Enquête publiée dans l'hebdomadaire belge "Ciné-Télé Revue", le 22 juin 2006
Comme nous le révélions au début de ce mois, l’ICDI (Intercommunale de collecte et de destruction des immondices) a bel et bien déversé des milliers de tonnes de déchets hautement toxiques (ils contenaient des métaux lourds et des dioxines) dans une ancienne carrière située à Bouffioulx (entité de Châtelet). Ce crime environnemental est d’autant plus grave que le dépotoir utilisé à cet effet est décrit par les géologues comme un site extrêmement fragile (sol calcaire perméable, eaux souterraines).
Tant devant le nouveau comité directeur de l’ICDI que dans le cadre d’une information judiciaire ouverte par le parquet de Charleroi plusieurs membres du personnel de l’ICDI dont le directeur d’exploitation de l’époque, ont d’abord admis les faits… Suivis ensuite par le président du nouveau comité de direction de l’ICDI, Roland Marchal (PS).
Par ailleurs, une instruction a été ouverte sur les deux autres volets révélés par nos investigations : faux et usage de faux dans le cadre du pesage des camions au parc à conteneur de Couillet et broyage de matériaux amiantés dans des conditions qui ont pu mettre en péril la santé des travailleurs du site. A cet égard, on signalera que tous les témoins que nous avions pu rencontrer dans le cadre de notre enquête journalistique ont confirmé en justice ce qu’ils nous avaient révélé. A ce nombre, au cours de ces deux dernières semaines, se sont ajoutés de nouveaux témoins et des aveux «partiels» de certaines personnes mises en causes.
Cette semaine, nous donnons la parole au professeur Léonard Hocks (Institut supérieur industriel de Bruxelles). Ce spécialiste qui étudie notamment les aspects environnementaux des productions industrielles n’est pas tendre pour les anciens gestionnaires de l’ICDI. A propos des «cendres volantes» déversées sans aucune mesure de précaution à Bouffioulx, il est très clair : «Il faut plus parler ici d’un manque de sens des responsabilités que d’une inconscience liée à une époque où l’on ne savait pas ce que l’on faisait». «Sidéré» par les pratiques de l’ICDI pendant l’ère Cariat, ce professeur de chimie industriel annonce aussi une mauvaise nouvelle aux riverains du dépotoir Moreau : «Il faudra encore être vigilant pendant des dizaines d’années.»
Comme nous le confiaient des membres du personnel de l’ICDI, cette décharge de Bouffioulx est bel et bien une bombe à retardement… Enfin, nous avons aussi continué notre enquête de terrain, à Bouffioulx. Celle-ci nous a permis de trouver un témoignage aussi inédit qu’interpellant, celui d’Hervé Lardinois qui habite à cent mètre de l’ancienne carrière Moreau : «L’eau de mon puits a été polluée par leurs déchets toxiques», révèle-t-il.
Le 7 juin dernier, devant le nouveau comité de direction de l’ICDI, Freddy S. un employé de l’intercommunale a confirmé ce que nous avions révélé quelques jours auparavant : entre 1978 et 1995, les cendres volantes de l’incinérateur de Pont de Loup ont bel et bien été déversées à Bouffioulx, dans une ancienne carrière que l’ICDI utilisait comme dépotoir. Le même jour, dans l’après-midi ces premiers aveux étaient complétés par ceux de Jean-Louis P., le directeur d’exploitation de l’ICDI. Au lendemain, c’est Roberto F., un autre employé de l’ICDI qui a une formation de chimiste, qui complétait les témoignages de ses deux collègues devant les nouveaux dirigeants de l’Intercommunale.
De bonne source, nous savons par ailleurs que les déclarations formulées en interne par les membres du personnel de l’ICDI ont aussi été confirmées tant dans le cadre des interrogatoires réalisés par la DPE (police de l’environnement) que dans celui de l’information judiciaire ouverte par le parquet de Charleroi. Dans les débats dominicaux du 11 juin, par la bouche de son président ad interim, Roland Marchal (PS), l’ICDI a donc bien dû reconnaître les faits, tout en cherchant à en minimiser la portée au travers d’arguments douteux sur le plan scientifique.
Pour comprendre les termes du débat, il n’est sans doute pas inutile de rappeler ici quelques notions de bases relatives au fonctionnement des incinérateurs d’ordures ménagères. Après incinération des déchets, deux types de résidus doivent être évacués. D’une part, il y a les mâchefers : des déchets solides qui ressemblent à des cailloux et qui sont formés par tout ce qui a résisté à l’incinération. Par ailleurs, et c’est nettement plus problématique à gérer sur le plan environnemental, les usines d’incinération doivent aussi veiller à épurer les fumées qu’elles rejettent dans l’atmosphère. C’est ainsi que des électrofiltres récupèrent les poussières fortement toxiques provoquées par l’incinération. Ce sont ces poussières que l’on appelle les «cendres volantes», les «suies» ou encore les «fines» dans le langage courant utilisé par les professionnels de l’incinération.
Alors que, désormais, il est établi que plusieurs milliers de tonnes de ces «cendres volantes» ont été déversées dans une carrière au sol calcaire très perméable à Bouffioulx, il nous a semblé utile de faire le point avec un expert indépendant qui connaît particulièrement bien la problématique des poussières d’électrofiltre. Le professeur Léonard Hocks enseigne la chimie industrielle et les aspects environnementaux des productions industrielles à l’ISIB (Institut supérieur industriel de Bruxelles) et vous allez constater qu’il n’est pas tendre à l’égard des anciens responsables de l’ICDI.
- Afin de relativiser la portée de l’acte qui a consisté à déverser des milliers de tonnes de cendres volantes dans le dépotoir de Bouffioulx, le président actuel du conseil de direction de l’ICDI, Roland Marchal (PS), a notamment déclaré qu’au moment des faits, soit entre 1978 et 1995, on ne connaissait pas grand-chose de la toxicité de ces déchets. Est-ce un argument recevable ?
-Léonard Hocks : Cet argument ne me semble que très partiellement recevable. Soyons un peu logique : dès que l’on a créé des usines d’incinération d’ordures ménagères en Belgique, celle-ci ont été pourvues d’électrofiltres dont le but était justement d’éviter que ces cendres volantes s’évacuent dans l’atmosphère. Si on a décidé de «dépoussiérer» ces fumées, c’est tout de même parce qu’on avait conscience que les cendres volantes n’étaient pas sans danger pour l’environnement et la santé publique! On savait donc d’emblée que ces fines particules très volatiles étaient des déchets qui méritaient d’être traités avec beaucoup de précaution. Bien sûr, on peut ergoter. Et par exemple défendre l’idée que dans la période qui se situe entre 1978 et la fin des années ’80, on ne connaissait pas encore avec précision, c’est-à-dire au travers d’études scientifiques spécifiques, la composition exacte de ces cendres volantes… Mais encore une fois, cette attitude me paraît peu crédible car le simple bon sens permettait de se douter que ces poussières étaient inévitablement chargées de métaux lourds et d’autres produits toxiques issus de l’incinération des ordures. C’était une évidence depuis que l’on a créé des incinérateurs.
- Soyons très précis. Vous nous dites qu’avant la fin des années ’80, on pouvait se douter que ces «cendres volantes» étaient dangereuses et qu’ensuite ce danger est objectivé par des études scientifiques?
- Oui, à partir de la fin des années’80, on connaît très précisément la composition de ces particules qui sont chargées de toutes sortes de métaux lourds (cadmium, plomb, zinc, mercure, nickel, chrome, manganèse …). On a donc objectivé d’une manière scientifique qu’il s’agissait de déchets très dangereux.
- Or, il est établi que l’ICDI pratique son déversage à Bouffioulx jusqu’à fin 1995. Et en plus, dans une ancienne carrière dont le sol calcaire se trouve au-dessus de nappes d’eau souterraine… Comment qualifier cet acte ?
- En fonction de ce que je viens de vous expliquer, il faut bien admettre qu’il faut plus parler ici d’un manque de sens des responsabilités que d’une inconscience liée à une époque où l’on ne savait pas ce que l’on faisait. En d’autres termes, même dans les années ’80, une gestion raisonnablement prudente de ce type de déchets impliquait qu’on ne les déverse pas dans un site géologique de cette nature. Il fallait plutôt chercher un endroit avec du sol argileux, c’est-à-dire un sol très peu perméable, certainement pas une ancienne carrière avec un sol calcaire et fissuré qui bien évidemment laisse passer beaucoup plus facilement les éléments polluants vers les nappes d’eau.
- C’est d’ailleurs ce qu’ont fait d’autres intercommunales. Par exemple, en 1980, Ipalle qui brûle les ordures ménagères dans le Tournaisis a demandé à des géologues de lui indiquer un site où les mâchefers et les cendres volantes pourraient être déversés sans faire trop de casse sur le plan environnemental. Ce n’est qu’une fois que ce site a été trouvé à Thumaide qu’un permis d’exploiter a été demandé à la députation permanente du Hainaut et que l’on a construit un incinérateur à proximité immédiate pour éviter le transport de ces matières dangereuses sur les routes…
- Oui cela montre que l’argument du passé doit être fortement relativisé. Je connais aussi d’autres exemples où les gestionnaires d’incinérateurs envoyaient les cendres volantes en décharge de classe 2. Ce n’était sans doute pas l’idéal mais c’était déjà plus raisonnable que ce qui a été fait à Bouffioulx.
- Un autre argument qui est utilisé par le président de l’ICDI pour minimiser la gravité des faits est de prétendre que son intercommunale mélangeait les mâchefers et les cendres volantes. Et que, partant, les cendres volantes étaient «inertées», ce qui voudrait dire qu’elles devenaient moins toxiques ?
- Alors là, franchement, c’est un argument qui n’a aucune pertinence sur le plan scientifique. Ca ne correspond à rien de sérieux que d’aller affirmer des choses pareilles! Et puis de quel mélange parle-t-on ? J’ai lu les témoignages des ouvriers de l’ICDI dans votre enquête : les chauffeurs de camions de cette intercommunale allaient mettre leur conteneur en dessous du silo à cendres volantes et puis ils déversaient les mâchefers au dessus… J’y vois plus une forme de camouflage que d’inertage! Si c’est cela un «inertage», je ne vois pas alors à quoi serviraient les sociétés spécialisées qui récupèrent les cendres volantes pour les retraiter avant de les déposer avec précaution dans des décharges de classe 1.
- Dans la ligne du temps, on constate d’ailleurs qu’à partir de début 1996, soit quelques semaines après que la justice ait interdit à l’ICDI d’encore aller décharger quoi que ce soit dans le dépotoir de Bouffioulx, l’intercommunale a fait appel une société spécialisée pour «inerter» ses cendres et les évacuer dans une décharge de classe 1 en Flandre…
- Ceci est une confirmation très claire du fait qu’ils ne maîtrisaient pas la technique en interne pour «inerter» ces cendres! Ils n’avaient plus l’ancienne carrière à disposition et, de toute évidence, à ce moment, ils n’ont plus osé aller déposer cela n’importe où.
- On peut aussi s’interroger sur les conditions de transport de ces «cendres volantes». Les sociétés spécialisées en retraitement utilisent des camions citernes et le chargement des cendres se fait par un tube hermétique, tandis que les ouvriers qui procèdent à l’opération sont hyperprotégés par des combinaisons spéciales avec masque…
- Oui bien sûr. Et je découvre qu’à l’ICDI les chauffeurs n’avaient ni combinaison, ni masque. Qu’en plus ils déversaient les cendres dans une banale benne qui ensuite assurait le transport jusqu’à la décharge sans même être bâchée. Il était inévitable que le chargement et le déchargement des cendres volantes occasionnaient d’importants dégagements de poussières, ce qui a inévitablement mis les travailleurs concernés en danger.
- Des travailleurs qui nous ont confié – et ils l’ont confirmé dans le cadre de l’information judiciaire actuelle- qu’ils ont respiré ces poussières…
- Dans de telles circonstances, c’était inévitable. Ces personnes devraient faire l’objet d’un suivi médical. Je ne serais pas étonné que l’on trouve des traces de contamination dans leur organisme.
- Des témoignages, il ressort aussi que des cendres volantes aient été aussi mises en monticules, à même le sol, à proximité immédiate de l’incinérateur de Pont de Loup. Dans ce cas de figure, le chargement des camions se faisait à l’aide d’une pelle mécanique…
- C’est insensé ! Encore une fois ces particules sont très volatiles. Sous l’effet du vent ou de la pelle mécanique, une certaine quantité a certainement dû passer dans l’air…
- De même que dans les rues, durant le transport dans les camions non bâchés. Des riverains ainsi que des chauffeurs témoignent du fait que ces camions faisaient pas mal de poussières par temps sec…
- Que dois-je répondre à cela ? C’est sidérant. Même si les camions n’ont certainement pas répandu des cendres volantes en grande quantité, on a violé là un principe de précaution élémentaire. Ce n’est pas un hasard si les spécialistes du traitement des cendres volantes utilisent des camions citernes!
- Les gens qui habitent dans les rues où ces camions passaient doivent-ils être inquiets ?
- Actuellement, je ne crois pas. Depuis le temps, l’eau de pluie qui tombe en abondance en Belgique a lavé tout cela. Quant à savoir si cela a contaminé des gens à l’époque, seule une étude épidémiologique pourrait donner une réponse.
- La Spaque (Société Publique d’Aide à la Qualité de l’Environnement) a procédé à des forages pour récolter des échantillons d’eau dans le sous-sol de la carrière Moreau. Si ces résultats s’avéraient bons, pourrait-on être définitivement rassuré et refermer définitivement ce dossier ?
- Certainement pas à long terme. Il faudra encore être vigilant pendant des dizaines d’années. La question qui se pose ici est celle de la diffusion d’éléments polluants à travers le sol et les échanges entre le sol et la phase aqueuse. Or, ceux-ci peuvent être très lents. En d’autres termes, les métaux peuvent se fixer pendant un certain temps puis être relâchés des années par après.
- Donc, si après le résultat des examens de la qualité de l’eau pratiqués par la Spaque, le ministre de l’Environnement nous dit : «Dormez braves gens, il n’y a rien à signaler»…
- Je lui répondrais qu’un tel discours serait très imprudent! Il faudra aussi veiller à ce que les analyses pratiquées aient été faites avec une très haute précision parce qu’il est tout de même question dans ce dossier de métaux extrêmement toxiques, mais aussi de dioxines.
- Il y a aussi la problématique des gens qui ont consommé de l’eau provenant de puits situés à proximité de la carrière Moreau ?
- C’est potentiellement le problème le plus grave. Je ne serais pas très étonné que certaines de ces personnes en aient subi des conséquences dommageables pour leur santé. Les puits de ces gens devraient être condamnés.
- Tout à l’heure, vous nous avez dit qu’il faudrait être vigilant dans les années à venir. Mais que fait-on du passé ? Ceux qui vivaient à proximité de la carrière au moment où on y déversait des produits toxiques ne pourraient-ils pas souffrir aujourd’hui ou dans quelques années d’une éventuelle contamination du passé ?
- Il me semble évident que ce passé peut difficilement être mis entre parenthèses en se contentant d’un examen de la qualité de l’eau d’aujourd’hui. Encore une fois, pour y voir clair par rapport à cette question, il faudrait réaliser une étude épidémiologique dans les alentours de la décharge. Mais cela coûte très cher et il faudra donc voir si le gouvernement wallon aura la volonté politique de réaliser cet effort budgétaire…
- Et la volonté de découvrir une vérité qui pourrait alimenter un scandale de plus touchant cette fois directement à la santé des gens?
- Ca c’est votre commentaire.
- En tous cas, les membres du personnel de l’ICDI qui se sont confiés n’avaient-ils pas raison de craindre qu’ils aient participé à la mise en place d’une «bombe à retardement» à Bouffioulx ?
- Quand on voit les suites judiciaires, budgétaires, éventuellement sanitaires et politiques de cette affaire, on ne peut pas leur donner tort !
Témoignage
«L’eau de mon puits a été polluée par leurs déchets toxiques»
Discret de nature, Hervé Lardinois ne s’était jamais confié à un journaliste avant que nous le rencontrions dans sa maison de la rue des Potiats à Bouffioulx. Pendant un peu plus de deux mois en 1994, cet installateur en sanitaires a consommé l’eau de son puits situé une centaine de mètres de la décharge «Moreau» Son histoire est édifiante : «L’eau de ce puits était alimentée par la nappe qui se trouve en dessous de la carrière. Elle était réputée potable depuis plus d’un siècle dans le village. Mon voisin la consommait aussi. Vers 1997, il est mort d’un cancer. Moi, je me suis arrêté à temps grâce à des analyses sanguines que j’ai faites parce que j’étais anormalement fatigué. Leurs résultats étaient alarmants (manque de globules rouges, taux de plaquettes sanguines extrêmement bas). A l’époque, des analyses de l’eau du puits ont aussi été réalisées par un laboratoire de Gembloux et elles ont démontré des teneurs très importantes en polluants tels que du cadmium, du mercure, du plomb, nickel… ». Est-ce un hasard s’il s’agit exactement des poisons recelés par les tonnes de cendres volantes qui étaient déversées illégalement par l’ICDI à cette époque, et ce depuis 1978 ?
- Depuis quand habitez-vous ici?
- J’ai acheté ma maison en mai 1994. A l’époque, c’était Gaston Willart qui vendait. Ce monsieur habitait dans la maison juste à côté. Dans les années ’70, il avait lui-même acheté ce terrain, sur lequel se trouvait un ancien puits communal, à la ville de Châtelet. Lorsque je me suis installé, il m’a expliqué qu’il consommait l’eau du puits depuis des années et qu’il s’en portait fort bien. C’était, il est vrai, un homme bien bâti, un sportif. Et puis, étant du coin, je savais que ce puits avait une histoire. Pendant très longtemps, déjà au 19ème siècle, il avait alimenté en eau potable de nombreuses maisons qui se situaient dans ses alentours. Il n’y avait donc, à priori, aucun problème à consommer son eau.
- C’est donc ce que vous avez fait ?
- Oui… Et moi seulement, parce que ma femme et ma fille ont tout de même préféré consommer l’eau de ville. Et elles avaient bien raison! Vers les mois de juillet-août 1994, j’ai commencé à ressentir une grande fatigue. J’étais fort affaibli. Dans un premier temps, je ne me suis pas trop inquiété : j’ai mis cela sur le compte d’un éventuel surmenage.
- Vous pouvez décrire cette «grande fatigue» ?
- Avant que je ne me décide à consulter mon médecin, j’en étais arrivé à rester couché 20 heures sur 24 ! J’étais devenu blanc comme un linge. Une sorte de mort-vivant…
- D’autres symptômes ? De la fièvre ? Un état grippal ?
- Non, simplement, j’étais sans force. Littéralement vidé. Je ne saurais dire autrement… Finalement, je me suis décidé à prendre un rendez-vous chez mon médecin traitant qui m’a conseillé de faire une prise de sang. Celle-ci a révélé que je n’avais pratiquement plus de plaquettes sanguines (risques d’hémorragie et de thrombose). Je me souviens d’un chiffre : mon médecin m’a dit que je n’avais plus que 80.000 plaquettes. Alors qu’il en aurait fallait 240.000. Il y avait aussi un important déficit en globules rouges, ce qui expliquait mon état de fatigue… On a fait immédiatement un nouveau test. Quelques jours plus tard, le résultat était encore plus inquiétant : je n’avais plus que 60.000 plaquettes! Le médecin m’a dit que, dans ce cas, il faudrait bientôt me faire hospitaliser. Alors, bien sûr, on a réfléchit à ce qui pouvait causer un tel état d’affaiblissement. Je n’étais pas certain que cela avait un lien avec l’eau du puits, mais j’ai tout de même décidé d’arrêter de la consommer à ce moment-là. Quelques jours plus tard, on a fait une troisième prise de sang et les résultats étaient déjà meilleurs. C’était donc bien lié à l’eau du puits! Depuis cette expérience, mon médecin m’impose une prise de sang chaque année et, bien heureusement, tout est redevenu normal.
- Avez-vous pu savoir ce que contenait cette eau qui vous avait rendu malade ?
- Oui car quelques semaines après avoir vécu cet empoisonnement, ma femme en a parlé à Laurentia Giaviarni, une connaissance qui était active dans le comité de riverains qui luttait à cette époque contre la pollution émise par l’incinérateur de l’ICDI à Pont de Loup. Laurentia a porté un échantillon de l’eau du puits dans un laboratoire. Quelques temps plus tard, elle m’a faxé les résultats. Dans cette eau, il y avait des tas de métaux lourds en quantités trop importantes : mercure, cadmium, plomb, phénol, nickel… Quand j’ai lu cela, j’étais horrifié !
- Comment avez-vous réagit ?
- Très honnêtement, je suis de nature discrète. Je n’ai pas fait de vagues. Comme je ne buvais plus de cette eau, j’estimais être hors de danger. Je me suis donc contenté d’aller avertir mon voisin, Gaston Willart. Il m’a répondu : «Ce n’est pas cela qui va me faire mourir. Cela vingt ans que j’en consomme et je suis encore là !». Deux ou trois ans plus tard, il est mort d’un cancer. Je ne sais pas s’il y a un lien avec l’eau empoisonnée du puits mais en tous les cas cet homme avait une vie saine. Il était sportif et il ne fumait pas. Peut-être que la justice devrait s’intéresser son dossier médical…
- Pourquoi parlez-vous aujourd’hui ?
- Parce que j’ai été fortement interpellé par les récentes révélations sur le déversage de «cendres volantes» de l’incinérateur dans l’ancienne carrière Moreau. Tous les métaux lourds que l’on dit retrouver dans ces cendres volantes, on les a retrouvés aussi dans l’eau de mon puits en 1994. Or, l’eau de mon puits, c’est aussi celle de la nappe qui se trouve en dessous de la carrière. Aujourd’hui, il n’y a peut-être plus de problème mais je crois que mon témoignage montre au moins que cela n’a pas toujours été le cas !
Précisions
Laurentia Giaviarni, que nous avons retrouvé à Pont de Loup, nous a confirmé le témoignage d’Hervé Lardinois : elle a bien commandé une analyse de l’eau de son puits en 1994 et, selon elle, son résultat était bien celui décrit par M. Lardinois. Soit une trop importante teneur dangereusement importante en divers métaux lourds. Ces deux témoins sont prêts à confirmer tout cela en justice. Par souci d’objectivité, on mentionnera cependant qu’ils n’ont pas pu remettre la main, à ce stade, sur les documents du laboratoire. Néanmoins, ce dernier devrait disposer d’archives accessibles à la justice, ce qui devrait définitivement trancher d’éventuelles questions sur la pertinence de ces témoignages.
- Madame G., l’ex-femme de Gaston Willart nous a confirmé le récit d’Hervé Lardinois : son mari buvait l’eau du puits et il est mort d’un cancer alors qu’il menait une vie tout à fait saine. Madame G., quant à elle, utilise l’eau du puits pour ses sanitaires mais elle ne la boit pas. Elle nous explique aussi qu’au lendemain de la parution de l’article de Ciné-Télé Revue consacré au déversage de déchets toxiques dans l’ancienne carrière Moreau, la commune de Châtelet est venue installer un fût de 1.000 litres d’eau devant son domicile. «Ils m’ont dit qu’ils passeraient régulièrement et que jusqu’à nouvel ordre, je ne pouvais plus utiliser l’eau du puits pour quel qu’usage que ce soit».
- Monsieur J. qui vit actuellement avec l’ex-épouse de Gaston Willart, nous explique qu’il a consommé l’eau du puits à quelques reprises quand il s’est installé rue de Pottiats : «Je me suis arrêté le jour où j’ai constaté que l’eau était envahie d’une sorte de mousse blanche. Ça m’a fait trop peur!».
- Madame G. a fait faire une analyse de l’eau du puits en octobre 1997 par Xanatex, une société spécialisée dans la vente de matériel pour le conditionnement, le traitement et la potabilité de l’eau. Un premier test –elle nous donne le document qui en atteste- faisait apparaître d’importantes teneurs en nitrates et en chlorures, ainsi que la présence de «composés très toxiques» (benzène, éthylbenzène, toluène et xylènes) en ultratrace. A l’époque, ce premier test devait être confirmé par un autre, mais Madame G. n’a pu nous fournir de documents relatifs à la seconde analyse.
Visite guidée de l’ancien dépotoir
Conseiller communal MR à Châtelet, Thierry Lardinois connaît particulièrement bien l’ancienne carrière Moreau : «Quand j’étais enfant, j’allais y jouer. Il y avait un petit plan d’eau, des poissons. C’était un vrai paradis». Jusqu’au jour où des camions, «d’abord ceux de la ville de Châtelet en 1974, puis ceux de l’ICDI à partir de 1978 et bien d’autres encore parfois avec des plaques étrangères», sont venus déchargés des tonnes de déchets de toutes natures. Lors d’une visite du site, M. Lardinois attire notre attention sur plusieurs choses très étonnantes. Ainsi, il faut emprunter un chemin légèrement pentu d’environ cinq cent mètres pour arriver au site proprement dit du dépotoir. «Quand il y avait trop de boue par temps de pluie ou quand le chemin était enneigé ou verglacé, les camions de l’ICDI avaient du mal à arriver jusqu’à leur lieu de déversage. Dans ce cas, ils déversaient leurs mâchefers bien avant, sur les côtés du chemin» (ndlr : ce témoignage nous est confirmé en interne par des membres du personnel de l’ICDI).
Traduction : il y a le site officiel de déversage des mâchefers et des cendres volantes, celui qui a fait l’objet d’une réhabilitation partielle mais il y a eu aussi des zones officieuses de déversages où des tonnes de déchets ont été jetés et qui n’ont-elles connues aucun début de réhabilitation! Mieux, le chemin sur lequel nous marchons pour arriver à la décharge est lui-même composé de mâchefers. «Il y a environ un mètre de mâchefers sous vos pieds, ils ont mis cela pour rendre le chemin plus carrossable pour leurs camions». Un peu plus loin, nous arrivons sur le site «réhabilité» : «Ils ont planté des arbres mais ce qui m’inquiète c’est que la moitié d’entre eux au moins sont morts. Avec tout ce qu’il y a en dessous, ce ne guère étonnant…».