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31 Mai 2012
Un article publié le 31 mai 2012 dans l'hebdomadaire Paris Match (Belgique)
Accusé d’avoir volontairement tué son enfant âgé de 4 ans, MohamedJratlou se retrouve devant les jurés de la cour d’assises de Mons à partirde ce 6 juin. L’homme crie son innocence et le dossier ne comporte aucune preuve directe qu’il est l’auteur de l’homicide du petit Younes. Cependant, de nombreux indices, les déclarations embrouillées de l’accuséet ses antécédents en termes de violences faites à ses proches plaidentcontre lui. Dans ce grand procès qui s’ouvre, la sentence sera une question d’intime conviction, comme dans la célèbre affaire Dominici…
Le 19 novembre 2009, Mohamed Jratlou se livrait pour la première fois dans les pages de Paris Match Belgique (*). Le papa du petit Younes, dont le corps venait d’être retrouvé dans la Lys, plaidait alors son innocence avec une sorte de distance, une froideur qui interpellait. Extraits.
Paris Match. Quel est votre état d’esprit aujourd’hui?
Mohamed Jratlou. On avait deux yeux, un oeil est parti. Il en reste encore un. Il faut se battre pour ça. Et, comme je l’ai dit hier à la police, si je retrouve celui qui a fait ça, je le tue.
Que répondez-vous à ceux qui vous suspectent ?
Je suis innocent ! Je n’ai pas tué mon fils. Tout cela me touche beaucoup.
Pourtant, vous paraissez très maître de vous-même.
C’est ma nature. Et puis, au Maroc, les femmes pleurent, les hommes pas. En tous cas, pas en public. Quand je suis seul dans ma maison vide, je craque. J’ai pleuré aussi devant la stèle qui a été posée en honneur de Younes.
Avez-vous la moindre idée de ce qui a pu arriver à votre enfant ?
Non, il n’y a que Dieu qui sait… Il n’y a que Dieu qui sait ce qui est arrivé.
En 2009, après un très long entretien de plusieurs heures, nous avions quitté le papa de Younes en éprouvant un réel malaise dépeint alors en ces termes : « Nous avons rencontré un homme relativement froid, d’un étonnante capacité à contrôler ses émotions. Au point que l’on s’interroge par moments sur la présence réelle de celles-ci. L’homme qui était face à nous est énigmatique. Enfermé dans une carapace infranchissable, avec un côté insondable, répétant des mots et des phrases comme le ferait un magnétophone (…) Il y a quelque chose dans Mohamed Jratlou de l’imperturbable Gaston Dominici, condamné pour un triple meurtre dans les années 50, sans aveux et sans preuve. »
De fait, malgré une enquête de qualité, très minutieuse et longue de plusieurs années, la justice ne dispose pas plus d’aveux que de preuves directes alors que ce dossier va être soumis aux jurés de la cour d’assises. Et le malaise est toujours là. Plus prégnant encore. Car les éléments mis en lumière par les investigations judiciaires forment un faisceau de présomptions à charge du désormais accusé Mohamed Jratlou. Une série d’éléments qui laissent à penser que c’est lui… tout en ne le démontrant pas de manière irréfutable. D’ailleurs, Naïma, la dernière épouse de Mohamed, la victime de ses comportements violents, la maman du petit Younes, qui a témoigné franchement des travers de son mari durant l’instruction, ne veut pas croire à sa culpabilité. Cette femme peu lettrée, elle-même suspectée pendant un temps, a finalement bénéficié d’un non-lieu et assistera au procès en tant que partie civile.
Cette affaire débute par un avis de disparition que personne n’a oublié. Le 26 octobre 2009, encore marquée par les affaires des enfants disparus, la Belgique apprend qu’un gamin de 4 ans s’est littéralement volatilisé à Comines, dans le Hainaut, tout près la frontière française. La photo diffusée de ce p’tit bout souriant, les yeux confiants pleins d’espoir et de vie, la mobilisation de Child Focus et de la Cellule des personnes disparues de la police fédérale, celle aussi des médias commentant les recherches au jour le jour, renverront pendant quelques jours, de manière angoissante, à des noms comme Julie, Melissa, Nathalie, Stacy… A trop de drames où des enfants ont perdu la vie à cause de désaxés dont la seule place dans la société devrait être derrière les barreaux d’une prison. Et c’est bien vers une piste du genre « mauvaise rencontre » avec un tueur que le père de Younes emmène les enquêteurs au début de l’enquête. Il est le dernier adulte identifié à avoir vu l’enfant et son témoignage décrit sa disparition comme un mystère total ne pouvant que suggérer l’intervention d’une personne tierce, un prédateur, qui ne sera jamais trouvé bien qu’il ait été ardemment recherché par la police fédérale. Notamment sur l’insistance de l’avocat de la famille Jratlou, Me Xavier Magnée.
Devant les enquêteurs de la police de Comines à qui il déclare la disparition de son fils le lundi 26 octobre 2009 vers 6 heures du matin, Mohamed Jratlou évoque la journée qui a précédé celle du drame. Un dimanche présenté comme paisible au cours duquel, en début de soirée, il a eu une relation intime avec son épouse. Malheureusement, raconte-t-il encore, cette belle journée se serait terminée par une violente dispute dans la chambre à coucher : « On en vient à discuter de l’argent que nous envoyons à nos familles respectives car ma femme me reproche de ne rien envoyer à sa famille (…) J’en ai marre d’entendre ses reproches et je la pousse hors du lit avec mes mains. Elle tombe à terre. Elle se relève et vient m’étrangler. C’est à ce moment que les enfants viennent dans la chambre suite aux cris et aux bruits de dispute. Je réponds à son étranglement en lui donnant deux fortes claques au visage pour me dégager, puis je lui envoie un coup de poing au visage. Elle ne tombe pas. Elle prend un bol bleu qui se trouve sur le châssis de la fenêtre de la chambre. Elle le jette dans la fenêtre qui se brise. Alors, je prends un chat bleu en plâtre et je tape ma femme par deux fois avec mais je ne sais plus à quel endroit exactement. Elle se tourne un peu et sa blessure au visage survient à ce moment-là. Ensuite, on se calme tous les deux car les deux enfants sont toujours dans la chambre.»
Mohamed Jratlou explique aussi aux enquêteurs que sa femme a quitté le domicile conjugal vers 1 heure du matin : «Elle a dit qu’elle allait chez notre médecin traitant pour faire un certificat. Je ne voulais pas la laisser partir et j’ai essayé de la retenir, mais elle est parvenue à s’échapper et à descendre. Je l’ai suivie, mais elle était déjà sortie. Les enfants se trouvaient toujours dans la chambre à ce moment-là. Comme la porte d’entrée était ouverte, je suis parti chercher ma femme dans les rues.»
Le père de Younes affirme avoir fait plusieurs tours en voiture avant de revenir à la maison où il aurait appris l’absence de Younes par la bouche de son fils aîné : « W. était seul sur le divan. Il m’a dit qu’il n’a pas vu sa maman et qu’il a vu Younes sortir.» Alors, affirme encore Mohamed Jratlou, il repart dans les rues de Comines à la recherche de son épouse et de son fils disparu. Retrouvant sa femme, il lui annonce que leur fils cadet a disparu… Personne ne reverra plus jamais Younes vivant. Son corps, qui n’a pas été l’objet de sévices sexuels, sera retrouvé le 10 novembre 2009 dans la Lys, à une quinzaine de kilomètres de son domicile.
Bien avant cette tragique découverte, à vrai dire dès les premières déclarations de Mohamed Jratlou, les enquêteurs de la police fédérale ont été interpellés par son attitude. L’un d’eux écrivant en marge du procès-verbal initial du dossier : «Lors de cette audition, il a fallu recadrer M. Jratlou à chacune de ses réponses car lorsque nous lui demandions ce qu’il avait fait à des moments précis, il nous répondait toujours par des généralités.» Cette mauvaise impression va rapidement être renforcée par les auditions des deux autres témoins clés : Naïma Zraidi, l’épouse de Mohamed, et son fils W.
Dès son premier interrogatoire, la maman de Younes s’inscrit en faux contre les déclarations de son mari sur le thème du « dimanche paisible » : plutôt que des scènes d’amour, elle évoque son refus des avances sexuelles faites ce jour-là par Mohamed Jratlou et les violences verbales de ce dernier qui, dès l’après-midi, l’avaient déjà incitée à fuir précipitamment la maison. Accompagnée de ses enfants, elle avait été poursuivie dans les rues de Comines par un époux ivre de colère, prêt à l’écraser en roulant sur les trottoirs. Et vociférant des menaces de représailles en arabe : «Aujourd’hui, c’est vous ou moi !»
Quant à la dispute du soir, la version de Naïma Zraidi est aussi bien différente, présentant le père de Younes sous les traits d’un homme violent par habitude, surtout lorsqu’il est sous l’influence de l’alcool, et aux abois face à la détermination nouvelle qu’elle lui annonçait, le soir de la disparition, de le dénoncer à la police : «(En fin de soirée), je suis montée dans la chambre des enfants avec eux dans l’intention d’y dormir tous les trois. Mohamed a voulu dormir dans la même chambre que nous. J’ai refusé mais il est resté. Pas sur le même matelas. Je lui ai dit que j’en avais marre de cette situation et que, dès le lendemain matin, j’irais voir la police pour déposer plainte contre lui suite à tout ce qu’il m’avait fait subir. Soit les coups qu’il m’avait portés dans le passé, ainsi que le fait qu’il avait essayé de m’écraser (dans l’après-midi du 25 octobre). Il m’a alors frappée. J’ai tenté de me défendre en le prenant au cou mais il s’est mis à me frapper de nouveau. Il a pris un chat en plâtre et s’est mis à me frapper avec cet objet. Il a fait tout cela devant les enfants. J’ai dit à W. De prendre le gsm et d’appeler la police, mais il est revenu en me disant qu’il ne l’avait pas trouvé. »
Viennent ensuite ces phrases clés qui retiendront certainement l’attention des jurés de la cour d’assises : «Younes s’est alors interposé en disant à son père d’arrêter, mais Mohamed a continué à frapper. Younes, en voyant que je saignais, s’est mis à crier. »
Elle poursuit : «Dans le but d’alerter le voisinage, j’ai lancé un objet, soit une navette de tissage, dans la vitre. Il a ramassé la navette et s’est mis à me frapper avec. Il m’a alors frappée à la tête et aux bras. Suite à cela, j’ai réussi à sortir rapidement de la chambre. Je suis alors partie dans la rue, sans chaussures, sans manteau, et je me suis sauvée de la maison.» Naïma Zraidi dit se rendre alors dans les environs de la place de Ploegsteert où elle constate plusieurs passages de son mari à bord de son véhicule : «Vers 3 heures 30 ou 4 heures, il est encore passé à proximité de moi et je suis sortie de ma cachette. Je suis allée voir Mohamed et lui ai demandé s’il voulait encore me tuer. Il m’a alors demandé où se trouvait Younes. Je lui ai répondu que je ne savais pas et que je pensais qu’il se trouvait avec lui. Je suis montée dans sa voiture et nous sommes rentrés à la maison pour chercher Younes. Mohamed et moi avons cherché partout dans la maison, mais nous n’avons pas retrouvé Younes. Nous sommes alors partis en voiture avec W. pour tenter de retrouver Younes sur la route (…) W. m’a dit que lorsque Mohamed a quitté la maison, il lui a dit de rester et que j’allais rentrer. Younes lui a dit alors que je ne rentrerais pas et qu’il voulait partir à ma recherche. »
Lors de leurs auditions initiales, pas plus Naïma que Mohamed Jratlou n’évoquent le fait que Younes aurait été blessé pendant leur violente dispute. Cette information est communiquée aux enquêteurs par le jeune W. : « Mon père a frappé ma maman et maman a frappé mon papa. Sur l’appui de fenêtre, il y avait un chat (porcelaine) et mon père l’a jeté par terre. Il s’est cassé (…) Un éclat est allé blesser mon petit frère au visage, à la tempe droite. Il saignait assez fort. Le sang coulait le long de sa joue (…) A un certain moment, ma maman est descendue, elle a ouvert la porte de la maison et elle est partie à pied. Mon papa est également sorti pour chercher après maman. Pendant ce temps-là, j’étais à la maison avec mon frère. Je lui ai donné un mouchoir pour qu’il essuie le sang. Cela saignait encore un peu.»
Certes, W. a dit plus tard que son petit frère avait seulement été «éclaboussé» au visage par le sang de sa mère et que si Younes avait été blessé, c’était au pied, par un morceau de verre. Mais l’aîné des enfants Jratlou est aussi en contradiction totale avec ses parents, et ce n’est certainement pas un point de détail lorsqu’il affirme énergiquement aux enquêteurs que ce n’est pas lui qui leur aurait appris que Younes avait disparu : «Je ne sais pas comment ils l’ont
appris mais, en tous cas, ce n’est pas moi qui leur ai dit.» Bien que cela apparaisse tout à fait incroyable, aucun des deux parents ne reconnaît donc avoir remarqué que, tout de suite après leur bagarre, Younes «saignait assez fort» et que du «sang coulait le long de sa joue» ou même qu’il ait pu être éclaboussé par le sang ayant giclé lors de leur bagarre ! Il est vrai qu’autrement, leur « course-poursuite » dans les rues de Comines serait apparue très suspecte, pour ne pas dire
indéfendable.
Mais le parquet les a suivis sur ce point, constatant que le témoignage de W., un enfant d’évidence traumatisé, était assez fragile, évolutif et confus. Et considérant donc dans l’acte d’accusation renvoyant Mohamed Jratlou devant la cour d’assises que «les traces de sang éparpillées dans la maison, les lésions subies par Younes et la chronologie des événements démontrent la réalité des violences commises dans la maison après le départ de Naïma Zraidi, cette dernière étant formelle pour affirmer que les enfants étaient vivants et en bonne santé au moment où elle a quitté la maison».
Le témoignage de W. n’est pas plus pris en compte par le ministère public quand il confirme la version de son père sur la fuite de Younes : «Avant de partir, papa avait dit que nous devions rester à la maison, mais Younes a voulu chercher sa maman. Il est donc sorti par la porte avant de la maison. Je lui ai dit qu’il devait rester avec moi car quelqu’un allait le voler. Il ne m’a pas écouté et il est parti à pied (…) Il était pieds nus. (…) Quand il est parti de la maison, j’étais dans le fauteuil. Après cela, je n’ai plus revu mon frère.»
Selon le parquet, en effet, «l’hypothèse suivant laquelle l’enfant serait sorti seul au beau milieu de la nuit à la recherche de sa mère ne peut être retenue car aucune trace de sang du bambin n’a été retrouvée sur le trottoir et aucune trace n’a été décelée sur la plante de ses pieds, alors que, selon Mohamed Jratlou et W., il aurait pris la fuite à pieds nus. En outre, aucune des caméras de vidéosurveillance n’a filmé l’enfant qui était pourtant censé se déplacer, seul, dans la nuit, en couche-culotte, en plein mois d’octobre, ce qui ne serait certainement pas passé inaperçu.» Le petit Younes aurait donc été tué dans la maison familiale et son corps aurait été transporté post-mortem.
Mais l’argument utilisé par le ministère public pour accréditer cette hypothèse est étonnamment autant à charge de la mère que du père alors qu’il n’y aura qu’une personne dans le box des accusés de la cour d’assises : «L’enfant a manifestement été transporté en voiture après son décès, vu les fibres retrouvées sur ses vêtements et sur le tapis de sol du véhicule, qui correspondent au manteau de sa mère et à la chemise et au costume de son père, dont ces derniers n’étaient toutefois pas vêtus au moment de la dispute, puisque Mohamed Jratlou était simplement vêtu d’un pyjama et Naaïma Zraidi d’un pull et pantalon. »
Si l’on considère que les fibres des vêtements du père établissent sa participation à l’évacuation du corps, ne faut-il pas également retenir cet indice à charge de la mère ? A cet égard, les déclarations de Naïma Zraidi sur son emploi du temps dans la nuit du drame ont sans aucun doute plaidé en sa faveur car elles ont été corroborées par plusieurs éléments objectifs, tandis que l’emploi du temps déclaré de son mari laisse apparaître deux zones d’ombre d’environ 50 minutes chacune, sur lesquelles Mohamed Jratlou n’apporte aucune explication cohérente. De longues minutes pendant lesquelles il aurait eu le temps d’évacuer le corps de Younes.
Dans la mesure du crédit limité qu’il convient d’accorder au polygraphe, l’intéressé a aggravé son cas par des réponses expertisées mensongères aux questions qui lui ont été posées sur la mort de Younes et l’immersion de son corps dans un cours d’eau. Son comportement – il a fait l’objet de plaintes pour harcèlement et violences lors de précédentes expériences conjugales – ne plaide pas plus pour Mohamed Jratlou que l’analyse qui a été faite de lui par un collège d’experts psychiatres, ces derniers décrivant ainsi ses «limites de mentalisation»: «Il élabore peu, apparaissant détaché émotionnellement avec une froideur affective et des limites empathiques. Il peut se montrer
rigide avec une vision du monde peu sujette à accommodation. »
Rien d’autre, en vérité, que ce que nous avions déjà constaté lors de notre rencontre avec l’accusé en 2009. Rien non plus qui rende sympathique cet homme rétrograde et égoïste. Un aigri, souvent alcoolisé, qui était allé chercher une jeune femme au Maroc contre une dot, pour ensuite l’enfermer dans une petite cage, pas très dorée, coupée de toute vie sociale, d’autonomie et de liberté. Une brute ordinaire aussi, qui n’hésitait pas à lever la main sur ses enfants. Mais tous ces constats issus de l’enquête ne prouvent pas que cette personne peu séduisante ait donné
volontairement la mort à son fils.
Par contre, on ne peut sortir de la lecture de ce dossier sans la conviction que le drame s’est bien joué derrière les murs de la maison familiale des Jratlou. Le soir des faits, le petit Younes était affaibli. Il était fiévreux. Il vomissait. Mais ses parents avaient l’esprit à leurs disputes, pas aux soins dont leur enfant avait besoin. Ainsi, une analyse systémique de la famille Jratlou avance que les deux parents ont pu être «emportés par une escalade symétrique où la règle de protection (de leurs enfants) a été omise ».
En effet, qu’est-il arrivé au petit qui cherchait à s’interposer quand ces adultes se battaient ? Le pire est-il arrivé à ce moment-là ? Ou faut-il se demander : qu’est-il arrivé à Younes quand il n’a pas accepté la fuite de sa maman sans lui ? Quand il a voulu la suivre. Quand, peut-être, il a crié de toutes ses forces après elle… En cette sinistre soirée, avant ou après la fuite de sa mère dans les rues de Comines, ce bambin qui, par blessure ou « éclaboussement », avait déjà la tête rougie de sang, a en tous cas reçu des coups qui l’on fait souffrir plus encore. C’est un fait certain, établi par les médecins légistes qui en ont repéré les traces bien visibles juste en-dessous du nez et au niveau droit de la mâchoire. Et son calvaire ne s’est pas arrêté là. Le soir des faits, comme l’ont prouvé des experts en anatomopathologie, Younes a été volontairement asphyxié « par compression thoracique et/ou par obstruction mécanique des voies aérienne supérieures (de type étouffement-suffocation) ». C’est la cause de la mort.
Ce qui renvoie encore au témoignage confus de W., son frère aîné. Cet autre petit garçon lui-même victime de ce drame familial qui a fait état, lors d’un très long entretien vidéo filmé avec les enquêteurs, d’une conversation qu’il a eue avec son père, après qu’on ait retrouvé le corps de Younes : « Il m’a dit euh, ils ont pris la main (W. met sa main gauche devant la bouche), ils ont mis la main sur la bouche de Younes (W. met la main droite sur la bouche), ils font aussi euh, euh ils poussent (W. fait un geste vers l’avant avec la main droite), euh, en fait ils font comme ça, hop, ils poussent leur main (W. croise les deux mains devant lui et fait un mouvement vers l’arrière), après, mon frère, il faisait “hum, hum !!!!” comme ça, euh il voulait essayer de crier, de parler comme ça, il sait pas pourquoi il avait plus de souffle (…) Alors euh, euh, mon frère euh, il tape avec ses pieds euh des trucs comme ça, et il veut essayer de parler, il veut essayer de crier, comme ça les gens ils vont l’entendre, alors euh, euh, lui il sait pas alors y’a plus de souffle, alors c’est bon euh, y est, y a plus de souffle, il est mort. (…) C’est ce que m’a expliqué mon père ! »
W. parle-t-il vraiment de quelque chose qu’on lui a raconté ? Ou parle-t-il de quelque chose qu’il a vu ? L’interprétation de son témoignage dans un sens ou un autre n’a pas été jugée possible pendant l’instruction. Dans le même entretien vidéo filmé, le petit W. a eu aussi cette phrase : « Je ne sais pas ce qui s’est passé avec mon frère, je ne sais pas dire les trucs que je ne sais pas ! C’est mon père qui sait, c’est ma mère qui sait ! » Des propos qui ont certainement plus de poids et de vérité que ceux du père qui nous lançait en 2009 : « Il n’y a que Dieu qui sait… Il n’y a que Dieu qui sait ce qui est arrivé. »
(*) Le papa de Younes : « Je n’ai pas tué mon fils », une interview accordée à Emmanuelle Jowa et Michel Bouffioux, parue dans Paris Match Belgique le 19 novembre 2009.
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