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Publié par Michel Bouffioux

Un article publié dans Télémoustique, le 24 décembre 1996.

Les inquiétudes de Michel Bourlet

« Je ne trouve pas d'explication raisonnable aux lacunes déjà relevées dans l'instruction relative à l'affaire d'Obaix et qui sont nécessairement le fait de magistrats. (...) Les lacunes de l'enquête sont à ce point graves que j'en viens nécessairement à me demander si elles s'expliquent uniquement par une négligence ou bien si Dutroux bénéficiait de protections tant policières que judiciaires. » (Michel Bourlet, procureur du Roi à Neufchâteau.)

La semaine dernière, Télé-Moustique révélait les confidences faites par le gendarme René Michaux de la BSR de Charleroi à deux membres du service d'enquête du Comité permanent de contrôle des services de police. Nous publiions le contenu d'un procès-verbal dons lequel on pouvait lire notamment cette déclaration de M. Michaux: « Si j'avais su que Dutroux était un suspect potentiel dans les faits d'Obaix (NDLR: à savoir le viol d'une jeune femme suivi d'une tentative de meurtre, le 22 novembre 1995), il y avait matière à rechercher des éléments chez les suspects (soporifiques, couteau, etc.), il existait donc un élément infractionnel pour rédiger un P.-V. et demander des mandats de perquisition. »

Cet aveu était jugé « dramatique » par les enquêteurs du Comité P, parce qu'ils relevaient par ailleurs que « selon l'audition de Dutroux, le 23.11.95, Bernard Weinstein a été placé dans la cache de la cave de Marcinelle pendant une huitaine de jours tandis que Julie et Mélissa furent transportées dans une chambre à l'étage (...). Il semble donc qu'au niveau policier, le manque de communication (...) est à l'origine de l'absence de réaction dès le 24.11.95, aux fins d'obtenir des mandats de perquisition pour les immeubles du couple Dutroux, sur base des faits de viol à Obaix. (...) Si les perquisitions avaient été effectuées dans les divers immeubles et dépendances appartenant aux époux Dutroux vers le 24 novembre 1995, Julie et Mélissa auraient peut-être pu être retrouvées vivantes ».

Cette affaire d'Obaix a fait l'objet de nombreux autres commentaires de la part du Comité P (voir TM 3699) et nous pouvons révéler cette semaine que la bizarre gestion de l'affaire d'Obaix tant au niveau policier que judiciaire inquiète jusque dans les plus hautes sphères de la magistrature. Ainsi, le 12 décembre dernier, dans un rapport adressé à titre « personnel » par le procureur général près la Cour de cassation, Eliane Likendaele, au ministre de la Justice Stefaan De Clerck, on peut notamment lire à propos de divers manquements établis dans l'arrondissement judiciaire de Charleroi: "Vous avez pu constater qu'il y aurait encore de nombreuses enquêtes à effectuer pour tenter de faire toute la clarté sur les différents « dysfonctionnements » apparaissant dans le comportement de certains magistrats ou services de police. Parmi les faits les plus graves, je relève ceux qu'a signalés Monsieur le Procureur du Roi à Neufchâteau Bourlet dans son audition du 29 octobre 1996, concernant le non-lieu intervenu à Charleroi dans le dossier relatif au viol et à la tentative d'assassinat d'une jeune fille à Obaix, le 22 novembre 1995.

Télé-moustique dispose du compte rendu de cet entretien entre Mme Likendaele et M. Bourlet. Et il est en effet très significatif.

Cette conversation qui porte clairement sur les protections dont a pu bénéficier Marc Dutroux à Charleroi a lieu le matin du 29 octobre au Palais de justice de Bruxelles. Consignée dans un rapport de la Cour de cassation sous la référence 272/11/53-12, elle commence par une sorte de mise au point d'Éliane Likendaele: "J'ai reçu quelques minutes avant votre arrives une lettre de Monsieur le Ministre de la Justice me transmettant copie d'un courrier que vous lui avez adressé le 7 octobre 1996 au sujet, notamment, du rapport de Monsieur le Procureur général baron Velu. Je pense que l'étonnement que vous avez éprouvé en lisant dans ce rapport que "rien ne permet de dire que Dutroux ait été protégé à Charleroi" repose sur un malentendu. II semble en effet que vous ne puissiez ni comprendre ni accepter cette appréciation alors que vous avez connaissance des éléments que vous détaillez concernant une jeune fille violée et égorgée à Obaix, le 22 novembre 1995. A cet égard, il n'est sans doute pas inutile de relever que ce viol et cette tentative d'assassinat étaient inconnus de Monsieur le Procureur général baron Velu lorsqu'il a procédé aux auditions sur la base desquelles son rapport a été établi. Je crois pouvoir ajouter que ce viol et cette tentative d'assassinat étaient aussi ignorés de Monsieur le Ministre de la Justice quand celui-ci a adressé à mon prédécesseur la lettre reçue le 26 août 1996 précisant la mission. Bien que cette mission concerne principalement le Procureur général près la Cour d'appel de Mons lui-même, elle s'étend toutefois de connexité à d'autres magistrats de ce ressort, ce qui me paraît permettre de justifier que je vous demande de me faire connaître, si vous le voulez bien Monsieur le Procureur du Roi, les renseignements complémentaires dont vous disposez et qui seraient de nature à apprécier le comportement de magistrats dans cette dernière affaire, spécialement donc de magistrats de Charleroi."

Michel Bourlet. – « Outre les éléments repris dans le rapport du 6 septembre 1996 de mon collègue de Charleroi, Monsieur Marchandise, je peux vous informer que mon étonnement concernant la gestion de ce dossier était également basé sur le fait qu'une analyse de recherche ADN avait été pratiquée sur deux suspects qui ont été mis hors cause et non pas sur Dutroux. Or, dans l'audition pratiquée le 6 décembre 1995 à la PJ de Charleroi, Monsieur Dutroux déclare être d'accord qu'on lui prélève des cheveux pour une analyse de ce type. Il faut savoir que lors de l'enquête confiée au Comité "P" par mon collègue de Charleroi tout dernièrement, les enquêteurs du Comité "P" ont trouvé les cheveux dans le bureau de l'officier judiciaire chargé de cette enquête. J'en déduis donc que ce prélèvement n'a jamais été soumis à l'expert désigné par le juge d'instruction. Ensuite, dernièrement, les enquêteurs de Neufchâteau chargés du dossier Dutroux ont mis la main sur un véhicule Ford Fiesta dans lequel des cheveux, selon mon collègue de Charleroi, appartiendraient à la victime l'agression du 22 novembre 1995 à Obaix. Enfin j'ajouterais que les déclarations de Madame Martin enregistrées dernièrement par la police judiciaire d'Arlon démontrent que le jour de l'agression, Dutroux était à Obaix. Je partage donc l'opinion de mon collègue de Charleroi et je m'étonne de la manière tant policière que judiciaire avec laquelle ce dossier a été traité, pour aboutir finalement à un non-lieu, alors que manifestement, tous les devoirs n'avaient pas été effectués."

« Mon étonnement va croissant dans la mesure où actuellement je peux affirmer que la réunion au sein du même parquet du rapport Othello, du dossier "séquestration à charge de Dutroux-Weinstein" et du dossier de l'agression d'Obaix devait immanquablement provoquer une instruction à charge de Dutroux avec perquisition en son domicile à Marcinelle. Cela me semble d'autant plus dramatique que, dans la semaine précédant la mort de Weinstein, selon les déclarations mêmes de Dutroux actées dernièrement, Weinstein était séquestré dans la cache située dans la cave de Dutroux et Julie et Métissa enfermées dans une pièce à l'étage. Si la perquisition avait eu lieu entre le 22 novembre 1995, date de l'agression d'Obaix, et le 25 novembre 1995, date approximative de la mort de Weinstein, elle aurait immanquablement fait découvrir aux enquêteurs la présence de Julie et Mélissa vivantes à l'étage. Les lacunes de l'enquête sont à ce point graves que j'en viens nécessairement à me demander si elles s'expliquent uniquement par la négligence ou bien si Dutroux bénéficiait de protections, tant policières que judiciaires.

Concernant les protections policières, des enquêtes sont en cours dans le cadre de l'instruction numéro 87/96 de Monsieur le Juge Langlois. Ces enquêtes sont notamment confiées au Comité "P", tant à l'égard de Monsieur Michaux de la gendarmerie qu'à l'égard de Monsieur Zicot, de la police judiciaire de Charleroi. Quant aux protections judiciaires, je n'ai pas d'éléments à vous donner et je n'ai pas compétence pour enquêter en cause de magistrats mais je me demande si certains de ceux-ci n'auraient pas bénéficié de certaines voitures avantageusement acquises par l'intermédiaire de Monsieur Zicot. Je pourrais difficilement préciser- je me borne à m'interroger - et je ne trouve pas d'explication raisonnable aux lacunes déjà relevées dans l'instruction relative à l'affaire d'Obaix et qui sont nécessairement le fait de magistrats. » Fin de citation...

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