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Publié par Michel Bouffioux

Philippe Tellier

Philippe Tellier

Entretien publié dans l'hebdomadaire belge "Ciné-Télé Revue", le 14 septembre 2006. 

 

Le 7 juillet 1997, Rémy Lecrenier avait décimé une famille entière à Bas Oha : quatre assassinats et deux viols. Moins de dix ans plus tard, la justice entame la procédure devant conduire à une prochaine libération conditionnelle. Philippe Tellier, mari et père des victimes témoigne de sa colère.

7 juillet 1997 : en une journée d’horreur absolue, Rémy Lecrenier (28 ans au moment des faits) commet deux viols et tue quatre femmes avec une arme de poing et une arbalète.

8 décembre 1999 : reconnu coupable d’avoir commis ces meurtres avec préméditation au cours d’un procès où il est décrit par les psychiatres comme un récidiviste en puissance, il est condamné à la perpétuité par le jury populaire.

28 août 2006 : Philippe Tellier qui, des œuvres de ce prédateur a perdu sa femme Geneviève (50 ans), ses filles Laurence (19 ans), Vanessa (21 ans) et Vinciane (23 ans), est informé par le parquet de Bruxelles que Lecrenier «est susceptible d’obtenir des congés pénitentiaires qui constituent une étape dans le processus d’une éventuelle libération conditionnelle».

Dans cet entretien qu’il m’a accordé, le mari et père des victimes n’a pas de mots assez forts pour crier son indignation : «Il n’y a pas dix ans que ma famille a été détruite et voilà que ce danger social prépare déjà sa libération conditionnelle. Que veut dire la «perpétuité» en Belgique ? On envisage donc de remettre en circulation un tueur froid, méthodique et sans état d’âme. Faudra-t-il que ce prédateur repasse à l’acte pour que l’on débatte enfin des peines incompressibles dans ce pays ? Après 20 ou 25 ans de détention, j’aurais peut-être pu accepter mais là c’est beaucoup trop tôt. Tant pis pour moi, tant pis pour la justice mais que Lecrenier le sache : si une commission de libération devait être assez laxiste ou assez folle pour se laisser avoir par ce manipulateur qui se fait aujourd’hui passer pour un agneau, je ne souffrirai pas en silence. Et que Lecrenier le sache : si on devait le libérer ou déjà lui donner des congés dans quelques semaines ou quelques mois, il n’en profitera pas longtemps. Je l’attendrai !»

 

Michel Bouffioux. Avez-vous la force de nous expliquer ce qui s’est passé pendant cette sinistre journée du 7 juillet 1997 ? 

Philippe Tellier. Je me trouvais en Espagne où je faisais quelques petits travaux dans un chalet en compagnie de la plus grande de mes filles. Ma femme et mes trois autres filles devaient venir nous rejoindre la semaine suivante. Il était convenu avec mon épouse que l’on s’appelle tous les jours aux environs de 15 heures. Ce jour-là, ne recevant pas le coup de fil quotidien, j’ai téléphoné moi-même à la maison (ndlr : à l’époque, la famille Tellier était domiciliée à Bas-Oha dans les environs de Huy). C’était tout le temps occupé et puis finalement, vers 16 heures, je suis tombé sur Lecrenier. En soi, ce n’était pas tellement surprenant. Depuis plusieurs années, il sortait avec ma fille Vinciane et, bien qu’ils aient décidé de rompre, Lecrenier vivait encore provisoirement sous notre toit. Je lui ai demandé s’il savait où se trouvaient ma femme et mes filles. Très calmement, il m’a répondu qu’il ne savait pas et aussitôt il a relancé la conversation sur un sujet anodin : «Il y a du soleil en Espagne?». Ensuite, on a un peu parlé de son prochain départ en vacances. Rien dans le ton de sa voix ne laissait transparaître le moindre trouble. Il semblait parfaitement maître de lui-même alors qu’à ce moment, il avait déjà tué Laurence et Vanessa, deux de mes filles ainsi que Geneviève, ma femme…

 

- Dans quelles circonstances ?

- L’enquête a révélé que le matin du 7 juillet, Lecrenier avait eu une dispute avec Vinciane. Ma fille lui avait rappelé qu’elle souhaitait qu’il ne tarde plus trop à quitter notre maison de Bas-Oha. Ensuite, elle était partie à son travail. Ce matin-là, Geneviève était aussi au boulot. Lecrenier est donc resté seul avec Laurence et Vanessa. Vers 10 heures, il a tiré son premier coup de feu. Laurence, la plus jeune de mes filles a été blessée à la mâchoire. C’est à ce moment qu’il l’a violée avant de l’achever d’une balle tirée à bout portant. Pendant ce temps, Vanessa était sous sa douche. Dès qu’elle en est sortie, il l’a également abattu : deux balles tirées à moins de dix centimètres, selon ce que démontrera l’expertise balistique. Il a ensuite déplacé les corps dans les chambres et il s’en allé tranquillement pour retirer ses économies dans une agence de banque. Avec cet argent, il a notamment acheté une arbalète, des flèches et une cible. Il s’est aussi payé des cassettes vidéo, sans doute pour passer le temps en attendant le prochain meurtre qu’il avait programmé. Il est donc revenu dans notre maison… En début d’après-midi, alors que Geneviève rentrait de son travail, il l’a saluée et dès qu’elle lui a tourné le dos, il lui a également tiré dessus à bout pourtant. Ensuite, il a dissimulé le corps dans le garage avant de nettoyer les pièces où il avait répandu le sang.

 

- C’est peu de temps après ce carnage qu’intervient votre coup de téléphone ?

- Exactement et je vous assure une nouvelle fois qu’il me parlait tout à fait normalement…

 

­- Et puis, il s’en prend à Vinciane…

- Oui, il attend patiemment le début de soirée et l’appel de ma fille qui lui demande de venir le chercher dans un manège où elle se trouvait du côté de Modave. Il l’a ramène à la maison comme si de rien n’était – ils achèteront même une pizza en cours de route. Arrivés à la maison, ils mangent. Jusqu’au moment où Vinciane découvre ce qu’il a fait. Alors il lui saute dessus. Il l’a viole et puis il l’a tue aussi : deux balles et une flèche d’arbalète dans le cœur. Sur la plante du pied droit de ma fille, il écrit «Désolé» avec un marqueur et sur l’autre : «Tu m’as rendu fou».

 

- Comment avez-vous découvert cette indicible horreur ?

- Dans le courant de la soirée, ma femme n’appelant toujours pas, j’ai demandé à mon beau-frère de se rendre à la maison pour vérifier si tout allait bien. Il a découvert le corps de ma femme dans le garage, tandis que la porte de l’une des chambres était fermée à clé. Arrivée peu de temps après, la police a défoncé cette porte et elle a découvert les corps sans vie de mes trois filles. C’est un officier qui me l’a annoncé au téléphone : «Monsieur Tellier, ne tournons pas autour du pot : tout le monde est mort»

 

- Existe-t-il des mots pour décrire ce que vous avez éprouvé dans un moment pareil ?

- Je ne crois pas, non. En tous cas, je ne les trouve pas… (Ndlr : trop ému pour continuer tout de suite, il prend un temps de réflexion). Je dirais que j’étais dans un état second; KO debout. Je ne parvenais pas à assimiler qu’il s’agissait de la réalité. Pour moi, elles étaient toujours vivantes. J’ai tout suite commandé un taxi et je me suis retrouvé seul dans un aéroport au milieu de la nuit. J’ai expliqué à une hôtesse ce qui s’était passé et j’ai pu prendre le premier vol pour la Belgique. Il n’y avait que moi à bord ou à peu près. Quand je suis arrivé, ma maison était inaccessible… Et c’est à l’institut médico-légal que j’ai retrouvé ma famille : quatre corps dans des linceuls blancs. Je n’ai pas pu embrasser tout le monde une dernière fois. L’état de certains corps ne le permettait pas.  

 

- Lecrenier avait pris la fuite ?

- Oui mais grâce au témoignage de touristes belges, la police française l’a intercepté cinq jours plus tard dans un camping à Ramatuelle. Là-bas, il passait son temps à la plage et à la piscine. Le soir, il se rendait en discothèque. Des gens qui l’ont côtoyé sur place ont expliqué qu’il était tout à fait relax, qu’il n’avait rien d’une personne aux abois… Lecrenier se fichait totalement de ce qu’il avait fait. Ce type est un tueur froid.

 

- Cela s’est-il confirmé lors de son procès ?

- Comment vous dire ? Il est arrivé dans le box des accusés avec le sourire ! Bien sûr, au début des débats, ses avocats ont exprimé des excuses en son nom. Mais cela m’est apparu clairement comme une stratégie de défense obligée. Lecrenier, lui, il s’est contenté d’un «Je n’ai rien à dire». Au fil des audiences, il s’est montré plus loquace pour décrire les actes qu’il avait posés en juillet 1997. C’était effrayant : il parlait de ses meurtres avec détachement, comme d’autres raconteraient les péripéties de leur dernière partie de pêche. J’ai retenu deux enseignements essentiels de ce procès. Le premier, c’est que des experts psychiatres ont démontré qu’il était responsable de ses actes et que ses traits de personnalités (narcissisme, paranoïa, refus d’assumer ses responsabilités) faisaient qu’il restait dangereux pour la société. En d’autres termes, c’est un récidiviste en puissance ! Le second, c’est que le jury populaire a bien compris le message et qu’il condamné Lecrenier à la réclusion à perpétuité. Après le verdict, lorsque je suis sorti de la Cour d’assises de Liège, j’étais donc soulagé. Vu la sévérité du réquisitoire du ministère public, tout le monde avait le sentiment qu’il se sortirait pas avant au moins 20 ou 25 ans… Justice avait été rendue.

 

- Mais le 28 août dernier, vous avez reçu cette lettre du parquet de Bruxelles…

- Un vrai coup de poignard. La blessure était toujours là mais je parvenais à gérer la douleur. Là, je retombe dans le gouffre. Je me sens trahis par la Justice. Il n’y a pas dix ans que Lecrenier a détruit ma famille et voilà qu’on lui donne le droit de rêver à une prochaine libération! Pour tuer encore ? Je voudrais rappeler ici que, bien avant le drame, il confiait à qui voulait l’entendre que si Vinciane devait le quitter, il «liquiderait toute la famille Tellier». Le procès a aussi démontré qu’en tuant mes proches, il voulait se venger de moi parce qu’il pensait que j’étais à l’origine de la rupture avec Vinciane. Si on le libère demain, devrais-je demander une protection policière pour la fille qui me reste, mes deux petits-enfants et moi?

 

- Pour vous, quelle serait une juste exécution de la peine ?

- Emotionnellement, mon premier réflexe est de dire qu’il ne devrait jamais plus sortir. Cela dit, s’il était question de le libérer après 25 ou 30 ans, je ne crierais pas au scandale comme je le fais aujourd’hui.

 

- Mais s’il devait tout de même bénéficier de congés dans quelques semaines, voire d’une libération conditionnelle dans quelques mois?

- Si tel devait être le cas, il ne profitera pas longtemps de sa liberté. Je l’attendrai!

 

- Avant d’en arriver à de telles extrémités, il existe des recours légaux !

- Je compte bien les utiliser. Il y aura des débats au sein d’une commission de libération dirigée par un magistrat. Je peux y donner mon avis mais je n’ai plus la force qui me permettrait de m’impliquer personnellement dans une telle procédure. Revivre toute cette tragédie une nouvelle fois, comme lors du procès d’assises, c’est impossible!

 

- Dès lors…

- Maître Dominique Remy, mon avocat, va écrire une lettre à cette commission pour manifester mon refus ferme et définitif de tout congé pénitentiaire et de remise en liberté conditionnelle… S’il le faut, on demandera une nouvelle expertise psychiatrique.

 

- Votre avis va donc être entendu…

- Ce qui a changé depuis l’affaire Julie et Melissa, c’est qu’on met désormais les victimes au courant de ce qui se passe. C’est bien mais ce n’est pas suffisant si, dans le même temps, la justice persiste dans une application froide et inhumaine de certaines procédures. Ce que je dénonce c’est qu’il y a quelque chose de «mécanique» dans ce système de remise en liberté : après quelques années, quelques soient les faits commis, le détenu est en droit de demander cette faveur. Mais dans un dossier comme celui de Lecrenier, l’existence même de ce droit pour le criminel, si peu de temps après les faits, insulte la mémoire des victimes. C’est aussi contraire à l’élémentaire bon sens et à l’intérêt de la société : Lecrenier n’est pas quelqu’un qui a tué une personne dans un accès de colère. Il ne s’agit pas non plus d’un crime passionnel. Ce prédateur a volontairement décimé toute une famille avec méthode et préméditation. Seulement pour satisfaire ses pulsions narcissiques! Veux-t-on encourager d’autres candidats à de telles horreurs? Le message qui ressort de cela c’est que je peux tuer quatre femmes en une journée et, dix ans plus tard, déjà préparer mon retour dans la société! Dans des cas comme celui-là, mais aussi pour des gens comme ceux qui ont été condamné dans le cadre de l’affaire Dutroux, il faudrait que le tarif criminel soit clair et définitif. Cela donnerait tout son sens à la sanction et cela ne mettrait plus les familles dans un état d’angoisse permanent à cause du flou qui entoure la date de sortie de ces grands criminels.

 

- Vous faites-là un plaidoyer pour les peines incompressibles !

- C’est évident. Je voudrais que ce qui se passe dans cette affaire soit le déclencheur d’une prise de conscience de l’urgence d’enfin créer ces peines incompressibles. Après un procès, on saurait clairement à quoi s’en tenir alors que, dans le système actuel, tout peut être remis en question en cours d’exécution de peine. En plus, on rouvre sans cesse la blessure des victimes : pour me battre contre cette libération, on m’oblige à replonger de plein pied dans l’horreur. Combien de fois devrais-je le faire encore dans les prochaines années ? Est-ce normal que je dois encore recourir aux services de mon avocat pour aller plaider ce qui n’est somme toute que l’évidence ?

 

- Si une loi créait des peines incompressibles, elle n’aurait évidemment pas d’effet rétroactif…

- Donc pour mon dossier comme pour tant d’autres, c’est trop tard… J’en ai conscience. Mais à l’avenir il y aura encore d’autres victimes! Et d’autres Lecrenier qui pourraient bénéficier du laxisme de notre législation! C’est aussi pour cela que je veux crier mon indignation… Cela ne fera pas revenir ma femme et mes trois filles mais si mon témoignage pouvait contribuer à une réaction du monde politique et de la magistrature, cela donnerait peut-être un peu de sens à ce cauchemar que je revis chaque jour qui passe depuis presque dix ans.

 

- Existe-t-il une place pour le pardon dans cette affaire ?

- Humainement, il m’est impossible de répondre positivement à cette question. Comme l’a dit mon avocat, Me Remy, lors du procès de Lecrenier : «Seul Dieu pourra un jour lui pardonner.»

 

 

«Toujours le même cauchemar»

Aujourd’hui encore, Philippe Tellier se réveille très souvent en sueur au milieu de la nuit : «Je fais toujours un même cauchemar où j’apprends qu’on a tué mes enfants. Généralement quand on ouvre les yeux pour se libérer d’un cauchemar, c’est pour se rassurer. Mais pour moi, c’est différent. Ce mauvais rêve que je refais sans cesse correspond à la réalité. Pour l’avoir connu, pour avoir constaté son détachement pendant son procès, pour avoir entendu les experts psychiatres qui ont décrit sa personnalité, je suis certain que Lecrenier dort beaucoup mieux que moi… Depuis le 7 juillet 1997, je ne vis plus. J’ai vendu la maison. J’ai perdu mon emploi. Je survis, c’est tout. Avec des médicaments. En gueulant trop et trop souvent, sans doute pour évacuer maladroitement la colère qui est en moi. En compensant aussi comme je le peux : lorsque je rencontre une petite fille plein de vie, je ne peux m’empêcher de lui dire «ma petite chérie» parce que je n’ai plus l’occasion de le dire à mes trois petites. Ma prison à moi, elle est psychologique. Ma peine à perpétuité à moi, elle est réelle! Laurence, Geneviève, Vanessa et Vinciane n’auront, elles non plus, jamais de remise de peine…»

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