Chronique "Si on me laisse dire". (Ce billet-là n'avait pas été publié dans le quotidien "La Dernière Heure). – 6- Le 8 mars 2004
Je dois vous l’avouer : j’éprouve un certain intérêt pour Me Uytendael. Non pas que je partage tous les points de vue qu’il défend. Loin s’en faut ! Mais il faut reconnaître l’intelligence et surtout l’habilité tactique de l’avocat le plus médiatisé de Belgique. Hier encore, sur un plateau de télévision, l’ex-conseil de la juge d’instruction Martine Doutrèwe s’est fendu d’un éloge pour celle qui fut sa cliente. Elle aurait été salie par la commission d’enquête parlementaire, par les médias et finalement par une opinion déboussolée, après la découverte des corps des petites Julie Lejeune et Melissa Russo. Aujourd’hui, à entendre Me Uytendael, on saurait que Martine Doutrèwe n’aurait rien eu à se reprocher ; que toutes les fautes dans l’enquête qui n’a pas abouti à la découverte de Julie et Melissa, en temps utiles, sont à imputer à l’ex-gendarmerie.
C’est vrai : les gendarmes portent une très lourde responsabilité dans l’échec de l’enquête. Ce corps de police a commis des fautes irréparables et il est choquant que personne en son sein n’ait jamais été sanctionné. Mais il est faux de prétendre, comme le fait Me Uytendael, que cela lave son ex-cliente de tout reproche. Tant la commission d’enquête que la hiérarchie de Mme Doutrèwe ont regretté la passivité de ce magistrat lorsqu’elle instruisait le dossier Julie et Melissa. Le manque d’humanité dont elle fit preuve à l’égard des Russo et des Lejeune a également été stigmatisé.
Le 20 juin 1996, un an après l’enlèvement, Gino Russo m’expliquait, qu’à une seule occasion seulement, la juge consentira à informer les parents des enfants enlevés sur un point précis du dossier. Avec quel tact et quelle pertinence ? Jugez-en en lisant cet extrait de l’interview que le papa de Melissa m’avait accordée.
– Où en sont vos contacts avec la juge d’instruction chargée du dossier ?
– Gino Russo : C’est fini, on ne veut plus la voir ! Depuis le coup de la lettre anonyme qu’elle nous a lue dans son cabinet.
– Que contenait cette lettre ?
– Gino Russo : C’est la lettre du fameux Farid dont il a été question dans une récente émission Perdu de vue sur TF 1. L’auteur se vante d’avoir commis l’enlèvement des petites avec deux copains. Suit une description macabre qui va jusqu’au massacre à la tronçonneuse. La juge a essayé de nous mettre cela dans le crâne. Sans nous dire que ce document, pour plusieurs raisons, manquait de crédibilité. Toujours est-il qu’on a été cassés pendant quinze jours. Quelle brutalité ! Moi, j’ai pris cinq ans. C’est tout de même étonnant : là, il n’y avait pas de secret d’instruction !
– Comment interprétez-vous ce geste de la juge d’instruction ?
– Gino Russo : Pour nous, c’était une séance sadomaso. Rien d’autre. La justice n’est pas humaine, cela, on le savait. Mais là, cela a tourné au sadisme.
Avec le temps, tout passe, tout casse, tout lasse… Le souvenir des faits se dissipe. Et la porte est ouverte aux réécritures de l’histoire. Mme Doutrèwe n’est pas la seule à bénéficier de ce phénomène inéluctable. On a aussi eu droit, ces jours-ci, à des dissertations médiatiques sur le pauvre petit gendarme Michaux. Finalement, en viendra-t-on à s’indigner que les parents de Julie et Melissa aient critiqué les dysfonctionnements qui ont coûté la vie à leurs enfants ?