9 Avril 2011
...MICHELINE ET CARLO RETROUVERONT-ILS LEUR MAISON ?
Enquête évoquée sur le plateau de "L'Info Confidentielle Paris-Match" le 26 mars 2011 et publiée dans l'hebdomadaire "Paris Match Belgique", le 30 mars 2011.
Micheline et Carlo Piralli vivent à Lodelinsart (Charleroi) dans un petit studio d'une quarantaine de mètres carrés. Avant, ils habitaient une belle grande maison à Dampremy, le fruit d'une vie de labeur, des murs dans lesquels, depuis le milieu des années 70, ce couple a vu grandir ses quatre enfants. Avant ? C'était quand cette satanée explosion n'avait pas encore eu lieu.
Ne pouvant empêcher les larmes de mouiller son visage, elle raconte. Avec fébrilité, la détresse cassant sa voix. De temps à autre relayée par son mari, qui investit de rares espaces pour glisser un mot dans ce flot ininterrompu de paroles, qui témoigne d'une immense inquiétude.
Micheline : «Dans la soirée du 17 novembre 2009, notre voisin s'est suicidé en laissant le gaz s'échapper de sa cuisinière. Il était un peu plus de 22 h 30 quand une énorme déflagration a totalement détruit son habitation. Ma fille et moi avons eu beaucoup de chance. A ce moment-là, nous regardions une série télé dans le salon. L'un des murs de cette pièce est mitoyen de celui du bâtiment qui a explosé mais, heureusement, notre maison est restée debout et personne n'a été blessé par les vitres qui sont toutes parties en éclat».
Carlo : «En état de choc, on n'a pas tout de suite compris ce qui s'était passé».
Micheline : «De fait, on n'a pas mesuré l'ampleur de la catastrophe. Lors de leurs interventions, les policiers et les pompiers nous ont conseillé de quitter notre maison par mesure de précautions. Mais moi, je ne voulais pas déserter ce lieu où mon mari et moi avons tellement de souvenirs. Toute l'histoire de notre petite famille y a été écrite. Alors, pendant quelque temps, avec l'autorisation des forces de l'ordre, on a pu séjourner à quatre dans la salle à manger. C'est la pièce la plus éloignée de la maison qui a explosé. Il n'était déjà plus question d'utiliser les chambres, le toit ayant été soufflé, les châssis ayant été abimés, les murs et la chape de sol laissant apparaître des fissures préoccupantes. La salle de bain et la cuisine étaient encore en plus mauvais état, car elles se situent dans la partie de notre maison mitoyenne avec celle du voisin».
Carlo : «Après quelques jours, on s'est bien rendu compte que du temps allait s'écouler avant qu'il soit procédé aux réparations. Il ne pouvait être question de camper pendant des mois. On a donc trouvé à se reloger dans ce petit appartement de Lodelinsart, en attendant des jours meilleurs».
Micheline : «Mon seul souhait, c'est de retrouver une vie normale. Celle pour laquelle nous avons travaillé toute notre vie. Je veux ma maison ! Le voisin n'était pas assuré et depuis un an et demi, nous sommes pris en otages par deux organismes, l'Agence immobilière sociale de Charleroi (AÏS) et la Société wallonne des eaux (SWDE). LAIS était la propriétaire de la maison qui a explosé. Derrière celle-ci se trouve un vieil entrepôt, construit en dur et mitoyen, lui aussi, avec notre maison. Cet entrepôt appartient à la SWDE. Pour que les travaux de réparation puissent commencer, ne fut-ce même que pour estimer l'ampleur de notre préjudice, il est impératif que les restes de la maison du voisin et de l'entrepôt soient détruits. Mais l'AIS et la SWDE n'arrivent pas à se mettre d'accord sur le partage des travaux à faire».
Carlo : «Après plusieurs mois de patience, nous avons eu recours aux conseils d'un avocat. Me Jean-Pierre Deprez a fait tout ce qu'il a pu pour qu'une solution amiable soit trouvée mais, bientôt, il ne restera plus que la voie judiciaire pour obtenir réparation de notre préjudice. »
Micheline : «Ce qui ne fera qu'allonger encore les délais avant que nous revivions dans notre maison... Si nous y revivons un jour! ». Me Deprez nous confirme le propos de ses clients : «J'ai rarement vu cela! Après des premiers échanges avec la SWDE et l'AIS qui laissaient entrevoir la possibilité de travaux de nettoyage de la maison et de l'entrepôt pour février 2011, le dossier a été bloqué. J'ai pourtant cru qu'on allait trouver une issue favorable à cette affaire en dehors des tribunaux mais, désormais, mes interlocuteurs font la sourde oreille. Je trouve cela scandaleux au regard de la situation difficile que vit actuellement la famille Piralli».
De fait, dans un courrier adressé à cet avocat le 17 novembre 2010, la SWDE annonçait «pouvoir faire entreprendre les travaux (...) dans le courant du mois de février 2011». Mais dans une lettre ultérieure, postée le 21 janvier 2011, la même SWDE revoyait sa position, annonçant à Me Deprez : «Nous tenons à vous signaler qu'en ce qui concerne le début des travaux, ceux-ci sont conditionnés par les aspects "propriété" des biens (...) Le délai que vous évoquez (février 2011) n’est donc pas envisageable à l'état d'avancement actuel du dossier».
Que s'est-il passé pour expliquer cette volte-face qui accroit : considérablement le préjudice subi par les Piralli ? Qu'en est-il de ces «aspects propriétés» entre l'AIS et la SWDE qui compliquent ce dossier à l’extrême ? Afin de démêler I’écheveau, nous avons demandé un entretien avec le président du conseil d'administration de l’AIS de Charleroi. Il s'agit de l’échevin et avocat carolo Eric Massin (PS), une personne qui se présente sur le site de son parti tel un homme «pétri des valeurs socialistes par l'implication des membres de sa famille dans les différentes composantes de l'action commune». Quelle belle profession de foi ! Nonobstant, ce mandataire local n’a pas donné suite à nos demandes d'entretien relatif à la situation difficile rencontrée par une famille qui a perdu son logement dans les circonstances que nous connaissons. Dont acte…Un silence d'autant plus piquant au regard des missions de l’asbl présidée par le sieur Massin, qui consistent tout de même, nous citons, à «procurer un logement décent à un loyer modique à des personnes en difficulté» et à «orienter les personnes en rupture de logement (sinistre, expulsion...) ». Dont acte, bis.
Faisant preuve de plus de politesse, de diligence et tout simplement d'intérêt pour ce dossier, Philippe Boury nous a cependant donné la version de la SWDE, dont il est l'un des membres du comité de direction. Selon lui, «il ne peut être contesté que la maison qui a explosé au n°35 de la rue du Château d'eau à Dampremy était la propriété exclusive de l'AIS. Pour bien comprendre ce dossier, il faut en détailler l'aspect historique. Le terrain dont on parle appartenait autrefois à la Régie des eaux, un service de la Ville de Charleroi. On y trouvait une conciergerie - qui deviendra plus tard la maison donnée à l'AIS -, un entrepôt attenant et, à quelques dizaines de mètres en retrait, un château d'eau. En 2000, la Régie des eaux a fusionné avec l'Intercommunale des eaux du bassin de Charleroi pour former Aquasambre (NDLR: qui, ultérieurement, sera elle-même absorbée par la SWDE). Dans sa corbeille de mariage, la Régie a donné à la nouvelle société le terrain, le château d'eau et l'entrepôt. Toutefois, la ville de Charleroi a désiré garder la propriété de la conciergerie qui, à l'époque, était un bâtiment en très mauvais état. Plus tard, ce bâtiment a donc été cédé par la Ville à l'AIS».
C'est ici que, de l'aveu même du directeur de la SWDE, «ce qui est simple devient compliqué, voire mystérieux». M. Boury nous explique en effet qu' «en 2002, Aquasambre a proposé à l’AIS de devenir propriétaire de l'entrepôt et d'une partie importante du terrain pour la modique somme de 7 000 euros. Des courriers ont été échangés et IAIS a marqué son accord sur cette transaction. Aquasambre a donc confié au comité d'acquisition la rédaction de l'acte de vente. Néanmoins, pour des raisons fondamentalement mystérieuses, l'acte n'est jamais passé devant le notaire. Ce qui veut dire, en droit, que la vente est parfaite entre les deux partenaires mais qu'elle n'est pas opposable aux tiers».
Le dirigeant de la SWDE se veut toutefois conciliant : «De notre point de vue, l'entrepôt ne nous appartient plus mais, tenant compte de l'aspect humain de ce dossier, nous ne voulons pas bloquer son processus de résolution. Bien que nous ne pouvons pas non plus accepter n'importe quoi, à titre de gestionnaire d'une société de droit public, qui devra ensuite répercuter ses dépenses dans le coût de l'eau pour ses clients». Et il détaille la teneur de négociations en cours avec l'AIS : «Quand le bâtiment qui ne nous a jamais appartenu a explosé, l’AIS nous a fait une drôle de proposition. Elle nous céderait l'ensemble du terrain pour 1 euro symbolique, à charge pour nous de faire abattre les ruines qui y restaient. Ces travaux de «nettoyage» ont un coût estimé à 120 000 euros. Dans un premier temps, à la SWDE, on n'avait pas le souvenir de la vente de l'entrepôt par Aquasambre en 2002, celle-ci n'ayant pas fait l'objet d'un enregistrement au cadastre, vu l'absence d'acte notarié. On a donc demandé et obtenu le permis pour réaliser les travaux... Ensuite, on a compris qu'on nous proposait une transaction qui allait nous coûter 120 000 euros pour récupérer un bien déjà vendu pour 7 000 euros et désormais inutile ! Ce n'est pas acceptable».
Manifestant son souhait de faire avancer le dossier, la SWDE a l'intention d'envoyer à très bref délai un négociateur à IAIS de Charleroi. Philippe Boury s'en explique : «Nous allons conseiller à IAIS de clôturer définitivement la transaction telle qu'elle a été négociée en 2002, ce qui serait la solution la plus juste. Il me semble qu'il est tout de même intéressant pour une société qui s'occupe de logement de posséder du terrain à bâtir ! L'acte est prêt, il suffit de passer chez le notaire. Bien sûr, dans ce cas, l’AIS aurait à sa charge les frais de "nettoyage" du terrain. Ce qui est tout de même logique alors qu'en plus, c'est leur bien qui a explosé ! On veut bien leur céder gratuitement le permis qu'on a déjà reçu pour faire avancer les choses. Cela peut aller très vite ! Si, maintenant, l'AIS ne veut pas de cette solution et qu'elle chicane sur la vente parfaite qui a été faite en 2002, nous sommes prêts à entamer très vite des travaux au niveau des entrepôts et de leur mur mitoyen avec la maison des Piralli. Cela peut se faire très rapidement aussi, dans un délai de trois mois. Par contre, il est hors de question que nous déblayions les ruines de l'ancienne conciergerie! »
La position claire de la SWDE, sa volonté d'avancer dans tous les cas de figure, sont dans ce dossier. Mais il faudra aussi compter avec la bonne volonté et les possibilités financières de l’AIS de Charleroi. Difficile de connaître la position de cette asbl alors que son président est silencieux... Il reste donc pas mal d'incertitudes dans cette affaire kafkaïenne, car au-delà de la problématique du déblaiement de ruines de l'ancienne conciergerie et de l'entrepôt – conditions préalables à l'estimation du préjudice subi par les Piralli -, se posera ensuite la question de la reconstruction de leur maison.
L'homme qui a fait exploser son habitation n'avait pas souscrit d'assurance incendie, on l'a écrit. Mais en plus, selon nos informations, l'assurance dont disposait l’AIS pour ce bâtiment n'offrait pas de couverture en faveur des tiers. L’AIS dispose-t-elle des fonds propres nécessaires pour acheter et nettoyer le terrain, et ensuite couvrir les réparations de la maison Piralli, estimées à environ 200 000 euros ? Dira-t-elle in fine qu'elle ne s'estime pas juridiquement responsable de l'acte posé par l'un de ses locataires ? Après le méli-mélo qui a déjà fait perdre tellement de temps à Micheline et Carlo, se dirigera-t-on de toute manière vers une procédure judiciaire sur la question des responsabilités et des indemnisations ? Trop de questions restent ouvertes impliquant une conclusion seulement provisoire à cette enquête qui nécessitera, sans doute, d'interpeller d'autres niveaux de pouvoir, notamment au gouvernement wallon. Affaire à suivre donc et rendez-vous dans la prochaine «L'Info confidentielle Paris Match », soit dans deux semaines, pour voir si les Piralli pourront bientôt, enfin, retrouver leur maison...
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