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24 Avril 2008
APPEL A L'AIDE : "J'AI PEUR DE MA FILLE"
- Dossier évoqué sur le plateau de "L'info Confidentielle-Paris Match/RTL/TVI, le 19 avril 2008 et publié dans l'hebdomadaire "Paris Match" (Belgique), le 24 avril 2008 -
Valérie (prénom fictif) est dangereuse pour elle, pour sa famille et pour la société. Il lui faut un lieu de vie adapté.
En tant que directrice du niveau fondamental d’un Athénée, Michelle Labeye est l’interlocutrice privilégiée des parents pour tous les problèmes qu’ils pourraient rencontrer dans le cadre de la scolarité de leurs enfants… Une femme active, déterminée, engagée. C’est le côté face.
Côté pile, c’est une maman en détresse qui ne sait plus à quelle porte frapper pour gérer les difficultés comportementales de l’une de ses filles. Récemment, elle nous envoyait un e-mail, comme un naufragé lancerait une bouteille à la mer. « Je suis la maman d’une jeune fille de 20 ans sous minorité prolongée, qui me tape, qui m’agresse et qui rend la vie de la famille insupportable. J’essaie malgré tout de la protéger. Je récolte l’hostilité de sa psychiatre qui préconise de la laisser toucher le fond (drogue, alcool…). La police ne m’aide pas, les urgences me la renvoient, l’A.w.i.p.h. (Agence wallonne pour l’intégration de la personne handicapée) n’agit pas, la nouvelle secrétaire d’Etat ne m’a pas répondu, je n’en peux plus. La famille n’en peut plus… »
Ce dimanche, dans le cadre de « L’info confidentielle Paris Match », l’enseignante a reproduit son appel à l’aide. « Il faut trouver un lieu de vie adapté pour ma fille avant que les choses tournent mal. Valérie (prénom fictif) est dangereuse pour elle, pour nous et elle est tellement influençable qu’au travers de mauvaises rencontres, elle pourrait le devenir pour la société. » Le cri d’une maman en détresse que Paris Match a aussi entendue plus longuement en se rendant dans la grande et charmante maison de Pepinster où Michelle Labeye cohabite avec Christian, son compagnon – lui-même ex-directeur d’un établissement d’enseignement secondaire – et ses quatre filles.
« La plus âgée de mes filles a 22 ans », entame Mme la directrice. « Elle est née du couple que je formais avec mon ex-mari. En ce moment, elle termine des études de comptabilité à Liège. Mes trois autres filles, je les ai adoptées. Un bébé venu nous rejoindre à l’âge de 2 ans et demi est maintenant une jeune femme de 19 ans qui étudie l’Histoire de l’art à l’Université. Toujours à l’époque où je vivais avec mon ex-mari, nous avons adopté des jumelles de 5 ans. Aujourd’hui, elles en ont 20. Dans leur prime enfance au Rwanda, ces deux petites ont beaucoup souffert : malnutrition, malaria, peut-être des mauvais traitements… L’une d’entre elles a surmonté ce passé difficile. Aujourd’hui, elle se destine au métier d’assistante sociale. Et puis, il y a Valérie dont le handicap mental est peut-être l’héritage de ce passé. Sa vie n’a jamais été facile. Elle est différente et elle s’en rend compte. Elle a souvent été humiliée en milieu scolaire. Cela a peut-être nourri ses problèmes caractériels. Des troubles de l’humeur qui, depuis pratiquement un an, sont devenus ingérables. Pour elle comme pour nous. »
Chargée de l’organisation et de la discipline dans son école et s’étant retrouvée seule pendant quelques années pour élever ses filles, Michelle n’est pas du genre à se laisser rapidement submerger par les épreuves de la vie. Mais là, la femme que nous voyons est visiblement au bout du rouleau. « Quand Valérie était petite, elle avait certes des difficultés d’apprentissage – notamment une dyscalculie profonde – et ses comportements témoignaient d’une immaturité marquée. Cela l’a empêchée d’obtenir son CEB. Toutefois, sur le plan relationnel et familial, les choses se passaient relativement bien. Je l’ai beaucoup aidée. Elle a pu tout de même apprendre à lire et à écrire, et c’était déjà une belle victoire. Avec l’adolescence, les choses ont commencé à se compliquer. Ses troubles du caractère se sont amplifiés. Elle est devenue intolérante, très fainéante et rebelle. Un mélange de comportements associés à son handicap mental qui ont produit un cocktail explosif. Petit à petit, cela nous a menés à la situation de violence et de danger que nous vivons actuellement. Et aujourd’hui, je crains qu’on ait atteint le point de non-retour », raconte sa maman.
Après une scolarité chaotique et non aboutie, période de sa vie durant laquelle Valérie eut souvent à souffrir de sa différence et où elle éprouva de grandes difficultés de socialisation, sa maman et son compagnon ont fait le nécessaire pour lui obtenir une reconnaissance à l’aide sociale de l’Awiph. Ensuite, alors qu’elle était âgée de 18 ans, ils lui ont trouvé un emploi grâce à des relations. « Pendant quelques mois, Valérie n’a rien fait. Elle était tout le temps à la maison et ses seules activités constructives étaient ses cours de danse et l’équitation. Pour le reste, elle surfait sur Internet. J’en ai eu assez d’attendre l’intervention d’un service d’accompagnement subsidié par l’Awiph. Je trouvais que cette oisiveté n’était pas bonne pour elle et j’ai réussi à la faire embaucher par l’hôpital de Verviers. Malheureusement, au lieu de travailler aux cuisines comme cela avait été envisagé, le contrat s’est transformé en ramassage des mégots de cigarettes autour de l’hôpital, quatre heures par jour. Il s’agissait de la décourager pour qu’elle parte et c’est ce qui s’est passé. »
Pendant cette période déjà, la situation se dégrade. A plusieurs reprises, Valérie disparaît sur le chemin du retour de son travail. Sa maman doit se rendre régulièrement à la police pour la faire rechercher. Des soirées d’angoisse se succèdent. Où est-elle ? Que fait-elle ? Avec qui ? Ses proches connaissent sa fragilité, sa personnalité peu stable et influençable. « A ce moment-là, ce n’étaient pas encore des choses très graves. Elle se retrouvait chez l’une ou l’autre copine, rien de plus », explique sa maman. L’épisode « hôpital de Verviers » ne durera que trois mois. « Surmontant les lenteurs administratives de l’A.w.i.p.h. dont il fallait le visa pour la faire engager quelque part, on a pu ensuite lui trouver une place à l’Athénée de Pepinster. Mais là encore, ça n’a pas marché. Elle faisait beaucoup d’erreurs, elle refusait certaines missions et, finalement, le contrat a été interrompu le jour où, arrivant avec trois heures de retard, elle a expliqué qu’elle avait été obligée d’aller se faire faire un percing à Verviers. Valérie ne comprenait sincèrement pas pourquoi son employeur lui faisait des reproches. Elle l’a injurié et elle a perdu sa place. »
Voilà donc près d’un an que Michelle et son compagnon s’interrogent et questionnent les institutions Voilà donc près d’un an que Michelle et son compagnon s’interrogent et questionnent les institutions Voilà donc près d’un an que Michelle et son compagnon s’interrogent et questionnent les institutions Voilà donc près d’un an que Michelle et son compagnon s’interrogent et questionnent les institutions Voilà donc près d’un an que Michelle et son compagnon s’interrogent et questionnent les institutions Voilà donc près d’un an que Michelle et son compagnon s’interrogent et questionnent les institutions
En constatant ses échecs successifs, on pourrait se demander si Valérie ne serait pas l’un de ces enfants-rois qui rencontrent des problèmes caractériels à force de n’avoir pas été éduqués par leurs parents. Mais sa maman rejette cette hypothèse avec force : « Je n’ai jamais fait de l’hyper protection, je ne l’ai pas pourrie. Les problèmes actuels résultent de son retard mental léger auquel sont associés de nombreux troubles très perturbants pour elle ». De fait, selon les psychiatres et psychologues qui l’ont examinée depuis sa petite enfance, Valérie est atteinte d’arriération mentale. « Cela correspond à un manque de développement des facultés intellectuelles, affectives et cognitives. Selon les connaissances actuelles de la médecine, cet état est irréversible. En plus, à ce jour, il n’existe pas de médicaments spécifiques susceptibles de l’aider », précise Michelle Labeye. Dans une attestation, un psychiatre ajoute que « l’état mental de Valérie présente une structuration limitée avec aspect déficitaire important et un versant psychotique qui implique une altération du sens de la réalité ».
Avec ses mots de maman, Mme Labeye nous raconte sa fille : « Valérie a un âge mental de 12-13 ans. Malgré cela, elle dispose aussi d’une étonnante capacité à mémoriser des quantités impressionnantes de données dans les domaines qui l’intéressent. Par exemple, tout ce qui concerne les acteurs de cinéma… Son handicap ne saute pas tout de suite aux yeux. Mais elle ne pourrait le dissimuler très longtemps : elle souffre d’un trouble de l’attention avec hyperactivité. En d’autres termes, elle ne tient pas en place et elle ne parvient pas se concentrer. Pas plus qu’elle ne sait se repérer dans le temps. Souvent, elle n’arrive pas à s’exprimer de manière cohérente. Elle fait une chose et elle l’oublie aussitôt pour passer à une autre tâche. Par exemple, elle met quelque chose sur le feu et, quelques instants plus tard, cette action est oubliée parce que son attention a été captée par autre chose, comme aller regarder la télévision. Par ailleurs, avec ses raisonnements enfantins, Valérie est évidemment une personne manipulable. Pour une maman, c’est très préoccupant parce que j’ai bien conscience que cela fait d’elle une proie idéale pour des gens qui voudraient abuser d’elle. Pour résumer, je dirais qu’en aucun cas ma fille ne serait capable de vivre de manière totalement autonome. Il faut quelqu’un pour lui dire de se lever, de se laver…Vivre avec elle demande un grand investissement, beaucoup d’amour et de disponibilité. J’ai tout cela à lui donner mais désormais, ce n’est même plus suffisant. Depuis près d’un an, la violence est devenue de plus en plus prégnante dans les comportements de Valérie. Et tous ses proches en souffrent. Elle ne supporte plus aucune frustration. Lui intimer l’ordre de se lever avant midi est pris comme une insupportable provocation. Elle injurie. Elle crie. Elle frappe… Pour tout, pour rien. Dernièrement, elle s’est jetée sur moi telle un fauve. Elle m’a tirée par les cheveux et ensuite, j’ai été arrosée de coups de poing sur tout le corps. Simplement parce que je lui refusais une sortie. J’ai peur… De temps en temps, il y a une courte période de rémission. Et puis survient une nouvelle déferlante de violence. C’est devenu insupportable et inquiétant. Pour elle. Pour nous aussi. Mes filles, mon compagnon et moi, nous sommes épuisés par cette tension permanente ».
Voilà donc près d’un an que Michelle et son compagnon s’interrogent et questionnent les institutions qui sont censées les aider à protéger Valérie. « Partout, on nous donne l’impression de vouloir minimiser l’enfer que nous vivons. L’assistante sociale qui voit Valérie est avec elle d’une grande douceur... Un jour où ma fille n’avait pas réussit à se lever à… 14 heures pour la recevoir, cette brave jeune femme est repartie en disant que ce n’était rien… Elle a annoncé qu’elle prendrait garde dorénavant à fixer ses rendez-vous plus tard. Elle ne se rend pas compte du sentiment d’urgence et d’overdose que nous ressentons. Il s’agit là d’une caricature de protection de la jeunesse. ‘‘Protéger’’ un jeune, c’est lui apprendre qu’il a des droits mais aussi des devoirs ! »
A propos de la psychiatre de Valérie, Michelle s’interroge aussi. « Je ne sais pas si c’est du cynisme ou du réalisme, mais tout ce qu’elle me dit me démoralise ou me met en colère. Par exemple, quand elle me lance : ‘‘Vous devez vous y faire : Valérie finira en prison, dans un asile psychiatrique ou dans établissement de défense sociale… Ou à la morgue’’. En dehors de considérations de ce genre, je n’entends aucune parole de sa part qui soit de nature à m’aider à trouver une solution. Elle me dit qu’on ne pourra rien faire pour ma fille avant qu’elle ait touché le fond. Il faudrait donc regarder une éventuelle chute dans la violence, la drogue, la délinquance ou l’alcool comme une fatalité. Je trouve cela inacceptable. Aujourd’hui déjà, j’entrevois que ma fille est devenue dangereuse pour elle-même et pour les autres. Dernièrement, elle s’est retrouvée dans une soirée où elle a consommé du cannabis et trois types ont profité d’elle. Valérie n’a pas les moyens de défense nécessaires. Son sens des réalités et son sens moral sont altérés. Elle peut donner rendez-vous à n’importe qui, n’importe quand et elle pourrait être convaincue facilement de faire n’importe quoi. Ne supportant plus aucune frustration et ne fonctionnant qu’avec son ‘‘moi’’, il y a un risque permanent de violence subite et incontrôlée. Mon compagnon et moi, nous craignons que tôt ou tard, cela se termine par un drame ».
Il y a deux ans, Michelle a obtenu de la justice que la minorité de Valérie soit « prolongée » : « J’ai fait cela parce que je me demandais ce qui se passerait si je n’étais plus là. Comme elle est incapable d’être autonome, qui s’occuperait d’elle ? Mon intention première n’a jamais été de me séparer d’elle. Si, depuis près d’un an, je veux qu’elle trouve une institution où elle pourrait être recadrée sans être dans une sorte de prison, c’est sincèrement pour son bien et celui de ma famille immédiate. J’aurai tiré le signal d’alarme autant que possible ! ».
Bientôt une solution ?
En temps que directrice d’école, Mme Labeye rencontre parfois un policier qui suit des dossiers d’enfants en difficultés. « Il y a quelques jours, j’ai osé lui parler de l’épreuve que nous traversons. Il m’a dit que je devais dénoncer les violences commises par Valérie. C’est une démarche très pénible. Jamais, je n’aurais imaginé devoir en arriver là. J’ai donc déposé plainte pour coups et blessures. Un dossier a été ouvert… En sortant du bureau de police, je me suis dit que j’accomplissais la prévision de la psychiatre de Valérie. Ma fille risque ainsi d’entamer un parcours judiciarisé. Ce n’est pas ce que je veux : il lui faut seulement un lieu de vie adapté. Un endroit où elle serait en contact avec des adultes qui lui ressemblent pour qu’enfin elle ne se sente plus dévalorisée ; où elle réapprendrait à se lever, à se laver, à vivre avec elle-même et avec les autres… ».
Un magistrat de la jeunesse nous dit que Mme Labeye a été bien conseillée par le policier. « L’auteur des coups, même si c’est sa fille, ne doit pas éprouver un sentiment d’impunité. Par ailleurs, la justice ne peut intervenir qu’après la commission d’un délit et dès lors, il vaut mieux dénoncer un fait mineur, lequel pourrait suffire à un tribunal pour diriger la personne concernée vers la défense sociale.» Le Parquet dispose aussi de la faculté de saisir un juge de paix afin d’obtenir « la mise en observation » de Valérie en hôpital psychiatrique pour une durée de 40 jours renouvelables sur avis médical. On notera qu’une mise en observation peut aussi être demandée par l’entourage d’une personne devenant dangereuse. Les demandeurs doivent alors se munir d’un avis médical circonstancié (celui d’un généraliste suffit) et ensuite se rendre chez le juge de paix.
« Voilà des solutions bien radicales », tempère un psychiatre. Pour lui, le bon sens indiquerait d’abord de déminer la situation d’extrême tension actuelle. « Ce dossier ne devrait-il pas être examiné de façon systémique dans le cadre d’une approche faisant participer tous les intervenants de la famille ? Parfois, des parents aimants découvrent qu’ils font aussi partie du ‘‘problème’’, » dit-il. « Une approche de ce type a déjà été tentée sans succès », rétorque Michelle Labeye. Quand à la situation d’urgence actuelle, le psychiatre estime que « le confrère qui s’occupe de Valérie devrait essayer de faire comprendre que la situation présente n’est pas bonne pour elle et pour ses parents ; qu’elle retrouverait plus de sérénité en passant un séjour dans l’unité psychiatrique d’un hôpital. Elle y rencontrerait un public très varié et, notamment, d’autres patients qui, comme elle, ont un retard mental léger associé à d’autres troubles ». Dans ces structures, que ce soit l’« Unité 21 » de l’U.c.l., Beauvallon ou ailleurs encore, les patients sont réadaptés à une vie sociale (respect de normes minimales, comme des horaires ).
Sur le plus long terme, des structures d’accueil non spécifiques mais suffisamment adaptées existent pour des patients correspondant au profil de Valérie. Le psychiatre contacté par Paris Match évoque par exemple le centre bruxellois « Les Tropiques », où un travail formidable est réalisé (vie communautaire en appartements supervisés). Encore un dossier où beaucoup de souffrance pourrait être évitée avec plus de dialogue…
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