22 Mars 2018
Une enquête publiée dans l'hebdomadaire Paris Match Belgique et sur le site spécialement dédié www.lusingatabwa.com, le 22 mars 2018.
Le crâne du chef Lusinga est actuellement conservé dans une bôite qui se trouve à l'Institut Royal des Sciences naturelles de Belgique.
Dans une boîte qui se trouve à l’Institut Royal des Sciences naturelles de Belgique repose le crâne de Lusinga lwa Ng'ombe. Le 4 décembre 1884, ce puissant chef qui vivait dans la région du lac Tanganyika eut la tête coupée lors d’une expédition punitive commanditée par Emile Storms. Ce militaire belge, autrefois décoré, aujourd’hui oublié, dirigeait la 4ème expédition de l’Association Internationale Africaine. Alors qu’ils sont toujours conservés en Belgique, ces restes humains invitent à un travail de mémoire sur des crimes qui ont été commis au nom de la « civilisation » dans les premiers temps de la colonisation. Ils questionnent aussi notre présent. Peut-on se contenter de cette muette solution de « stockage » ? Le « butin » de Storms fut aussi constitué d’autres crânes, mais encore de plusieurs statuettes qui font partie des collections du Musée Royal de l’Afrique centrale à Tervuren…
« Cet homme est mort parce qu’il a menti à l’homme blanc » (Emile Storms)
« Je fais apporter la tête de Lusinga au milieu du cercle. Je dis : ‘Voilà l’homme que vous craigniez hier. Cet homme est mort parce qu’il a toujours cherché à détruire la contrée et parce qu’il a menti à l’homme blanc.’ ». Le 9 décembre 1884, lorsqu’il écrit ces lignes dans son journal, le lieutenant Emile Storms est au faîte de sa puissance. Installé depuis un peu plus de deux ans dans la région du lac Tanganyika, ce militaire belge est alors le commandant de la 4ème expédition de l’Association Internationale Africaine (AIA), une organisation créée à l’initiative du Roi Léopold II pour « explorer » l’immense territoire qui deviendra bientôt le Congo belge.
L’AIA affichait des ambitions « civilisatrices » et « antiesclavagistes » mais il ne s’agissait de rien d’autre que d’une entreprise de conquête s’inscrivant dans la course que plusieurs puissances européennes se livraient alors pour coloniser l’Afrique centrale. Le plan d’action était simple. Sur le terrain, planter le drapeau bleu avec une étoile dorée de l’AIA dans un maximum de territoires, y « soumettre » les populations locales ; dans les sphères diplomatiques, préparer le moment où cette occupation de fait serait « officialisée » par les chefs d’Etats européens. Ce qui fut fait lors de la Conférence de Berlin qui, le 26 février 1885, livra le Congo au Roi Léopold II.
Au même titre qu’Henry Morton Stanley, Emile Storms a été l’un des maillons de cette entreprise proto-coloniale mais, bien qu’un monument le célèbre, square de Meeûs à Bruxelles, son histoire est largement méconnue dans son pays natal. Le parcours de cet homme qui brandissait la tête coupée d’un chef local dont il avait fait disparaître les villages en une journée de terreur – quelques 60 morts et 125 prisonniers dont on ne sait rien de ce qu’ils devinrent- apporte pourtant un éclairage signifiant sur une période importante de l’histoire de la Belgique et du Congo.
Bien qu’un monument le célèbre, square de Meeûs à Bruxelles, l'histoire d'Emile Storms est largement méconnue dans son pays natal. (Photo : Ronald Dersin)
Plus de 130 ans après ces évènements, à Bruxelles, nous sommes reçus dans les bureaux de Camille Pisani, la directrice générale de l’Institut Royal des Sciences Naturelles de Belgique. Situation pour le moins particulière, un crâne se trouve sur la table de réunion. Ces restes humains sont ceux de Lusinga lwa Ng'ombe, le chef qui fut décapité à l’occasion de l’expédition punitive commanditée par Emile Storms en décembre 1884. Le crâne est numéroté, étiqueté… Et nous pensons aussitôt à cette phrase qui se trouve dans le journal d’Emile Storms à la date du 15 décembre 1884 : « J’ai pris la tête de Lusinga pour la mettre dans ma collection. » Nous songeons aussi à cette lettre que nous avons lue dans les archives de ce militaire qui sont conservées à Tervuren par le Musée Royal de l’Afrique centrale ; des mots adressés le 19 décembre 1883 par le commandant de la 4ème expédition à son chef, le colonel Maximilien Strauch, secrétaire général de l’AIA : « Au Marungu, j’ai eu une petite difficulté avec le fameux Lusinga. Le fond de l’affaire est que je lui ai refusé de la poudre. Il a dit qu’il couperait la tête au premier homme de ma station qu’il rencontrerait. S’il a le malheur de mettre son projet à exécution, la sienne, pourrait bien, un jour arriver à Bruxelles avec une étiquette, elle ferait fort bonne figure au musée. »
Début mars 2018, Patrick Semal, conservateur au Musée des Sciences naturelles de Belgique nous montre le crâne de Lusinga. On remaquera l'étiquette "Coll. Storms 1935". Emile Storms avait écrit : "S’il a le malheur de mettre son projet à exécution, la sienne, pourrait bien, un jour arriver à Bruxelles avec une étiquette, elle ferait fort bonne figure au musée." (Photo : Ronald Dersin, pas de reproduction sans autorisation)
Le crime était donc prémédité. Et si Storms ramena ce crâne mais aussi ceux de deux autres chefs insoumis en Belgique, ce ne fut pas sans y être encouragé... Strauch, ce proche conseillé de Léopold II, lui avait écrit le 20 juillet 1883 : « Nous vous approuvons de consacrer vos loisirs à la formation de collections d’histoire naturelle. Ne vous pressez pas d’expédier en Europe vos échantillons. (…) Ne manquez pas non plus de recueillir quelques crânes de nègres indigènes si vous le pouvez sans froisser les sentiments superstitieux de vos gens. Choisissez autant que possible les crânes d’individus appartenant à une race bien tranchée, et dont le caractère n’a pas subi de modifications physiques par suite de croisements. Notez soigneusement le lieu d’origine des sujets, ainsi que leur âge quand cela est possible. »
Comment le crâne de Lusinga est-il arrivé dans cette boîte que le musée des sciences naturelles rouvre à notre demande ? Est-il éthique qu’il reste ainsi à l’abri des regards, muet, oublié ? La Belgique n’est-elle pas confrontée au devoir moral de le restituer aux descendants de ce chef, afin qu’il puisse trouver une sépulture descente ? Quelle histoire dans l’Histoire, nous racontent ces restes humains ? Voici quelques-unes des questions que pose cette enquête.
Emile Storms, commandant de la 4ème expédition de l'Association Internationale Africaine. (Collection du Musée royal de l'Afrique centrale)
Fac similé de la lettre adressée par Storms à Strauch, le 19 décembre 1883.((Ce document est issu des archives de Storms consérvées par le Musée royal de l'Afrique centrale.)
Fac similé d'un extrait de la lettre envoyée par Strauch à Storms, le 20 juillet 1883. ((Ce document est issu des archives de Storms consérvée par le Musée royal de l'Afrique centrale).
« On ne reconnait d’autre conquête que celle faite par les armes » (Emile Storms)
« Enfin le jour du départ est arrivé, la vie de Bruxelles commence à me peser (…) Il est 1 heure 20, le train siffle. (…) Un dernier adieu est fait par la croisée et nous perdons les amis de vue ». Ecrits le 5 avril 1882, les premiers mots du journal d’Emile Storms - précieusement conservé au Musée de l’Afrique Centrale (MRAC) à Tervuren – sont très banals. Mais ensuite, le récit devient beaucoup moins léger, certaines pages témoignant des exploits d’un seigneur de guerre ; d’un conquérant ambitieux et sans merci pour ceux qui refusaient de se soumettre à son autorité. Ce n’est pas pour rien que Storms fut affublé du sobriquet d’ « Emile 1er empereur du Tanganyika » par un journaliste de ses contemporains.
Ce journal nous raconte l’histoire d’un homme de son temps, celle d’un raciste convaincu de la supériorité des blancs européens sur les « nègres » africains. Une vision qui nous choque aujourd’hui mais qui était très conforme à l’époque des faits. Toutefois, le relativisme historique a ses limites : les crimes qui ont été commis sous l’autorité de ce militaire belge étaient déjà punissables dans l’ordre juridique de son époque… Et dans celui d’aujourd’hui, on parlerait à coup sûr de crimes de guerre, voire de crimes contre l’humanité. Mais Emile Storms n’a jamais été condamné. Dans son temps, il a plutôt été célébré par les autorités ; ce « chevalier de l’Ordre de Léopold » a fini sa carrière comme général. Aujourd’hui, c’est un soldat inconnu dont nos contemporains ignorent les actes qu’il posa…
Le journal d’Emile Storms est précieusement conservé au Musée de l’Afrique Centrale (MRAC) à Tervuren. (Photo : Michel Bouffioux)
Nonobstant, Emile Storms était un homme courageux, voire téméraire car, lorsque son train démarre, le 5 avril 1882, ce lieutenant du 9ème de ligne âgé de 37 ans part à l’aventure sans rien connaître de l’Afrique. Sa première mission consiste à se rendre à Karéma sur la côte orientale du lac Tanganyika (actuelle Tanzanie) où se trouve une station de l’AIA fondée trois ans plus tôt. Le voyage est éprouvant. Une première halte à Paris, une autre à Culoz dans les Alpes où l’attend une correspondance pour Turin, suivie d’un autre train pour Brindisi où il monte à bord du Tanjora qui, le 13 avril 1882, jette l’ancre à Alexandrie. Là, il prend un train vers Suez pour embarquer sur le Venetia qui le transporte jusqu’à Aden où il doit encore monter dans un autre bateau pour enfin arriver à Zanzibar, le 1er mai 1882.
Une mauvaise nouvelle ne vient jamais seule. Lorsque Storms débarque sur l’archipel, il apprend que son prédécesseur à Karéma, le capitaine Guillaume Ramaeckers, a été emporté par la dysenterie. Bientôt c’est son adjoint, le lieutenant Camille Constant qui est « atteint de fièvres violentes » et doit renoncer au voyage. Storms se retrouve seul à la tête d’une « caravane » de 126 porteurs et mercenaires qui, début juin 1882, traverse l’océan indien pour débarquer à Saâdani sur la côte de l’actuelle Tanzanie.
De là, il entame une longue marche – elle durera 105 jours - pour rejoindre le lac Tanganyika. Lors d’une halte à Tabora, le commandant de la 4ème expédition de l’AIA, une organisation, rappelons-le, officiellement engagée dans la lutte contre l’esclavagisme, parlemente avec Hamed bin Mohammed el Marjebi, l’un des plus grands marchands d’esclaves, mieux connu sous le nom de Tippo Tip. Les deux hommes évaluent comment ils pourraient se soutenir mutuellement par des échanges d’armes et de munitions. Ils parlent aussi commerce de l’ivoire.
Lors d'une halte à Tabora, Emile Storms parlemente avec Hamed bin Mohammed el Marjebi, l’un des plus grands marchands d’esclaves, mieux connu sous le nom de Tippo Tip.
Pendant sa longue marche vers Karéma, le lieutenant Storms fait une rencontre plus marquante encore. Celle des « Rougas-Rougas », des mercenaires qui attaquèrent plusieurs fois sa caravane. Il les décrit dans une lettre écrite en mai 1883 et lors d’une conférence qu’il tint après son retour en Belgique en 1886 : « Les Rougas-Rougas ne constituent pas une tribu. Dans l’acception la plus large du mot, Rougas-Rougas signifie guerrier. (Ils) constituent les forces permanentes des chefs. Il leur faut certaines richesses que les chefs ne peuvent leur procurer qu’en faisant la guerre et en leur accordant une part du butin enlevé à l’ennemi. La guerre est donc imposée aux chefs : si ceux-ci ne la faisaient pas, ils perdraient leurs Rougas-Rougas, qui iraient se mettre au service d’un chef voisin plus belliqueux. (…) L’unique occupation de ces gens est donc de faire la guerre. On ne saurait pas faire la guerre sans incendier les villages (…) Les vainqueurs le feront toujours (…) (Des Rougas-Rougas), on peut s’en procurer pour peu cher. » Après les avoirs combattus, le lieutenant Storms financera sa propre armée de « Rougas Rougas » pour asseoir ses conquêtes dans la région du Tanganyika…
Lors de son avancée vers Karéma, Storms découvre aussi la pratique du « hongo », un terme qui se traduira très convenablement par le mot « racket ». Le lieutenant raconte : « J’avais quitté la côte depuis un mois, lorsque j’atteignis l’Ougogo (ndlr : dans l’actuelle Tanzanie). Sauf quelques légers accès de fièvre, mon état de santé était resté excellent. Je vous épargnerai le récit des cent mille ennuis que j’éprouvai dans l’Ougogo et de toutes les vexations par lesquelles je dus passer. Qu’il suffise de vous dire que c’est le pays du hongo (tribut de passage), mot qui résonne si désagréablement aux oreilles de tous les voyageurs de la côte orientale africaine. » Mais, le 1er décembre 1884, dans les pages de son journal, le ton est différent. « L’empereur du Tanganyika » considère alors que « se faire payer le hongo est le moyen le plus efficace de faire reconnaître son autorité. Tout autre pacte ou contrat se rompt du jour au lendemain. (…) Cette manière d’agir ne peut être efficace que lorsqu’on peut faire valoir des droits par les armes en cas de conflit. D’ailleurs, dans toute l’Afrique, on ne reconnait d’autre conquête que celle faite par les armes. »
Ainsi donc, les archives du commandant de la 4ième expédition de l’AIA pullulent d’actes de soumission de chefs de villages. Des contrats léonins inspirés par la crainte de ses mercenaires armés. On se croirait au Moyen-âge où les vaincus devaient donner tribut, voire dans un territoire mafieux où le parrain accorde sa protection contre paiement. Malheur au chef qui ne se soumettait pas et qui ne le manifestait pas clairement en payant le « hongo », son village pouvait être rasé, sa tête risquait de rejoindre la « collection » de Bwana Storms.
Arrivé à Karéma en septembre 1882, le militaire belge y a d’abord renforcé les fortifications puis, rejoint par deux membres allemands de l’AIA, Böhm et Reichard, il a rapidement mené bataille contre différents chefs locaux qui osaient contester son autorité. Mais ce n’est qu’à partir du printemps 1883 qu’il trouve à affirmer sa toute-puissance. Le 27 avril de cette année-là, il traverse le lac Tanganyika avec 27 de ses hommes armés et décide de créer une nouvelle station de l’AIA sur la rive occidentale. L’endroit portera le nom du chef local : Mpala.
Quant à la prise de possession des lieux, elle ne souffrit évidemment aucune discussion. Les désirs du lieutenant étaient des ordres. Storms qui eut un public ravi de l’entendre raconter ses aventures lors de son retour en Belgique, en témoigna en ces termes : « Je fis appeler le chef de Mpala et lui communiquai mon intention de m’établir sur son territoire. Entouré d’une nombreuse escorte, le chef prit place devant ma tente, à la porte de laquelle je me tenais. « Homme blanc, dit-il, aux objets que tu as débarqués, je vois que tu veux bâtir ici. Comme tu es plus fort que moi, si je te refuse l’autorisation, tu construiras quand même. Donc, il vaut mieux nous entendre. Toutefois, je ne suis pas seul maître du pays. Par conséquent, je veux en référer à mes collègues.’ ‘Chef de Mpala, lui répondis-je, ‘d’après tes paroles, je comprends que tu es un chef intelligent. Je ne suis point venu pour te faire la guerre. Au contraire, je désire être l’ami de vous tous, mais dis bien à tes collègues que, quelle que soit leur décision, je veux construire là-bas sur le cap’. En même temps, j’étendis le bras dans la direction que je voulais occuper. »
Le 4 mai 1883, la station de Mpala est officiellement fondée. Quelques jours plus tard, Storms note dans son journal : « ma présence inspire la peur dans la contrée ». De plus l’ « Empereur » en devenir vit mal une certaine rencontre : « Je reçois la visite de Lusinga, quelle mauvaise figure ! Ce n’est peut-être pas le chef le plus important du Marungu, mais certainement celui qui est le plus craint. Il fait bon de s’en défier ; il a déjà commencé par demander de la poudre mais je n’ai pas satisfait à sa demande. »
Le 27 juin 1883, alors qu’Emile Storms procède à un échange de sang avec le chef de Mpala, les choses semblent bien calmées. Le lieutenant écrit : « Lusinga, chef d’une vaste contrée à deux jours de marche à l’Ouest de Mpala présidait la fête. Il était venu à Mpala pour me saluer. (Le chef) Mpala me voyant approcher (de son village) avec des forces considérables se prit d’une peur atroce. Mon roitelet se figurait, ni plus ni moins, que je venais pour m’emparer de sa résidence. Lusinga riait de bon cœur de la crainte que j’inspirais (…). Pour dissiper la peur de Mpala, il me conseilla de procéder à la cérémonie en dehors de l’enceinte. »
Après la réalisation du pacte, Lusinga prend la parole en ces termes : « Homme blanc, le serment d’amitié par lequel vous vous liez aujourd’hui doit être sincère, vous venez au milieu de nous, vous ne pouvez pas nous mépriser ; Si vous faites du mal à Mpala ou à l'un des siens, vous mourrez ; si vous lui faites la guerre, vous mourrez, tous les vôtres mourront et votre puissance finira. » Un discours très différent de celui de Mpala dont les propos sont cités à quelques reprises dans les écrits de Storms. Ce chef plus collaborant préférait des tirades du genre : « Je suis votre enfant, mes enfants sont les vôtres et ma contrée est la vôtre ». Ce qui conduisit Storms à considérer : « le chef Mpala fut le nègre le plus sympathique que j’ai rencontré en Afrique. »
On l’a compris, le commandant de la 4ème expédition de l’AIA était animé d’un sentiment exactement inverse à l’égard de Lusinga. Le 25 octobre 1884, il s’en confie encore dans les pages de son journal : « Lusinga est un intrus dans la contrée, il n’est pas d’une origine royale, il a tout obtenu par la force ; C’est un véritable chef de Rougas-Rougas et mauvais gueux s’il en existe. » C’est l’hôpital qui se moque de la charité car Storms était évidemment encore plus un « intrus » que son concurrent qui était arrivé dans cette région vers 1870. Il n’était pas plus roi que Lusinga et il était devenu lui-même un « chef de Rougas-Rougas ».
« Au point de notre œuvre, je considère cette guerre comme le plus grand bienfait qui puisse nous arriver » (Emile Storms)
Pour sauver la cause du lieutenant Storms, certains plaideront que Lusinga était un esclavagiste et un bandit armé. L’argument est faible. On a vu que cette circonstance ne l’avait pas empêché d’être reconnu comme un chef local important lorsqu’il parraina la cérémonie de l’échange de sang. De plus, la violence et l’esclavagisme étaient aussi pratiqués par des alliés de Storms… En novembre 1884, dans ses écrits, il raconte par exemple comment un habitant du village de Lusinga eut droit à une mort expéditive parce qu’il avait simplement eu le tort de croiser le chemin du frère du chef Mpala : « Il lui fit couper la tête sans autre forme de procès. Voici la justice en Afrique. On fait plus de cas de couper la tête à une poule qu’à un homme. » Paroles d’expert, on va le constater.
La volonté de tuer Lusinga au motif qu’il aurait été esclavagiste ne colle pas avec les récits de Storms lui-même qui témoignent d’accommodements du lieutenant à l’égard de l’esclavage. Quelques exemples. En janvier 1885, le militaire belge relate la soumission d’un chef - qui devint donc son allié - en ces termes : « Ouando reconnait notre souveraineté. Il paie hongo : une esclave et 6 charges de vivres. » Quelques semaines plus tard, il relate : « Mouindi m’envoie une ambassade pour me présenter sa soumission, il me fait présenter une petite défense et une petite esclave. (…) J’exige 4 défenses, 20 esclaves, 20 gens de la contrée doivent venir construire leur demeure chez moi, plus 100 charges de vivres. » A propos de l’un des ses Rougas-Rougas, il écrit en février 1885 : « Assani Bogo a perdu un fusil. Je le prends comme esclave, c’est mon droit. ». En avril 1885, il évoque l’arrivée de « 27 esclaves » à Mpala, en provenance de ce qui fut le village de Lusinga, incendié quelques semaines auparavant. En le déplorant certes, il écrit à propos de ses propres mercenaires armés : « Si je défends de faire des esclaves, il ne me reste que de me laisser tuer sur place (…) Ils disent qu’en guerre, ils courent le risque de se faire tuer et qu’ils doivent par conséquent avoir un bénéfice en la faisant. » Certains esclavagistes étaient donc mieux tolérés que d’autres, pourvu qu’ils ne contrecarrent pas les plans du commandant de la station de Mpala.
Si Storms a voulu couper la tête à Lusinga, c’est dans le cadre d’une guerre de territoire, pour asseoir sa domination sur une région où il voulait régner sans partage. En d’autres termes, il a éliminé un concurrent. Depuis Los Angeles, Allen F. Roberts professeur à l’UCLA, analyse les faits de la même manière. Cet anthropologue qui, bien avant nous, s’est plongé dans les mémoires de Storms (1) parle d’un « affrontement mortel entre deux protagonistes animés par une immense ambition, chacun s'efforçant violemment d'établir l'hégémonie le long de la rive sud-ouest du lac Tanganyika. » Storms en fait lui-même l’aveu dans son journal, le 11 avril 1885 : « Lusinga ayant surpris et détruit un village qui se trouvait sous mon protectorat, j’ai fait la guerre à Lusinga ». Il considère ensuite que faire la guerre est le meilleur moyen d’ « assure(r) une autorité prépondérante dans la contrée.» Evoquant une série de batailles très sanglantes et les destructions de nombreux villages qui suivront l’élimination de Lusinga, il estime : « Au point de notre œuvre, je considère cette guerre comme le plus grand bienfait qui puisse nous arriver. »
Le crâne de Lusinga en 3D (Institut Royal de Sciences naturelles de Belgique)
Dès décembre 1883, le lieutenant belge estimait que la tête coupée de Lusinga ferait bonne figure dans un musée bruxellois. Mais le prétexte officiel à cette élimination physique intervient bien plus tard. A savoir des attaques de Lusinga contre le village de Kitété en octobre et novembre 1884. Le 2 décembre 1884, Storms confesse d’ailleurs qu’il aurait bien « fait disparaître » Lusinga depuis longtemps s’il avait eu les forces militaires suffisantes. Mais à ce moment la donne vient de changer avec l’arrivée dans sa station de Paul Reichard, son équivalent allemand au sein de l’AIA, lequel dispose de sa propre troupe de mercenaires armés. Le lieutenant écrit : « Monsieur Reichard est à la station avec sa caravane et consent à me prêter appui pour combattre Lusinga. Je profite de cette circonstance pour mettre à exécution mon projet depuis longtemps rêvé. »
Menée par 100 hommes, l’attaque contre Lusinga est déclenchée à 8 heures, le 4 décembre 1884. S’il en est le commanditaire, Storms n’y participe pas personnellement. Toutefois, dans son journal, il détaille les « exploits » des hommes de l’AIA : « Le premier coup de fusil qui part est adressé à Lusinga qui tombe, mortellement blessé. Il dit qu’il est mourant mais, au moment que la dernière syllabe expire sur ses lèvres il a la tête tranchée, qui est promenée sur une lance pendant que l’attaque générale se produit dans le village. C’est un pêle-mêle indescriptible. La plupart des Rougas-Rougas de Lusinga voyant leur Mtémi tué ne cherchent même pas à défendre leur demeure, d’autres se défendent sur place. Le feu se déclare sur tous les points du village, tout ce qui est encore libre cherche à se sauver. Trois autres villages ont le même sort. Vers midi, il n’existe plus de toute la puissance de Lusinga que quatre monceaux de cendres. Grande quantité de vivres sont tombées aux mains de mes guerriers et un repas est pris sur le champ de bataille même, dont les frais sont fournis par la dépouille du vaincu. 50 à 60 hommes ont trouvé la mort sur le champ de bataille et 125 personnes sont tombées entre nos mains. Tout ce qui a échappé aux flammes est devenu le butin de nos guerriers. »
Dans les années ’70, lors d’un voyage d’étude dans la région où ces crimes ont été commis, l’anthropologue Allen F. Roberts a pu recueillir ce qu’il restait de ces faits dans la mémoire orale. Celle-ci évoque, outre la tuerie, un tri opéré par les mercenaires de l’AIA entre les captives. Certaines étant exécutées, d’autres étant victimes de viols collectifs… Storms ne parle pas non plus dans son journal des différents biens de Lusinga dont il prend alors possession, notamment des statuettes.
Cette expédition punitive a une conséquence immédiate : elle impressionne fortement les populations locales, ce qui provoque des nouveaux actes de soumission comme celui signé le 15 décembre 1884 par Kansawara que Storms qualifie de « plus grand chef du Marungu ». Fièrement, le lieutenant écrit ce que lui aurait dit cet homme au moment de se soumettre : « Lusinga était le chef le plus fort du Marungu, vous l’avez battu et tué, maintenant c’est vous qui êtes le plus grand chef et personne ne sait vous résister. Moi et les miens, nous vous reconnaissons pour notre Roi, pour notre père, notre mère, notre frère, notre ami, vous avez plus d’esprit que nous et nous vous confions le soin de gouverner notre contrée. »
Storms croit avoir gagné, il pense qu’il va continuer son expansion, il se presse d’exiger le hongo à de nombreux chefs, il ambitionne de créer une troisième station. Mais il va être fort contrarié avant d’être totalement déçu. Des survivants du village de Lusinga entrent en résistance et ils parviennent à retourner l’alliance qui avait été passée par le lieutenant avec Kansawara. Fin mars 1885, commencent de nouvelles guerres avec leurs lots de tueries, de villages incendiés et de butins. Le 3 avril 1885, Storms écrit : « La ville de Mouindi fut pillée et dévastée et la troupe campa sur les ruines, 100 prisonniers et quantité de caisses et ustensiles furent le butin de guerre. »
Mi-avril 1885, alors qu’il est afféré à ses opérations de conquêtes militaires, Storms commence à comprendre qu’il va devoir abandonner « ses » stations pour rentrer en Belgique. Les plans de l’AIA ont changé. Le Congo a été attribué au Roi Léopold II lors de la Conférence de Berlin. Karéma va passer sous contrôle allemand. La station de Mpala est provisoirement vouée à l’abandon. Storms écrit : « Après avoir sué sang et eau, j’arrive à un résultat que l’on ne pouvait certainement pas espérer et alors on me dirait : ‘Tout votre travail est sans valeur, allez-vous-en !’ Je n’ai certainement pas grande confiance dans la parole de l’Association mais cependant j’ai peine à croire à tant d’iniquités. »
L’ordre de départ officiel tombera bientôt mais Storms veut encore croire à son destin d’« Empereur » du Tanganyika. Ses Rougas-Rougas continuent à guerroyer. Le 18 avril 1885, il note : « Le Roi Mpouwé et Maribou ainsi que le prince Mpampa ont été tués. On m’apporte les têtes de ces deux derniers. » Le 4 mai 1885, il se félicite des résultats de ses expéditions : « Chaque fois qu’un chef arrive il est flanqué de ses tambours ; pendant leur séjour, ils me rendent les honneurs matin et soir. Le tambour est toujours accompagné de chants, toujours flatteurs, ils chantent principalement vos victoires. C’est principalement à Lusinga que l’on en veut : ‘Hé bien Lusinga, où est votre force maintenant, le Mzungu vous a mis ‘dans sa caisse’. On sait que j’ai pris quelques têtes de chefs dans ma collection et cela inspire une sainte horreur. On dit que je veux toutes les têtes des rois de la contrée. »
Quelques jours plus tard, des assaillants mettent le feu à l’énorme fort qu’il avait fait construire à Mpala. Storms est atteint. Il écrit : « C’est un triste spectacle, toutes mes collections sont perdues, 150 clichés photographiques, collections d’histoire naturelle, ethnographique, physique, géologique, minéralogique etc. Journaux, cartes, en un mot tout, tout, tout. Il ne me reste qu’une pierre pour m’asseoir. (…) Je suis obligé de faire bonne contenance, car si je fais mine que ma situation est compromise tout le monde m’abandonnera. »
Le 6 juin 1885, « Emile 1er » est déchu. Il reçoit l’ordre officiel de remettre ses stations à des missionnaires français. Quelques jours plus tard, le chef Mpala meurt de la variole. Storms décide de la succession ainsi que de la répartition d’un certain nombre d’esclaves entre les héritiers du « nègre le plus sympathique » qui était son allié.
Il quitte définitivement Mpala, le dimanche 26 juillet 1885. Dans ses malles se trouvent quelques statuettes et 3 crânes, dont celui de Lusinga…
« Qu’il me soit donc permis de conclure que la grande œuvre de notre Roi a largement contribué à la civilisation de l’Afrique centrale. » (Emile Storms)
Emile Storms est de retour à Bruxelles le 21 décembre 1885 comme en atteste une pièce de son dossier militaire que nous avons consulté au Musée de l’Armée. Moins de trois mois plus tard, à Anvers, il raconte ses aventures africaines devant un parterre conquis de la Société royale belge de Géographie. Lors de cette conférence du 16 mars 1886, il n’est pas très disert à propos des guerres et autres expéditions punitives menées du temps où il dirigeait la station de Mpala. L’attaque du 4 décembre 1884 est expédiée en une phrase : « Lusinga, un grand chef de mon voisinage mais un grand brigand s’il en fut, surprit un jour un village qui s’était placé sous mon protectorat. J’eus le bonheur d’en délivrer le pays. Il a expié ses crimes ». Ce jour-là, le discours se finit par ces mots : « Qu’il me soit donc permis de conclure que la grande œuvre de notre Roi a largement contribué à la civilisation de l’Afrique centrale. » Applaudissements prolongés.
Dès le 3 mai, le commandant de la 4ème expédition de l’AIA est complimenté par d’autres beaux messieurs en gibus, soit les membres de la Société d’Anthropologie de Bruxelles (SAB). Le conférencier, Emile Houzé, y fait un exposé sur les trois crânes ramenés de Mpala par « le courageux et énergique explorateur. » Il commence par faire l’article : « Les propriétaires de ces crânes n'étaient pas les premiers venus, Ils étaient chefs de tribu : Maribou était le chef d'une tribu du Marungu, pays situé au sud de Mpala (…) ; Mpampa (…) était chef ou prince d'Uriro, village principal de l’Itawa sur la côte du Tanganyika ; Enfin Lusinga était un des chefs des Watombwa, tribu qui se rattache aux peuples de l'Urua. La tribu des Watombwa est au nord-ouest de Mpala. (…) J'ai voulu fournir aux recherches ultérieures des individus de provenance exacte et de sexe connu, ce qui est rare en craniologie. »
La craniologie ? Maarten Couttenier, chercheur au MRAC nous explique : « A la fin du 19ème siècle, cette discipline de l’anthropologie physique qui consistait à mesurer des crânes, à les comparer pour en tirer des conclusions sur la supériorité de certaines « races » ou cultures était en plein essor. Comme les « zoos humains » où l’on exposait des « sauvages » ou encore ces « négreries » et autres cabinets de curiosités où l’on montrait différents objets ramenés d’Afrique. Houzé qui était considéré comme un scientifique crédible à son époque a notamment défendu l’idée de la supériorité morale et physique des wallons sur les flamands… » (2)
Après avoir eu la tête tranchée sans jugement, Lusinga est l’objet d’un bref et cinglant réquisitoire. Se basant sur les notes que Storms lui a remises, Houzé explique à son auditoire que ce chef était « cruel, avide et vindicatif ». Fin des plaidoiries. Ensuite il manipule le crâne. Il pérore. Il utilise des mots savants… Pour aligner des inepties teintées de racisme : « L'angle bi orbitaire est très ouvert, ce qui n'est pas un caractère pithécoïde, mais un caractère d'infériorité dans les races humaines. » Voilà l’insoumis devenu sous-homme.
Une planche présentée par Emile Houzé lors de son exposé devant la Société d'anthropologie de Bruxelles, le 3 mai 1886.
Quelques jours plus tard, de nouveau dans les locaux de la SAB, Emile Storms et Victor Jacques, professeur de pharmacologie à l’Université libre de Bruxelles, discourent de la manière de vivre, de manger, de s’habiller, des « passions », du « caractère » des populations de la région du Tanganyika. Les avis exprimés par les conférenciers sont péremptoires, mélangeant racisme et stupidité, deux mots qui vont bien ensemble. Ils disent : « On a tout écrit sur le caractère des Nègres. Ceux qui habitent la région du lac Tanganyika ne sont pas différents des autres. C'est la même inconstance dans les idées et la même impressionnabilité très grande, mais toute de surface, que chez tous les peuples des races inférieures. »
En expert, Storms évoque aussi la manière de faire la guerre dans la région qu’il a « explorée » : « Quand un village est pris, tout est enlevé, puis les huttes sont livrées aux flammes. Parmi les trophées que l'on emporte avec soi, il ne faut pas oublier les têtes des chefs qui sont destinées à orner l'entrée du village du vainqueur. » Lors de cette conférence, il montre enfin les statuettes qu’il a « collectées ». L’une d’entre elles représente un ancêtre de Lusinga, une autre le chef Monda, deux autres le chef Kansawara et sa femme… Un butin de guerre que les conférenciers prennent le soin de photographier. Toutes ces pièces se trouvent aujourd’hui conservées au MRAC, comme nous le certifie Julien Volper, conservateur au service patrimoine de ce musée.
Lors d'une conférence donnée par Victor Jacques et Emile Storms à la Société d'Anthropologie de Bruxelles, le 31 mai 1886, les statuettes sont montrées. Une photo de celles-ci est ensuite reproduite dans le bulletin de cette association.
Avant de rejoindre les collections de cette institution, ces statuettes – tout comme les trois crânes - ont séjourné pendant des années au domicile de Storms, chaussée d’Ixelles à Bruxelles, à deux pas de l’actuel quartier africain de la capitale, le « Matonge ». La statue de Lusinga trônait alors sur la cheminée de celui qui fut « Emile 1er, empereur du Tanganyika ». Storms ne revint pas sur le terrain de ses conquêtes même si, en février 1888, il se vit confier la préparation technique d’une expédition antiesclavagiste belge au lac Tanganyika. Il poursuivit ensuite sa carrière militaire qu’il avait entamée comme simple soldat à l’âge de 16 ans. Storms a été décoré à de nombreuses reprises. Notamment en janvier 1889, lorsqu’il reçut l’« Etoile de service » par décret du roi Léopold II, qui, à cette époque précédant le Congo belge, portait aussi le titre de « Souverain de l’Etat indépendant du Congo ».
Avant de rejoindre les collections de cette institution, ces statuettes – tout comme les trois crânes - ont séjourné pendant des années au domicile de Storms, chaussée d’Ixelles à Bruxelles, à deux pas de l’actuel quartier africain de la capitale, le « Matonge ». La statue de Lusinga trônait alors sur la cheminée de celui qui fut « Emile 1er, empereur du Tanganyika » (Collection Hotz- MRAC)
Emile Storms meurt le 12 janvier 1918. Dans les années’30, Henriette Dessaint, sa veuve, fera plusieurs dons au Musée du Congo belge, l’actuel MRAC : les statuettes, les trois crânes, des dizaines d’objets, la correspondance, les journaux de Storms… Le crâne de Lusinga et ceux de ses compagnons d’infortune ne furent jamais exposés. En 1964, ces restes humains – avec d’autres éléments de la collection d’anthropologie physique de Tervuren – furent transférés à l’Institut Royal des Sciences naturelle de Belgique (IRSNB). Selon le conservateur des collections d'anthropologie, Patrick Semal, ils ne furent pas inventoriés avant 1996. Là aussi, ils n’ont jamais été exposés. Ils ont été rangés et oubliés.
Le 19 août 1935, le registre d'anthropologie physique du Musée de Tervuren enregistre l'entrée des crânes donnés par la veuve d'Emile Storms.
En 2009, le photographe Sammy Baloji, se faisant passer pour un chercheur, pris quelques clichés du crâne de Lusinga dans le cadre d’une démarche artistique visant à mettre en lumière la conservation de différents restes humains « collectés » durant l’époque coloniale dans plusieurs pays d’Europe. Six photos furent exposées, notamment au Musée du Quai Branly à Paris. Il n’y eu pas de débat public en Belgique. Et Lusinga fut une fois encore rangé dans sa boîte.
Près de dix ans plus tard, la direction de l’IRSNB se montre d’une parfaite transparence et accepte de l’en ressortir à notre demande. Dans un premier temps, le conservateur ne parvient pas à localiser les deux autres crânes. Au bout de recherches fouillées, celui de Malibu (pas Maribou, comme Storms le dénommait) est retrouvé. Sauf rebondissement, le crâne de Mpampa a quant à lui disparu. Ces péripéties témoignent de l’oubli dans lequel se trouvent ces restes humains… Et partant l’histoire de leurs collectes.
Une évaporation de la mémoire qui s’est aussi manifestée en août 2016 lorsque le sénateur Bert Anciaux demanda à la secrétaire d’Etat à la politique scientifique de lui faire un inventaire des restes humains présents dans les établissements scientifiques fédéraux (ESF). A propos des collections de l’IRSNB, le gouvernement belge indiquait alors que « les restes humains provenant d’Afrique, d’Asie, d’Amérique et d’Océanie comptent environ 687 items. Il s’agit principalement de crânes et fragments osseux, et de quelques squelettes fragmentaires ou complets, dont deux moulages. Nous ne connaissons pas le nom des individus. »
Cette enquête démontre pourtant que les noms de plusieurs « individus » sont bel et bien connus. Ce qui nous renvoie à une autre partie de la réponse du même gouvernement en 2016 : « Les ESF (…) seraient favorables à l'organisation du retour des restes humains correspondant à des individus identifiés et réclamés par des personnes apparentées. Se pose alors la question de l'inaliénabilité des collections de l'État. (Cela) devra passer par l'adoption d'un cadre légal. » C’est aussi la position que nous exprime Camille Pisani, directrice générale de l’IRSNB : « Si un descendant demandait à récupérer ces restes humains identifiés, je donnerais un avis favorable. Il faudrait cependant des garanties en termes d’identification, notamment via un test ADN. J’ajoute que ces items font partie du patrimoine de l’Etat et que s’en séparer impliquerait un travail législatif car ce cas de figure se présenterait pour la première fois en Belgique. »
En août 2016, la secrétaire d'Etat à la politique scientifique évoque la question des restes humains conservés dans les Etablissements scientifiques fédéraux belges. (PDF)
La question de la restitution pourrait aussi se poser à propos des statuettes mais tout en convenant d’un certain malaise par rapport à la circonstance de leur collecte, le directeur du MRAC, Guido Gryseels n’y est pas favorable. Il préférerait développer des collaborations avec des musées de pays africains débouchant sur des prêts à long terme, pour autant que les conditions de conservation soient optimales. Il nous dit aussi que la nouvelle exposition permanente du MRAC qui ouvrira ses portes au public avant la fin de cette année comportera un local spécifiquement dédié à l’origine des collections : « On abordera le passé colonial en prenant clairement distance par rapport à celui-ci en tant que système. Nous n’éprouvons aucune sympathie pour la façon choquante dont certaines collections ont été acquises par l’action de militaires, par le recours à la violence. Je suis heureux que le président Macron ait récemment ouvert le débat sur le patrimoine culturel issue des colonies qui se trouve en Europe. C’est une véritable problématique mais il n’y a pas de réponse facile. Affirmer que l’on va tout restituer en quelques années, c’est un peu simpliste, mais il y a une ouverture pour discuter, pour examiner les options envisageables. C’est le moment du débat. »
Un débat loin d’être fini ! Il se poursuivra notamment sur www.Parismatch.be et sur un blog dédié à ce dossier, www.lusingatabwa.com Dans le prolongement de ce dossier sur internet, on découvrira l’intégralité de nos entretiens avec les dirigeants du Musée des sciences naturelles et du Musée royal de l’Afrique centrale. Ainsi que d’autres avis autorisés comme ceux du professeur de l’Université de Californie Allen F. Roberts, de l’anthropologue Martin Vander Elst, membre du Laboratoire d'Anthropologie Prospective (UCL) qui prépare la publication d’un article scientifique sur les statuettes de Storms, de l’historien de l’art Toma Muteba Luntumbue ou encore une analyse juridique réalisée par l’avocat Christophe Marchand.
(1): Allen F. Roberts, A Dance of Assassins : Performing Early Colonial Hegemony in the Congo, Indiana University Press, 2013.
(2) : Maarten Couttenier "Et on ne peut s'empêcher de rire" : La physio-anthropologie en Belgique et au Congo (1882-1914)’, in: Nicolas Bancel, L'invention de la race. Des représentations scientifiques aux exhibitions populaires, La Découverte, Paris, 2014. Et du même auteur : « Congo tentoongesteld : een geschiedenis van de Belgische antropologie en het museum van Tervuren (1882-1925), Acco, Leuven, 2005.
Ce qui s'est passé après la publication de cette enquête
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Pour en savoir plus sur ce dossier, rendez-vous sur le blog que je lui ai dédié : www.lusingatabwa.com
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Rendez-vous sur ce blog que j'ai créé pour alimenter le débat sur ce dossier.
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