'instruction chez le juge d'instruction dinantais Bernard Claude. « Dans un premier temps, ce magistrat disait ne pas voir de nécessité de perquisitionner la maison de Fourniret puisque, dans le dossier qu'il instruisait, la victime n'avait pas été amenée jusque-là. Il ne voyait pas non plus l'intérêt d'autoriser les enquêteurs de Connerotte à entendre Fourniret. Seul un examen approfondi de la camionnette lui semblait utile. Connerotte a donc été bloqué dans son élan et, à partir de là, deviendra comme moi un simple spectateur, découvrant dans la presse les évolutions d'une enquête dont il était saisi ! »
«C'est ainsi que, début juillet 2003, sans que nous ayons eu connaissance d'éléments nouveaux qu'auraient trouvé les enquêteur du juge Claude, nous découvrirons par les médias qu'il y avait des travaux de terrassement et des fouilles réalisées avec des chiens cadavres dans la propriété de Fourniret à Gedinne. A la fin du mois de juillet, les enquêteurs du juge Connerotte parviendront tout de même à auditionner Fourniret et c'est à ce moment que mon office découvre l'ampleur de ses antécédents. Il raconte les agressions sexuelles pour lesquelles il a été condamné à plusieurs reprises depuis le début des années 60. On apprend aussi qu'il a été arrêté en juin 1989 à Verdun où il s'est attaqué à une automobiliste suisse avec une arme. Des faits pour lesquels ce récidiviste n'a pris que quinze mois de prison dont neuf avec sursis, car il avait bénéficié d'un effacement de son casier. Lorsqu'il sort de prison, c'est pour vivre en Belgique mais les Français ne peuvent pas dire qu'ils perdent sa trace car, en av 1996, il apparaît encore dans une affaire d'armes volées - de: pistolets pris au poste de l'Air et des Frontières - à Givet. Je sais, car c'est mon parquet qui a dénoncé ces faits au Parquet de Charleville après que Fourniret eût tenté de revendre l'uni des armes volées à Saint-Hubert. Donc, le 27 avril 1996, un juge d'instruction français avait perquisitionné chez lui à Gedinne et à Bougnimont ! Les enquêteurs français avaient trouvé sa camionnette blanche mais pas les armes. Il avait été arrêté sans que nous ayons ensuite connu les suites de ce dossier. Pour moi, à l'époque, aucun renseignement n'en faisait un suspect mœurs».
Pour les magistrats et policiers français non plus, vu l'effacement du casier de Fourniret ? Ce qui expliquerait qu'au mo ment où Connerotte demandait des renseignements en 2000 le forestier ne lui ait pas été signalé ? « On aurait pu le croire jusqu'à ce que nous découvrions, le 11 juillet 2003, par un article de Marc Metdepenningen dans Le Soir, le contenu de "fiches de police et de gendarmerie françaises" qui renseignaient tous les antécédents du personnage (onze faits de mœurs en 1983 qui lui ont valu une condamnation à sept ans de prison, des attentats à la pudeur, des tentatives de viol...). D'un côté, il y avait donc ces fiches. De l'autre, le dossier de Verdun, celui des armes en 1996 avec la localisation par les policiers et magistrats français de Fourniret en Belgique. Et vous êtes maintenant en mesure d'apprécier à sa juste valeur le fait que les Français ne nous aient jamais signalé Fourniret comme suspect potentiel dans le dossier Saison. S'ils l'avaient fait, Connerotte l'aurait perquisitionné et empêché de nuire avant qu'il s'en prenne à ses deux dernières victimes, dont l'une, Mananya, est décédée. C'est certain : il avait conservé des pièces à convictions, des fragments de ficelle retrouvés à Sugny notamment, qui auraient déjà permis de le lier à "l'affaire Saison"... »
Mais le nom de Fourniret aurait pu sortir beaucoup plus vite en Belgique aussi. Nous avons déjà évoqué les faits d'avril 2001 à Rochefort, mais selon Michel Bourlet, le CIA de Dinant aurait dû transmettre à Neufchâteau des informations encore plus parlantes. «C'est en lisant La DH-Les Sports du 18 septembre 2003 que j'ai appris que Fourniret venait d'être inculpé pour une tentative d'enlèvement commise à Gedinne, le 12 février 2000, sur une jeune fille de 14 ans ! A l'époque, la victime avait donné une description précise de son agresseur et de sa camionnette blanche. Encore un "agissement suspect" qu'il aurait été capital de connaître dans l'instruction de "l'affaire Saison", enlevée par Fourniret peu de temps après le tentative ratée de Gedinne. Mais le CIA de Dinant ne nous l'a pas donné en 2000. Ni après les faits d'avril 2001. Pourtant, dans les deux cas, il y avait une plaignante, des agissements suspects, une camionnette blanche et même le numéro de plaque de l'auteur qui était domicilié dans l'entité de Gedinne ! Cela relève de la négligence grave, car ces informations mises ensemble auraient permis à Connerotte d'arrêter Fourniret avant l'enlèvement de la jeune Thumpong et d'avoir un motif suffisant pour perquisitionner sa camionnette et sa maison ».
«Plus tard, lors de l'instruction menée par le juge Claude, nous n'avons toujours pas reçu ces renseignements. Et combien d'autres encore, comme le cheveu de Mananya évoqué dans "Faites entrer l'accusé". Si ce dernier détail s'avère conforme à ce qu'en a dit le policier dinantais à la télévision française, il s'agit clairement d'une rétention d'information ! Le fait qu'on ait, en plus, appris tout ce qui concernait les dossiers de Connerotte dans la presse, au compte-gouttes, rend ces entorses à l'éthique et la loi encore plus inacceptables. En fait, malgré que nous nous en soyons plaints lors de réunions au Parquet général en septembre 2003, nous n'avons reçu jusqu'à la fin que des informations incomplètes de Dinant. Notamment en ce qui concerne les traces, cheveux et prélèvements réalisés lors des perquisitions faites sous la direction du juge Claude. Des enquêteurs du juge Connerotte en arriveront à faire un rapport dénonçant l'impossibilité de remplir leur mission dans un tel contexte. Ensuite, ils ne seront plus conviés aux réunions des enquêteurs du juge Claude... En novembre 2003, c'est encore dans la presse qu'on apprendra que l'inventaire des traces et cheveux trouvés lors des perquisitions de juin était terminé».
«Connerotte étant empêché de poursuivre normalement son instruction, on a alors demandé la médiation du Parquet fédéral. Cela débouchera sur une réunion, le 28 novembre 2003, où le procureur du Roi de Dinant affirmera qu'il n'y avait aucun lien concret dans le dossier du juge Claude avec les dossiers instruit par le juge Connerotte ! Il ira même jusqu'à souhaiter que l'enquête de Neufchâteau sur Fourniret soit mise en sourdine. Et pendant ce temps-là, le chef d'enquête du juge Claude faisait des réunions avec les enquêteurs français à propos de victimes dont le dossier était instruit par le juge Connerotte. Dans ce contexte où il n'était pas possible de travailler, j'ai finalement accepté le principe d'un dessaisissement de Connerotte - un de plus - dans ces dossiers Saison et Thumpong au profit des magistrats français».
On s'interrogera évidemment sur le mobile des rétentions d'information dénoncées par Michel Bourlet. L'ex-procureur du Roi de Neufchâteau a une hypothèse : «J'ai toujours été frappé par la propension qu'avaient certains intervenants dans la justice pénale en Belgique à faire une crise d'urticaire chaque fois que Connerotte se trouvait être chargé d'une affaire importante débordant les limites du seul territoire de l'arrondissement qui était le sien. En l'espèce, les deux crimes ayant été constatés dans l'arrondissement de Neufchâteau, il était évidemment compétent au même titre que ses collègues français, et personne n'y a trouvé à redire avant que le véritable auteur n'ait été identifié. Le jour où Fourniret est apparu, tout a basculé. Tout cela s'est passé à quelques mois seulement de l'ouverture des assises d'Arlon qui devaient juger Dutroux et consorts. Etait-il contre l'esprit du temps que le juge d'instruction Connerotte arrive triomphant, au début de ce procès, en ayant arrêté un nouveau tueur en série ? Après qu'il ait eu raison dans "l'affaire Cools", qu'il ait libéré Sabine et Laetitia et retrouvé Julie, Mélissa, An, Eefje et Loubna, cela aurait-il été un succès de trop ? A l'aube du procès Dutroux, voulait-on conserver Connerotte dans ce rôle d'imbécile qui ne respectait pas la procédure ? Avait-on peur que son aura soit renforcée auprès de l'opinion et des jurés ? Je m'interroge en tout cas sur les circonstances qui ont permis à Dinant de s'autoriser de telles rétentions d'information. Jusqu'à quel niveau de pouvoir ont-ils été couverts pour faire cela ? Et je garde encore en travers de la gorge une conversation que j'ai eue avec un magistrat dinantais, le 1er mars 2004. C'était au soir de la première audience du procès Dutroux et il m'a dit : "Ne t'en fais pas, Fourniret, on le tient. Il ne sortira plus." Mais à l'époque, Dinant n'était saisi que de la tentative d'enlèvement de Marie Assomption ! Après tout cela, je n'ai été que moyennement surpris d'apprendre, au lendemain du verdict de la cour d'assises d'Arlon, que toute l'horreur de "l'affaire Fourniret" venait enfin d'éclater avec les aveux d'Olivier, suivis bientôt de ceux de Fourniret ».
(1) Les CIA (Carrefour d'information d'arrondissement) existent dans chaque SJA (Service judicaire d'arrondissement). Leur mission est d'assurer une gestion intégrée des informations de police judiciaire et de police administrative provenant des polices locales et fédérales, dans le but d'améliorer l'analyse criminelle et d'appuyer les enquêteurs dans leur travail de recherche et d'élucidation.
DE PETITS MAGISTRATS DE PROVINCE
Michel Bourlet a, de toute évidence, la plume facile. Et habile. En un pet plus de 250 pages, avec quelques digressions poétiques ou historiques, il not révèle un point de vue inédit sur les affaires «Cools» et «Dutroux» et, on I' lu ici, sur «l'affaire Fourniret». On en ressort avec un sentiment de respect pour ce magistrat en comprenant mieux l'iniquité des procès en sorcellerie dont il a été l'objet. Dans «l'affaire Cools», une campagne médiatique lui ta un costume, à lui mais aussi au juge Connerotte, de «petits magistrats de province, plus habitués aux vols de poule qu'aux grosses affaires politiques». M, c'est Connerotte et Bourlet qui avaient raison de chercher la solution dans h faire dite des «titres volés». Dans «l'affaire Dutroux», certains journalistes ont oeuvré pour engluer le procureur du Roi de Neufchâteau dans le débat «croyants - non-croyants» en les réseaux de pédophilie... On peut dire que dans ce livre ils reçoivent la monnaie de leur pièce, Bourlet renvoyant ses contempteurs à leurs contradictions et incohérences avant de démontrer avec moult arguments qu'il n'a toujours été que d'un seul camp : celui de ceux qui croient en rien, mais cherchent à établir des faits pour approcher de la vérité.
« AFFAIRE DUTROUX » : LE COMPTE EST-IL BON ?
En janvier 2010, le procureur général de Liège confiait à l'agence Belga que « parmi les 55 cheveux découverts (lors des perquisitions chez Dutroux en 1996), 53 avaient été identifiés comme appartenant à Marc Dutroux, Michelle Martin, à certaines de leurs victimes et à d'autres personnes ayant été impliquées d'une manière ou d'une autre dans le dossier Dutroux. Les deux cheveux qui n'avaient pas pu être identifiés ont fait l'objet d'examens complémentaires permettant une identification génétique complète d'un cheveu et une identification partielle du second. Grâce à la banque de données de l'Institut national de criminologie et de criminalistique (INCC), on a pu constater que le cheveu identifié se retrouvait dans un autre dossier judiciaire actuellement à l'instruction. » Quelques jours plus tard, il apparaîtra que le profil identifié était le même que celui d'un membre de l'INCC. «Il apparaît dès lors que la seule trace qui pouvait donner lieu à investigation par le Parquet de Neufchâteau doit être éliminée et qu'aucune autre investigation ne peut être menée sur base de l'analyse des cheveux recueillis dans le dossier "Dutroux bis" », en concluait le procureur général de Liège.
Ce développement récent de «l'affaire Dutroux» laisse Michel Bourlet fort perplexe. «Quand j'ai quitté le parquet de Neufchâteau en mars 2009, il était question d'une vingtaine profils d'ADN d'inconnus identifiés à partir de traces retrouvées dans la cache qu'il convenait de comparer avec la banque de données de l'INCC. Je n'ai entendu aucun commentaire à ce propos. Est-ce à dire que ces comparaisons-là n'ont rien donné ? En ce qui concerne les cheveux, il faut rappeler qu'au départ, il y en avait 6 600 et qu'après analyses macro et microscopiques, il était toujours question de faire analyser génétiquement 885 cheveux qualifiés de "pertinents". Ce chiffre a d'ailleurs été communiqué à la presse par le PG lui-même en janvier 2009. Dès lors, à quoi réfère cette donnée de 55 cheveux ? Sont-ce des cheveux pour lesquels on disposait déjà d'un profil génétique ? Aurait- on renoncé à analyser les 885 cheveux encore jugés pertinents en 2009 ? Qu'en est il aussi de cette bourde commise à l'INCC ? Je n'en comprends pas le mécanisme : la per sonne qui a pollué les résultats, si elle est de l'INCC, n'est certainement jamais allée dans la cache le jour du prélèvement, c'est-à-dire le 15 août 1996 ; c'est donc au moment de la manipulation des cheveux (ou de leur profil génétique) à l'INCC que l'erreur s'est passée. Et elle se serait produite deux fois, dans deux dossiers différents... Comment l'INCC a-t-elle donné un premier rapport identifiant le profil génétique d'un de ses membres alors que lesdits membres sont censés être répertoriés dans la banque de données de l'Institut ? Je m'étonne qu'une telle bavure n'ait pas créé plus d'émoi dans l'opinion publique et dans les sphères politique et judiciaire ! »
Inédit
Dans son livre publié aux Editions Luc Pire, Michel Bourlet nous livre un témoignage inédit sur les grosses affaires qu'il a eut à connaître alors qu'il était magistrat.
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