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9 Août 2012
Une enquête publiée dans l’hebdomadaire Paris Match (Belgique), le 9 août 2012
Le 28 juillet, les sœurs clarisses avaient tenu à « démentir la rumeur » de l’arrivée de Michelle Martin dans leur couvent de Malonne. Trois jours plus tard, les religieuses expliquaient dans un communiqué qu’elles avaient « longtemps mûri leur décision ». Dans cette seconde version, l’hébergement de la potentielle libérée conditionnelle aurait été envisagé en 2011. Après que les avocats de Martin leur auraient fait part de « l’impasse » dans laquelle se trouvait leur cliente, vu le refus des autorités françaises de l’accueillir sur leur territoire. Et s’il y avait une troisième version ? Un cousin de Michelle Martin révèle à Paris Match qu’en 2001 déjà, avant même le procès d’Arlon, l’ex-femme de Dutroux avait fait entreposer tous ses meubles et objets personnels dans un grenier du couvent de Malonne...
Cet homme que nous rencontrons dans un village du Brabant wallon n’a plus de contacts avec Michelle Martin. « Après le procès d’Arlon, je n’ai pas voulu poursuivre mes tentatives de discussion avec elle. Il restait trop de zones d’ombre intolérables pour les parents des victimes de “l’affaire Dutroux”. En désespoir de cause, lors du procès d’Arlon, j’ai encore essayé de l’interpeller, l’invitant à tout dire pour soulager sa conscience. Mais je me suis heurté à un mur. Je me souviens d’un silence interminable dans le tribunal. Elle était restée impassible. Cette froideur m’a glacé le sang et m’a détourné d’elle. Si, un jour, elle veut me revoir, la porte au dialogue n’est pas totalement fermée. A une seule condition : qu’elle prenne enfin la mesure de la gravité de ses actes, qu’elle exprime devrais regrets, ces mots de repentir que je n’ai jamais entendus dans sa bouche. J’exigerais surtout qu’elle dise enfin toute la vérité. »
Ce témoin, qui ne désire pas apparaître publiquement, a connu Michelle Martin dès sa naissance, alors qu’avec ses parents, la future épouse de Dutroux habitait encore du côté de Vilvorde. « Je suis son cousin, sa mère était ma tante. Michelle a quasiment été élevée dans notre maison jusqu’à l’âge de 4 ans. Sa maman travaillait encore à cette époque. Ensuite, les Martin sont partis s’installer à Waterloo parce que ma tante était en quête d’une meilleure image sociale. Elle visait haut, elle était travailleuse et ambitieuse. La petite maison ouvrière de Vilvorde ne lui convenait plus. Elle a donc fait construire une villa dans un quartier qui correspondait mieux à ses attentes. Deux ans plus tard, la mort accidentelle de son mari, un homme soumis qui faisait ses quatre volontés, a tout fait basculer. Elle n’a jamais voulu refaire sa vie, se rabattant sur Michelle de manière excessive et étouffante. La pression psychologique était énorme. Il est clair que ma cousine ne savait pas grand-chose de la vie quand elle est tombée dans les griffes d’un prédateur comme Dutroux. »
« Le fait d’avoir été un oiseau pour le chat ne peut tout excuser. Et encore moins pour une récidiviste comme elle », nuance son cousin. « De manipulée, j’ai le sentiment qu’elle est devenue elle-même très manipulatrice. Après son arrestation en 1996, elle a pris contact avec moi pour me demander d’assurer la garde de ses enfants. Je n’ai pas accepté mais j’ai marqué mon accord pour ne pas couper les ponts dans la mesure où elle restait malgré tout un membre de la famille. Cela ne voulait pas dire que je l’excusais. Par ces échanges, j’espérais l’accompagner sur le chemin d’une remise en cause. Mais je n’ai pas entendu un mot de compassion pour les victimes. Pas de larmes, sauf pour elle-même. Surtout pas d’autocritique. Dans son discours, la victime, c’est elle ! Elle m’a donné la très claire impression qu’elle s’était enfermée dans ce système de pensée. De fait, je n’ai pas parlé à une femme déstabilisée et fragilisée qui avait perdu la tête.
Au contraire, cette Michelle de l’après-1996 m’a semblé déterminée dans l’organisation méthodique de sa défense. Laquelle consistait à répéter à l’envi qu’elle n’était en rien responsable de toutes les horreurs qui avaient eu lieu. Elle n’avait rien voulu. Ce n’était pas elle. Elle ne se sentait pas coupable. Une phrase revenait souvent : “Il ne faut pas croire tout ce qu’on raconte.” Plusieurs fois, je me suis senti obligé de lui rappeler ce qu’elle avait fait ! Au fil de ces contacts, j’ai compris qu’elle essayait de m’utiliser. Au nom de notre passé commun, elle voulait faire de moi un témoin de moralité favorable dans la perspective de son procès qui était encore à venir. Elle n’y a pas réussi. Après la cour d’assises d’Arlon, elle n’a plus jamais cherché le moindre contact. Sans doute ne pouvais-je plus lui être d’aucune utilité... »
Cette expérience renvoie notre témoin vers des événements plus anciens qui l’avaient déjà fortement interpellé : « En 1992, Michelle Martin a assisté à l’enterrement de mon père. A l’époque, elle venait de sortir de prison après avoir été condamnée pour des faits d’enlèvements et de séquestration déjà commis avec Dutroux. Elle m’avait semblé être complètement déconnectée de la réalité, sans aucun sens de la gravité de ce qui avait été commis. Elle blaguait, elle riait... Ce n’était clairement pas un sujet de préoccupation. J’en avais été choqué. Pas de sens de la responsabilité, le déni total ! Cela ne donnait pas l’envie d’entretenir le contact. Je n’ai donc jamais rencontré son ancien complice Marc Dutroux, bien qu’elle l’ait épousé. Avant que ne se produise le séisme de 1996, je n’ai plus eu que des informations de loin en loin, au travers de ma tante, qui ne cessait de se lamenter du choix amoureux de sa fille. Malgré les faits des années 1980, personne n’aurait imaginé que Michelle pouvait être impliquée dans l’enlèvement de Julie et Melissa. En août 1996, cela nous est tombé dessus comme une bombe, particulièrement pour ma mère qui, à 80 ans, a vu débarquer la police chez elle pour perquisitionner à la recherche des enfants disparus. »
Ce membre de la famille est, bien entendu, troublé par la possibilité de libération de Martin, mais il ne désire pas émettre un jugement sur la décision du tribunal d’application des peines. « Cela devait arriver un jour ». En revanche, il est plus interpellé par l’ampleur et la durée inavouées de la relation entretenue par les sœurs du couvent de Malonne avec sa cousine. Et pour cause : « Je suis bien placé pour savoir que les contacts de Michelle avec les clarisses sont anciens. A la mort de sa mère, en janvier 2000, Michelle m’a demandé de gérer la succession. Elle a renoncé à l’immeuble en faveur de ses enfants. Cependant, un certain nombre de meubles, d’appareils électro-ménagers et autres objets sont restés sa propriété. Un an après le décès de ma tante, les scellés ont été levés à Waterloo. A la demande de ma cousine, j’ai emporté ce qui lui appartenait au couvent de Malonne. C’est Michelle qui m’a donné l’adresse. Cela se passait donc en 2001, bien avant le début du procès d’Arlon. Michelle m’a dit qu’elle recevait un soutien moral de ces religieuses qui la visitaient en prison. Je suis arrivé au couvent avec une pleine camionnette. On m’a demandé de tout déposer dans un grenier. Heureusement, il y avait un ascenseur. Dans cette grande pièce bien rangée se trouvaient entreposées d’autres affaires en attente, appartenant également à des condamnés. L’année dernière, j’avais été surpris que soit évoquée une possibilité d’hébergement de Michelle Martin dans un couvent français alors que toutes ses affaires se trouvaient déjà à Malonne. »
Michelle Martin et les clarisses ont-elles discuté de longue date d’un possible accueil ou seulement l’année dernière, quand il a été constaté que personne d’autre ne voudrait l’héberger en cas de remise en liberté sous condition ? Un communiqué rédigé par les sœurs incite à pencher plutôt pour la seconde solution, celle de la dernière chance, qui aurait été envisagée récemment dans des circonstances qui excluaient toute autre possibilité.
Une version selon laquelle tout aurait été décidé bien après le procès d’Arlon : « Quand le temps fut venu pour madame Martin de pouvoir bénéficier d’une libération conditionnelle en vue d’une réinsertion sociale, nous espérions que les instances prévues à cet effet allaient lui procurer un lieu d’accueil. Mais il n’a pas été possible de trouver ce lieu. Il faut savoir que madame Martin n’a pas de famille et qu’elle n’a pas trouvé en Belgique de lieu de réinsertion prévu pour des femmes. La suite des événements a montré qu’il n’y avait pas non plus de possibilité d’accueil pour elle dans les pays voisins. Quand ses avocats nous ont parlé de cette impasse, nous avons longuement débattu en communauté et chacune de mes sœurs a pu s’exprimer sur le sujet en toute franchise. La recherche ne fut pas simple et nous avons longtemps mûri notre décision. Au terme de tout ce cheminement, nous sommes arrivées à la conviction qu’il fallait dire oui à cette demande.»
Pourtant, le témoignage du cousin de Michelle Martin incite à penser que la solution de Malonne a été bien plus « mûrie » que les sœurs clarisses veulent bien nous le dire. On rappellera à cet égard que l’intéressée, déjà lors du procès d’Arlon, a plusieurs fois évoqué son souhait de se retirer dans un couvent et qu’elle avait naguère demandé à pouvoir passer des congés pénitentiaires dans le même monastère namurois. Cette opportunité lui avait été refusée par le tribunal en raison de la trop grande proximité du lieu avec les résidences de certaines victimes et parents de victimes... On rappellera aussi qu’il est déjà arrivé aux accueillantes clarisses de ne pas dire toute la vérité. Le 28 juillet dernier, à propos de l’arrivée éventuelle de Michelle Martin à Malonne, la supérieure de la Communauté n’avait pas hésité à déclarer à la presse : « Ce ne sont que des rumeurs. Depuis des mois, elles reviennent régulièrement. Mais elles restent des rumeurs. Nous aimerions que cela se calme. Nous souhaitons vivre paisiblement. »
Une chose est sûre : bénéficiant déjà d’une solution d’hébergement que bien des libérés conditionnels doivent lui envier – plusieurs pièces dans une belle bâtisse à la campagne contre de menus travaux domestiques –, Michelle Martin aura, dès son arrivée, outre un accueil cordial et réconfortant, le plaisir de retrouver un ameublement et des objets qui lui étaient autrefois familiers. Autre certitude : les clarisses n’ont pas encore tout confessé sur les relations suivies qu’elles ont entretenues, des années durant, avec Michelle Martin.
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