Chronique « Si on me laisse dire », publiée dans le quotidien belge « La Dernière Heure », en marge du procès de Marc Dutroux et consorts 17 mars 2004
Je suppose que, pour certains d’entre nous, l’important c’est d’y croire. Croire par exemple qu’il est inconcevable que l’enquête menée à Neufchâteau sous la direction du juge Langlois ait pu connaître des lacunes. Comment cela serait-il possible après les enquêtes ratées –et dénoncées comme telles- de 1995 ? En 1995, justement, j’en ai lu tellement des articles de presse qui prétendaient que les Russo et les Lejeune avaient tort d’interpeller la justice!
Aujourd’hui, sous les mêmes plumes, on a trouvé beaucoup de commentaires sur la méthode Langlois… Sur cette question, le prêt à penser se fonde sur un postulat : envisager que d’autres personnes que Dutroux, Martin, Lelièvre et Nihoul puissent être impliquées dans les enlèvements, séquestration, viols et assassinats jugés à Arlon est fantaisiste. Donc, le juge Langlois –qui-ne-croit-pas-au-réseau- est le contraire d’un fantaisiste, c’est-à-dire qu’il s’agirait de quelqu’un de sérieux.
Malheureusement, dire que quelque chose n’existe pas n’est pas un gage de sérieux. L’histoire est peuplée de gens qui ont prétendu que des choses n’existaient pas… A une époque, certains se basaient sur des textes religieux pour dire que la terre ne pouvait pas être ronde! Dans cette affaire des enfants enlevés, c’est donc «le dossier» construit par Jacques Langlois qui fait office de texte sacré.
Durant ces quatre jours de témoignage, le magistrat a ainsi très souvent utilisé des formules du genre : «le dossier nous enseigne que», «selon les données objectives du dossier, il est établi que…».
Lundi déjà, Jean-Denis Lejeune a clairement indiqué qu’il refusait de réciter le credo écrit par Langlois. Paul Marchal lui a emboîté le pas. Et hier, les avocats de Laetitia Delhez, Me Beauthier et Fermont ont également commencé l’exégèse du texte. Les quelques 25 questions qui ont été posées à Monsieur Langlois nous permettent déjà de donner une définition de ce que ce magistrat appelle «une donnée objective». C’est-à-dire, pourrait-on croire, une donnée intangible, établie, qui forge des points essentiels de l’analyse du magistrat instructeur… Et bien, dans «le dossier», une «donnée objective», c’est notamment une «déclaration concordante et constante de Dutroux et Martin».
Ah bon ? Mais, M. Langlois, c’est votre dossier qui nous enseigne que, dès leurs premières auditions, le 13 août 1996, Martin et Dutroux racontent, sur certains points, les mêmes mensonges (par exemple, que la camionnette qui a servi à l’enlèvement de Laetitia était en panne «depuis quinze jours»). C’est aussi «le dossier» qui renseigne que Dutroux construisait des récits avec son épouse… au cas où il serait interpellé par la police. Il l’a fait notamment avant son arrestation du 6 décembre 1995.
Spécieuse, cette manière de lancer des «données objectives» à la tête des jurés de la Cour d’assises flirte carrément avec le sacré lorsque, en plus, des déclarations de Dutroux et de Martin sont présentées par le juge comme «concordantes et constantes» alors, qu’en fait, elles ne le sont pas! Me Fermont et Beauthier l’ont fort bien mis en évidence hier : les diverses auditions de Dutroux et Martin sur la viabilisation de la cache de Marcinelle comportent de nombreuses contradictions… Pourtant, c’était encore, avant qu’ils amènent cette question sur la table, une «donnée objective du dossier» qui était de nature à imposer une vérité : celle selon laquelle la cache n’aurait pas été prête au moment de l’enlèvement de Julie et Melissa. Lequel, pour cette raison notamment, n’aurait pu être que fortuit…
Depuis hier, le juge Langlois a modifié sa manière de communiquer : on entend moins, «le dossier nous enseigne» et plus «c’est ce que je pense, ce que je déduis mais il faut être prudent». Le début de la sagesse…
Chronique « Si on me laisse dire », publiée dans le quotidien belge « La Dernière Heure », en marge du procès de Marc Dutroux et consorts 17 mars 2004
Je suppose que, pour certains d’entre nous, l’important c’est d’y croire. Croire par exemple qu’il est inconcevable que l’enquête menée à Neufchâteau sous la direction du juge Langlois ait pu connaître des lacunes. Comment cela serait-il possible après les enquêtes ratées –et dénoncées comme telles- de 1995 ? En 1995, justement, j’en ai lu tellement des articles de presse qui prétendaient que les Russo et les Lejeune avaient tort d’interpeller la justice!
Aujourd’hui, sous les mêmes plumes, on a trouvé beaucoup de commentaires sur la méthode Langlois… Sur cette question, le prêt à penser se fonde sur un postulat : envisager que d’autres personnes que Dutroux, Martin, Lelièvre et Nihoul puissent être impliquées dans les enlèvements, séquestration, viols et assassinats jugés à Arlon est fantaisiste. Donc, le juge Langlois –qui-ne-croit-pas-au-réseau- est le contraire d’un fantaisiste, c’est-à-dire qu’il s’agirait de quelqu’un de sérieux.
Malheureusement, dire que quelque chose n’existe pas n’est pas un gage de sérieux. L’histoire est peuplée de gens qui ont prétendu que des choses n’existaient pas… A une époque, certains se basaient sur des textes religieux pour dire que la terre ne pouvait pas être ronde! Dans cette affaire des enfants enlevés, c’est donc «le dossier» construit par Jacques Langlois qui fait office de texte sacré.
Durant ces quatre jours de témoignage, le magistrat a ainsi très souvent utilisé des formules du genre : «le dossier nous enseigne que», «selon les données objectives du dossier, il est établi que…».
Lundi déjà, Jean-Denis Lejeune a clairement indiqué qu’il refusait de réciter le credo écrit par Langlois. Paul Marchal lui a emboîté le pas. Et hier, les avocats de Laetitia Delhez, Me Beauthier et Fermont ont également commencé l’exégèse du texte. Les quelques 25 questions qui ont été posées à Monsieur Langlois nous permettent déjà de donner une définition de ce que ce magistrat appelle «une donnée objective». C’est-à-dire, pourrait-on croire, une donnée intangible, établie, qui forge des points essentiels de l’analyse du magistrat instructeur… Et bien, dans «le dossier», une «donnée objective», c’est notamment une «déclaration concordante et constante de Dutroux et Martin».
Ah bon ? Mais, M. Langlois, c’est votre dossier qui nous enseigne que, dès leurs premières auditions, le 13 août 1996, Martin et Dutroux racontent, sur certains points, les mêmes mensonges (par exemple, que la camionnette qui a servi à l’enlèvement de Laetitia était en panne «depuis quinze jours»). C’est aussi «le dossier» qui renseigne que Dutroux construisait des récits avec son épouse… au cas où il serait interpellé par la police. Il l’a fait notamment avant son arrestation du 6 décembre 1995.
Spécieuse, cette manière de lancer des «données objectives» à la tête des jurés de la Cour d’assises flirte carrément avec le sacré lorsque, en plus, des déclarations de Dutroux et de Martin sont présentées par le juge comme «concordantes et constantes» alors, qu’en fait, elles ne le sont pas! Me Fermont et Beauthier l’ont fort bien mis en évidence hier : les diverses auditions de Dutroux et Martin sur la viabilisation de la cache de Marcinelle comportent de nombreuses contradictions… Pourtant, c’était encore, avant qu’ils amènent cette question sur la table, une «donnée objective du dossier» qui était de nature à imposer une vérité : celle selon laquelle la cache n’aurait pas été prête au moment de l’enlèvement de Julie et Melissa. Lequel, pour cette raison notamment, n’aurait pu être que fortuit…
Depuis hier, le juge Langlois a modifié sa manière de communiquer : on entend moins, «le dossier nous enseigne» et plus «c’est ce que je pense, ce que je déduis mais il faut être prudent». Le début de la sagesse…
Chronique « Si on me laisse dire », publiée dans le quotidien belge « La Dernière Heure », en marge du procès de Marc Dutroux et consorts 17 mars 2004
Je suppose que, pour certains d’entre nous, l’important c’est d’y croire. Croire par exemple qu’il est inconcevable que l’enquête menée à Neufchâteau sous la direction du juge Langlois ait pu connaître des lacunes. Comment cela serait-il possible après les enquêtes ratées –et dénoncées comme telles- de 1995 ? En 1995, justement, j’en ai lu tellement des articles de presse qui prétendaient que les Russo et les Lejeune avaient tort d’interpeller la justice!
Aujourd’hui, sous les mêmes plumes, on a trouvé beaucoup de commentaires sur la méthode Langlois… Sur cette question, le prêt à penser se fonde sur un postulat : envisager que d’autres personnes que Dutroux, Martin, Lelièvre et Nihoul puissent être impliquées dans les enlèvements, séquestration, viols et assassinats jugés à Arlon est fantaisiste. Donc, le juge Langlois –qui-ne-croit-pas-au-réseau- est le contraire d’un fantaisiste, c’est-à-dire qu’il s’agirait de quelqu’un de sérieux.
Malheureusement, dire que quelque chose n’existe pas n’est pas un gage de sérieux. L’histoire est peuplée de gens qui ont prétendu que des choses n’existaient pas… A une époque, certains se basaient sur des textes religieux pour dire que la terre ne pouvait pas être ronde! Dans cette affaire des enfants enlevés, c’est donc «le dossier» construit par Jacques Langlois qui fait office de texte sacré.
Durant ces quatre jours de témoignage, le magistrat a ainsi très souvent utilisé des formules du genre : «le dossier nous enseigne que», «selon les données objectives du dossier, il est établi que…».
Lundi déjà, Jean-Denis Lejeune a clairement indiqué qu’il refusait de réciter le credo écrit par Langlois. Paul Marchal lui a emboîté le pas. Et hier, les avocats de Laetitia Delhez, Me Beauthier et Fermont ont également commencé l’exégèse du texte. Les quelques 25 questions qui ont été posées à Monsieur Langlois nous permettent déjà de donner une définition de ce que ce magistrat appelle «une donnée objective». C’est-à-dire, pourrait-on croire, une donnée intangible, établie, qui forge des points essentiels de l’analyse du magistrat instructeur… Et bien, dans «le dossier», une «donnée objective», c’est notamment une «déclaration concordante et constante de Dutroux et Martin».
Ah bon ? Mais, M. Langlois, c’est votre dossier qui nous enseigne que, dès leurs premières auditions, le 13 août 1996, Martin et Dutroux racontent, sur certains points, les mêmes mensonges (par exemple, que la camionnette qui a servi à l’enlèvement de Laetitia était en panne «depuis quinze jours»). C’est aussi «le dossier» qui renseigne que Dutroux construisait des récits avec son épouse… au cas où il serait interpellé par la police. Il l’a fait notamment avant son arrestation du 6 décembre 1995.
Spécieuse, cette manière de lancer des «données objectives» à la tête des jurés de la Cour d’assises flirte carrément avec le sacré lorsque, en plus, des déclarations de Dutroux et de Martin sont présentées par le juge comme «concordantes et constantes» alors, qu’en fait, elles ne le sont pas! Me Fermont et Beauthier l’ont fort bien mis en évidence hier : les diverses auditions de Dutroux et Martin sur la viabilisation de la cache de Marcinelle comportent de nombreuses contradictions… Pourtant, c’était encore, avant qu’ils amènent cette question sur la table, une «donnée objective du dossier» qui était de nature à imposer une vérité : celle selon laquelle la cache n’aurait pas été prête au moment de l’enlèvement de Julie et Melissa. Lequel, pour cette raison notamment, n’aurait pu être que fortuit…
Depuis hier, le juge Langlois a modifié sa manière de communiquer : on entend moins, «le dossier nous enseigne» et plus «c’est ce que je pense, ce que je déduis mais il faut être prudent». Le début de la sagesse…
Chronique « Si on me laisse dire », publiée dans le quotidien belge « La Dernière Heure », en marge du procès de Marc Dutroux et consorts 17 mars 2004
Je suppose que, pour certains d’entre nous, l’important c’est d’y croire. Croire par exemple qu’il est inconcevable que l’enquête menée à Neufchâteau sous la direction du juge Langlois ait pu connaître des lacunes. Comment cela serait-il possible après les enquêtes ratées –et dénoncées comme telles- de 1995 ? En 1995, justement, j’en ai lu tellement des articles de presse qui prétendaient que les Russo et les Lejeune avaient tort d’interpeller la justice!
Aujourd’hui, sous les mêmes plumes, on a trouvé beaucoup de commentaires sur la méthode Langlois… Sur cette question, le prêt à penser se fonde sur un postulat : envisager que d’autres personnes que Dutroux, Martin, Lelièvre et Nihoul puissent être impliquées dans les enlèvements, séquestration, viols et assassinats jugés à Arlon est fantaisiste. Donc, le juge Langlois –qui-ne-croit-pas-au-réseau- est le contraire d’un fantaisiste, c’est-à-dire qu’il s’agirait de quelqu’un de sérieux.
Malheureusement, dire que quelque chose n’existe pas n’est pas un gage de sérieux. L’histoire est peuplée de gens qui ont prétendu que des choses n’existaient pas… A une époque, certains se basaient sur des textes religieux pour dire que la terre ne pouvait pas être ronde! Dans cette affaire des enfants enlevés, c’est donc «le dossier» construit par Jacques Langlois qui fait office de texte sacré.
Durant ces quatre jours de témoignage, le magistrat a ainsi très souvent utilisé des formules du genre : «le dossier nous enseigne que», «selon les données objectives du dossier, il est établi que…».
Lundi déjà, Jean-Denis Lejeune a clairement indiqué qu’il refusait de réciter le credo écrit par Langlois. Paul Marchal lui a emboîté le pas. Et hier, les avocats de Laetitia Delhez, Me Beauthier et Fermont ont également commencé l’exégèse du texte. Les quelques 25 questions qui ont été posées à Monsieur Langlois nous permettent déjà de donner une définition de ce que ce magistrat appelle «une donnée objective». C’est-à-dire, pourrait-on croire, une donnée intangible, établie, qui forge des points essentiels de l’analyse du magistrat instructeur… Et bien, dans «le dossier», une «donnée objective», c’est notamment une «déclaration concordante et constante de Dutroux et Martin».
Ah bon ? Mais, M. Langlois, c’est votre dossier qui nous enseigne que, dès leurs premières auditions, le 13 août 1996, Martin et Dutroux racontent, sur certains points, les mêmes mensonges (par exemple, que la camionnette qui a servi à l’enlèvement de Laetitia était en panne «depuis quinze jours»). C’est aussi «le dossier» qui renseigne que Dutroux construisait des récits avec son épouse… au cas où il serait interpellé par la police. Il l’a fait notamment avant son arrestation du 6 décembre 1995.
Spécieuse, cette manière de lancer des «données objectives» à la tête des jurés de la Cour d’assises flirte carrément avec le sacré lorsque, en plus, des déclarations de Dutroux et de Martin sont présentées par le juge comme «concordantes et constantes» alors, qu’en fait, elles ne le sont pas! Me Fermont et Beauthier l’ont fort bien mis en évidence hier : les diverses auditions de Dutroux et Martin sur la viabilisation de la cache de Marcinelle comportent de nombreuses contradictions… Pourtant, c’était encore, avant qu’ils amènent cette question sur la table, une «donnée objective du dossier» qui était de nature à imposer une vérité : celle selon laquelle la cache n’aurait pas été prête au moment de l’enlèvement de Julie et Melissa. Lequel, pour cette raison notamment, n’aurait pu être que fortuit…
Depuis hier, le juge Langlois a modifié sa manière de communiquer : on entend moins, «le dossier nous enseigne» et plus «c’est ce que je pense, ce que je déduis mais il faut être prudent». Le début de la sagesse…