19 Mars 2004
Chronique "Si on me laisse dire" publiée dans le quotidien belge "La Dernière Heure" en marge du procès de Marc Dutroux et consorts -Le 19 mars 2004 (15)
Sept ans et sept mois! Il aura fallu sept ans et sept mois pour, qu’officiellement, l’un des dogmes les plus incroyables de l’instruction chestrolaise de l’affaire Dutroux s’effondre. Cela fait autant de temps d’ailleurs que les parents de Julie Lejeune et de Melissa Russo le dénonçaient. Plusieurs fois, ils l’ont fait savoir au juge Langlois, plusieurs fois, ils l’ont crié dans les médias : non, disaient-ils en substance, la version de Dutroux et de Martin sur les derniers mois de vie de nos enfants n’est pas crédible. Et, fort logiquement, ils imploraient la justice de chercher à aller au-delà des déclarations des inculpés. Ils se sont heurtés à un véritable mur. Depuis l’exposé du juge Langlois à Arlon, lequel nous a révélé que des «déclarations concordantes et constantes» de deux au moins de ses inculpés pouvaient être considérées comme une «donnée objective», on comprend aisément comment ce mur d’incompréhension s’est construit.
Ainsi donc, Dutroux et Martin prétendaient que Julie et Melissa étaient restées seules dans la cache de Marcinelle entre le 6 décembre 1995 et le 20 mars 1996. Ainsi donc Dutroux, prétendait leur avoir laissé de la nourriture pour deux mois et Martin prétendait les avoir réapprovisionnées à la mi-janvier 1996. Ainsi donc, les deux petites filles seraient mortes, peu de temps après la libération de Dutroux. Après n’avoir jamais vu personne. Sans être jamais sorties de ce sinistre réduit humide et froid. Peut-être, pourrait-on trouver ce type de récit dans un roman de Stephen King. D’autant que, pour être complet, on signalera les «aveux» de Dutroux et Martin, tant sur la quantité de nourriture que sur la qualité de celle-ci n’ont, en fait, pas toujours été «constants»… D’autant enfin, que ces «aveux» étaient de toute façon invérifiables.
A moins, bien entendu, de recourir au deuxième grand principe de l’instruction Langlois : le vécu de Sabine Dardenne qui est restée quelques quatre-vingt jour à Marcinelle suffirait à se faire une idée de celui qu’eurent à subir Julie et Melissa. Et comme Sabine n’est jamais sortie de la maison de Dutroux… C’est notamment sur base d’un tel raisonnement que M. Langlois a refusé –dès octobre 1997!- une perquisition dans un endroit de Charleroi où Julie et Melissa auraient été aperçues. Avec ce même raisonnement, le juge demandera –en 1998 !- à un expert nutritionniste de se forger une conviction sur la crédibilité des récits de Dutroux et Martin, en tenant compte notamment de la quantité de nourriture qui se trouvait dans la cache… à la libération de Sabine et Laetitia.
A cette demande spécieuse, succédera un rapport fort ambigu du professeur Kolanowski de l’UCL. L’expert nutritionniste indiquait que les bases qu’on lui donnait pour fonder son analyse n’étaient pas sérieuses et, dans le même temps, il concluait que, sur de telles bases, «il n’était pas impossible» que les petites aient pu survivre pendant les 104 jours. Dans son instruction, puis dans son rapport aux jurés de la Cour d’assises, M. Langlois n’a retenu que des dernières lignes du rapport : «Il n’est pas impossible que… ». Hier, M. Kolanowski a levé toute ambiguïté : «c’était impossible!».
« En fonction de ce que vous nous avez exposé, il ne reste que trois hypothèses : soit elles sont mortes avant que Dutroux rentre en prison. Soit quelqu’un est venu de l’extérieur pour leur donner des apports en eau et en nourriture, soit elles ne sont pas restées dans la cache durant les 104 jours de détention de Dutroux», lui a fait remarquer en substance Me Beauthier.
-«Je ne peux exclure aucune de ces trois possibilités.», a répondu l’expert. Le juge Langlois l’avait de toute façon déjà fait avant même de l’avoir consulté. Sept ans et sept mois… Et revoilà les questions des premiers jours d’enquête.
Pour couronner cette journée peu glorieuse pour la justice de ce pays, l’avocat général Andries a versé de nouvelles pièces au dossier Dutroux. Il s’agit d’informations rapportées récemment par le gendarme… René Michaux au parquet de Charleroi : Julie et Melissa seraient mortes en novembre 1995, avant la mise en détention de Dutroux. Plus de problème de conscience pour ce gendarme qui était passé à côté de la cache et qui y avait «entendu des voix d’enfants». Surtout, cette nouvelle version –je ne dis pas qu’elle est forcément fausse, mais je me borne à constater ses conséquences sur la lecture que l’on peut avoir de l’affaire Dutroux- induit qu’il ne faudrait plus se poser se demander comment, où et avec qui, Julie et Melissa auraient survécu entre le 6 décembre et 20 mars 1996. Voilà donc que l’un des premiers rôles dans les dysfonctionnements des enquêtes de 1995 donnerait, in fine, la clé de l’énigme. Cela, je ne suis pas certain que Stephen King l’aurait envisagé dans l’un de ses romans!
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