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Lionel Vandercam : les contribuables doivent-ils payer pour l'assureur ? (15/05/2008)

"L'ASSUREUR POURRAIT ECONOMISER PLUS DE 2 MILLIONS D'EUROS EN INDEMNITES ET CE SONT LES CONTRIBUABLES QUI PAIERONT CETTE SOMME A SA PLACE", DENONCE LIONEL VANDERCAM

 

 - Affaire évoquée sur le plateau de "L'Info Confidentielle Paris Match", le 11 mai 2008 et dans Paris Match (Belgique), le 15 mai 2008 -


« A mon admission à l’hôpital, mon score de Glasgow était de 5 sur 15… On considère que quelqu’un est décédé lorsqu’il obtient 3 sur 15. Je suis resté aux soins intensifs pendant sept semaines durant lesquelles j’étais entre la vie et la mort. J’ai fait trois arrêts cardiaques. On m’a opéré quatre fois. J’ai surmonté plusieurs pneumothorax, une méningite post-opéra-toire. J’ai souffert d’une perforation de l’estomac, d’une hémorragie pulmo-naire...Et bien entendu mon corps a aussi reçu la visite d’un invité-surprise qui ne m’a plus quitté : un staphylocoque doré, autrement appelé « bactérie hospitalière ». Ensuite, j’ai passé près de huit mois de revalidation au C.t.r. (N.d.l.r : le Centre de traumatologie et de réadaptation). J’ai récupéré ce que j’ai pu et le combat continue. Mais la réalité est là : je suis paraplégique. Je ne sens plus rien depuis mes pieds jusqu’à la moitié du torse. Sauf avancée extraordinaire de la médecine, je ne marcherai plus jamais. »

 

Lionel Vandercam a 25 ans. C’est un survivant. Le 12 février 2004, alors qu’il était passager, son corps a été littéralement éjecté d’une voiture qui a fait une embardée dans une rue de Lasne pour cause de vitesse excessive. Avant ce coup du destin, Lionel était un jeune homme bien servi par le hasard de la naissance et dont la vie était programmée pour être un long fleuve tranquille. Un milieu aisé, une belle villa dans le Brabant wallon, assez de moyens pour financer sa passion pour le sport… automobile. Des études de droit et, à 21 ans déjà, la perspective de reprendre l’entreprise florissante de son père. « Avant cet accident, les amis étaient nombreux. La vie était douce », résume-t-il.

 

En nous rendant chez Lionel, nous nous étions préparés à rencontrer un homme en souffrance. Mais ce n’est pas du tout une image de douleur qu’il nous transmet. Ne niant nullement son handicap, cet homme-là continue résolument à regarder la vie en face. Il lui tend encore les bras. Prêt à accueillir le meilleur du possible. « Je n’ai pas toujours été dans cet état d’esprit » confie-t-il. « Mais Rudy Bogaerts m’a secoué après mon accident et cela m’a fait du bien. » Rudy Bogaerts ? Il s’agit de feu le précepteur du prince Laurent qui a aidé Lionel à réussir le jury universitaire. Tel un sage, Lionel déclare : « J’accepte ce qui m’est arrivé. Il n’y a pas de meilleure solution. Je me dis que j’ai la chance de vivre dans un milieu protégé avec des parents disponibles. J’ai conscience que certaines personnes doivent cumuler handicap, problèmes sociaux, familiaux ou autres… ». Pas de haine, pas de reproches à l’égard de celui qui conduisait la voiture le soir du drame. Même pas un bras d’honneur à ce foutu destin qui lui a craché au visage alors qu’il semblait tant vouloir lui sourire.

 

Personne ne s’en étonnera : la justice n’en a pas encore terminé avec ce dossier. Il a fallu attendre le 13 septembre 2007 pour qu’un premier débat sur la responsabilité soit définitivement clôturé en degré d’appel par le tribunal correctionnel de Nivelles : Lionel doit être indemnisé par l’assurance du conducteur. « Cette réparation doit m’aider à retrouver un confort de vie similaire à celui qui était le mien avant l’accident. Un débat très complexe. Que vaut un préjudice esthétique ? Comment indemniser la perte de telle ou telle fonction du corps ? Etc. »

 

Le 4 février 2008, le tribunal de police de Nivelles prononçait un jugement intermédiaire portant sur l’évaluation de quelques-uns des nombreux dommages supportés par Lionel ; son dispositif confirmant de manière éloquente que la procédure est lourde et compliquée : les cinquante pages de considérants de cette première décision ne suffisent pas à clôturer l’affaire… après d’âpres débats opposant le conseil de l’assurance à celui de Lionel.

 

Par exemple, ce dernier demandait le remboursement de sommes avancées pour l’achat de médicaments, de matériel divers (lit adapté, table de traitement), etc. Pour diminuer cette facture, l’assurance du conducteur a plaidé qu’« il y a lieu de déduire du coût total de ces frais, le coût normal de l’entretien journalier de la victime que celle-ci eut dû normalement supporter si elle n’avait pas été blessée et hospitalisée ». Le tribunal lui répondra que « s’il est possible que “certaines économies” aient été faites durant l’hospitalisation », l’argument soulevé par la compagnie d’assurance était nul et non avenu dans la mesure où Lionel ne réclamait pas le remboursement de frais de nourriture, de lecture ou de téléphone…

 

Autre « joli » débat que celui portant sur le montant de l’indemnisation de l’« incapacité temporaire » de Lionel durant son hospitalisation. Pour son avocat, ce dommage devait être calculé sur base de 37,50 euros par jour… Mais l’assurance a objecté que durant les quatre premières semaines, ce dommage ne valait que 4 euros par jour. Argument ? Une personne dans le coma souffre moins, tant sur le plan moral que physique… Le tribunal a rétorqué « qu’il n’est nullement établi que M. Vandercam n’aurait eu aucune conscience durant cette période (de coma), ni qu’il n’aurait eu aucune souffrance morale. Aucun élément objectif, aucun élément médical ne permet de l’affirmer ».

 

Venons-en à la raison pour laquelle Lionel a pris la peine de se déplacer sur le plateau de « L’Info confidentielle Paris Match », dimanche dernier. Dans son jugement, le tribunal de police note que toutes les parties au procès admettent, sur base du rapport circonstancié d’un expert, que le jeune homme aura besoin de l’aide d’une « tierce personne » pendant tout le reste de son existence. A savoir, une « aide familiale  » devant pouvoir prester sept heures par jour, en service coupé, 365 jours par an. Et ce, « pour la préparation des repas, la lessive, le repassage, les courses, l’aide à l’habillage, à la toilette, au transfert, au placement de la chaise roulante dans la voiture… ».

 

Lionel raconte : « Avec notre avocat, nous avons calculé ce que nous coûtera cette tierce personne. En tenant compte de tout – salaire, cotisations sociales, travail de week-end, remplacements pendant les vacances etc. – ce poste représentera un coût de 21,8 euros l’heure. Devant le tribunal, l’assureur a répliqué que s’agissant d’une personne non qualifiée, je n’avais qu’à recourir au système des titres services déductibles ; cela réduisait sa contribution à quelque 7 euros de l’heure. Mon avocat a heureusement pu faire entendre aux juges que cette solution ne m’aurait pas garanti un service donné par un personnel de qualité qui ne soit pas amené, au surplus, à changer fréquemment. Disposant de plus d’un tour dans son sac, l’avocat de la partie adverse proposera alors au tribunal d’ordonner le recours aux services offerts par la Fédération aide et soins à domicile (F.a.s.d.) du Brabant wallon. Et le tribunal a suivi cette idée ! Il m’impose de passer par ce service subsidié par la Région wallonne pour autant qu’il puisse assumer l’aide qui m’est nécessaire. Le 19 mai prochain, une nouvelle audience aura lieu pour en débattre ».

 

Renseignement pris par Lionel, la F.a.s.d. affirme pouvoir fonctionner en tandem avec « Gardes à domicile », une association également subsidiée : « Pour les gardes à domicile, le coût est de 4,55 euros l’heure (en journée), de 5,7 euros (la nuit) et de 6,25 euros (le week-end). Ces gardes travaillent en équipe et se relayent. Elles ont un rôle similaire à celui d’un garde malade et apportent un “soutien moral à la personne”… Pas vraiment, ce dont j’ai besoin. Le coût horaire des aides familiales est de 8,2 euros. Elles interviennent en fonction de la disponibilité du service avec un maximum de 200 heures par trimestre, ce qui, au rythme de 7 heures par jour, n’aboutit jamais qu’à 28 jours… sur trois mois. Mais une demande de dérogation pourrait éventuellement être faite. Ces aides travaillent également en équipe, ce qui signifie que plusieurs personnes devront entrer dans mon intimité. De plus, le service est restreint, voir inexistant lors des congés ».

 

« EN M’IMPOSANT CETTE TOURNANTE D’AIDES FAMILIALES, LE TRIBUNAL NE FAIT PAS ÉPARGNER DE L’ARGENT AU TRÉSOR PUBLIC. C’EST MÊME EXACTEMENT LE CONTRAIRE »


Lionel est indigné car cette décision de justice le prive du choix de la personne à engager comme aide familiale. A savoir, quelqu’un qui pourrait le suivre sur un long terme dans une relation de confiance. « Le tribunal m’impose une solution au rabais. Je vais devoir subir un défilé permanent de personnes à mon domicile alors que certaines prestations dont je dois être l’objet demandent beaucoup d’attention et sont de nature intime (aide à l’habillage, toilette, transfert). J’accepterais une telle décision si elle correspondait à l’intérêt général. Mais ce n’est pas du tout le cas ! En m’imposant cette tournante d’aides familiales et de gardes dont les salaires sont en grande partie payés par des subsides de la Région wallonne, le tribunal ne fait pas épargner de l’argent au trésor public. C’est même exactement le contraire. Le seul bénéficiaire de sa décision est l’assureur qui pourrait ainsi économiser jusqu’à 2 millions d’euros ! »

 

De fait, le jeune homme a fait ses calculs : « Le coût horaire normal d’une aide familiale que je pourrais choisir moi-même, c’est-à-dire une personne non subsidiée par le contribuable, est d’environ 22 euros de l’heure. J’ai besoin de 2 555 heures par an. J’ai actuellement 25 ans et si je tiens compte de l’espérance de vie moyenne, je pourrais bénéficier de ce service pendant encore cinquante-deux ans. Dont coût pour l’assurance : 2 922 920 euros. Par contre, le coût horaire moyen du service bancal qui me sera offert par la  tournante des aides familiales subsidiées sera de 6,195 euros. Ce qui nous conduit à une somme de 823 067 euros d’indemnité pour une vie qui me conduirait jusqu’à l’âge de 77 ans. Voilà comment j’arrive à chiffrer une économie pour l’assurance de plus de 2 millions d’euros ! Et ce sont les citoyens qui payent la différence, sans le savoir, au travers de leurs impôts… »

 

Des avis très divers

Selon un avocat spécialisé dans les assurances, Lionel Vandercam a tout à fait raison de s’indigner du fait qu’une partie de son préjudice ne sera pas assumé par l’assureur du tiers responsable mais par la collectivité, au travers des subsides dont bénéficient les « aides à domicile » désignées par le tribunal : « Il n’est pas normal que la compagnie d’assurance échappe ainsi à une partie de sa responsabilité », nous dit cet avocat spécialisé.

 

Toutefois, l’un de ses confrères dit n’être « pas choqué par le principe d’un recours aux aides familiales subsidiées ». Pour lui, l’essentiel, c’est « la solution concrète permettant à la victime de retrouver une situation de vie aussi proche que possible de celle qu’elle a perdue. Le jugement qu’il critique a cette intention ». Quand à l’objection relative à l’économie incontestable que la compagnie d’assurance pourrait faire, ce juriste rétorque que « ce problème n’est pas celui de la victime ! Eventuellement, ce pourrait l’être du pouvoir subsidiant. La Région wallonne pourrait saisir un tribunal pour s’opposer à l’idée de contribuer à la réparation d’un préjudice assuré par une société privée qui est plus que largement solvable».

 

Un troisième avocat confirme tout à fait ce point de vue et il le complète en évoquant « une erreur de stratégie de la victime » : « D’après ce que vous m’expliquez, Lionel a jusqu’à présent fait appel à ses parents pour recevoir les soins qui pourraient lui être attribué par la « tierce personne ». C’est ce qui se passe souvent dans ce genre d’affaire, mais ce n’est pas nécessairement une bonne idée. Certes, le magistrat ne pourrait pas tirer argument de cette situation pour estimer que l’aide d’une tierce personne (dans le passé, le présent et l’avenir) ne coûterait rien. Toutefois, il ne peut procéder qu’à une estimation. Et pour ce faire, il se référera à la jurisprudence. Laquelle renseigne qu’il est donné dans les environs de 10 euros l’heure pour ce type de prestation. Dès lors, si la victime a les moyens d’engager quelqu’un et de soumettre des factures déjà payées au tribunal, je lui conseillerais de prendre les devants : le juge et la partie adverse pourraient encore difficilement contester le vrai coût du service sur base des factures à payer ou déjà payées ! ».

 

Des avis divergents, mais il y a un point sur lequel les trois spécialistes consultés par Paris Match s’accordent : 7 euros l’heure pour une aide familiale, c’est fort peu. Combien cela vaut-il vraiment ? La réponse est vague. On pourrait la résumer ainsi : cela dépend du juge sur lequel on tombe… L’indemnisation pourrait monter jusqu’à 15 euros, voire 18 euros l’heure nous dit un avocat. Alors qu’un autre spécialiste nous affirme n’avoir jamais eu connaissance d’une décision qui octroierait plus de 10 euros l’heure…

 

« Embarras de conscience »

Ce manque d’uniformité dans ce domaine juridique complexe est dénoncé au sein même de l’appareil judiciaire. « Le droit de la réparation du préjudice corporel est en pleine turbulence. En l’absence de balises légales, les artisans de la réparation du préjudice corporel tentent au fil des ans d’approcher le Graal », écrit Thierry Papart, juge au tribunal de police de Liège. Ce magistrat a publié une étude intitulée « Préjudices particuliers : le juste prix ? » dans laquelle il relève que « le processus d’indemnisation est encore perfectible à bien des égards », car il ne répond pas toujours à des critères d’égalité et de transparence pour les justiciables. Cette homme de loi évoque d’ailleurs « le grand malaise qui envahit parfois le magistrat », ses « embarras de conscience (…) lorsqu’au détour de conclusions (…), il découvre que la demande de la victime est en deçà des légitimes prétentions qu’elle pourrait formuler, ou à l’inverse que le tiers responsable est sans raison apparente d’une étrange générosité voire complaisance… ».


La victime dont le préjudice est jaugé par des experts, des avocats et des juges est en fait confrontée à une sorte de loterie. A propos du « prix de la douleur », par exemple, le juge Papart note que, selon que vous serez jugé au nord ou au sud du pays, vous n’aurez pas une indemnité comparable. Qu’en ce qui concerne les « préjudices esthétiques », il n’y a pas une procédure d’évaluation unique mais bien sept méthodes différentes utilisées par des experts travaillant dans la plus grande cacophonie. Conséquence : « Des écarts de 1 à 10 sont constatés pour un même préjudice esthétique » et, note le magistrat, on constate trop souvent « des motivations contradictoires qui annoncent qu’il est tenu compte de l’âge et du sexe de la victime et qui, pourtant, allouent des montants inversement proportionnels aux critères évoqués ». De même en matière de préjudice sexuel (troubles physiologique, du plaisir, de la procréation), les indemnisations sont très variables d’un tribunal à l’autre et un critère comme l’âge de la victime, par exemple, n’intervient pas de manière précise pour fixer un montant…

 

Pour revenir au cas de Lionel, aucune loi ne contraint le juge à lui imposer le recours à un service d’aides familiales subsidié plutôt qu’à une personne de confiance, rémunérée et choisie. Un dossier qui illustre, si besoin en est, qu’une justice fonctionnant sans balises claires et objectives ne peut être satisfaisante pour personne car, alors, elle nourrit toujours un sentiment d’arbitraire.

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Michel Bouffioux


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