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Mariages forcés, jeunes femmes en détresse (06/12/2007)

"CREER DES STRUCTURES D'ACCUEIL SPECIFIQUES"

 

- Dossier évoqué le 2 décembre 2007 sur le plateau de "L'Info Confidentielle Paris Match" sur RTL/TVI et publié dans l'hebdomadaire "Paris-Match" (Belgique), le 6 décembre 2007 -


michel-mariageforce.jpgA la mi-novembre, près de 2000 personnes marchaient silencieusement à Charleroi pour rendre hommage à Sadia. Cette jeune femme d’origine pakistanaise refusait d’épouser le cousin que lui avait désigné sa famille… Elle aimait un jeune homme rencontré en Belgique et elle était bien décidée à ne pas interrompre les études de droit qu’elle menait brillamment. A peine âgée de 21 ans, Sadia a finalement été tuée par un de ses frères, le bras armé d’une famille qui ne supportait sa volonté d’émancipation…. «Cela ne se termine pas toujours de manière aussi tragique mais il faut oser regarder la réalité en face : les jeunes femmes victimes de mariages arrangés ou forcés sont encore très nombreuses. Cela se passe ici et maintenant. Devant nos yeux. J’ai connu des cas d’étudiantes qui, du jour ou lendemain, ont totalement disparu de la circulation. Des filles pleines de ressources qui arrêtaient les cours parce qu’elles devaient épouser l’homme désigné par leur famille», témoigne Michelle Waelput. Ce professeur de psychopédagogie dans une Haute Ecole de la région de Mons a aussi lancé un appel ce dimanche, sur le plateau de l’Info Confidentielle Paris Match-R.t.l./t.v.i. pour que « des structures spécifiques soient enfin créées pour héberger les jeunes femmes en détresse qui veulent échapper à un mariage forcé ».      

 

Chargée de cours en pédagogie et en psychologie dans une Haute Ecole provinciale à Mons, Michelle Waelput côtoie au quotidien un public de futures infirmières et institutrices maternelles. C’est cette expérience professionnelle qui l’a amenée, ces dernières années, à croiser les parcours de vie difficiles de jeunes femmes contraintes de se marier, et partant, forcée à renoncer à des études, à leur autonomie et, c’est évident, à leur dignité de femme.

 

« Cela fait trente ans que j’enseigne et je dois reconnaître que ma prise de conscience ne s’est faite que très progressivement », entame la psychopédagogue qui reçoit Paris Match à son domicile, dans les environs de Mons. « Comme beaucoup de gens, je me suis dit pendant longtemps que le phénomène des mariages forcés était certainement devenu marginal dans un pays comme le notre. J’avais du mal à accepter l’idée qu’aujourd’hui encore, en Belgique, après tellement de luttes pour leur émancipation, des femmes doivent toujours subir des atteintes insupportables à leurs droits élémentaires. Mais il faut se rendre à l’évidence, les mariages forcés cela se passe ici et maintenant. Devant nos yeux. On n’a pas le droit de rester indifférent devant ces abus d’autorité, cette violence. On n’a pas le droit de fermer les yeux au nom du respect de telle ou telle culture, de telle ou telle religion. Les professeurs qui constatent ces dérives doivent aider les victimes, leurs donner des conseils, des numéros de téléphone utiles… Depuis maintenant, deux ou trois ans, je mène un combat sur ce thème. J’essaye de conscientiser un maximum de personnes, d’être à l’écoute aussi des étudiantes qui le désirent dans l’établissement où j’enseigne.»   

 

D’où vient votre détermination à lutter contre les mariages forcés ?

Michelle Waelput. Je donne cours à des jeunes femmes âgées entre 18 et 25 ans. C’est évidemment une tranche d’âge qui est particulièrement concernée par le problème… Et au fil des ans, j’ai été confrontée à plusieurs cas d’étudiantes qui ont été contraintes d’arrêter leurs études et qui ont disparu du jour au lendemain… Cela m’a profondément choquée.

 

Elles ont «disparu», dites vous ?

Oui, disparu. Je veux dire par là que ces jeunes femmes ne sont plus jamais venues au cours, qu’elles ont été perdues de vue par leurs condisciples… J’ai connu un premier cas de ce genre, il y a quelques années déjà. Deux jeunes filles d’origine marocaine pleuraient au fond d’un auditoire. Je leur ai demandé ce qui se passait. Elles m’ont répondu : «Madame, vous ne vous rendez pas compte. Vous ne vivez pas dans le même monde que nous. Je vais être obligée de me marier et bientôt je ne se serai plus au cours. Même plus en Belgique… Je dois tout abandonner». C’était une jeune fille de 21 ans qui travaillait très bien, elle aurait fait une très bonne infirmière… Un vrai gâchis : deux jours plus tard, de fait, elle n’est plus venue à l’école. Je me suis renseignée auprès de ses copines et elles m’ont dit qu’elle ne viendrait plus jamais, que désormais elle vivait au Maroc où elle avait été mariée. Cette histoire m’avait fait un véritable choc. Je pensais tout le temps à cette jeune fille. Mais au moment où j’ai vécu cela, j’étais encore une jeune enseignante. Je ne savais pas comment réagir, je ne savais rien non plus de l’ampleur du phénomène. Etait-ce un cas malheureux ? S’agissait-il d’un cas isolé ? Le temps a passé et, bien entendu, je ne l’ai jamais revue. A-t-elle supporté cette vie non choisie ? Je ne le saurai jamais.

 

« Il ne faudrait pas que l’histoire de Sadia soit une invitation supplémentaire au silence ! »

 Plus tard, vous avez été confrontée à d’autres situations similaires ?

Certainement. Mais je ne veux rien exagérer ! En ce qui me concerne, j’ai encore rencontré trois autres cas de ce genre. Ni plus, ni moins. Toutefois, en m’intéressant plus avant à cette question des mariages forcés, j’ai pu aussi recueillir de nombreux témoignages de collègues qui, eux aussi, ont connu des «disparitions» d’étudiantes. Ce qui a fini par me donner le sentiment que l’on est confronté à un problème de société, plutôt en recrudescence depuis quelques années.

 

C’est difficilement objectivable, non ?

On ne dispose évidemment pas de chiffres précis sur le nombre de mariage forcés ! Le sujet est tabou dans les familles où ces pratiques ont cours et, surtout, les victimes ont très peur de témoigner. A tort, sans doute, mais cette attitude est dans le même temps compréhensible. En ce sens, ce qui vient de se passer à Charleroi est très préoccupant. Il ne faudrait pas que l’histoire de Sadia, cette femme tuée parce qu’elle a dit «non», soit une invitation supplémentaire au silence !

 

Pas de chiffres précis, mais il y a des estimations ?

En France, d’après le Haut Conseil à l’intégration, quelques 70 000 adolescentes sont potentiellement menacées par un mariage forcé, toutes communautés confondues. Par ailleurs, toutes les associations partagent le constat d’une hausse des mariages forcés dans toutes les communautés où ils sont pratiqués, qu’elles soient originaires de Turquie, du Maghreb, d’Afrique noire ou d’Asie. En cause, un certain repli identitaire qui renvoie à des pratiques plus traditionnelles, mais aussi dans certains cas, des stratégies pour obtenir des papiers d’identités à l’heure où les possibilités d’immigration sont devenues très limitées.

 

Mais en ce qui concerne la Belgique ?

En 1999, des scientifiques de la V.u.b. ont interviewé des femmes turques et marocaines de Bruxelles et de Flandre. Dans le groupe des femmes de plus de 40 ans, 27% déclaraient avoir été victime d'un mariage forcé. Dans celui des 17 à 24 ans, 13% des filles turques et 8% des filles marocaines affirmaient avoir été contraintes à épouser un homme qu’elle n’aimaient pas. En 2004, suite au signalement de plusieurs cas de jeunes filles abandonnant leur cursus scolaire parce que mariées, semble-t-il de force, le Centre pour l'égalité des chances a commandé une étude exploratoire sur les mariages forcés en Communauté française. Cette recherche a été menée auprès de 1 200 élèves de l’enseignement secondaire de Bruxelles, Liège et Louvain par l’U.c.l.. Elle a montré que 7 % des jeunes admettaient avoir eu connaissance d’un mariage forcé dans leur famille et que 16% d’entre eux avaient aussi constaté de telles pratiques dans leur entourage.

 

C’est énorme ! 

En effet. Et il s’agissait-là d’un public de 15 à 18 ans. J’ai voulu avoir aussi une petite idée de ce que déclarerait une population un peu plus âgée, soit les élèves de l’enseignement supérieur dans lequel je donne mes cours. Sur un échantillon de 270 étudiants (70% de filles et 30% de garçon) inscrits dans les Hautes écoles de la région Mons-Borinage, cela donnait les résultats suivants : 52% d’entre eux estimaient que le mariage forcé existe «souvent» ou «très souvent». 15% des étudiants admettaient aussi avoir connaissance d’un  ou plusieurs mariages forcés dans leur famille! Et quand on demande à ces jeunes, s’ils avaient la connaissance de pratiques de mariages forcés chez des amis ou des connaissances, 24 % d’entre eux répondaient que «oui».

 

1 sur 4 ?

Oui. L’autre enseignement de ce sondage, c’est qu’il démontre qu’une idée totalement fausse est acceptée comme une vérité incontournable par plus de 90% de l’échantillon…

 

A savoir ?

Le fait que des prescrits religieux cautionneraient d’une quelconque manière une pratique comme le mariage forcé. Je me suis renseignée auprès de différentes autorités spirituelles. Il en ressort, comme de bien entendu, qu’aucune religion ne recommande ce type d’abus ! N’empêche que l’argument religieux est systématique utilisé dans le cadre des pressions familiales exercées sur les victimes ; on leur fait croire qu’en n’obéissant pas, non seulement elles perdront leur liens avec les proches et risqueront des représailles, mais en plus, elles blasphèmeront leur Dieu !

 

« Osez ! Osez parler et si ce n’est pas suffisant, osez partir…»

L’un des cas que vous avez connus vous a-t-il particulièrement marqué ?

Je pense souvent à Fatima. C’était une étudiante tunisienne qui, il y a trois ans maintenant, m’avait appelée à l’aide. On était à la veille de ses stages. Jusque là, elle avait vraiment bien travaillé. Elle m’a dit qu’elle avait un gros problème… Comme Sadia, la jeune femme tuée à Charleroi, elle était amoureuse d’un jeune homme qui n’était pas celui souhaité par ses parents. Son frère cadet la surveillait. Et il la terrorisait. Un jour, Fatima est sortie de l’école à l’heure de midi pour aller manger un sandwich avec son ami et cela a été la catastrophe. Dès le lendemain, on ne l’a plus revue à l’école. Elle n’a jamais fait ses stages. J’ai voulu aller plus loin, lui proposer mon aide… Et puis, elle m’a téléphoné pour me dire que cela ne valait pas la peine, que cela n’apporterait que des ennuis pour elle et… pour moi. Quelques temps après, j’ai appris qu’elle vivait désormais dans le pays de ses parents. Dans quelles circonstances, avec quel homme ? J’ai peur qu’elle n’ait pu survivre à une telle condamnation.

 

Vous n’auriez pas aussi une histoire un peu plus heureuse à nous raconter ? Celle par exemple, d’une victime qui s’en serait sortie…

Si bien sûr, je peux évoquer le cas de cette jeune femme turque dans le Hainaut qui a su résister aux pressions familiales et qui, après les coups et les insultes, vit aujourd’hui avec l’homme qu’elle a choisi. Ou encore de cette autre fille, belge celle-là, qui a su échapper au mariage que son père voulait lui imposer avec un fermier pour une question de patrimoine et de terres. Cela n’a pas été aisé, mais elle s’est échappée. Elle a pu terminer sa dernière année d’étude en dépendant des services sociaux de notre école et du C.p.a.s. Elle a osé et elle a réussit. C’est le message que j’ai envie de lancer à toutes ces filles qui ont été élevées pour ne jamais être autonomes, pour toujours dépendre d’une famille, et servir dans la peur. Osez ! Osez parler et si ce n’est pas suffisant, osez partir.

 

Encore faut-il savoir où aller !

C’est en effet un appel que l’on doit lancer aux responsables politiques : il y a des maisons pour accueillir les femmes battues, d’autres pour les victimes de la traite des êtres humains. Il serait aussi très utile que soit créées des structures d’accueil pour les jeunes femmes qui veulent échapper à un mariage forcé. Des endroits où leur sécurité serait garantie et où ces victimes pourraient terminer leur formation scolaire.

 

Une infraction pénale

Depuis juin 2007, à la suite d’un projet déposé en ce sens par la ministre socialiste Laurette Onkelinx, la loi belge prévoit que «toute personne qui, par des violences ou des menaces, contraindra quelqu'un à conclure un mariage sera punissable d'une peine d'emprisonnement d'un mois à deux ans». La « tentative de mariage forcé » est également punissable d'un emprisonnement de quinze jours à un an. En outre, la nouvelle loi accorde au ministère public le pouvoir d'agir en justice en vue de l'annulation d'un mariage forcé, sans qu’il soit nécessaire que la victime en fasse la demande, ce qui n’est pas toujours aisé vu l’existence des pressions familiales. Après la Norvège, la Belgique est le deuxième pays européen à avoir inscrit une incrimination spécifique du mariage forcé dans sa législation. « Ce n’est que justice », commente Michelle Waelput, «car les femmes qui vivent de telles situations sont triplement victimes. On les prive du choix de la personne avec laquelle elles vivront, on les prive d’autonomie en les empêchant de terminer leurs études et bien souvent, elles se retrouvent comme emprisonnées, déracinée dans tous les cas, loin de là où elles ont grandit. Ce sont des pratiques monstrueuses, accompagnées de violences morales et souvent physiques, des mœurs d’un autre temps !».

 

« Rester des êtres autonomes et libres"

Actuellement, les jeunes femmes qui sont menacées par leur famille dans le cadre d’une problématique de mariage forcé peuvent trouver refuge dans les centres d’accueil pour femmes battues. C’est ainsi que Sadia, la jeune carolo assassinée récemment par l’un de ses frères, avait reçu asile au Centre de prévention des violences conjugales et familiale à Bruxelles. Elle aurait pu aussi bénéficier de l’aide de maisons d’accueils comparables à La Louvière et à Liège qui offrent des endroits d’hébergement discrets (voir adresses utiles). Dans ces trois centres, des responsables confirment à Paris Match qu’il serait utile, comme le revendique Michelle Waelput, de créer une structure spécifique pour accueillir les victimes de mariage forcé. Mme Girard, du centre bruxellois, insistant d’ailleurs sur l’urgence : « Des cas comme Sadia, il y en aura de plus en plus. Les jeunes femmes de ces communautés qui ont bénéficié d’une scolarité et de contacts sociaux en Belgique sont de plus en plus nombreuses à rejeter fermement ces pratiques moyen-âgeuse ».  Comme les victimes de la traite des êtres humain, elles devraient donc pouvoir bénéficier d’un lieu de vie secret pour éviter les représailles. Ce serait aussi un lieu d’échange où elles pourraient parler avec d’autres jeunes femmes confrontées aux mêmes souffrances et déchirements ;  Un endroit où avec l’appui d’un personnel spécialisé, elles pourraient poursuivre leur études afin de se donner plus de chance de devenir et de rester des êtres autonomes et libres.  

 

Adresses utiles

 

Centre de prévention des violences conjugales et familiales : 29, rue Blanche, 1060 Bruxelles • Tél 02/539 27 44.

 

Solidarité femme et Refuge pour femmes battues (24h/24h) : 9, rue de Bouvy, 7100 La Louvière. Tél 064/21 33 03.

 

Le Collectif pour Femmes battues  (24h/24) : 9, rue des Sœurs de Hasques, 4000 Liège.  Tél 04/223 45 67.

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